Jean-Luc Mélenchon et le Parti communiste français : histoire et perspectives Relecture d’un article de Pierre Girier-Timsit sur "Le vent se lève"

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Les communistes ont tranché, très largement. Le conseil national avait décidé à une courte majorité de proposer une candidature communiste, la conférence nationale avait conforté ce choix à 66,5%, et les militants communistes lui ont donné la force d’une décision encore plus large, 72,5%, Fabien Roussel ayant le soutien de 82,32% des votants...

Les naïfs auraient pu croire que cela allait clore les débats contradictoires à gauche. Au contraire... les réactions violentes se sont même multipliées sur les réseaux sociaux et chaque intervention de Fabien Roussel candidat provoque des réactions outrées tentant de le présenter comme rouge-brun, identitaire ou casseur d’unité populaire...

Evidemment, les communistes n’ont pas d’ennemi à gauche et mèneront une campagne sérieuse et sereine contre toutes les droites et pour appeler le peuple abstentionniste à sortir de sa grève des urnes et à se donner les moyens d’organiser la lutte qui sera nécessaire quelque soit le résultat des présidentielles. Le sens de la candidature communiste est justement de permettre au monde du travail et aux milieux populaires de prendre conscience de l’impasse de l’électoralisme et du présidentialisme, que c’est leur propre organisation qui est la clé pour retrouver des victoires sociales.

Mais il n’est pas inutile de reprendre à postériori les arguments de ceux qui tentaient de peser sur le vote des communistes avant leur décision, à la lumière de la décision des communistes, en espérant que cela aide certains à mieux la comprendre.

Voici donc la relecture commentée d’un article paru dans "le vent se lève", site internet utile et le plus souvent très argumenté.

L’article propose une relecture historique des relations entre le PCF et Jean-Luc Mélenchon en la situant dans l’enjeu de l’union de la gauche. L’introduction situe l’actualité de la question après la conférence nationale des communistes qui proposent le choix d’une candidature communiste et la conclusion interroge la consultation à venir des communistes. On sent bien que l’auteur espère que, comme en 2016, les communistes ne suivront pas la conférence nationale. On sait aujourd’hui qu’il se trompait.

les titres sont ceux de l’article d’origine...

Jean-Luc Mélenchon et le PCF : une histoire ancienne (1968-2009)

Il faut néanmoins rappeler qu’en 2016, les cadres du PCF avaient déjà rejeté l’option du soutien à Jean-Luc Mélenchon et à La France insoumise pour une candidature propre (53,69%, vote du 5 novembre 2016), et cela malgré l’appui au leader insoumis du secrétaire national alors en fonction, Pierre Laurent. Mais les militants, décideurs en dernière instance en la matière, avaient quant à eux choisi d’appuyer la candidature de Jean-Luc Mélenchon (53,60%, vote du 26 novembre 2016), réglant ainsi le processus décisionnel.

L’auteur aurait pu s’interroger sur cet écart entre la direction nationale du PCF, avec Marie-Georges Buffet, puis Pierre Laurent et les cadres du parti, écart qui révèle une contradiction entre les stratégies suivies par les principaux dirigeants après la mutation de Robert Hue et les réalités militantes issues de l’histoire communiste. Cet écart s’est révélé au 38ème congrès, le texte proposé par la direction étant mis en minorité ce qui conduisait à l’arrivée de Fabien Roussel. L’auteur ne s’intéresse visiblement pas trop au PCF, ni à son riche passé de débat sur les stratégies d’union de la gauche, ni à l’actualité de son débat stratégique et de sa conception du rassemblement. Cela le conduit à ne pas voir ce qui est fondamental. Les communistes tirent tardivement les leçons de l’échec du 1981 que JLM ne veut pas reconnaitre.

D’ailleurs, si l’auteur reconnait que le PCF en 2016 est la principale force militante et symbolique renforçant la dynamique de campagne de JLM, c’est pour en conclure que, si la victoire na pas été obtenu :

Le groupe insoumis à l’Assemblée nationale a néanmoins pu assumer de manière efficace un rôle d’opposition parlementaire structurée, palliant partiellement cette absence de leur leader au second tour.

Premier prisme de lecture, car on aurait pu tout aussi dire que le groupe communiste a assumé efficacement un rôle d’opposition parlementaire organisée... Et on aurait d’ailleurs pu se demander en quoi les deux groupes, communistes et insoumis, ont porté ensemble un rôle d’opposition et en quoi ils se sont différenciées dans ce rôle d’opposition.

Mais l’auteur sent bien qu’il faut évoquer la différence entre le PCF et Jean-Luc Mélenchon en expliquant pourquoi JLM n’est pas communiste

Jean-Luc Mélenchon revient dans un entretien de 2016 sur ce qui l’a tenu éloigné de la possibilité d’une adhésion communiste : « Je ne pouvais pas être au PCF à cause de l’invasion de la Tchécoslovaquie. »

L’auteur aurait pu interroger cette affirmation impliquant sans le dire que la critique de l’URSS conduisait nécessairement à revenir sur le congrès de Tour en entier, et donc à effacer la question communiste, sans voir que cela conduit nécessairement à effacer les raisons qui ont conduit à la création des partis communistes et notamment la trahison des dirigeants socialistes faisant contre Jaurès le choix de la guerre...

Mais l’auteur veut montrer que JLM était le porteur de l’union de la gauche, le défenseur du programme commun, représentant "la gauche du PS".

Par ce médium, Jean-Luc Mélenchon – qui selon un de ses anciens camarades socialistes de l’époque « vit [la rupture de l’Union de la gauche] comme une véritable catastrophe »

L’auteur cite bien les origines politiques trotskystes de JLM en évoquant sa radiation de l’OCI en 1976, date de son adhésion au PS. Pour ceux qui connaissent l’OCI, cela porte à sourire compte tenu des pratiques connues de cette organisation et du nombre de cadres du PS qui en sont issus... L’histoire des UNEF renouveau et "indépendante" en est une belle illustration...

De fait, affirmer que JLM a toujours été à la gauche du PS permet de considérer que l’union de la gauche de 1981 était une chance historique, ce qui rejoint l’analyse des causes du tournant de 1983 clairement affirmée par JLM dans son "bilan raisonné" que nous avons déjà commenté sur ce site. Et cela conduit à considérer de fait que le problème actuel serait de reprendre le fil de 1981, stratégie affirmé le 10 mai 2021 par JLM lui même évoquant la "révolution suspendue". On ne peut pas être plus clair sur son ambition entièrement fidèle à François Mitterrand.

L’auteur marque encore à gauche JLM en évoquant sa contribution au NON au traité européen de 2005, choix qui le rapproche de Marie-Georges Buffet qu’il côtoyait au gouvernement Jospin, mais en réduisant à une anecdote son soutien au référendum de Maastricht qui était pourtant l’étape préalable à celui de 2005.

L’auteur confirme alors un fait historique. La création du PG n’était pas un coup de poker de JLM, mais une décision concertée avec la secrétaire nationale du PCF qui lui promet une alliance forte "main dans la main", qui sera le "Front de Gauche".

Marie-George Buffet leur avait promis, en cas de sortie, une candidature commune aux élections européennes de 2009 (alliance qui aura donc bien lieu entre le PCF et le nouveau PG). Jean-Luc Mélenchon n’a donc pas quitté le PS pour « partir à l’aventure » mais bien avec une stratégie concrète et ambitieuse, conçue main dans la main avec les communistes.

Et l’article est alors bouclé... 1920 était une erreur qui a conduit à la Tchécoslovaquie, invalidant le choix communiste, et Jean-Luc Mélenchon est celui qui reprend la filiation de la gauche qui a effacé l’erreur communiste... avec le soutien de la direction nationale du PCF. Evidemment, à l’époque, Marie-Georges Buffet ne disait pas aux communistes que cette stratégie accompagnait la métamorphose de leur parti dans une nouvelle "force de gauche", et d’ailleurs, quand elle a tenté de leur faire accepté cette métamorphose, elle a été battue dans une conférence nationale.

De fait, la stratégie "Mélenchon-Buffet" avait oublié de tenir compter des communistes...

Vie et mort du Front de gauche (2009-2016)

Évidemment, ne tenant pas compte des tensions internes au PCF et notamment du fait que pendant presque 20 ans, les directions nationales successives du PCF ont obtenu le soutien des communistes dans la confusion sur leurs objectifs véritables, notamment sur l’enjeu fondamental de l’utilité ou pas d’un parti communiste, l’auteur ne peut comprendre les difficultés successives du Front de Gauche. Si des dirigeants peuvent se mettre d’accord au plan national "en privé" comme Jean-Luc Mélenchon et Marie-Georges Buffet, c’est plus compliqué quand il faut mener dans tout le pays des discussions sur des accords électoraux dans lequel le PCF a beaucoup à perdre, et d’ailleurs a perdu beaucoup, mais dans lequel Jean-Luc Mélenchon n’a rien à perdre et tout à gagner...

La vérité du Front de Gauche apparait de plus en plus clairement. Ce n’est pas du tout un front populaire [1], mais bien une alliance électorale destinée à préparer la "métamorphose" du PCF, ce que la plupart des dirigeants du PCF savent, mais que ne comprennent pas de nombreux communistes. Résultat, c’est la confusion le plus souvent pour les communistes, qui héritaient d’un parti capable de parler d’une seule voix au plan national, malgré la diversité des situations locales, de prendre et de faire respecter des décisions électorales tactiques et qui, au fil des élections, prend l’habitude de l’incohérence de stratégies différentes selon les communes, les régions...

Si l’auteur souligne avec raison l’enjeu des élus pour le PCF qui ne peut souv ent les garder que dans l’union avec le PS, il ne comprend pas le fonds cette difficulté pour le PCF à élaborer une stratégie claire. Car c’est bien la confusion sur la stratégie de rassemblement créée par le choix des directions du PCF qui conduit à ne plus pouvoir mettre en œuvre une tactique nationale cohérente. Dans les années 70, il y avait une stratégie claire du PCF, l’union de la gauche sur un programme, et dans toutes les communes, les communistes menaient la même bataille qui aboutissaient à des situations électorales différentes, selon les décisions du PS qui choisissait ou pas l’union... Mais dans ces années de Front de Gauche, ce sont les communistes eux-mêmes qui ne savent plus porter une stratégie commune et qui font de leur mieux dans chaque situation locale.

Cela laisse des traces, des conflits, des tensions. L’auteur ne les comprenant pas, sans doute parce-qu’il ne connait pas la vie interne du PCF [2], il ne peut comprendre les raisons fondamentales de la rupture avec cette période que permet le 38ème congrès en 2018...

Situation actuelle : enjeux et perspectives électorales

L’auteur a bien compris qu’il s’était passé quelque chose à ce congrès

Lors du XXXVIIIe congrès du PCF tenu du 23 au 25 novembre 2018, la plateforme emmenée par André Chassaigne et Fabien Roussel l’emporte de peu (42,14% contre 38% pour celle arrivée en deuxième position) et ce dernier est intronisé secrétaire national. Pauline Graulle, dans un article de Mediapart, résume : « Il n’en a jamais fait mystère : le nouveau secrétaire national du PCF, Fabien Roussel, n’avait jamais été un grand fan du Front de gauche. Il avait même voté « contre » à sa création. Dix ans presque jour pour jour après la naissance de la coalition antilibérale (entre le PCF, le Parti de gauche, Ensemble ! et la Gauche unitaire), le 38e congrès du PCF, […] a acté la fin de l’alliance historique entre le parti communiste et Jean-Luc Mélenchon. » Même si cette disparition était effective du côté insoumis depuis le 3 juillet 2016.

Mais il espère encore que ce n’était qu’un accident. Le texte du manifeste qui marquera le congrès l’emporte "de peu". On sent son énervement en parlant du secrétaire national "intronisé". A-t-il jamais utilisé ce verbe à propos de JLM ? [3]. Mais il comprend que c’est la fin d’une période, l’accusant "d’acter la fin de l’alliance", tout en rappelant que c’était déjà fait depuis 2016 chez les insoumis...

Et c’est donc la faute de Fabien Roussel si cette alliance est défaite, un Fabien Roussel coupable de ne pas répondre à Jean-Luc Mélenchon qui lui demande de... le soutenir !

Pas surprenant donc que ce même Fabien Roussel ignore les prises de contact de Jean-Luc Mélenchon entreprises dès août 2020 puis de nouveau le 10 décembre, qu’il mène une politique privilégiée d’alliances avec le PS et EELV pour les élections régionales et départementales à venir, et qu’il déclare aujourd’hui souhaiter maintenir sa candidature « quoiqu’il en coûte »

L’auteur aurait pu s’interroger sur les conséquences des déclarations répétées de Jean-Luc Mélenchon tentant de faire pression sur les militants communistes en se demandant ce qui se passerait si Fabien Roussel lançait un appel aux militants insoumis pour ne pas suivre une proposition de Jean-Luc Mélenchon !

L’article est écrit le 4 mai, à quelques jours du vote des communistes. L’auteur tente donc de réduire au maximum ce qu’il croit être la raison principale d’une décision possible des communistes pour avoir leur propre candidat.

Les opposants au soutien de la candidature Mélenchon s’appuient notamment sur une lecture des derniers sondages parus à l’horizon 2022.

L’auteur ne peut pas voir que c’est un argument certes, mais marginal dans la décision des communistes, argument qui réduit la question fondamentale du rapport de force dans la société à la seule question électorale, et encore pire, à la question présidentielle. Or, les leçons que les communistes tirent de 1981, c’est que, même quand on gagne l’élection, on peut être battu dans la société capitaliste !

Et comme tous les militants progressistes font le constat non pas des sondages électoraux, mais des réalités des mobilisations, de la dérive idéologique à droite dans tout le pays, de la fracture immense entre le monde ouvrier et les quartiers populaires et la gauche, y compris la gauche radicale, les communistes savent qu’il est impossible de bousculer le capitalisme seulement avec un président de la république, fut-il Mélenchon ! Les batailles sociales de demain, doivent relever le défi auxquelles se sont heurtées les batailles sociales de ces dernières années, reconstruire une unité populaire portant clairement l’ambition de changement de société. C’est une question décisive à laquelle les communistes qui ont validé la stratégie du programme commun en 1972 ont mal répondu, alors même que le coup d’état au Chili allait montrer qu’un pays avec un président et un parlement à gauche pouvait être écrasé par la réaction capitaliste. Et celui qui pense que la France n’est pas le Chili ne comprend pas le sourire de l’ambassadeur des USA dans le beau film "Allende" quand il dit "vous croyez que la bourgeoisie allait se laisser faire" ?

L’auteur peut-il tenter de comprendre le vote des communistes qui, non seulement ne répond pas du tout à ses attentes, mais au contraire donnent toute la force et la légitimité nécessaire à Fabien Roussel ? Peut-il comprendre qu’on ne peut plus continuer à faire croire qu’il est encore question de reprendre 1981 ? peut-il comprendre que sans organisation réelle, militante, "de combat" comme on disait chez les communistes, il n’y a pas de transformation révolutionnaire possible. Peut-il voir à quel point le mouvement "gazeux" de JLM est une impasse pour les insoumis eux-mêmes ?

En tout cas, les communistes ont repris leur route. Les insoumis sont leurs alliés naturels, et leurs deux candidats ont tout intérêt à aller chercher partout les abstentionnistes qui sont la seule force capable de faire échec au piège Macron-Le Pen, qui sont la ressource indispensable pour retrouver un peuple debout capable de faire reculer la bourgeoisie en France. Ce sont les luttes sociales de demain qui en dépendent.

Voir en ligne : article sur le site lvsl.fr

[1bien que dans beaucoup d’endroits, les militants communistes on tenté de faire vivre des collectifs militants du Front de Gauche

[2ou alors qu’il ne la connait qu’à travers les communistes les plus engagées dans le projet de métamorphose...

[3il est vrai que JLM se désigne lui-même...

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