En 1789, l’histoire bascule Un tel phénomène dans l’histoire du monde ne s’oubliera plus (le conflit des facultées)

, par  Gilbert Remond , popularité : 2%

Tout le monde s’accorde à le dire, en 1789, l’histoire bascule. À cette époque, la France vivait dans le cadre de ce que l’on appelait l’ancien régime. La société était d’essence aristocratique. Elle avait pour fondement le privilège de la naissance et la richesse foncière.

Or, cette structure entrait en contradiction avec celle, naissante, de l’économie et du commerce. La révolution, conduite par la bourgeoisie, détruira l’ancien système de production et les rapports de production qui en découlaient en s’appuyant sur les mobilisations populaires, issues des graves problèmes de subsistance provoquées par la crise et la violence des réactions aristocratiques, elles-mêmes entraînées par les pressions d’un état en faillite, qui cherchait à épurer une dette publique de plus de quatre milliards de francs.

Cette révolution ruina l’ancienne classe dominante ainsi que les fractions de la bourgeoisie qui, à des titres divers, étaient intégrées dans la société d’ancien régime. Elle permit la destruction des structures féodales. Enfin par la proclamation de la liberté économique, elle balayait le terrain devant le capitalisme dont elle accélérait l’évolution en favorisant un mouvement de concentration des entreprises.

Pendant que se transformait les conditions matérielles de la vie sociale, la structure des classes populaires traditionnelles s’altérait. Or s’il ne faut pas exagérer les progrès de la production capitaliste pendant la période considérée, il n’en reste pas moins qu’elle contribuait à réunir les conditions qui transformeront la grande masse des sans-culottes, cette catégorie du peuple regroupant artisans, compagnons et ouvriers des manufactures, en prolétariat.

Au final la révolution, sous la direction de la bourgeoise, livrait les classes populaires sans défense aux dirigeants des formes nouvelles de l’économie. N’empêche, la résistance de l’aristocratie, la guerre civile et la guerre étrangère obligèrent la fraction révolutionnaire de la bourgeoisie à pousser jusqu’au bout l’œuvre de destruction de l’ancienne société.

Il lui fallut pour y parvenir, s’allier aux classes populaires, porter au premier plan le principe de l’égalité d’abord invoqué à l’encontre de l’autocratie. Il en a résulté un bilan contrasté, car si la révolution est à l’origine de la société et de l’état bourgeois, elle a aussi esquissé pendant la période de l’an II, un État démocratique et une société égalitaire, le régime de cette période lui apportant un contenu social qui intégrait véritablement les classes populaires dans une nation unie.

La constitution de 1793, votée le 24 juin sur le rapport de Hérault de Séchelle, en fixait les traits essentiels ; elle précisait par exemple "le but de la société est le bonheur commun, elle affirme les droits au travail, à l’assistance à l’instruction" (art 21), ou encore "les secours publics sont une dette sacrée, la société doit la subsistance aux citoyens malheureux, soit en leur procurant du travail soit en assurant les moyens d’exister à ceux qui sont hors d’état de travailler" (art22), ou encore "l’instruction est le besoin de tous. La société doit favoriser de tout son pouvoir les progrès de la raison publique et mettre l’instruction à la porté de tous les citoyens". Enfin elle reconnaissait le droit à la révolte face à l’injustice en déclarant "quand le gouvernement viole, les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple le plus sacré, le plus indispensable des devoirs" (art 35).

Mais les montagnards, cette partie de la bourgeoisie révolutionnaire qui animait le comité de salut public, entendaient ménager les possédants et les modérés. Pour ces raisons, il n’entrait pas dans leur vue de réaliser l’ensemble du programme politique et social que les militants populaires des comités insurrectionnels mettaient en avant. Une fois débarrassés de la gironde et de ses compromis avec la réaction, elle s’en prenait aux éléments les plus radicaux et brisait l’armature du mouvement populaire pour rétablir la stabilité administrative et asseoir définitivement son autorité absolue sur toute la vie de la nation. Pour eux il fallait d’abord gagner la guerre avant de vouloir appliquer la constitution et construire une république démocratique. Toutes les forces devaient être réunies dans un mouvement centrifuge, et donc contrôlé absolument, réprimé si nécessaire.

Il en résultera que deux stratégies inconciliables s’affrontèrent, l’une réclamant
autonomie et mise sous contrôle du gouvernement par les masses, l’autre au contraire la centralité des décisions et de la poigne dans leur application par une minorité organisée en comité. Elles ordonnaient ainsi un antagonisme irréductible entre les sans-culottes et la bourgeoisie jacobine, rompaient le contact direct et fraternel qui unissait jusqu’alors les autorités révolutionnaires et les sans-culottes des sections. Quelque chose se glaçait dans la révolution qui, après avoir accentué ce divorce, permettait à l’opposition réactionnaire de
se reformer à l’assemblée où le complot se nouait en une véritable coalition de
circonstance dont le ciment était la peur. Le 9 thermidor, poussé par le besoin d’en finir avec la terreur et le désir de pouvoir profiter de leurs affaire une fois le danger de l’invasion repoussée, les brigands, selon le mot de Robespierre, triomphaient contre la république parce que le peuple, désespéré par la répression, n’était pas venu à son secours.

En effet, la terreur, que les victoires semblaient ne plus rendre nécessaire, lassait agir la bourgeoisie d’affaire qui supportait de plus en plus mal les contrôles gouvernementaux sur l’économie. Elle entendait que revienne au plus tôt la liberté totale de production et d’échange qu’elle avait obtenu en 89 et surtout, que ne soit pas menacé son droit à la propriété. Réquisition, taxation, contrôle national du commerce et nationalisation de l’économie, exigés au nom de la solidarité nationale affectaient ses intérêts de classe égoïstes. Tout cet enchevêtrement ne pouvait longtemps coexister ni masquer les enjeux réels de la situation pour les "honnêtes gens", c’est-à-dire les notables. "Il fallait éliminer de la vie politique ces petits bourgeois, ces artisans,ces boutiquiers, ces compagnons, en un mot les sans-culottes qui leur avaient imposé leur loi". La réaction thermidorienne est le nom de cette tache.

Une nouvelle constitution effacera les dispositions à visée égalitaire de celle de l’an II dont les principes furent posés avec netteté par Boissy d’Anglas en ces termes : "Vous devez garantir enfin la propriété du riche... l’égalité civile, voilà tout ce que l’homme raisonnable peut exiger... L’égalité absolue est une chimère". Pour atteindre cet objectif, Boissy d’Anglas poursuivait "nous devons être gouvernés par les meilleurs : les meilleurs sont les plus instruits et les plus intéressés au maintien des lois ; or, à peu d’exceptions près, vous ne trouverez de pareils hommes que parmi ceux qui, possédant une propriété,
sont attachés au pays qui la contient, aux lois qui la protègent et la conservent
".

Pendant longtemps nous avons vécu sur une représentation de la révolution française qui lui accordait ce que nous sommes devenus. Révolution bourgeoise, son bilan était jugé positivement, même par le camp progressiste qui voyait en elle, les préliminaires à d’autres changements qui cette fois profiteraient au peuple. Un Guizot par exemple, jugeait qu’il était impossible d’éliminer la terreur de ce bilan en tant qu’elle était un élément constitutif de la
révolution, élément sans lequel celle-ci n’aurait pu continuer. Mais la célébration du bicentenaire sera l’occasion d’une opération révisionniste prenant appui sur les travaux de François Furet, dont la campagne menée en direction de l’opinion prendra comme point de départ cette pensée de Michel Rocard livrée au monde en 1988 : "la révolution, c’est dangereux, si l’on en fait l’économie ce n’est pas plus mal", pensée qui, en somme, rejoignait celle d’historiens et de philosophes comme Tocqueville qui estimaient, comme le note Éric Hazan, que "l’essentiel de ce que l’on tient d’ordinaire pour des bouleversements révolutionnaires était déjà en route, sinon accompli, à la fin de l’Ancien
Régime
". Pour eux, "Une évolution à l’américaine, calme et démocratique, aurait donc conduit au même résultat final en évitant le bruit, la fureur de la guillotine".

Le livre d’Éric Hazan, donnant suite d’ailleurs à celui d’Éric Hobsbaum "Aux armes citoyens", est le premier livre à diffusion non confidentielle qui contredit et démonte cette relecture de l’histoire. Rendant parfaitement compte des contradictions qui ont travaillé la révolution, il donne en quatorze chapitres, le récit des événements qui se jouent sur les deux principales scènes, celle de l’assemblée et celle de la rue. Il s’appuie alors sur ces acteurs, tribuns hors pair et meneurs tout en gouaille, pour donner à entendre ce qui entrera dans l’histoire comme étant les débuts du discours politique. Ce livre comme il nous l’explique, comporte beaucoup de citations. Il en donne deux raisons : "la première étant que, en allant aux sources, on note que les orateurs les plus illustres ont parfois dit autres choses que ce qu’on leur attribue d’ordinaire. La seconde est qu’au temps de la révolution, la langue est d’une grande beauté, sur la crête entre l’ironie et l’effusion, entre la dureté et les larmes". Il espère avec son écriture "faire souffler un peu d’enthousiasme révolutionnaire sur notre époque où la tendance est plutôt au relativisme et à la dérision".

Gilbert Rémond

Sites favoris Tous les sites

7 sites référencés dans ce secteur

Brèves Toutes les brèves

Navigation

Annonces

  • (2002) Lenin (requiem), texte de B. Brecht, musique de H. Eisler

    Un film
    Sur une musique de Hans Eisler, le requiem Lenin, écrit sur commande du PCUS pour le 20ème anniversaire de la mort de Illytch, mais jamais joué en URSS... avec un texte de Bertold Brecht, et des images d’hier et aujourd’hui de ces luttes de classes qui font l’histoire encore et toujours...

  • (2009) Déclaration de Malakoff

    Le 21 mars 2009, 155 militants, de 29 départements réunis à Malakoff signataires du texte alternatif du 34ème congrès « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps ». lire la déclaration complète et les signataires

  • (2011) Communistes de cœur, de raison et de combat !

    La déclaration complète

    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

    Un peu plus d’un tiers des adhérents a participé à cette consultation, soit une participation en hausse par rapport aux précédents votes, dans un contexte de baisse des cotisants.
    ... lire la suite

  • (2016) 37eme congrès du PCF

    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).