A propos de la conférence de Badiou « penser les crimes de masse » Critique de la « structure du monde contemporain »

, par  Xuan , popularité : 2%

A propos de la conférence de Badiou du 23 novembre : « penser les crimes de masse »

Critique de « structure du monde contemporain »

Cette conférence suivant les attentats terroristes du 13 novembre mérite certainement une étude attentive de ses différents aspects, et sa conclusion au moins devrait nous inspirer

« Je suis d’un optimisme inébranlable, n’est-ce pas, donc je pense que c’est ce qui se fera. Mais le temps presse. Le temps presse… »

Ceci n’exclut pas d’en critiquer les aspects erronés, ici sa présentation du monde contemporain – les citations de Badiou sont en citation.

Nous avons aujourd’hui un capitalisme installé de façon explicite à une échelle qui est l’échelle planétaire. Ce qui fait que ce capitalisme mondialisé est, non seulement, un capitalisme qui a retrouvé son énergie dissolvante, mais qui, aussi, l’a développée de telle sorte qu’à présent on peut dire que, considéré comme une structure globale, le capitalisme constitue une maîtrise pratiquement incontestée de l’ensemble de la planète.

Le deuxième thème, c’est l’affaiblissement des États. C’est une conséquence assez subtile du premier mais qui est tout à fait intéressante à dégager.

Vous savez tous que l’un des thèmes les plus moqués du marxisme a été le thème du dépérissement de l’État. Le marxisme annonçait que la réorganisation de l’État, après la destruction révolutionnaire des Etats-nations dominés par le capitalisme, déploierait en définitive, par un puissant mouvement collectif de type communiste, une société sans Etat, une société que Marx appelait celle de « l’association libre ». Eh bien, nous assistons à un phénomène tout à fait pathologique, à savoir à un processus capitaliste de dépérissement des

Etats. C’est un phénomène fondamental aujourd’hui, même s’il est masqué par la subsistance, pour un temps historique probablement assez long, de pôles étatiques d’une assez forte puissance. En vérité, la logique générale du capitalisme mondialisé, c’est de n’avoir pas de rapport direct et intrinsèque à la subsistance d’États nationaux, parce que son déploiement est aujourd’hui transnational. Dès les années soixante, on avait mis en évidence le caractère multinational des grandes firmes. Mais ces grandes firmes sont devenues depuis des monstres transnationaux d’une tout autre nature. [Structure du monde contemporain]

Dépérissement de l’état

Selon le marxisme le dépérissement de l’état advient dans la société communiste, lorsque les classes ont disparu.

Ceci n’est possible qu’après une phase de transition socialiste, où la classe ouvrière devient classe dominante et la bourgeoisie classe dominée, où la dictature du prolétariat remplace la dictature de la bourgeoisie, condition indispensable pour l’émancipation de toute la société [1].

Quelle en est la raison ? C’est que l’état, qui apparaît là et au moment où se manifeste la division de la société en classes, quand apparaissent exploiteurs et exploités, [2] n’est pas un arbitre au-dessus des classes mais constitue la machine de guerre de la classe dominante, destinée à briser la résistance de la classe dominée. Il va de soi que cette fonction ne peut disparaître - et avec elle l’état lui-même - que lorsque la lutte des classe a pris fin. [3]

Mais pour Badiou ce scénario est exclu. Selon les thèses anarchistes ou libertaires, le dépérissement de l’état doit commencer dès le renversement de l’état bourgeois. Pour Badiou c’est le capitalisme lui-même qui initie ce dépérissement, faisant l’économie de la révolution elle-même. L’état ne serait plus une nécessité dans la lutte des classes.

Mais en fait c’est la nature de classe de l’état bourgeois que Badiou est en train d’oublier.

Non seulement les États sont largement devenus ce que Marx pensait déjà d’eux, à savoir « les fondés de pouvoir du capital ». Mais je ne sais pas si Marx a jamais imaginé qu’il avait raison au point que, depuis trente ans, la réalité lui donne. Non seulement les Etats sont des fondés de pouvoir du capital, mais il y a de plus en plus une espèce de discordance entre l’échelle d’existence des grandes firmes et l’échelle d’existence des États, qui fait que l’existence des grandes firmes est diagonale aux États. La puissance des grands conglomérats industriels, bancaires ou commerciaux ne coïncide ni avec la sphère étatique, ni même avec celle des coalitions d’Etats. Cette puissance capitalistique traverse les Etats comme si elle en était à la fois indépendante et maîtresse. [2) L’affaiblissement des États]

Voilà une manière habile de s’affirmer marxiste et de détourner le marxisme de son propos. Qui dit domination dit rapport de domination et non indépendance, y compris vis-à-vis d’états vassaux d’une puissance impérialiste, impliquant des relations politiques et militaires suivies.

Contrairement à ce que prétend Badiou, les rapports du capital envers ses « fondés de pouvoir » impliquent l’entretien de liens réciproques, notamment immortalisés par la Françafrique et toujours maintenus à grand renfort d’interventions militaires.

Les liens consanguins entre les grands corps d’état et les principaux groupes capitalistes sont monnaie courante, et divers think tanks comme Terra Nova ou le Siècle sont des lieux de rencontre privilégiés mais pas uniques entre grands patrons, politiciens et faiseurs d’opinion.

Les faits montrent sans sortir de nos propres frontières que bien loin de dépérir, l’état renforce de jour en jour sa poigne de fer sur le peuple, afin de faire respecter la dictature des classes dominantes, sur le plan juridique, institutionnel, administratifs, policier, militaire, et dans la propagande de masse assénée par les divers empires de presse, radios, TV.

Il intervient également par la surveillance de masse, électronique, téléphonique, vidéo et physique.

Tandis que l’état accroît les contraintes envers les masses, il en soulage davantage les monopoles capitalistes.

Les lois Macron illustrent parfaitement ce processus et son accélération, comme sa nomination au ministère de l’économie a parfaitement illustré l’absence totale d’indépendance entre les milieux d’affaire et l’Etat.

victoire, vaste et ramifiée, des firmes transnationales sur la souveraineté des Etats

C’est ainsi qu’on peut constater que des firmes de dimension considérable, la plus grande firme française par exemple, Total, ne paie aucun impôt en France. En quoi donc consiste son caractère « français » ? Bon, son siège doit être quelque part à Paris, mais… L’État français, vous le voyez, n’a pas de prise véritable y compris sur des pôles de puissance qui affichent leur nationalité française. Il y a, en cours, une victoire, vaste et ramifiée, des firmes transnationales sur la souveraineté des Etats. [1) Le triomphe du capitalisme mondialisé]

Victoire sur la souveraineté des états ? Là encore Badiou isole l’état bourgeois de sa nature de classe. Et on se demande bien quel besoin aurait une firme de remporter une « victoire » sur son propre « fondé de pouvoir ».

Dans la nuit du 15 au 16 décembre, le gouvernement a manœuvré le Parlement, l’obligeant à revenir sur son vote, afin de dispenser les entreprises françaises de déclarer leur reporting, laissant ainsi libre cours à l’optimisation fiscale c’est-à-dire à l’évasion fiscale.

S’agit-il d’une démission de l’état ? Certes non, car le but est de favoriser les entreprises françaises dans la concurrence internationale. Il s’agit d’une accentuation de la lutte de classe au profit de la bourgeoisie, parallèlement à l’accentuation de la concurrence entre les pays capitalistes et leurs monopoles. L’Etat bourgeois joue ici pleinement son rôle en épaulant les monopoles nationaux dans la jungle de la concurrence capitaliste, et en faisant porter au peuple le fardeau de la fiscalité.

Par ailleurs lorsque l’état bourgeois vend y compris à perte des secteurs industriels ou commerciaux, ceci n’a rien de nouveau. Soit parce que des considérations géopolitiques impérialistes ou l’intérêt d’un secteur monopoliste plus vital l’emportent sur le bilan commercial immédiat (comme ce fut le cas avec Qatar Airways), soit parce qu’il doit s’incliner devant un concurrent. Mais ce n’est pas la victoire des firmes transnationales sur la souveraineté des Etats, c’est la victoire d’une firme nationale ou transnationale sur une autre firme nationale ou transnationale, et d’un état sur un autre état.

D’indécrottables premiers communiants comme Montebourg s’insurgent :

« Numericable a une holding au Luxembourg, son entreprise est cotée à la Bourse d’Amsterdam, sa participation personnelle est à Guernesey dans un paradis fiscal de Sa Majesté la reine d’Angleterre, et lui-même est résident suisse ! Il va falloir que M. Drahi rapatrie l’ensemble de ses possessions et biens à Paris, en France. Nous avons des questions fiscales à lui poser ! » Ceci n’a pas empêché Patrick Drahi de mettre la main sur SFR, objectant qu’il l’avait déjà mise à la poche en investissant 3 milliards d’euros.

Dépérissement de l’état ? Non, c’est le gendre du comte Antoine de Labriffe qui n’a rien compris ni à la fonction de l’état bourgeois ni aux règles de la concurrence capitaliste, rêvant d’instaurer un « capitalisme coopératif » sur sa bonne mine, et qui se fait débarquer avec sa marinière et son mixer, et renvoyer à ses études comme le cancre à son radiateur.

« Too big to fail »

Il est d’ailleurs très frappant que les banques elles-mêmes soient devenues des ensembles si considérables, qu’on admet, comme un axiome, que leur chute est impossible : « Too big to fail. » Trop gros pour chuter. C’est ce qu’on dit souvent à propos des grandes banques américaines. Ce qui signifie que la macroscopie économique l’emporte sur la capacité étatique. [2) L’affaiblissement des États]

Manque de bol la FED vient de mettre fin à son mandat original de prêteur de dernier ressort des banques. L’article du ‘goldbroker’ indique :

Avec le Dodd-Frank Banking Reform Act, qui permet maintenant aux banques de ré-hypothéquer l’argent et les comptes de leurs propres clients dans le cas d’une crise de liquidité, cela démontre que la banque centrale américaine n’a désormais plus à suivre son mandat original – être le prêteur de dernier ressort – puisque c’est maintenant le public qui fournira les fonds pour sauver les banques lors des futures crises.

Cette décision reprend outre atlantique l’initiative chypriote de 2013 procédant au sauvetage des banques en piochant dans les comptes des particuliers. Depuis l’idée a fait des petits enItalie et en Suisse suivant la Directive européenne sur le redressement des banques et la résolution de leurs défaillances » (BRRD).

L’expérience de 2011 a montré que le sauvetage des banques au moyen des dettes souveraines met en péril l’ensemble de l’économie. Par ailleurs cet endettement n’est plus en mesure d’assurer de nouvelles faillites.

Où l’on voit qu’il s’agit bien d’une décision d’état se déchargeant directement des dettes capitalistes sur le dos du peuple au lieu de plomber l’endettement souverain.

Loin de dépérir, l’Etat bourgeois prend soin de protéger les intérêts de l’ensemble des grandes entreprises.

Encore une certaine vigueur…

« la logique générale du capitalisme mondialisé, c’est de n’avoir pas de rapport direct et intrinsèque à la subsistance d’États nationaux, parce que son déploiement est aujourd’hui transnational. » {{}}« Et il s’en faut de beaucoup que la norme de la puissance soit représentée par les Etats et par eux seuls. Bien sûr, il existe encore des pôles étatiques constitués ou qui manifestent encore une certaine vigueur, les grands pôles de type États-Unis, Chine. Mais, même dans ces cas-là, le processus est celui que nous avons décrit. Ces grands pôles ne sont pas porteurs d’autre chose. » {}[2) L’affaiblissement des États]

« Encore une certaine vigueur » : une paille, il s’agit seulement des deux principales puissances mondiales.

Dans le cas des USA le processus est celui de l’impérialisme le plus agressif et belliqueux et qui défend jalousement les intérêts de ses monopoles. Qui peut affirmer sérieusement que l’état fédéral US soit entré dans une phase de dépérissement ?

Concernant la Chine, l’Etat dirige les entreprises y compris privées ou étrangères à travers ses banques comme Eximbank ou China Development Bank. Les entreprises étrangères écopent régulièrement de lourdes amendes, sont publiquement dénoncées pour leur pollution, leur incurie sanitaire, l’absence du syndicat, leurs escroqueries ou simplement évincées comme ce fut le cas pour Google, le nucléaire français ou le TGV.

Pour prendre un exemple récent, lors du sommet annuel de Wuzhen initié par la Chine sur Internet et sur le thème « la liberté est l’objectif, l’ordre est le moyen », qui se déroulait du 16 au 18 décembre, est apparue la volonté de « re-nationaliser » Internet, fondé aux origines comme « au-dessus ou par-delà les Etats ». Xi Jinping déclarait à cette occasion ’Nous devons respecter les droits de chaque pays de gouverner leur propre cyberespace’…’aucun pays ne devrait viser l’hégémonie en ligne ou s’immiscer dans les affaires intérieures d’autres pays’ [4]. Les médias occidentaux sont tombés à bras raccourcis sur la justification de sa censure par la Chine ; les révolutions de couleur fomentées dans les états-cibles de l’occident nécessitent la plus totale liberté d’expression numérique.

Mais certains politiciens bourgeois se demandent déjà si l’exemple ne pourrait pas être appliqué sous dictature capitaliste comme le député UMP des Yvelines Jacques Myard :

« J’espère que l’on va prendre conscience de la nécessité de nationaliser ce réseau, d’avoir la capacité de mieux le maîtriser, les Chinois l’ont fait ». Il ajoutait peu après : « Il faut savoir qu’Internet fonctionne par l’attribution des DNS (Domain Name System) aux différents opérateurs, sorte de routeur central du système, lequel est totalement aux mains d’une société américaine, l’ICANN, laquelle est elle-même le faux nez du gouvernement américain. Cela signifie que les États-Unis sont totalement maîtres du système et peuvent ainsi espionner le monde entier, pour leur propre sécurité, mais aussi pour leurs intérêts industriels ou commerciaux. Ils savent, eux, ce qu’est l’intelligence économique.

De surcroît, le logiciel du principal système d’exploitation est truffé d’erreurs permettant de multiples attaques de hackers qui peuvent paralyser des systèmes entiers, allant des hôpitaux aux centrales nucléaires, en passant par les médias. Le cas de l’attaque russe sur l’Estonie en avril 2007 ou encore la tentative chinoise de blocage des bases de données du gouvernement allemand en mai 2007, alors même qu’Angela Merkel se trouvait en visite officielle à Pékin, en sont des exemples développés dans le rapport d’information n°2085 (page 203) des députés Jacques Myard et Jean-Michel Boucheron « Les enjeux géostratégiques de la prolifération ».

Il est donc indispensable de maîtriser ce réseau qui échappe aujourd’hui totalement à la France et aux Etats européens. L’une des solutions, avancée par Louis Pouzin, inventeur du principal protocole de l’Internet, le TCP/IP, serait que la France maîtrise ses DNS et crée des espaces de confiance au sein d’Internet qui échapperaient à toute tentative d’intrusion ». Cette « nationalisation » d’Internet, loin de porter atteinte à la liberté de communication, va au contraire la renforcer. » {}

Où l’on voit que la fondation d’Internet « au-dessus ou par-delà les Etats » n’est qu’un euphémisme pour désigner la toile US et que le déploiement transnational du capitalisme mondialisé n’est autre que l’hégémonisme américain.

Mais la guerre économique que se livrent les états ne se limite pas aux grandes manœuvres des USA. On n’a pas oublié la façon dont Papandréou fut proprement éjecté par Sarkozy et Merkel en 2011, ni le dédit imposé à Syriza cette année même. Dans ce dernier cas ce n’est pas le grexit souhaité par l’Allemagne qui l’a emporté, contre toute logique strictement comptable, mais la volonté politique de conserver ce pivot dans la région des Balkans suivant l’appel de Delors du 4 juillet. Affaiblissement de certains états … sous le talon de fer des autres. Badiou a la mémoire courte ou bien sélective.

Partage du monde et hégémonisme

Malgré cela, les tâches régaliennes de protection des firmes, de contrôle des circuits des matières premières ou des sources d’énergie, ont dû continuer à être assumées en partie par des moyens étatiques. Elles ne pouvaient pas être assumées seulement par les mercenaires des firmes. Il y a donc, depuis des années, voire des décennies, une activité militaire incessante des Etats occidentaux. Il faut rappeler que les interventions militaires de la France en Afrique durant les quarante dernières années, il y en a eu plus de cinquante ! On peut dire qu’il y a eu un état de mobilisation militaire quasi chronique de la France pour maintenir son pré carré africain… Et il y a eu, comme on le sait, de grandes expéditions, des conflits gigantesques, la guerre d’Algérie, la guerre du Vietnam et puis finalement la destruction de l’Irak, et puis ce qui se passe en ce moment. Donc le point n’est pas la fin des interventions impériales, absolument pas. La question porte sur la différence de modalité de l’intervention impériale. La question demeure toujours : Que faire pour protéger nos intérêts dans les contrées lointaines ? [3) Les nouvelles pratiques impériales]

Voilà que réapparaît le rapport direct et intrinsèque à la subsistance d’États nationaux et que le capitalisme mondialisé reprend sa figure nationale et ses habits de colon. Pas pour longtemps.

ce qui apparaît petit à petit, c’est l’idée que plutôt que prendre en charge la tâche pénible de constituer des États sous tutelle de la métropole, ou plus encore, des États directement métropolitains, la possibilité c’est tout simplement de détruire les États. Et vous voyez la cohérence de cette possibilité avec la désétatisation progressive du capitalisme mondialisé. On peut après tout créer, dans certains espaces géographiques remplis de richesses dormantes, des zones franches, anarchiques, où il n’y a plus d’Etat, où, par conséquent, on n’a plus à discuter avec ce monstre redoutable qu’est toujours un État, même s’il est faible. [3) Les nouvelles pratiques impériales]

Badiou fait référence ici à la destruction de la Libye et à la subversion de la Syrie avec Daech. Il s’avère que cette politique de terre brûlée n’aboutit à rien de bon sinon au développement du terrorisme dans les métropoles impérialistes elles-mêmes, à une crise des réfugiés sans précédent, tandis que le pillage impérialiste n’y trouve pas son compte. Par ailleurs c’est oublier que la vocation de Daech est la constitution d’un Etat Islamique à l’image de l’empire du calife omeyyade Abd al-Malik ibn Marwan, et nullement la dissolution de l’Etat.

Récapitulons. Nous avons une structure du monde contemporain dominée par le triomphe du capitalisme mondialisé. Nous avons un affaiblissement stratégique des États, voire même un processus en cours de dépérissement capitaliste des États. Et troisièmement, nous avons de nouvelles pratiques impériales qui tolèrent et même encouragent dans certaines circonstances, le dépeçage voire l’anéantissement des États. [3) Les nouvelles pratiques impériales] {{}}

On ne reviendra pas sur la fable de l’affaiblissement stratégique voire du dépérissement capitaliste des états. Et remarquons au passage que le dépeçage voire l’anéantissement des États est réalisé par d’autres états qui eux ne sont pas au bord de l’anéantissement.

Il reste à faire un sort au capitalisme mondialisé.

triomphe du capitalisme mondialisé

La question demeure toujours : Que faire pour protéger nos intérêts dans les contrées lointaines ? [3) Les nouvelles pratiques impériales]

Badiou ne précise pas dans sa question contre qui faut-il protéger nos intérêts ?

Il semble que les pratiques impériales s’exercent uniquement contre ces contrées lointaines.

Il existerait par conséquent un capitalisme occidental mondialisé, imposant sa loi au reste du monde.

“ Du point de vue purement économique, écrit Kautsky, il n’est pas impossible que le capitalisme traverse encore une nouvelle phase où la politique des cartels serait étendue à la politique extérieure, une phase d’ultra-impérialisme”, c’est-à-dire de super-impérialisme, d’union et non de lutte des impérialismes du monde entier, une phase de la cessation des guerres en régime capitaliste, une phase “d’exploitation en commun de l’univers par le capital financier uni à l’échelle internationale. ”

[…]

“ Du point de vue purement économique ”, l’“ ultra-impérialisme ” est-il possible ou bien est-ce là une ultra-niaiserie ? [Lénine – l’Etat et la Révolution]

La thèse du capitalisme mondialisé a fait florès dans les milieux économiques y compris progressistes, qui considèrent que la destruction de l’économie féodale et l’interpénétration des trusts et des monopoles intervenant à l’échelle internationale a atteint un tel degré qu’on peut les considérer comme un tout unique, capable de faire et défaire les états et leurs lois.

Mais elle ne reflète qu’un aspect de la réalité et sous certains côtés, réhabilite la thèse de la « finance cosmopolite et enjuivée » des années 30, destinée à blanchir les monopoles capitalistes nationaux tout en désignant alors un bouc émissaire.

Les dispositions du TAFTA ou les amendes pharaoniques payées par les banques en servent parfois d’illustration, alors qu’elles ne sont que des épisodes de la guerre entre les pays impérialistes et leurs monopoles, et tout particulièrement de l’hégémonisme US envers des puissances impérialistes secondaires.

Voici ce qu’écrivait Lénine il y a un siècle :

Si les capitalistes se partagent le monde, ce n’est pas en raison de leur scélératesse particulière, mais parce que le degré de concentration déjà atteint les oblige à s’engager dans cette voie afin de réaliser des bénéfices ; et ils le partagent “ proportionnellement aux capitaux ”, “ selon les forces de chacun ”, car il ne saurait y avoir d’autre mode de partage en régime de production marchande et de capitalisme. [Lénine - L’impérialisme stade suprême du capitalisme]

L’impérialisme se caractérise justement par une tendance à annexer non seulement les régions agraires, mais même les régions les plus industrielles (la Belgique est convoitée par l’Allemagne, la Lorraine par la France), car, premièrement, le partage du monde étant achevé, un nouveau partage oblige à tendre la main vers n’importe quels territoires ; deuxièmement, ce qui est l’essence même de l’impérialisme, c’est la rivalité de plusieurs grandes puissances tendant à l’hégémonie, c’est-à-dire à la conquête de territoires — non pas tant pour elles-mêmes que pour affaiblir l’adversaire et saper son hégémonie (la Belgique est surtout nécessaire à l’Allemagne comme point d’appui contre l’Angleterre ; l’Angleterre a surtout besoin de Bagdad comme point d’appui contre l’Allemagne, etc.). [id.]

L’impérialisme « mondialisé » doit donc être considéré sous le double aspect de l’unité et de la contradiction.

Quoi de neuf depuis Lénine ?

Pourtant en cent ans le monde a bien évolué, et si le super-impérialisme de Kautsky n’est en fait qu’un impérialisme hégémonique parmi d’autres, des bouleversements autrement sérieux et définitifs ont transformé les contradictions internationales.

Les luttes coloniales souvent armées ont abouti à l’indépendance politique. Elles se sont poursuivies contre le néo-colonialisme sur d’autres terrains, notamment économique, afin de parvenir à une réelle indépendance et de rattraper le retard séculaire des anciennes colonies en quelques décennies.

A travers ces luttes extrêmement difficiles contre des adversaires supérieurs sur les plans militaire, technologique, économique, scientifique, certains pays dits émergents sont parvenus à sortir la tête hors de l’eau, à défier les puissances impériales ; et maintenant les forces économiques immenses libérées par leurs milliards d’ouvriers et de paysans les font trembler.

La domination du dollar, pilier de l’hégémonie américaine est remise en cause à travers de multiples échanges régionaux, par les banques et fonds d’investissements des BRICS, et par des alliances concurrentes.

Ainsi l’hégémonie US est-elle vouée à disparaître en tant que super-impérialisme, et Badiou ne juge pas utile d’en dire un seul mot, à tel point que « BRICS » et « émergent » ne figurent pas un instant dans son discours.

La structure du monde contemporain telle qu’il la décrit, où Brics et émergents se sont volatilisés, et où la concurrence meurtrière entre les monopoles se résume à la protection de nos intérêts dans les contrées lointaines, ne correspond pas à la réalité des contradictions internationales.

Tout au plus reprend-elle quelques marronniers de la vulgate altermondialiste.

Elle n’est pas marxiste et s’y oppose sur la nature de l’Etat.

Elle néglige que la concurrence capitaliste est la cause fondamentale des guerres.

Elle est aveugle aux transformations majeures des rapports internationaux.

Notes

[1L’Etat est un ’pouvoir spécial de répression’. Cette définition admirable et extrêmement profonde d’Engels est énoncée ici avec la plus parfaite clarté. Et il en résulte qu’à ce ’pouvoir spécial de répression’ exercé contre le prolétariat par la bourgeoisie, contre des millions de travailleurs par une poignée de riches, doit se substituer un ’pouvoir spécial de répression’ exercé contre la bourgeoisie par le prolétariat (la dictature du prolétariat). C’est en cela que consiste la ’suppression de l’Etat en tant qu’Etat’. Et c’est en cela que consiste l’’acte’ de prise de possession des moyens de production au nom de la société. Il va de soi que pareil remplacement d’un ’pouvoir spécial’ (celui de la bourgeoisie) par un autre ’pouvoir spécial’ (celui du prolétariat) ne peut nullement se faire sous forme d’’extinction’. [Lénine – L’Etat et la Révolution]

[2« Il ne manquait plus qu’une seule chose ; une institution qui non seulement protégeât les richesses nouvellement acquises par les particuliers contre les traditions communistes de l’ordre gentilice, qui non seulement sanctifiât la propriété privée si méprisée autrefois et proclamât cette consécration le but suprême de toute communauté humaine, mais qui mît aussi, sur les formes nouvelles successivement développées d’acquisition de propriété, autrement dit, d’accroissement toujours plus rapide des richesses, l’estampille de la légalisation par la société en général ; une institution qui non seulement perpétuât la naissante division de la société en classes, mais aussi le droit de la classe possédante à exploiter celle qui ne possédait rien, et la prépondérance de celle-là sur celle-ci.

Et cette institution vint. L’État fut inventé. » [Engels - L’origine de la famille, de la propriété privée et de l’Etat]

[3« Cette ’extinction’ ou même, pour employer une expression plus imagée et plus saillante, cette ’mise en sommeil’, Engels la rapporte sans aucune ambiguïté possible à l’époque consécutive à la ’prise de possession des moyens de production par l’Etat au nom de toute la société’, c’est-à-dire consécutive à la révolution socialiste. Nous savons tous qu’à ce moment-là la forme politique de l’’Etat’ est la démocratie la plus complète. Mais il ne vient à l’esprit d’aucun des opportunistes qui dénaturent sans vergogne le marxisme qu’il s’agit en ce cas, chez Engels, de la ’mise en sommeil’ et de l’’extinction’ de la démocratie. »[Lénine – L’Etat et la Révolution]

[4Wuzhen, Zhejiang, 16 décembre (Xinhua) — Le président chinois Xi Jinping a exhorté mercredi les pays à respecter leur cyber-souveraineté mutuelle et à s’abstenir de rechercher une hégémonie sur Internet.

M. Xi a exprimé ce point de vue au cours de son discours clé, lors de la cérémonie d’ouverture de la 2e Conférence mondiale de l’Internet, organisée dans la ville chinoise de Wuzhen, dans la province du Zhejiang (est du pays).

L’égalité souveraine, un principe établi par la Charte des Nations unies, représente une norme fondamentale des relations internationales modernes, et elle couvre tous les aspects des relations d’état à état, dont le cyberespace, a-t-il ajouté.

Les pays ont le droit de choisir de manière indépendante le mode pour avancer sur la voie du cyber-développement, ainsi que pour publier leurs propres règlements et politiques publiques, a-t-il noté, ajoutant que le droit de participation à la gouvernance internationale du cyberespace, en tant qu’égaux, devait être respecté par tous.

Aucun pays ne doit rechercher l’hégémonie sur Internet, s’ingérer dans les affaires internes des autres pays, ni s’engager dans, être de connivence avec, ou soutenir des activités sur Internet qui portent atteinte à la sécurité nationale des autres pays, a-t-il conclu.

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    Sur une musique de Hans Eisler, le requiem Lenin, écrit sur commande du PCUS pour le 20ème anniversaire de la mort de Illytch, mais jamais joué en URSS... avec un texte de Bertold Brecht, et des images d’hier et aujourd’hui de ces luttes de classes qui font l’histoire encore et toujours...

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    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).