Rencontre du réseau - 13 janvier 2019
Point sur la situation internationale Intervention de Marianne Dunlop

, par  Marianne Dunlop , popularité : 3%

Il fut un temps où toute réunion du Parti, à quelque niveau que ce soit, comprenait nécessairement un tour d’horizon de la situation internationale. Il me semble que cette tradition est aujourd’hui généralement perdue, et c’est un grand tort.

On nous dit parfois que « les gens » ne s’intéressent pas à ces questions. Cela m’étonne beaucoup. Souvenez-vous à l’hiver 2013-2014, quand la télé française nous montrait tous les jours la « révolution » du Maïdan à Kiev… était-ce pour ennuyer le téléspectateur ? Au contraire, le feuilleton je crois était très réussi et avait un grand succès. Pensez aussi à l’écho que reçoivent les causes humanitaires… peu de gens y sont insensibles. Et surtout, pour ceux de ma génération, combien d’adhésions ont été réalisées sur des causes comme le Vietnam, Cuba, l’apartheid… Je me souviens encore comment à 14 ans je collectais de l’argent avec la JC, c’était la campagne « un bateau pour le Vietnam ». L’adhésion au communisme ou au contraire son rejet a bien souvent été lié aux événements mondiaux : la Victoire de 45, le XXème Congrès, Budapest 56, Prague, l’Afghanistan, sans parler d’un événement qui a joué un rôle fondateur pour le PCF, la révolution d’Octobre.

Toute action politique, tout mouvement, y compris les Gilets jaunes, toute pensée se situe nécessairement dans le temps de l’histoire et dans le contexte mondial, je citerais pêle-mêle le 11/09, la crise climatique, l’UE, la mondialisation (les délocalisations c’est la faute de la Chine ?!), le terrorisme, même l’Intelligence artificielle, mais il s’agit souvent d’un cadre (parfois d’un carcan) inconscient, et c’est là qu’est le danger.

Tout ce que nous ignorons est comblé par l’idéologie dominante. Il s’agit d’un front idéologique, une véritable ligne de front dont nous sommes obligés d’inspecter constamment les moindres failles, faute de quoi nous subissons défaites et reculs. Les communistes à certains moments ont pu sembler horripilants au « commun des mortels » par leur trop bonne connaissance des dossiers, mais comment faire autrement quand on a face à soi une machine de propagande qui possède 90% des médias ?

N’oublions pas non plus que toute révolution, toute tentative de rupture suscite à de
rares exceptions près une réaction, souvent une intervention extérieure, des blocus, sanctions, etc, comme ce fut le cas pour la révolution française, la révolution russe avec l’intervention de 14 puissances étrangères, plus tard Cuba, le Chili, le Venezuela, la Corée du Nord, ou même la Grèce de Tsipras. On ne peut entraîner le peuple dans des changements révolutionnaires sans savoir à l’avance qui seront nos alliés et qui nos ennemis.

Il faut encore et toujours essayer de comprendre le contenu réel de la fameuse phrase « Prolétaires de tous le pays, unissez-vous ».

Mon intervention sera limitée à quelques pays, d’abord parce que je les connais mieux, et aussi parce qu’ils me semblent avoir une signification particulière pour ceux qui veulent aller vers le communisme.

- La Russie : récemment, un sondage du Centre Levada (d’orientation plutôt libérale) a révélé que 66% des Russes regrettaient l’URSS (d’après mes observations personnelles ce serait plus près de 90%, et je ne suis pas la seule à le dire, mais bon…), et lors de la grand messe annuelle télévisée de Vladimir Poutine, où il répond aux questions du « peuple tout entier », quelqu’un a eu l’audace de lui demander s’il serait possible de restaurer le socialisme en Russie. La réponse est à la fois prévisible et étonnante. Réponse prévisible car Poutine qui bien sûr approuve le désir de justice sociale croit savoir que le socialisme ne peut fonctionner, car « il y a plus de dépenses que de recettes et pour finir on aboutit à une impasse », mais en même temps réponse étonnante car on pourrait s’attendre à ce que Poutine se récrie à l’idée même du socialisme, et rappelle toutes les « souffrances » endurées par les Soviétiques en son nom. Mais il sait que dans cette émission à forte audience populaire ce discours ne passerait pas. Staline est le personnage politique le plus populaire en Russie (malgré la propagande officielle), et les Russes connaissent les vrais chiffres du goulag et ne croient plus aux sornettes qui ont encore cours chez nous.

Pourquoi dans ces conditions le Parti communiste russe** ne peut pas reprendre le pouvoir et restaurer le socialisme ? Voici qq éléments de réponse, qu’il serait intéressant d’approfondir, de hiérarchiser et de mettre en rapport les uns avec les autres.
— 1. dans l’esprit des Russes, ce sont les communistes qui ont détruit l’URSS : ils ne leur font plus confiance,
— et 2. Ziouganov a « trahi » en 1996 (sans les fraudes et magouilles – et les dollars américains - il aurait remporté les élections face à Eltsine, mais il n’a pas voulu contester), de plus
— 3. pour se reconstituer après un an et demi d’interdiction, ayant perdu tous ses biens, le KPRF a dû passer des compromis avec quelques « sponsors », d’où des compromissions inévitables.
— 4. les Russes sont épuisés après un siècle d’héroïsme et d’ « expérimentations » sociales ; comme dit Poutine, ils ont eu leur dose…
— et 5. ils craignent en cas d’instabilité sociale de ne pouvoir se défendre face à l’ennemi le plus dangereux, les Etats-Unis. Pour les Russes c’est toujours « pourvu qu’il n’y ait pas de guerre ».
— 6. il est évident que le pouvoir capitaliste ne se laissera pas faire, et
— 7. la propagande anticommuniste est intense.
— 8. L’illusion que Poutine restaurerait peu à peu l’URSS perdure, en dépit de toute évidence.
— 9. et enfin : comment garantir qu’une nouvelle révolution socialiste ne sera pas trahie ? comment lutter contre la corruption ?

- La Chine : justement les Russes admirent la façon dont la Chine combat la corruption, et aussi le fait qu’ils aient réussi « leur perestroïka ». Les Chinois ont un Institut entier consacré à l’étude de l’URSS, et ils sont bien décidés à ne pas répéter ses erreurs et sa chute. Les réformes de Deng Xiaoping, dont on fêtait récemment les 40 ans, ont engagé la Chine sur la voie du « socialisme de marché » et de la modernisation. Les résultats sont éloquents : 740 millions de personnes tirées de la pauvreté (19 millions par an), la surface des logements multipliée par 5 (de 6,7 m2 à 33 m2), 25.000 km de TGV (les 2/3 des lignes de TGV dans le monde), protection de la nature, intelligence artificielle, expérimentations au niveau local (ex. semaine de 4 jours).

On peut se demander si la Chine est vraiment un pays socialiste (eux se disent sur la voie du socialisme), mais est-ce un hasard si la deuxième économie mondiale était d’abord l’URSS, puis la Chine dirigée par un parti communiste ?

Le KPRF et PCC on noué depuis 10 ans un partenariat et se rencontre régulièrement. Ziouganov loue particulièrement les Chinois pour leur sagesse, en particulier quand ils ont déclaré que chez Mao il y a 70% de bon et 30% de mauvais, et qu’à partir de là on avance et on construit le socialisme. A ce propos j’ajouterais que la fameuse expression « bilan globalement positif » qui effectivement peut sembler infamante pour les victimes de répressions injustes pourrait parfaitement être remplacée par « bilan dans lequel il y a plus de positif que de négatif »***

La course effrénée de la Chine vers la modernité et la prospérité n’est pas sans douleur et les Chinois ont le sentiment qu’ils se livrent à une guerre économique qu’ils doivent remporter à tout prix, sous peine de retomber sous la domination des puissances impériales. C’était il y a moins de 100 ans, une pancarte à l’entrée d’un parc de Shanghai « Interdit aux chiens et aux Chinois ».

- La Corée : les Chinois sont partagés entre la commisération envers la Corée du Nord qui reste extrêmement pauvre (surtout par rapport à eux), et une certaine jalousie pour ce pays qui a conservé la médecine, l’éducation et le logement gratuits. La République populaire démocratique de Corée présente un autre « modèle » de socialisme, pas un modèle à imiter, mais à étudier, au même titre que Cuba, le Vietnam, le Népal, le Kerala (région de l’Inde dirigée par des communistes, 34 millions d’ha), etc. Il faut en finir avec la démonisation de ce pays et exiger que la France (seul pays de l’UE avec l’Estonie à ne pas avoir d’ambassade à Pyongyang) établisse avec lui des relations diplomatiques normales, et lève les sanctions dont la population souffre à un point qu’il est difficile d’imaginer.

Le processus de rapprochement entre les deux Corées est une des bonnes nouvelles de 2018. Le président Moon Jae-in, dans le cadre de sa tournée mondiale afin de chercher des soutiens à sa politique de paix, de désescalade, de levée des sanctions contre la Corée du Nord, a rencontré également Macron, qui n’a pas voulu bouger d’un pouce sur le sujet. Le président de l’Association d’Amitié France-Corée qui dans un article a dénoncé cette attitude contreproductive est aujourd’hui soupçonné d’être un espion de la Corée du nord, et après 4 jours de garde à vue il est mis en examen et suspendu de ses fonctions au Sénat. Pour ma part je ne vois là qu’une dérive de plus du régime macronien.

Les Etats-Unis bien sûr continueront de dresser des obstacles sur la voie de la réunification pacifique (selon le principe « un pays – deux systèmes ») des deux Corées, car ils ne veulent pas perdre leurs bases militaires où stationnent 40.000 soldats. Il y en a autant au Japon, et c’est ce qui fait obstacle à la signature d’un traité de paix entre le Japon et la Russie. En effet le Japon revendique les îles Kouriles perdues en 1945, mais les Russes n’ont aucune garantie que les Américains n’y installeront pas une base, leur bloquant l’accès à l’Océan pacifique !

Les risques de guerre – y compris nucléaire – sont loin d’avoir disparu. La lutte pour la paix et la solidarité internationale sont au premier plan des préoccupations des communistes.

* Papier rédigé à partir de mes notes, la vidéo n’étant pas disponible. Je dois préciser que même si mon intervention était annoncée « officiellement », son contenu n’a pas été débattu à l’avance et n’engage que moi.
** Le KPRF est le premier parti d’opposition en Russie, il soutient Poutine pour la politique extérieure et le combat à l’intérieur ; le KPRF estime que la poursuite de la politique libérale affaiblira la Russie et ne lui permettra pas de maintenir son rang dans le monde.
*** L’expression n’est pas de moi.

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    Le 21 mars 2009, 155 militants, de 29 départements réunis à Malakoff signataires du texte alternatif du 34ème congrès « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps ». lire la déclaration complète et les signataires

  • (2011) Communistes de cœur, de raison et de combat !

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    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

    Un peu plus d’un tiers des adhérents a participé à cette consultation, soit une participation en hausse par rapport aux précédents votes, dans un contexte de baisse des cotisants.
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