Les relations Chine-Afrique Dans le numéro spécial Afrique de la revue Progressistes

, par  Remy Herrera , popularité : 2%

Le phénomène est connu : les relations économiques entre la Chine et l’Afrique se sont considérablement développées au cours des dernières années, surtout depuis la seconde moitié des années 1990. Sont-elles de nature à enclencher une accélération du développement ? Sont-elles "équitables" ?

Le poids économique de la Chine

De tous les pays asiatiques, c’est assurément la Chine qui occupe, de très loin, la part la plus déterminante dans l’essor des relations avec le continent africain. Elle est même, depuis 2009, devant les États-Unis, le premier partenaire commercial de l’Afrique. Cette année-là, la Chine avait signé pour quelque 100 milliards de dollars de contrats commerciaux bilatéraux avec les pays africains, soit dix fois plus qu’une décennie plus tôt. Cinq ans plus tard, en 2014, ce montant avait plus que doublé, dépassant les 220 milliards de dollars. Bien que difficilement calculable, le stock total des investissements directs chinois sur le continent pourrait excéder aujourd’hui plusieurs centaines de milliards de dollars. L’Afrique prise dans sa totalité représente désormais plus du tiers des approvisionnements en hydrocarbures de la Chine (l’Angola ayant détrôné l’Arabie saoudite comme premier fournisseur). Les banques chinoises sont entrées en force dans le capital d’établissements bancaires africains, y compris en Afrique du Sud. C’est en fait l’ensemble des flux d’échanges commerciaux et financiers entre la Chine et l’Afrique qui a "explosé", avec pour résultat, entre autres exemples, que les exportations du Burkina Faso à destination des pays asiatiques (au premier rang desquels figure bien sûr la Chine) dépassaient la moitié des exportations totales du pays au milieu de la première décennie du siècle. Par-delà les différences locales et les variations annuelles, le fait marquant est que la Chine est devenue pour l’Afrique un partenaire économique absolument fondamental. Cette pénétration a soulevé beaucoup de critiques – parfois fondées, très souvent pas du tout – au Nord, mais aussi en Afrique même. Dans les pays industrialisés du Nord, les condamnations les plus virulentes proviennent de représentants des classes dominantes, que l’on entend crier au « péril jaune ». Pourtant, force est de constater que l’une des conséquences indirectes de cette montée en puissance de la Chine a été, imperceptiblement, de contraindre l’Union européenne à atténuer le ton hautain sur lequel elle avait coutume depuis des lustres de s’adresser aux Africains – à défaut de modifier effectivement ses comportements à leur égard.

En Afrique, ce sont plutôt de gros commerçants ou des intermédiaires influents qui font campagne contre les Chinois. Cependant, il semble qu’une grande partie des élites comme, aussi, une très large majorité des couches populaires, y trouvent de nombreux avantages.

JPEGChemins de fer, mais aussi routes, ponts, équipements portuaires... D’importants chantiers infrastructurels sont menés à bien

Une chance à saisir

En dépit de problèmes multiples et réels – qu’il faudrait savoir surmonter par l’utilisation bien pensée d’outils de politique économique à la disposition des États –, en général ces nouvelles relations constituent pour l’Afrique une chance à saisir. Bien que l’on ne puisse pas généraliser et que maints facteurs distincts combinent leurs effets pour contribuer à actionner la dynamique économique d’un pays (niveau de capital, état de santé de la population, formation de la main-d’œuvre, souveraineté et efficacité de l’État, régimes fonciers, etc.), il est fort vraisemblable que le relatif redressement du taux de croissance des produits intérieurs bruts africains entre 2000 et 2007 (jusqu’à leur ralentissement à la suite de l’éclatement de la crise systémique du capitalisme mondial) soit positivement corrélé sur la même période avec l’essor observé de leurs échanges avec la Chine. Les impacts positifs de ces relations passent par différents canaux de transmission : l’essor du commerce en volume, mais aussi en valeur (la demande chinoise faisant monter les prix des marchandises exportées par les pays africains) ; la construction massive d’infrastructures (une part des échanges comportant un volet ressources naturelles contre travaux publics) ; des allégements de dettes (les financements par crédits chinois étant fréquemment consentis à des taux d’intérêt très faibles)... Cela est bénéfique à l’Afrique, qui peut enfin disposer de biens de consommation à très bas prix (des équipements ménagers aux téléphones portables), mais aussi d’hôpitaux modernes, de routes bitumées (du Caire au Cap), de ponts, de chemins de fer, d’équipements portuaires, de centrales électriques, de barrages, de raffineries pétrolières, ou encore de complexes sportifs. Le Nigeria, l’Angola, le Congo, la Tanzanie, la Zambie, le Soudan, la Guinée, mais également l’Algérie sont quelques-uns des pays où les chantiers infrastructurels les plus colossaux ont été récemment menés à bien. La mise en concurrence des pays clients tend de surcroît à orienter les prix des produits exportés à la hausse sur les marchés mondiaux, tandis que des devises sont libérées pour satisfaire les besoins de première nécessité des populations locales.

Ces échanges sont évidemment très intéressants pour la Chine. Grâce à eux, elle peut accéder à des ressources stratégiques diversifiées destinées au soutien de son développement accéléré, à commencer par le pétrole (importé d’Angola, du Nigeria, d’Algérie...), des minerais et métaux rares (provenant notamment de la République démocratique du Congo), etc. De plus, elle trouve sur le continent africain l’opportunité d’y embaucher une petite partie de sa main-d’œuvre excédentaire.

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Des échanges "équitables" ?

Parler de commerce "équitable" est devenu à la mode – et c’est un créneau aux profits juteux. Il s’agirait d’introduire de l’« éthique » dans les relations commerciales des pays capitalistes, ce qui revient en creux à reconnaître que le commerce tel qu’il fonctionne dans le système mondial capitaliste n’est pas équitable, et même en un sens que l’échange est inégal. Il faudrait pour certains « moraliser » le capitalisme, ce qui sous-entend que ce système économique, supposé être le meilleur et sans alternative, serait en fait... immoral !

Mais les échanges entre l’Afrique et la Chine peuvent-ils être considérés comme équitables ? Des entrepreneurs efficaces soucieux de profit ont remplacé les « médecins aux pieds nus » du temps de Mao [1] – ce qui ne va pas sans changement de valeurs. Pourtant, l’atténuation des liens de dépendance des pays africains vis-à-vis des économies dominantes du Nord (États-Unis, Royaume-Uni, Françafrique...) a sur eux des effets dynamisants multiformes, et peut-être aussi psychologiques. La Chine démontre à ses partenaires d’Afrique, ou plus largement du Sud, qu’il est possible de sortir du cercle vicieux du sous-développement. Et, au passage, qu’il est même possible de le faire en appliquant un modèle alternatif aux plans d’ajustement structurel néolibéraux que les grandes puissances capitalistes sous hégémonie états-unienne leur imposent par l’intermédiaire des institutions internationales qu’elles contrôlent encore.

JPEGLes échanges mutuellement avantageux entre la Chine et les pays africains montrent qu’une alternative aux plans structurels du FMI existe

N’en déplaise aux apologistes du libre-échange, le fonctionnement effectif de la sphère de circulation marchande au sein du système mondial capitaliste a démontré depuis près de cinq siècles qu’y interviennent des rapports de forces et de domination entremêlés (entre pays, entre classes...). Du point de vue chinois, partagé par certains dirigeants africains, nombreux, l’une des solutions aux déséquilibres Nord-Sud passerait par l’essor de la coopération Sud-Sud, à tous les niveaux (commercial, financier, énergétique, technologique, scientifique, culturel). Ce à la condition que les échanges Sud-Sud se débarrassent des maux inhérents aux relations Nord-Sud imprégnées de néo-impérialisme (par exemple pour exercer des pressions à l’« aide liée », à la dépossession des ressources naturelles ou à la destruction de l’environnement). La Chine a pris l’initiative, depuis 2000, d’organiser les Forums sur la coopération sino-africaine (Focac, tenus tous les trois ans). Sans oublier, bien évidemment, l’intégration de la façade orientale de l’Afrique au sein des gigantesques programmes de réseaux commerciaux terrestres et maritimes de la Nouvelle Route de la soie reliant l’Asie à l’Europe. L’essor des échanges commerciaux peut certainement doper le taux de croissance du PIB, mais ne signifie pas nécessairement en soi l’enclenchement d’un développement socio-économique, lequel est un processus autrement plus complexe. Pour l’Afrique d’aujourd’hui, rien ne saurait remplacer le renforcement des formations sociales agraires et le soutien volontariste des productions agricoles locales vivrières – même s’il est évident que les importations de biens asiatiques permettent aux peuples africains de mieux vivre immédiatement en consommant plus –, voire de surmonter des crises alimentaires dévastatrices. Une fois la révolution agricole accomplie (par des réformes agraires [2] si nécessaire), l’impulsion pourrait être alors donnée à une industrialisation autocentrée et, lorsque cela sera possible, à certains secteurs de services à plus forte valeur ajoutée. Dans ce processus, l’appui de la République populaire de Chine aux économies africaines sera tout à fait décisif à l’avenir, y compris pour celles qui disposent de richesses en hydrocarbures afin de leur éviter le recul des industries manufacturières parfois observé dans d’autres pays (phénomène dit du « syndrome néerlandais ») [3].

Rémy Herrera
Chercheur au CNRS, UMR 8174, Centre d’économie de la Sorbonne.

Article tiré du numéro spécial Afrique de la revue Progressistes

Références bibliographiques :
Rémy Herrera,
La Chine est-elle capitaliste ?, Éditions Critiques, Paris, 2019, 196 p.
– « Quelques problèmes liés à l’expansion actuelle de l’économie chinoise », Marchés & Organisations, vol. 2, n°21, p. 15-32.
– « Économies des ressources naturelles face à la crise systémique », in Économies et Sociétés, série F, Développement, croissance et progrès, t. XLV, n°2, p. 249-260, 2011.
– « Un renouveau de l’économie du développement ? », in Recherches internationales, n°72, p. 51-68, 2004.
– « Les théories du système mondial capitaliste », in Jacques Bidet et Eustache Kouvélakis (dir.), Dictionnaire Marx contemporain, p. 201-221, PUF, Paris, 2001.

[1Agriculteurs chinois qui recevaient une formation médicale et paramédicale minimale afin d’exercer dans les villages.

[2Offrir aux paysans les terres pour qu’ils les cultivent, en les confisquant à leurs propriétaires.

[3Ce phénomène est suscité par l’accroissement des recettes d’exportations, lequel à son tour provoque l’appréciation de la devise. Le résultat est que dans les autres secteurs les exportations deviennent moins favorables que les importations.

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