Finlande : comment la gauche au gouvernement a rompu avec la politique de paix en se tournant vers l’OTAN

, par  communistes , popularité : 3%

Un article du Président du Parti Communiste finlandais, Yrjö Hakanen, traduit par notre camarade Rino Gelmi.

« L’orientation de longue date en matière de politique étrangère et de sécurité de la Finlande se poursuit en tant que membre de l’OTAN », a déclaré le ministre des Affaires étrangères Pekka Haavisto (parti des Verts) lors de la présentation de la proposition gouvernementale relative à l’adhésion à l’OTAN (le quotidien HS 7.12.). S’adressant aux parlementaires, il a salué le fait qu’au sein de l’OTAN, la Finlande verra s’accroître ses possibilités d’influer sur les événements, de promouvoir une politique étrangère fondée sur les droits de l’homme, de soutenir le désarmement nucléaire et de renforcer sa propre sécurité ainsi que la stabilité régionale.

Est-il possible qu’un ministre puisse donner encore plus de faux témoignages ? Haavisto a continué à utiliser la langue de l’élite de la période de la "finlandisation", cachant les vrais objectifs sous un propos relevant de la liturgie.

Même une personne de simple esprit peut voir qu’il s’agit d’un abandon de la ligne politique finlandaise de longue date. La primauté des moyens qu’offre la politique étrangère a été remplacée par des élucubrations dangereuses consistant à construire la sécurité sur les armes, sur l’OTAN et la dissuasion nucléaire américaine. Le gouvernement a rompu avec l’héritage de la politique de paix de la Finlande.

La perception des armes nucléaires a changé

En juin, lorsque le parti de l’Alliance de gauche a approuvé la demande d’adhésion à l’OTAN, il a exigé que « la Finlande souligne que le pays n’acceptera pas d’armes nucléaires, de bases permanentes ou de troupes permanentes de l’OTAN sur son territoire ». D’autres partis de la coalition gouvernementale avaient antérieurement exprimé des objectifs similaires.

Maintenant, le gouvernement propose que « la Finlande participe pleinement aux activités de l’OTAN », sans réserves concernant les armes et les bases militaires. Selon la Première ministre Sanna Marin, il est « très important que nous ne posions pas de conditions à l’avance ou que nous n’essayions pas de limiter notre propre marge de manœuvre en ce qui concerne les bases permanentes ou les questions d’armes nucléaires » (à la radio Yle, Ykkösaamu 29.10.2022).

En outre, la ligne politique concernant les armes nucléaires a également changé. Cet automne, les représentants de la Finlande pour la première fois ont voté contre le Traité d’interdiction d’armes nucléaires à l’ONU, et le ministre des Affaires étrangères a même admis au parlement que cela correspondait à la mise en œuvre de la politique commune de l’OTAN. S’agissant de la déclaration exigeant le désarmement nucléaire et dénonçant les effets humanitaires dévastateurs des armes nucléaires, la position de la Finlande est également passée de l’appui à l’abstention.

Les chercheurs Matti Pesu et Tuomas Iso-Markku de l’Institut de politique étrangère estiment sur la base d’entretiens qu’ils ont eus avec des initiés finlandais et de l’OTAN, qu’on s’attend à ce que la Finlande, en tant que pays de première ligne, participe discrètement aux tâches de soutien et aux exercices militaires impliquant les armements nucléaires de l’OTAN (les exercices SNOWCAT). Cela est d’autant plus vrai lorsque « arriveront en Finlande les chasseurs F-35 autour desquels l’OTAN entend concentrer ses activités d’armement nucléaire » et « qu’en cas d’éventuelle crise, les avions de l’OTAN traverseraient probablement l’espace aérien finlandais ». (le quotidien IL 15.12.2022)

Les crédits d’armement ont plus que triplé et les dépenses du ministère de la Défense ont plus que doublé au total par rapport à ce qu’elles étaient au début de la législature actuelle.

Armes nucléaires et accord avec les États-Unis

Le président Sauli Niinistö a apaisé les inquiétudes suscitées par les discours de la Première ministre sur les armes nucléaires en annonçant que la Finlande n’a pas l’intention d’apporter sur son territoire des armes nucléaires et qu’on ne lui en avait proposées (Yle 7.11). Si tel est le cas, il se pose la question de savoir pourquoi ne souhaite-t-on pas l’inscrire dans l’accord d’adhésion à l’Otan ?

En pratique, les restrictions s’appliqueraient spécifiquement aux armes nucléaires des États-Unis, après tout, l’OTAN n’a pas ses propres armes nucléaires. La question s’impose de savoir si on ne veut pas se positionner sur cette question pour la simple raison que cela compliquerait les négociations en cours sur l’accord de défense entre la Finlande et les États-Unis ?

Au printemps, les États-Unis ont signé un accord de défense avec la Norvège. Celui-ci confère aux États-Unis le droit absolu d’opérer dans quatre zones où ils peuvent librement déployer des troupes, mener des exercices et entreposer des armes. Certaines zones ne sont accessibles qu’à l’armée américaine. Selon cet accord, les zones ne sont pas soumises aux lois et autorités norvégiennes. Ces zones militaires seront créées autour des bases aéronavales de Rygge, Sola, Evenes et Ramsud. (High North News, 8 juin).

Si la Finlande signe un accord similaire, l’armée américaine aura libre accès aux bases dans les zones convenues et le droit d’y stocker des armes. La loi finlandaise sur l’énergie nucléaire - à laquelle la gauche du gouvernement a tenté de faire appel - n’empêcherait pas l’introduction d’armes nucléaires dans la région ni, par exemple, la tenue d’exercices de l’armée de l’air avec des armements nucléaires.

A Washington, l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN est perçue comme un moyen de renforcer la frontière orientale de l’OTAN et simultanément, l’alliance dirigée par les Etats-Unis dans la course au contrôle des ressources naturelles de l’Arctique. Pour la Finlande, cela n’apporte pas plus de sécurité, mais des menaces et des risques.

Où est l’évaluation des risques ?

Pendant longtemps, la politique de la Finlande consistait à se tenir à l’écart des conflits entre les grandes puissances et à éviter de devenir partie à un conflit militaire. Aujourd’hui, le gouvernement justifie son adhésion à l’OTAN par la menace de la Russie, mais il n’évalue pas les dangers inhérents à l’adhésion à l’OTAN. Au lieu de faire une analyse sur le long terme, on offre une présentation de la situation qui se caractérise par l’absence d’une approche historique, par une vision myope et l’absence d’une évaluation des conséquences.

Dans la présentation faite par le gouvernement, la transformation de la frontière orientale de notre pays en première ligne de l’OTAN contre la Russie ne fait l’objet que de quelques remarques liminaires. De même, cette présentation passe sous silence une évaluation des risques associés aux tâches militaires susceptibles d’être proposées à la Finlande dans les pays baltes, dans la mer Baltique et les régions nordiques.

La présentation fait état des menaces des dirigeants russes en termes d’utilisation des armes nucléaires, mais elle omet le fait que ni l’OTAN ni les États-Unis n’ont accepté une interdiction de l’utilisation en premier des armes nucléaires.

La présentation énumère les principes de l’OTAN, mais n’évalue pas la manière dont ils ont été mis en œuvre dans la pratique. Les principes ont été rayés de la table lorsque l’OTAN a en violation de la Charte des Nations Unies mené des guerres en Yougoslavie, en Afghanistan et en Libye. Dans sa nouvelle stratégie, l’OTAN définit la Russie comme l’ennemi et donne une définition du terrorisme beaucoup plus large que celle donnée généralement dans les États de droit, suivant ainsi l’exemple des gouvernements de la Turquie et des États-Unis. Cette stratégie considère également la Chine comme une menace.

Les droits de l’homme bazardés

Lorsque la Turquie a attaqué le nord de la Syrie il y a trois ans, le gouvernement d’Antti Rinne l’a condamnée et il a gelé les exportations d’armes vers la Turquie. Maintenant, alors que la Turquie bombarde les zones kurdes et prépare une attaque terrestre contre le nord de la Syrie, le gouvernement de Marin reste silencieux.

Au printemps, lorsque la Turquie a présenté les premières réserves sur la ratification de l’adhésion de la Finlande et de la Suède à l’OTAN, Jussi Saramo, le président du groupe parlementaire de l’Alliance de gauche, a déclaré que pour la Finlande les droits de l’homme et l’État de droit ne seraient pas négociables. La proposition de Petteri Orpo du parti de coalition (conservateur) de céder sur les exportations d’armes pour Erdoğan représentait, selon Saramo, « un manque total de sens diplomatique - il n’y a pas de retour en arrière si l’on accepte une telle vente aux enchères » (KU 11.6.).

Maintenant, le gouvernement est engagé dans des négociations impliquant les droits de l’homme, les mécanismes de l’État de droit et les droits des Kurdes sur la base du protocole d’accord entre la Finlande, la Suède et la Turquie conclu lors du sommet de Madrid cet été sous la direction du secrétaire Général de l’OTAN - et également approuvé par la présidente du parti Alliance de gauche, Li Andersson. Le ministre de la Défense Antti Kaikkonen (parti du Centre) a déjà promis à son collègue turc que des licences d’exportation d’armes vers la Turquie commenceraient à être accordées (Demokraatti 18.12.). Ceci, alors que la Turquie annonce qu’elle prépare une attaque terrestre contre la Syrie. Et à Helsinki, la police interdit l’utilisation des drapeaux des organisations kurdes dans une manifestation.

Le président de la République et le gouvernement ont fait de la Finlande un pion dans les efforts de Recep Tayyip Erdoğan pour obtenir le soutien des États-Unis et de l’OTAN dans la guerre contre les Kurdes, acheter des avions de chasse aux États-Unis, accroître son influence et détourner l’attention des problèmes économiques et sociaux du pays avant les élections turques.

Confrontation et crise de l’environnement

« Nous sommes en route vers l’enfer climatique », a déclaré le secrétaire général Antonio Guterres lors du Sommet des Nations Unies sur le climat en novembre : « L’humanité a le choix : coopérer ou périr » (HS 7.11.).

Dans les 117 pages du document présenté par le gouvernement, le changement climatique est mentionné en quelques mots, il n’évoque pas la perte de la biodiversité, pas plus que les effets environnementaux des armements et des guerres. Cependant, les armées et l’industrie de l’armement sont les plus grands pollueurs mondiaux. On estime que les forces armées des États-Unis produisent à elles seules plus d’émissions que les 140 plus petits pays du monde réunis (HS 18.11.21).

Rejoindre l’OTAN, c’est s’engager dans une alliance qui cherche à restaurer un ordre international basé principalement sur la puissance militaire et l’hégémonie des États-Unis, qui a été contestée par la Chine, l’Inde, la Russie et de nombreux autres pays en développement. En cela, la Finlande s’est elle-aussi engagée, utilisant les propos de Guterres, « sur l’autoroute de l’enfer climatique avec un pied sur l’accélérateur ».

Les dépenses militaires explosent

La Finlande s’arme désormais à un rythme sans précédent. En 2019, les dépenses administratives du ministère de la Défense s’élevaient à 3,1 milliards d’euros. Le budget d’État de l’année prochaine prévoit de les porter à 6,1 milliards, et en plus de cela, il prévoit les coûts liés à l’aide militaire à l’Ukraine, la construction du mur à la frontière avec la Russie, etc.

Dans le budget de 2019, les acquisitions de matériel de défense représentaient 774 millions d’euros dans les dépenses de l’armée. Dans le budget de l’année prochaine, 1 585 millions sont alloués à l’achat de matériel de défense. En plus de cela, il y aura 800 millions additionnels en raison de l’autorisation supplémentaire accordée pour l’achat d’armements suite à l’attaque russe (HS 15.12) et pour faire face à l’augmentation du prix des avions de combat F-35 due à l’augmentation de l’indice des prix.

Les dépenses totales des forces armées ont donc plus que doublé au cours de la législature actuelle, et les crédits pour l’achat d’armes ont plus que triplé. Cette décision a été prise avec l’aval unanime des partis au gouvernement.

Avec l’accord de l’OTAN on s’engage à poursuivre dans cette voie.

Dans le même temps, le ministère des Finances exige des milliards de coupes dans les services publics qui sont en crise, les prix de l’énergie montent en flèche, l’économie est en récession et il faudrait de l’argent pour mettre en œuvre des mesures environnementales.

Précipitation avant les élections ?

La décision de solliciter l’adhésion à l’Otan a été précipitée au printemps dernier, invoquant la menace russe et la mystérieuse « fenêtre temporelle ».

Depuis lors, les forces armées russes ont diminué en nombre dans les régions avoisinantes de la Finlande. La demande d’adhésion est toujours en attente de la ratification par la Turquie et la Hongrie.

Et pourtant, on est de nouveau pressé.

On n’a pas voulu organiser de référendum sur l’adhésion à l’OTAN. Désormais, on ne veut pas donner aux citoyens la possibilité d’envisager une autre solution lors des élections législatives de printemps.

De l’avis du gouvernement, on n’a même pas besoin d’une majorité qualifiée des parlementaires pour approuver l’accord avec l’OTAN, bien que l’adhésion limite au moins indirectement l’indépendance de la Finlande en matière de politique étrangère et de sécurité.

Même si une large majorité dans les sondages et au parlement soutient l’adhésion à l’OTAN, le mouvement pacifiste a toutes les raisons de poursuivre sa politique de longue date. L’expansion de l’OTAN n’est pas le courant dominant du monde, mais une réaction désastreuse à l’échec de la construction d’un système de sécurité européen post-guerre froide. La politique de guerre a besoin d’une opposition pacifiste, d’une courageuse remise en question du discours de guerre, de la dissuasion nucléaire, du militarisme et de la haine du Russe. Elle est également nécessaire au parlement, où il n’y a pas un seul parti qui s’oppose à l’OTAN et à la course aux armements. C’est pourquoi il est important que pour les élections législatives du printemps prochain, le SKP (parti Communiste de Finlande) rédige des listes de candidats comportant les déçus de la gauche gouvernementale.

Yrjö Hakanen

(Publié le 18.12.2022 dans le mensuel Tiedonantaja 12/2022)

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