Crise sanitaire sous contrôle ouvrier à la coopérative Scop-Ti (ex-Fralib) Interview d’Olivier Leberquier par le site "Rapport de force"

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Réduction du temps de travail, horaires décalés, mise en place précoce de mesures sanitaires. Ce sont quelques-unes des dispositions prises pour poursuivre la production de thés et d’infusions à l’usine de Gémenos. Et si l’autogestion ouvrière n’avait pas à pâlir de sa gestion du Covid-19, en comparaison de celle confuse de l’État ou des entreprises privées. Pour en savoir plus, nous avons interrogé Olivier Leberquier, le président du conseil d’administration de Scop-Ti.

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Vous avez fait le choix de poursuivre votre activité malgré la crise sanitaire. Comment cette décision a-t-elle été prise ?

Nous nous y sommes pris dès fin février, au commencement des soupçons de risque de pandémie, en travaillant sur un plan de continuité de l’activité, en lien avec notre médecin du travail. Nous avons consulté l’ensemble des coopérateurs pour savoir quelles dispositions on prenait. Début mars, une assemblée générale s’est tenue à l’extérieur, sur la pelouse, là où nous faisions nos AG pendant la lutte, en essayant de se mettre le plus à distance possible les uns des autres. C’est là où nous nous sommes demandé : est-ce que l’on tire le rideau et attend que cela se passe, avec toutes les conséquences économiques que cela aurait pu avoir ? On ne cache pas que cela compte.

Nous avons décidé avec l’ensemble des présents d’un maintien de l’activité, avec comme mot d’ordre de mettre le paquet et la priorité sur la santé des coopérateurs et de leur famille. Pas question de faire n’importe quoi ! Il n’y a aucun coopérateur à qui il a été imposé de venir ou de ne pas venir, parce que tout le monde n’a pas la même situation familiale et les mêmes contraintes. Chacun est responsable et prend la décision en fonction de ce qu’il estime être le mieux pour lui.

Nous avons donc travaillé le plan de maintien de l’activité et un plan renforcé au niveau sanitaire. Tous les endroits dans l’entreprise ont été renforcés pour pouvoir tenir les gestes barrière dans les meilleures conditions.

Concrètement qu’avez-vous mis en place ?

En ce qui concerne la production, nous ne sommes pas les uns sur les autres. Au plus fort de l’activité, il y a eu 280 salariés à l’époque d’Unilever, aujourd’hui nous sommes 40 salariés, dans une usine de 12 000 m², où toutes les lignes ne tournent pas.

Il y a d’abord eu le renforcement du plan de nettoyage de l’entreprise, la mise en place des gestes barrières, les recommandations de ne plus se saluer, de ne plus se toucher, d’éviter les rassemblements autour de la machine à café. Cela a été aussi des consignes renforcées pour les personnes extérieures à l’usine comme les transporteurs. Nous avons également mis en télétravail les quelques postes qui permettaient de le faire et avons fait en sorte qu’il n’y ait pas plus d’une personne par bureau pour les postes administratifs qui ne pouvaient pas travailler à distance.

L’analyse de risque que nous avons faite a fait ressortir qu’il fallait éviter tous les lieux dits : salles de pause, vestiaires, réfectoire. Par conséquent, nous avons décidé de réduire les horaires de travail à 5 heures par jour et de constituer deux équipes qui ne se croisent pas : une de 6 h à 11 h du matin, l’autre de midi à 17 h. Et nous qui sommes en horaire de journée, nous faisons le lien sur la production entre 11 h et midi, pour que les machines continuent à tourner entre les deux équipes. Ainsi, les équipes ne se croisent pas dans les vestiaires. En finissant à 11 h, l’équipe du matin ne mange pas sur place. Cela lève aussi un des risques de contamination. Ceux qui viennent de loin dans l’équipe qui commence à midi mangent sur place. Mais ils ne sont que deux et le réfectoire est suffisamment grand.

Et pour ceux qui ne viennent pas travailler ?

Nous avons sollicité l’activité partielle pour les coopérateurs qui ne viennent pas travailler. Sur 41 salariés, entre 25 et 30 sont présents sur le site en fonction des semaines. Par exemple, une coopératrice a sa mère avec elle. Depuis le début du confinement elle ne vient pas travailler, nous ne lui demandons pas d’attestation ou quoi que ce soit !

Les mesures ont-elles évolué avec le temps ?

Cela a été progressif avec l’évolution de la crise sanitaire, nous n’avons pas pris toutes les dispositions en un seul coup. À partir du confinement, nous avons interdit l’accès à l’usine : ne viennent que les salariés et les transporteurs. Pour ces derniers, nous leur avons fourni des masques que nous utilisions déjà du temps d’Unilever pour le changement des produits, s’ils n’étaient pas équipés par leur patron. Quand mi-mars nous nous sommes aperçus du stock que l’on avait, nous avons fait l’inventaire de tous nos équipements de protection individuelle (EPI) : masques, blouses, charlottes.

Nous avons décidé d’en faire don pour les gens en première ligne, notamment les personnels de santé. Nous en avons donnés plus de 15 000 aux hôpitaux de Marseille et d’Aubagne, à des médecins généralistes et des ambulanciers. Nous en avons juste conservé un petit stock de 700. Il est à disposition des coopérateurs qui le veulent, et nous nous sommes fabriqué 400 masques en tissu.

Pour le reste, étant dans une usine agroalimentaire, nous avons déjà pas mal de normes sanitaires. Tout ce qui relève de l’hygiène fait partie des choses dont nous avons l’habitude. Ce que nous avons fait, c’est d’en rajouter à certains endroits de l’entreprise : des distributeurs de gel devant chaque bureau, devant le réfectoire, aux portes où entrent les transporteurs. Le risque zéro n’existe pas, mais je pense que nous avons mis tout ce qu’il fallait pour que cela se passe le mieux possible. À ce jour, nous avons eu zéro cas, ni chez les coopérateurs ni chez leurs proches.

Y a-t-il un assouplissement des mesures avec le déconfinement du 11 mai ?

Avec le déconfinement tel qu’il est fait, et les risques d’amplifier la contamination, nous mettons un plan de nettoyage renforcé. Nous modifions nos horaires pour cela en faisant une demi-heure de plus par équipe : de 6 h à 11 h 30 pour l’une et de 12 h 30 à 18 h pour l’autre. Mais nous arrêterons la production à 17 h pour consacrer la dernière heure à désinfecter. Nous maintiendrons cela jusqu’à la fin juin. Nous avons décidé que tant qu’il n’y aura pas d’amélioration très importante, nous resterons sur cette organisation du travail. Pour nous la priorité, c’est la santé des coopérateurs et de leur famille. On s’organisera !

Depuis le début, nous avons fait avec ceux qui étaient là en organisant le travail en fonction. Cela se passe plutôt bien et nous avons maintenu l’activité. Nous réfléchissons à nous accorder un petit souffle autour du jeudi de l’Ascension parce que cela a été fatiguant.

Les décisions ont-elles continué à être prises collectivement ?

C’est ce qui nous manque un peu parce que nous avons l’habitude de nous réunir et de discuter. Là, nous n’avons pas pu le faire depuis début mars et le premier plan de continuité. Tous les vendredis, le conseil d’administration communique avec tous les coopérateurs pour qu’ils aient l’ensemble des informations pour faire un point, et éventuellement modifier un certain nombre de choses.

C’est le comité de pilotage et le conseil d’administration qui communiquent et adaptent l’organisation, comme pour le changement d’horaire à compter du 11 mai pour faire du nettoyage renforcé. Nous en avions parlé 15 jours avant et avions envoyé un mail, puis une proposition plus précise une semaine plus tard. Nous avons échangé avec ceux qui étaient là. Les autres pouvaient réagir par mails et nous dire s’ils y étaient favorables ou pas, ou s’ils avaient d’autres idées. En fonction de tous ces échanges, nous avons pu prendre la décision. Mais ce n’est jamais gravé dans le marbre. Si nous nous apercevons que cela crée des difficultés, nous pouvons faire marche arrière. Nous ajustons au jour le jour.

Interview d’Olivier Leberquier tiré du site "Rapport de force"


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