Grèce : vers l’insolvabilité, par Jacques Sapir

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Les nouvelles qui parviennent de Grèce sont chaque jour plus tragiques. S’il fallait un exemple de la faillite des politiques d’austérité, ce pays nous en fournirait un éclatant. Mais ce pays n’est pas un « exemple ». Il est constitué de 10 millions de personnes qui souffrent sans aucun espoir de secours. La Grèce est dans une voie sans issue, au bout de laquelle il ne peut y avoir que le défaut sur le reste de la dette, une partie ayant été déjà restructurée dans des conditions qui s’apparentent à un défaut ordonné. Il est clair que, d’ici le mois de juin, la Grèce sera de nouveau insolvable.

Le dernier accord signé à l’automne dernier entre le gouvernement et la Troïka, soit le FMI, la BCE et l’Union Européenne, prévoyait que les intérêts de la dette grecque seraient payés par des prêts de ladite Troïka, à charge au gouvernement de dégager un surplus sur les comptes courants du Budget (ce que l’on appelle un « excédent primaire »). Or, cet objectif s’éloigne de plus en plus. Les recettes liées à la TVA et aux taxes aux importations ont diminué de 8,7% au deuxième trimestre 2012 et de 10% au troisième trimestre [1]. Les taxes sur le revenu et la propriété, qui avaient connue une forte augmentation lors du second trimestre 2012 par rapport à la même période de 2011 (+29%) ont vu leur rythme annuel d’accroissement chuter au troisième trimestre (+10%). Les premières indications sur le 4ème trimestre de 2012, et surtout sur le mois de janvier 2013, montrent que ces recettes connaissent elles aussi une baisse absolue. Pour le mois de janvier, il a manqué au budget 246 millions d’Euros pour être en équilibre. Le gouvernement a donc décidé de réduire autoritairement les dépenses d’un même montant, engageant ainsi un mécanisme dont il n’a aucune idée et qui va précipiter la catastrophe.

Une partie de ce mouvement s’explique, bien entendu, par la dégradation continue de l’activité économique du pays. La production (au sens du PIB aux prix courants, car c’est lui qui sert de base à la fiscalité) n’a été lors du 3ème trimestre 2012 que de 51,7 milliards d’euros contre 55,7 milliards à la période équivalente de 2011, soit une baisse de -7,1%. Les résultats du 4ème trimestre, qui viennent tout juste d’être publiés sont encore plus mauvais. La production est tombée à 47,2 milliards, soit une baisse de -7,3% par rapport aux chiffres de la même période de 2011.

Graphique 1 :
JPEG
Source : HELSTAT, Quarterly National Accounts (Flash estimates), 14 février 2013, Le Pirée.

Mais, l’évolution des chiffres de la production montre une réduction plus faible que ce que l’on constate avec les impôts. L’effondrement de la production n’est donc pas la seule cause de ce phénomène. Ce qui est désormais en cause, c’est la rupture de la discipline fiscale, tant de la part des entreprises que de la part des ménages. De ce point de vue, les témoignages se multiplient sur la mise en place d’une économie parallèle, d’une économie de survie, en dehors de l’Euro et donc de la possibilité pour le gouvernement de lever des impôts comme le montre le blog tenu par un anthropologue grec, Panagiotis Grirgoriou, mais aussi comme en témoignent de plus en plus souvent les journaux.

La Grèce est donc entrée dans la deuxième phase de la politique de « super-austérité », celle où les agents économiques, qu’il s’agisse des entreprises ou des ménages, fuient massivement l’économie officielle et cessent de payer les impôts. Ce phénomène fut déjà observé en Russie, de 1995 à 1998. Le gouvernement avait tenté de réagir en coupant sauvagement dans ses dépenses et en ne payant pas ce qu’il devait payer (par exemples les salaires des personnels de santé et des professeurs mais aussi les commandes d’État aux entreprises). Le résultat fut, outre une aggravation de la crise, que les entreprises n’étant plus payées par l’État cessèrent complètement de payer leurs impôts. La politique de « super-austérité » aboutissait à reproduire le déficit budgétaire contre lequel elle était censée lutter.

C’est très précisément ce qui est en train de se mettre en place aujourd’hui en Grèce. Le déficit a été pour le mois de janvier de 246 millions. Il devrait s’amplifier dans les mois suivants pour atteindre entre 500 millions et un milliard par mois. Le gouvernement procédera à de nouvelles coupes budgétaires qui provoqueront à la fois une aggravation de la crise économique et une accélération du mouvement de fuite hors de la circulation monétaire en Euro, et ce jusqu’au moment où le gouvernement sera insolvable.

Dans cette tragique situation, le commerce extérieur ne peut apporter un quelconque soulagement. Le déficit reste important, et s’il se réduit c’est avant tout en raison de l’effondrement des importations et non le résultat d’une hausse des exportations. Ceci est d’ailleurs compréhensible. La Grèce exportait des produits agricoles, mais aussi des produits industriels et des services industriels (la réparation navale) essentiellement en direction des pays des Balkans et du Moyen-Orient. Cela implique qu’une partie importante de ses exportations étaient dans la zone Dollar. La hausse de l’Euro, depuis 2003, a tué les exportations de la Grèce.

Tableau 1 : Montant des importations et des exportations de la Grèce en millions d’euros (de novembre à novembre).

Importations 2010 2011 2012 2011/10 2012/11
U.E. 2040,1 1890,1 1774,1 - 7,4 % - 6,1 %
Reste du monde 1040,5 762,1 647,8 - 26,8 % - 15,0 %
Total 3080,6 2652,2 2421,9 -13,9 % -8,7 %
Exportations 2010 2011 2012 2011/10 2012/11
U.E. 872,3 899,3 910,7 3,1 % 1,3 %
Reste du monde 595,5 609,6 622,2 2,4 % 2,1 %
Total 1467,8 1508,9 1532,9 2,8 % 1,6 %

Source : HELSTAT, Commercial transactions of Greece, 25 janvier 2013, Le Pirée.

La Grèce est donc sur la trajectoire qui conduit à un effondrement de son économie à relativement court terme. La chute des investissements et des importations d’équipements industriels va provoquer assez rapidement une détérioration de l’outil industriel. L’économie va continuer de s’enfoncer dans la dépression et les recettes du gouvernement vont diminuer de mois en mois. La réaction du gouvernement est prévisible : il va couper dans les dépenses, provoquant en réalité de nouvelles chutes de rentrées fiscales. Le cercle vicieux austérité-détérioration de l’activité-chute des recettes fiscales-nouvelle austérité-nouvelle détérioration de l’activité-nouvelle chute des recettes va se continuer de mois en mois. Seul un choc politique, un renversement du gouvernement, comme en Russie du fait de la crise financière, est à même de faire cesser cette spirale infernale. Il n’y a pas lieu de le redouter, mais bien au contraire de l’espérer.

Jacques Sapir, le 15 février 2013

Sur RussEurope, le carnet de Jacques Sapir sur la Russie et l’Europe

[1Hellenic Statistical Authority, « Quarterly Non-Financial Accounts of General Government », Press Release, 25 janvier 2013, Le Pirée.

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