Un pétrolier joue la fin de l’Union soviétique, le cas de BP, les bases de l’oligarchie

, par  Danielle Bleitrach , popularité : 2%

Aujourd’hui où la chute des cours pétroliers met en cause l’équilibre économique mais aussi politique et social de bien des pays que leur oligarchie a bloqués dans une économie de rente, entre autres l’Azerbaïdjan, il faut bien comprendre qu’il n’y a aucune fatalité ou même inconséquence dans cette histoire. Il y a eu stratégie des multinationales et des (ex-)dirigeants communistes ou se prétendant tels pour se laisser acheter et devenir les exécuteurs de l’URSS contre les intérêts du peuple. Je crois que l’on peut aujourd’hui considérer que la quasi totalité des peuples regrette l’Union soviétique, le communisme, détruite par ses propres dirigeants. (note de Danielle Bleitrach)

L’effondrement de l’Union Soviétique pour employer un terme consacré a été entouré en occident d’une espèce de brouillard qui en a fait un phénomène quasi géologique comme un terrain perdant ses assises et s’écroulant par le simple effet d’un système épuisé. Ce n’est pas nécessairement comme cela que les citoyens des anciennes républiques l’ont vécu. Sans revenir sur le cas de l’Ukraine et du Donbass qu’il est difficile de comprendre sans référence à la fin de l’Union soviétique et à l’espèce d’apocalypse qui a suivi, intéressons-nous à un cas moins connu et dont les convulsions se poursuivent : l’Azerbadjian dans le contexte du Caucase et des guerres pétrolières et gazières.

C’est peu dire à quel point Gorbatchev a été encouragé, encensé par les médias occidentaux. A propos de cette époque, je ne saurais trop recommander le livre de Vladimir Fedorovski : "Poutine, l’itinéraire secret" ; il décrit par le menu la stupéfiante manière dont l’Union soviétique et le socialisme ont été sciemment détruit par ceux qui en avaient la charge politique… Tout pourrait être résumé par cette exclamation de l’auteur à propos de l’ingratitude de l’occident qui continue à attaquer la Russie d’aujourd’hui : « mais c’est nous qui avons détruit l’Union soviétique ! » ; en gros ce pervers naïf réclame à ce titre le paiement de ses efforts par l’amitié de ses maîtres. Mais il est excessif de penser que seuls les dirigeants soviétiques ont détruit cet ennemi de l’occident. A chaque réforme suggérée comme un pas vers la "démocratie", répondait une avancée de l’Occident et pas seulement de la CIA envoyant ses conseillers, mais bien les monopoles capitalistes menant une grande part du travail.

Une grande compagnie pétrolière colonisatrice

Ainsi en 1984, le premier Ministre Britannique Margaret Thatcher invite les acteurs économiques de son pays à commercer avec l’Union soviétique désormais sous la direction de Mikhaïl Gorbatchev. Madame Thatcher, comme Ronald Reagan à cette époque, impose à la planète le néolibéralisme ; on torture en Amérique latine pour imposer les Chicago boys, au Chili en particulier. Mais en Europe ce seront des gouvernements élus qui vont porter cette vague, en France ce sera même un gouvernement de gauche avec ministre communiste qui va opérer le travail en transformant les monopoles pour les faire aller à l’assaut de l’étranger, en les financiarisant, le tout sous couvert de nationalisation.

Donc à l’époque, British Petroleum est encore sous contrôle du gouvernement britannique et il est invité à aller voir les possibilités de l’Union soviétique qui est en train de s’ouvrir au capital. BP a des problèmes d’approvisionnement : il est écarté du Golfe arabo-persique, son domaine d’origine. En 1989, il jette son dévolu sur le Kazakhstan, et commence sa stratégie de négociation directe avec les élites locales du parti communiste, mais il y a encore l’Union soviétique centralisée et il est écarté au profit de l’Américain Chevron.

10 ans auparavant en 1979, les géologues soviétiques avaient découvert le gisement pétrolier de Gouneschli en Azerbaïdjan, puis en 1988 les gisements d’Azéri et Chirag. Les pétroliers soviétiques n’ont pas les moyens de l’exploitation et le ministère soviétique du pétrole autorise l’exploitation de BP. La fin de l’Union soviétique et l’indépendance de l’Azerbaïdjan vont être l’occasion d’une odyssée de BP qui fait songer à celles de la Compagnie des Indes au XIXème siècle en matière de colonisation britannique. Le premier président Moutalibov qui appartenait à l’incurie de Gorbatchev, a du mal à se sentir indépendant de Moscou. Il est aussitôt remplacé par Aboulfaz Eltchibey qui lui est pro-occidental, acquis au nouvel ordre des choses, trop acquis même, puisqu’il veut s’approcher des États-Unis et de la Turquie. Il faudra que Margaret Thatcher, elle-même, se rende en Azerbaïdjan en septembre 1992 pour rappeler au nouveau président ce qu’il lui doit, tout cela assorti bien sûr d’arguments sonnants et trébuchants.

Mais cet homme n’est pas fiable, trop versatile, trop "gorbatchévien". La situation est comme dans la plupart des ex-Républiques soviétiques, une période de troubles et d’insécurité sur fond d’appétits déchaînés. Les séparatismes se multiplient, comme le résultat de concurrences dans l’appropriation d’appareils d’État et de facteurs de résistance à ces appétits de véritables voyous encouragés par les monopoles étrangers. Entre temps a commencé une guerre avec le Haut-Karabagh indépendantiste et proche de l’Arménie voisine ; les défaites s’accumulent et le général Sarat Husseinov marche sur Bakou et impose un nouveau président H.Aliev. BP a financé le coup d’État mené le 13 juin 1993 [1] et verse des pots de vin considérables aux nouveaux négociateurs qui assurent l’exploitation pleine et entière des gisements de pétrole et de gaz à la compagnie pétro-gazière norvégienne Statoil, son associée.

Un homme fort issu du brejnevisme

Heydar Aliyev est un produit de l’ère brejnévienne. Il y a un débat en Russie et dans l’ex-Union soviétique sur le moment où a commencé la désagrégation par la tête de l’Union soviétique ; Gorbatchev est bien sûr cité et il est universellement méprisé, mais Brejnev est aussi dénoncé, l’apathie de sa fin de règne, la corruption dans les Républiques y compris sa propre famille à Tachkent. Heydar Aliyev est un pur produit de cette époque. Il prétend être né dans une famille ouvrière de la République socialiste soviétique autonome de Nakhitchevan, mais d’autres sources suggèrent qu’il est peut-être né en Arménie. Il rejoint la section azerbaïdjanaise du Comité pour la Sécurité d’État (le KGB) en 1944. Il en gravit les échelons un à un jusqu’à en devenir le vice-président en 1964, puis le président en 1967. Deux ans plus tard, en 1969, alors que Léonid Brejnev est Premier secrétaire du parti communiste de l’Union soviétique, Heydar Aliyev est nommé au poste de premier secrétaire du Comité central du parti communiste d’Azerbaïdjan. En 1976 il devient membre sans droit de vote du Bureau politique du Comité central du Parti (ou Politburo). Il occupe ce poste jusqu’en décembre 1982 quand Iouri Andropov le promeut à celui de vice-premier ministre de l’URSS. Heydar Aliyev devient du même coup le premier musulman membre de plein droit du Politburo. Il prend en charge la responsabilité des transports et des services sociaux. Sa cote baissera à partir de la nomination en 1985 de Mikhaïl Gorbatchev au poste de Premier secrétaire du Parti. Son orientation politique est désormais un handicap à l’heure de la Perestroïka. Sa disgrâce devient publique quand la Pravda, le journal du Parti, l’accuse de corruption, le qualifiant au passage d’« un des grands dinosaures communistes ». En octobre 1987, Gorbatchev donne un coup de balai sur la vieille garde brejnévienne et pousse Heydar Aliyev à démissionner du Politburo et de la direction du Parti communiste d’Azerbaïdjan, pour « raisons de santé ».

BP en fait l’homme fort d’Azerbaïdjian après son entente avec les auteurs du coup d’État. Ce type d’homme est exactement celui que les occidentaux cherchent à mettre en place partout dans les territoires de l’ex-Union soviétique. Actuellement une féroce lutte entre oligarques se livre à Kiev pour se présenter comme le meilleur candidat pour être l’homme lige des États-Unis, pour l’OTAN, mais également pour la compagnie gazière déjà confiée au fils de Joe Biden, le vice président des États-Unis. et avec lui la Shell, Chevron… Massacrer le Donbass fait partie du cahier des charges.

BP acteur politique

Mais ce droit privilégié qu’a désormais BP sur les importantes ressources de l’Azerbaïdjan s’accompagne d’un poids déterminant sur la vie politique du pays. Le symbole politique en est l’installation de son siège dans l’ancien bâtiment officiel du Parti Communiste azerbaïdjanais. Et celui-ci est rebaptisé pour marquer la nouvelle ère Villa Petrolea 2.

Il faut reconnaître que BP n’a pas lésiné sur les moyens, en gros entre le droit au gisement et les pots de vin, il a investi 20 milliards de dollars, dont on estime qu’ils ont été récupérés sur exploitation en 2008 [2].

L’Azerbaïdjan s’est transformé en pétro-État : les impôts ont été réduit, ce qui a permis de réduire la représentation des citoyens, selon le principe « pas d’impôt pas de représentation », assorti du financement clientéliste pour réduire la pression démocratique. Avec certains anciens dirigeants communistes, l’armée toujours occupée par des conflits séparatistes, a donc été financée plus ou moins directement par BP qui a instauré un régime népotiste et clientéliste dans lequel l’absence de représentation politique est compensée par des moyens financiers et quelques dépenses sociales pour une classe moyenne. Ainsi BP et Statoil ont, par leurs investissements, contribué à la stabilité autour d’un régime autocratique. C’était d’ailleurs stipulé dans les Accords sur l’oléoduc BTC signés par les compagnies de la BTC Pipeline Company avec l’Azerbadïdjan, la Géorgie et la Turquie. Dans l’article 11 paragraphe 1 de l’Accord entre la BTC Pipeline Company et la République d’Azerbïdjian, il est stipulé que « les autorités étatiques (…) doivent protéger (…) les infrastructures de toutes pertes ou dommages résultant d’une guerre civile, de sabotages (…) de blocus, de révolution, d’émeutes, d’insurrections, de perturbations civiles (…) ou d’éléments destructeurs ».

Pour assurer cette stabilité BP a fait confiance à l’homme fort H.Haliev qu’il avait placé à la tête du pays, mais qui est directement devenu l’acteur politique du pays. David Woodward, président de l’AIOC (BP plus Statoil) de 1998 à 2006, est surnommé « le vice roi de Bakou ». BP est consulté sur la politique économique du pays et on mesure à quel point son intérêt est de laisser celui-ci dans une économie de rente. Mais il y a une vassalité aux États-Unis dont il n’est pas question de contrecarrer les projets ; en octobre 1999, BP a accepté le projet d’un oléoduc financé par les États-Unis, le tout directement lié à la succession d’Haliev par son fils. Le président de l’Azerbaïdjan Ilham Aliev « est la personnalité la plus corrompue de l’année [2012] », par une l’étude réalisée par l’ONG internationale indépendante Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP), créée en 2006 pour surveiller et informer sur les problèmes de corruption et l’économie grise en Europe centrale et dans la Communauté des États indépendants. L’ONG est composée de 60 journalistes et de 15 médias représentant 20 pays. L’OCCRP explique ainsi son choix : « En 2012, le clan Aliev s’est attribué d’importants revenus via des transactions relevant de la compétence de l’État, dans les secteurs des télécoms, des ressources naturelles, du bâtiment et de l’industrie ». Mais si l’on dénonce facilement ces potentats issus de la décomposition de l’ex-Union soviétique, le plus souvent quand ils ont de bons rapports avec la Russie et Poutine, il est peu fait allusion à la manière dont ils ont été installés au pouvoir et par qui. BP reste toujours en place, mais les États-Unis et leur ambassade sont aussi installés à demeure. L’ancien ambassadeur américain en Azerbaïdjan, en poste à Bakou de 1997 à 2000, Stanley Escudero, sa retraite diplomatique venue, a monté dans ce même pays une boîte de conseils. Ce membre influent de la chambre de commerce américaine à Bakou a été imité dans les affaires par son fils, Benjamin, lequel s’est installé et a épousé une Azerbaïdjanaise…

BP étend son droit de regard à la région avec les États-Unis

De même, pour maîtriser l’exportation de ses produits, BP a étendu son intérêt politique à la Géorgie et à la Turquie au titre de la coopération régionale comme facteur de stabilité pour les investissements occidentaux. Les tubes des oléoducs passent non loin de l’Ossétie, de l’Abkhasie et du Kurdistan turc… mais la voie iranienne serait pire et refusée par les américains. Donc partout, BP s’est employé à signer les mêmes accords que ceux passés avec l’Azerbaïdjan. Qui ignore l’existence de ce carrefour énergétique a peu de chance de comprendre les phénomènes politiques de la région et donc toutes chances de se laisser abuser par les campagnes à géométrie variable sur la manière dont de petits peuples lutteraient pour leur indépendance face l’ogre russe.

DB

[1C’est un article du Sunday Times du 26 mars 2000 qui a sorti les informations sur le coup d’État de 1993.

[2La plupart des faits relatés ici proviennent d’un travail de recherche : Samuel Lussac, Géopolitique du Caucase. Au carrefour énergétique de l’Europe de l’Ouest, Ed. Technip 2010.

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