Quand l’idéologie se substitue à la réflexion Sur le recul des sciences et de la rationalité

, par  Gilles Mercier , popularité : 3%

L’Union soviétique a connu un gel de la réflexion intellectuelle avec la période du lyssenkisme produit de la conception ultra-réductrice du marxisme de Staline. Il y avait d’un côté la science prolétarienne et de l’autre la science bourgeoise. Cette idéologie a liquidé en URSS deux disciplines jeunes, l’agronomie et la biologie, pendant au moins trois décennies. Les scientifiques soviétiques qui contestaient les affirmations de Lyssenko furent licenciés et envoyés au goulag comme le grand Vavilov qui y perdit la vie. Cette idéologie signa son arrêt de mort quand elle décida de s’attaquer à la physique, discipline bien structurée ayant de très nombreuses applications civiles et militaires.

Le lyssenkisme, c’est à dire la corruption de la science par l’idéologie où les faits sont dissimulés ou interprétés de manière scientifiquement erronée ne se limite pas à l’Union soviétique.

Lorsque le PCF était un parti de classe non englué dans l’opportunisme, son influence allait bien au-delà de son influence électorale. Il était le parti de la rationalité. Son poids politique obligeait les autres forces politiques à rester sur le terrain de la rationalité. L’effondrement du socialisme qui n’a toujours pas été analysé a ouvert le champ de l’opportunisme. Ceux qui fondaient leur activité dans le cadre de l’affrontement fondamental capital/travail n’avaient plus aucune grille de lecture leur permettant d’analyser et de comprendre les processus en cours pour mieux les combattre. L’espace libéré par ceux qui se réclamaient de la lutte de classes a été occupé par l’alter mondialisme et l’environnementalisme. L’effondrement des idées de classe a entrainé un recul concomitant de la rationalité. J’en donnerai ici deux exemples.

1°-a) Le début du 19ème siècle marque l’avènement du capitalisme et l’apparition concomitante du salariat alimenté par la paysannerie et l’artisanat. Perdant le statut de travailleurs indépendants, ces nouveaux salariés s’en sont attaquées aux machines (Luddites, Swing en Angleterre, Canuts en France) rendues responsables de leur exploitation et non au système économique et social.

L’effondrement du socialisme a ouvert de nouveaux espaces à l’internationalisation du capital. Cet internationalisation s’est accompagnée par un élargissement du salariat et un renforcement de son exploitation. Au lieu de s’en prendre à la nature de classe de la société, les couches sociales et salariales qui subissaient la dégradation de leur situation s’en sont prises comme au 19ème siècle à la technologie. La lutte de classe s’effaça au profit de la lutte contre les lobbies et contre les technologies accusées d’imposer le pouvoir de ces lobbies. La technologie, arme de domination économique, est ainsi devenue une arme de domination sociale. Afin de retrouver sa « liberté d’avant », il fallait se libérer de l’asservissement technologique, empêcher l’introduction d’une « technologie mortifère » dans une nature sanctifiée. La lutte contre les OGM avec le saccage des expériences de l’INRA et du CIRAD et les multiples destructions des cultures en plein champ symbolisa ce recul de l’analyse de classe. Les OGM furent accusés de tous les défauts. Ils asservissaient la paysannerie. Rappelons que l’agriculteur n’est pas obligé d’acheter de la technologie, mais qu’il est obligé de vendre, comme tout producteur de marchandises. L’assujettissement de la paysannerie ne passe pas par la vente de la technologie, mais par l’achat de sa production. Les centrales d’achat des grandes surfaces par leur monopole et leur volume d’achat, structurent les filières et déterminent les coups de production. Les OGM furent aussi accusés de mettre en cause les équilibres biologiques et de constituer un danger pour la santé humaine. Que reste-t-il de toutes ces accusations catastrophiques ? Rien ! Sinon que par opportunisme, veulerie politique, la majorité des gouvernements européens afin de complaire pour des raisons électorales aux mouvements écologistes, ont interdit ces cultures. En Europe, seuls le Portugal et l’Espagne les cultivent. Les USA, la Chine, le Canada, le Brésil, l’Argentine, l’Inde, en sont les principaux producteurs, plusieurs pays africains les cultivent. L’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada, autorisent la commercialisation du riz doré pour l’alimentation humaine.

Lutter contre le développement des OGM, donnait l’illusion de lutter contre l’organisation capitaliste de l’agriculture. Or, celle-ci n’a pas besoin des OGM pour se mettre en place. Elle se met en place aussi bien avec des semences génétiquement modifiées qu’avec des semences "classiques". Le directeur de Greenpeace France, déclarait en 2002 : « Nous n’avons pas peur des OGM ». « Les OGM sont peut-être une merveilleuse solution pour un certain type de société. Mais justement, c’est le projet de société dont nous ne voulons pas. ».
En France la culture d’OGM à des fins commerciales est interdite depuis 2008. Alors que les semences OGM représentent 30% du marché mondial. Aucune expérimentation de plantes génétiquement modifiées dans des champs n’est actuellement autorisée en France. Il est pratiquement impossible de faire financer la recherche publique sur les OGM végétaux par de l’argent public, cette recherche est devenue quasi clandestine en France.

Je n’ai pas oublié l’hystérie alimentée par l’ensemble de la presse (https://www.lemonde.fr/blog/huet/2018/12/11/ogm-poisons-la-vraie-fin-de-laffaire-seralini/) dont le quotidien l’Humanité et les médias contre les cultures génétiquement modifiées. Hystérie qui se traduisait par des menaces de mort à l’égard des agriculteurs et des attaques ad-hominem contre les académiciens de l’académie des sciences dont le rapport avait défendu ces cultures.
Au sortir du paléolithique, l’Homme n’a cessé de modifier la nature. La nature qui nous entoure est artificielle, façonnée par l’Homme. Le séquençage du génome des plantes a révélé que le transfert des gènes entre plantes d’espèces différentes est un processus naturel. L’Homme ne fait que reproduire ce que fait la nature.

1-b) Le prix Nobel de chimie 2020 a été co-attribué à une Française Emmanuelle Charpentier et une américaine Jennifer Doudna pour la découverte d’un nouvel outil génétique intitulé CRISPR-Cas9, une révolution technologique plus connue sous le nom « ciseaux génétiques ». Ces outils permettent de substituer de façon très précise une portion du génome par une autre. On parle d’édition du génome. En plus de sa très grande précision, l’édition du génome présente un avantage supplémentaire sur la technique OGM, celui de la rapidité. De ce fait elle est mise en œuvre dans des pays de tous les continents (Etats-Unis, Canada, Argentine, Japon, Chine, Australie, etc…), exceptée l’Union européenne. En effet, de nombreux pays ont décidé que pour des modifications mineures du génome, il n’y a pas lieu d’appliquer la réglementation OGM.

L’Union européenne, par l’arrêt de sa Cour de Justice du 25 juillet 2018, a décidé que les nouvelles techniques d’édition du génome produisaient des OGM. Alors que le terme « Innovation » inonde les discours des dirigeants français et européens, il est pour le moins paradoxal que le prix Nobel ait été attribué pour une technologie dont les applications sont interdites en Europe.
Plus de 80% des brevets déposés sur les applications de la technique CRISPR-Cas sont américains ou chinois et moins de 10% européens. La Chine et les USA ont engagé de vastes programmes d’édition du génome à des fins médicales et agricoles. La Russie vient d’annoncer un programme fédéral de 1,7 Mds de $ pour la création de variétés de plantes et d’animaux modifiés par la technologie Crispr !
Cette situation est inquiétante pour l’avenir et l’indépendance agro-alimentaire ou sanitaire de l’Union européenne et notamment de la France. L’écologisme qui a pris le relais de l’alter-mondialisme fait pression auprès de la commission européenne pour qu’elle ne révise pas sa position sur l’édition du génome.

L’édition du génome doit donc rester confiné dans les laboratoires sans une quelconque application pour la société !!

Contrairement aux OGM, le système Crispr est une technologie peu couteuse, facilement accessible. Mais aucune start-up ou PME n’investira ce domaine, car la peur du vandalisme lui fermera la porte pour l’obtention de fonds.
Alors que le rôle des sciences et techniques dans le développement des forces productives est déterminant, l’idéologie des mouvements anti-biotechnologie en Europe laisse le champ libre aux USA et à la Chine pour les applications médicales, agricoles et industrielles par leurs acteurs publics et privés.
La politique de l’innovation si chère au gouvernement s’arrête à la frontière de l’écologie politique.
L’irrationnel enfonce la France et l’Europe dans la vassalisation économique.

2°) Certains nous présentent les vaccins à ARN comme des vaccins « boursiers » opposés aux vaccins éprouvés chinois. Il y aurait les vaccins bourgeois d’un côté et de l’autre les vaccins prolétariens élaborés par la Chine socialiste.
Deux sociétés chinoises ont produit chacune deux vaccins atténués certifiés par l’OMS. Il s’agit de Sinopharm, société publique et de Sinovac, société privée cotée au Nasdaq (deuxième marché d’actions US). Comme quoi en Chine on sait faire aussi des vaccins boursiers !

La Chine a décidé de se tourner vers la technologie vaccinale ARN avec deux nouveaux vaccins. Le premier est le résultat d’une collaboration entre l’académie des sciences militaires et deux sociétés privés chinoises. Le second est développé par deux sociétés privées. Les deux vaccins ont débuté les essais cliniques. La société allemande BioNtech s’est engagée dans un accord de joint-venture avec la société chinoise Fosun Pharma. Dans un premier temps les vaccins seront produits en Europe, puis au terme de l’accord, ils seront produits en Chine, avec une licence exclusive pour le marché chinois. Fosun Pharma a acquis la technologie pour 135 millions de $ et investi 100 millions de $ pour les lignes de production. Ainsi la Chine est en capacité d’importer la nouvelle technologie vaccinale et de développer les vaccins à ARN de manière autonome.

Il n’y a pas de science capitaliste ni de science socialiste. De très nombreuses publications concernant le Covid et toute autre discipline sont co-écrites par des scientifiques chinois et des scientifiques des pays occidentaux sans que cela constitue une quelconque allégeance à un système économique ou à un autre.

Le stalinisme, l’alter-mondialisme et l’écologisme partagent une vision commune de la recherche scientifique. Elle doit avant tout être finalisée, à cette fin les scientifiques doivent être encadrés. Suivant la période, c’est soit par le Parti, soit par les associations et les ONG, soit de façon plus générale par la société civile. Les scientifiques qui seraient avant tout focalisés sur leurs seules recherches sans s’intéresser aux conséquences pour la société, doivent être sous contrôle. Par le développement de la technologie, ils seraient responsables de la dégradation de la nature et des méfaits du capitalisme. Exit la bourgeoisie et sa recherche effrénée de profits.
Rappelons que la recherche scientifique est une activité salariale de masse. Il y a plus de 12.000 chercheurs au CNRS, 2.200 à l’Inserm, 57.000 enseignants chercheurs dans les universités. La sous rémunération est la règle commune, on commence comme Chargé de recherche à 2,4 Smic après plusieurs années de précarité à en moyenne 35 ans. La précarité est massive : elle représente 39% des personnels de l’Inserm et 23% au CNRS. Il est bon de rappeler que les scientifiques sont des salariés comme les autres qu’ils doivent rendre compte régulièrement de leur activité de recherche. Depuis 2007 la recherche publique est entièrement financée par des contrats à court terme dont 90% sont finalisés. Pour ce gouvernement comme ses prédécesseurs, la recherche publique doit exclusivement servir à la compétitivité des entreprises. C’est le Capital et l’Etat à son service qui décident des orientations de recherche (https://www.economie-et-politique.org/wp-content/uploads/2021/01/4_Article-EP794-795Eco_Po_796_797_14_01_DD2.pdf).
Pour libérer la recherche publique afin de lui permettre de répondre aux besoins de la connaissance et du développement de la société, il faut la libérer de son asservissement aux entreprises, la libérer de son asservissement au Capital !

Des années d’altermondialisme, d’écologisme ne sont pas sans conséquence au sein de ce qui reste du mouvement de lutte. Il n’y a pas de mouvement révolutionnaire sans travail théorique, c’est ce dernier qui permet de comprendre la société et d’agir sur elle. Le travail théorique c’est le contraire de la facilité, c’est aller à l’encontre du vent dominant qui est celui de la classe dominante. Mais pour que le travail théorique ait un sens, il faut un outil politique pour le mettre en pratique en le confrontant à la réalité. De ce point de vue, la tâche à accomplir est immense. Au PCF, Il ne reste que le secteur économie et politique, tous les autres secteurs ayant disparu ! La constitution indispensable de nouveaux secteurs dépend de la stratégie. Si cette dernière se réduit au prima de la recherche permanente d’alliances avec des organisations sociales-démocrates, il n’y a pas besoin de travail théorique. Croire que le système économique et social qu’est le capitalisme va être renversé par le rassemblement des mécontents est un leurre. L’avènement d’une autre société non asservie au capital nécessite un travail politique dans les entreprises (publiques, privées) lieu d’exploitation du salariat et de son affrontement avec le capital. Pour ce faire, les cellules d’entreprises doivent être alimentées par le travail d’analyse des secteurs correspondant à leurs champs d’activités. Un Parti ancré dans les entreprises, c’est un Parti qui est dans une stratégie d’affrontement avec le capital. Les alliances avec les partis sociaux-démocrates ne sont plus un but mais un moyen uniquement déterminé par les circonstances. Si la candidature de Fabien Roussel met fin à des années d’effacement, elle ne définit pas une stratégie. Or, visiblement c’est la stratégie d’alliances qui continue de prévaloir. Il ne s’agit donc pas de lutter contre le capitalisme, mais contre le libéralisme, ce qui revient à accompagner l’idéologie dominante.

Gilles Mercier

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