Pourquoi Mélenchon se perd… Une analyse de Jacques Cotta (du site La Sociale)

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Au-delà de la polémique apparente avec Mélenchon, attitude qui ne nous intéresse vraiment pas sur ce site, cet article pose la question de la manipulation de l’opinion par l’idéologie dominante (qui est celle des classes dominantes, comme tout bon marxiste est sensé le savoir) qui cherche à dévoyer la seule véritable remise en cause qui soit, celle de l’UE et donc du capitalisme, en une fausse opposition, celle qu’avait su créer Mitterrand en son temps pour perpétuer son pouvoir, entre les "démocrates européens" et les "populistes nationalistes", ces derniers étant caricaturés comme fascistes. Mélenchon semble "tomber" dans le panneau avec son outrance qui le caractérise, en jouant les pourfendeurs antifascistes et donc, se situant de fait, chez les "démocrates européens". En fait, la véritable question est plutôt celle-ci : mais où sont et avec qui sont les véritables fascistes ?
PB


La ville de Marseille serait-elle un village au point de ne pouvoir éviter de se croiser. C’est du moins l’idée qui ressort de cette rencontre improbable, vendredi 7 septembre, entre Jean Luc Mélenchon et Emmanuel Macron. Pour "la photo", la séquence était parfaite. De quoi donner un peu de piquant à la journée du Président de République venu dans la capitale phocéenne rencontrer Angela Merkel et à Jean Luc Mélenchon venu dans sa circonscription. Dans le contexte actuel marqué par la crise du régime, les scandales, et toute une série de mesures dont les classes populaires -des jeunes aux retraités en passant par les salariés au sens large- vont faire les frais, l’échange attendu entre les deux hommes pouvait être sinon tendu, du moins franc et direct. Cela d’autant que quelques heures plus tôt, Jean Luc Mélenchon avait accusé Macron au sujet des migrants d’être « le plus grand xénophobe ». En face de l’intéressé, plus rien, Jean Luc Mélenchon expliquant qu’il s’agissait « peut-être d’une légère exagération marseillaise ». Après tout, comme le dit Mélenchon interrogé sur cette soudaine "timidité" face au chef de l’état, la « dimension de respect » pousse à ne pas « s’engueuler avec le président de la république dans un bar à minuit et demi ». Mais là n’est pas l’essentiel. Emmanuel Macron, en plus fin politique qu’il n’y parait, a distribué les rôles, sans que le leader de la FI ne refuse celui qui lui était attribué.
Son adversaire, c’est le FN, aucun doute ! Avec JLM « on a des confrontations politiques mais Mélenchon, ce n’est pas mon ennemi ». Une fois encore, JLM ne dit mot, ne se démarque en rien, même courtoisement. S’agit-il de la part du chef de la FI d’un manque d’à propos ? d’un excès de fatigue ? Ou bien plutôt du résultat d’une orientation qui conduit et Mélenchon, et la FI, à leur perte ?

Le combat contre la populisme

Emmanuel Macron a fait passer son message. Il s’y emploie depuis la rentrée de septembre et la rencontre avec Mélenchon tombait à pic pour enfoncer le clou. Le 28 août en s’envolant pour Copenhague puis le lendemain pour Helsinki, le président de la république précisait le thème central de sa campagne européenne, « l’axe des progressistes » contre « l’axe des nationalistes ». Ignorant comme l’indiquait Marx dans "le 18 Brumaire de Louis Napoléon Bonaparte", que « l’histoire se répète souvent deux fois, tout d’abord comme une tragédie, après comme une farce », Emmanuel Macron aimerait sortir de l’ornière dans laquelle il se trouve en réitérant le coup de la présidentielle. Face à l’extrême droite et au fascisme qui menacerait, il serait le seul recours envisageable. Un jeu de rôle -exercice dont Macron se révèle expert- est d’ailleurs venu conforter la tentative. Viktor Orban le hongrois et Matteo Salvini l’italien ont ainsi fustigé « l’autre camp, celui des européistes dirigé par Macron », pain béni pour Macron répondant « s’ils ont voulu voir en ma personne leur opposant principal, ils ont raison (…) Il se structure une opposition forte entre nationalistes et progressistes en Europe ».

Que nous dit Jean Luc Mélenchon de la situation dans les différents pays d’Europe ? « Je suis très inquiet » commence le responsable de la FI le 20 mai 2018 au grand jury de RTL. « Je ne cesse de répéter que dans toute l’Europe la menace est immense. Parce que en Hongrie c’est déjà des fachos, En Autriche, c’est des fachos, en Pologne ce sont des fachos, en Allemagne il y en a qui apparaissent jusque dans le Bundestag. Et en France… ».

Il y a une similitude évidente entre les positions de JLM et d’Emmanuel Macron. A noter d’ailleurs que le premier possède l’antériorité. Mais peu importe la date. Ce qui compte est la validité ou non de l’analyse, et les conséquences qu’elle devrait imposer en toute logique.

Une analyse erronée

Le spectre des années 30 plane dans les discours de Mélenchon et de Macron. Chacun à sa façon y fait référence. Macron évoque le "populisme" lorsque les peuples aspirent à reprendre leurs affaires en main. Macron et Mélenchon parlent du "racisme" et de la "xénophobie" lorsque des gouvernements européens exigent une politique migratoire différente. Macron dénonce le "souverainisme" que Mélenchon prend garde de ne pas revendiquer lorsqu’un gouvernement en Europe décide une politique contraire aux exigences de l’union européenne, et qualification ultime commune à Macron et Mélenchon, la dénonciation des "fachos" ou du fascisme pour parler pèle mêle des gouvernements hongrois, italien, polonais, de l’AFD en Allemagne, des « démocrates » de Suède, le FPO autrichien, ou encore les gouvernements tchèques, slovaques ou croates, sans omettre chez nous Marine Le Pen et le FN.

L’analyse même succincte des forces politiques concernées dément la parole commune de Mélenchon et de Macron. Aussi désagréable que soient les responsables de ces formations politiques qui progressent dans une série de pays d’Europe, aussi peu fréquentables soient-ils, ils n’en sont pas pour autant les "fachos" ou "fascistes" dénoncés ici ou là. Répondent-ils en effet aux critères élémentaires du fascisme qui se respecte ? L’abolition de la démocratie ? C’est tout le contraire. Ils se réclament de la démocratie et jouent le jeu des institutions et des constitutions qui régissent leur nation. Le refus du suffrage universel ? Ils en tirent leur pouvoir. Un projet totalitaire ? En général -à l’exception de la Pologne- ils font d’excellents adeptes post-soixante huitards sur une série de faits de société érigés chez nous par les médias et les responsables politiques comme l’échelle de valeur de progressisme. Le responsable hollandais Théo Van Gogh par exemple était assassiné en 2004 par un islamiste car il dénonçait l’immigration musulmane au nom des droits des gays et des femmes ! La xénophobie ? Mais qu’ont-ils à envier à Macron parlant des italiens, à Merkel évoquant les grecs, ou Mélenchon des allemands ? Tout cela a d’autant moins de sens que les qualificatifs politiques ne sont utilisés que comme injure, et non pour ce qu’ils veulent dire. Nationaliste ? Ils sont en général assez pro-américain et participent à l’union européenne à laquelle ils reprochent, sans remettre leur appartenance en cause, une ligne trop fédérale et peu démocratique niant les nations, critique qu’il est difficile de ne pas partager. Le racisme enfin ? Sans doute le racisme est-il ce qui a le mieux résisté dans le temps de l’héritage historique propre à chaque nation. La question n’a pas grand chose de moral mais s’inscrit dans une réalité politique, économique et sociale. La destruction des nations sous le coup de la mondialisation que nos gouvernants approuvent et encouragent détruit les nations comme cadre de vie commune. L’immigration est saisie comme une nouvelle menace, agression génératrice de difficultés nouvelles pour les personnes ordinaires. L’opposition à l’immigration, que les bonnes consciences résument à l’opposition aux migrants, trouve des causes là aussi politiques, économiques et sociales dont la « bonne conscience morale » qui qualifie les oppositions à l’immigration comme preuve de fascisme n’a en réalité que peu à faire.

Si l’immigration est le vecteur à l’aune duquel les brevets de respectabilité ou les ordres de bannissement doivent être attribués, si la politique menée en matière d’immigration permet de définir le "fascisme" des uns et de qualifier les "fachos", nous ne sommes pas au bout de nos surprises. Le gouvernement italien à la tête d’un pays qui a accueilli plus de 650.000 migrants est bien plus démocrate que monsieur Macron qui fait contrôler les véhicules dans des check-points improvisés à la frontière franco-italienne. Et en poussant l’absurde jusqu’au bout, bien plus démocrates que Jean-Luc Mélenchon qui oublie de proposer le port de la ville dont il est député à l’Aquarius lorsque les autorités italiennes le font ravitailler et escorter avec assistance médicale jusqu’en Espagne. Si les questions sociétales permettent de qualifier de fasciste l’un, de progressiste l’autre, alors il faut élargir la liste des fachos à une bonne partie des LR, de la manif pour tous. Et il faut dans la foulée donner tous les brevets de respectabilité à monsieur Soros et autres représentants du capital financier qui voient dans l’immigration qu’ils encouragent -au détriment des pays pillés depuis des décennies- le nouveau marché des décennies à venir…

Les propos de Macron et de Mélenchon substituent un sentiment moral à une réalité politique. Le fascisme est une forme de domination du capital qui dans une situation extrême a besoin de détruire physiquement les organisations ouvrières, les syndicats, les associations, les partis, les militants. Lorsque la bourgeoisie ne parvient plus à désamorcer les contradictions explosives de la société, ce sont les bandes armées qui doivent assurer l’essentiel, la centralisation du pouvoir d’état, la destruction des conquêtes ouvrières, la liquidation des organisations ouvrières et démocratiques, l’anéantissement des syndicats, des associations, des partis. Ici rien de cela. En France par exemple, le parti socialiste et François Hollande, à la suite de l’UMP et Sarkozy, et avant Macron et LREM, ont fait le boulot. Pour exister, pour durer, pour remplir son rôle, un mouvement fasciste doit de plus obtenir le soutien actif d’une partie significative du capital. Il lui faut avant de prendre le pouvoir avoir fait la preuve de l’efficacité de ses bandes armées, de ses milices organisées. Il faut à un mouvement fasciste avoir testé son efficacité dans des épreuves de force contre le monde salarié, contre le monde ouvrier. On voit bien que rien de cela ne permet les qualificatifs portés tant par Macron que par Mélenchon.

Progressistes contre fascistes ?

La conséquence de l’analyse qui domine dans les arguments de Macron, mais aussi de Mélenchon, devrait en toute logique pousser à des convergences mortifères. Les tacticiens de la FI risquent fort de se prendre les pieds dans le tapis. L’histoire nous a en effet appris que lorsque le danger fasciste est à nos portes, les démocrates ont pour tâche, quel que soit leurs divergences sur la politique à mettre en oeuvre, de s’unir pour faire barrage à la peste brune. Tel est d’ailleurs le sens de la campagne qu’Emmanuel Macron tente d’impulser pour les prochaines élections européennes, dans le but d’occuper tout le spectre des opposants au "totalitarisme". En toute logique, il ne cherche pas à présenter « le rassemblement des progressistes » aux seuls électeurs traditionnels de la "droite" ou de la "gauche", mais plus largement, à tous ceux qui prennent au sérieux les discours sur les dangers fascistes, populistes, souverainistes. Discours que tiennent notamment les élus de la FI.

C’est d’ailleurs là que Jean-Luc Mélenchon, qui se trouvait à un carrefour il y a encore peu, semble avoir pris un chemin de traverse, sans issue. Alors qu’il est confronté à celui qui aura fait plus et plus vite que ses prédécesseurs, avec un désaveu grandissant dans l’opinion, il accepte un faux consensus qui cache l’essentiel. Au nom des combats imaginaires contre l’ennemi à nos portes, voila les vrais sujets relativisés. Le plan d’austérité en préparation -dont quelques indiscrétions comme par exemple 1600 suppressions de postes au ministère des sports donnent l’ampleur-, la réforme des retraites en cours, les nouvelles amputations dans les revenus, les abandonnés de Parcours sup dans les universités et la part belle faite au privé, les suppressions de postes, etc… Évidemment au cas par cas le leader de la FI réagit, condamne, appelle à mobiliser. Mais que valent les mobilisations si le cadre politique n’est pas fixé. La politique d’Emmanuel Macron relaie celle que dicte l’union européenne lorsqu’elle ne l’anticipe pas. A un an des élections européennes, tel devrait être le cadre, appuyé sur une exigence de souveraineté nationale, de défense de la Nation. Et non ce charabia sur le fascisme dont on voit trop bien la portée et la fonction.

Jean Luc Mélenchon dans une impasse ? Les signaux s’accumulent et comment ne pas les constater ?

Sa prise de distance avec Djordje Kuzmanovic, un des responsables de la FI, en fait partie. Alors que ce dernier a été présenté sans que nul n’y trouve à redire comme « conseiller pour les questions internationales de Jean-Luc Mélenchon », le voici désavoué publiquement en deux temps trois mouvements pour avoir débattu dans le Nouvel Observateur avec la député Clémentine Autain et dénoncé sur l’immigration « la bonne conscience de gauche » qui empêche « de réfléchir concrètement ». Utile hier pour avoir appuyé l’orientation qui durant la présidentielle a permis au candidat de la FI de mordre sur l’électorat du FN en réaffirmant les valeurs de la Nation, du drapeau, de l’hymne, de la république et de la sociale, le voilà aujourd’hui banni publiquement pour les mêmes raisons. Les propos reprochés ? Le soutien apporté au mouvement Aufstehen, dirigé par la socialiste Sahra Wagenknecht, qui qualifie d’« irréaliste » l’idée « d’ouverture des frontières pour tous », un discours « de salubrité publique », le rattachement au « socialisme douanier » de Jean Jaurès, le refus de « tenir le même discours que le patronat », le constat « d’une pression à la baisse sur les salaires lorsqu’il est possible de mal payer des travailleurs sans-papiers ».

Entre le fascisme à nos portes et l’immigration au service de la bonne conscience de gauche, il faut choisir, et Jean-Luc Mélenchon semble avoir fait un choix exprimé dans la condamnation publique de « l’orateur de la France insoumise » que j’avais d’ailleurs invité en tant que tel sur le plateau de mon émission « dans la gueule du loup » sur Le média pour traiter la question de la guerre en Syrie [1].

Quelle est donc la cohérence politique qui mène à dilapider ce qui il y a un an seulement a été accumulé ? Pourquoi donc un tel revirement qui d’ailleurs fait suite à d’autres, passés parfois inaperçus.

Lorsque Benoit Hamon lors de la présidentielle proposait en désespoir de cause, pour tenter de camoufler la déroute du PS, une alliance à Mélenchon, celui-là, fort justement, déclinait au nom du refus de toutes les tambouilles d’appareils, faisant prévaloir l’orientation sur les étiquettes et les petits arrangements. Il tournait une page et laissait penser que cela serait définitif. Pourtant, début septembre, le président du groupe FI à l’assemblée revient sur son indépendance. Ainsi, à l’université d’été de « Cause commune » à Marseille, devant des militants du PS et du MRC, de déclarer : « que finisse cette longue solitude pour moi d’avoir été séparé de ma famille intellectuelle et affective. (...) Parce que si chaleureuse qu’aient été les rencontres qui m’ont permis de construire avec d’autres cette force (LFI), mes amis, vous nous manquez ». Quelle idée et jusqu’où ? Dans la visée de Jean Luc Mélenchon, Emmanuel Morel, Marie-Noëlle Lienneman et… Julien Dray qui ne veut pas être en reste et qui dans le Canard Enchainé indique qu’un rapprochement avec la France Insoumise « est une possibilité » (…) « Je parle beaucoup avec Marie-Noëlle, dit-il, il est clair que si le PS fait une campagne alignée sur la ligne du PSE, je n’en serais pas ». Il ne manque à la liste que Gérard Filoche… Tout cela a un petit goût de « Gauche socialiste » reconstituée, bref, de retour presque 30 ans en arrière…

Que peut bien valoir l’argument de la tactique électorale pour justifier cette tentative de « rassembler à gauche » avec ceux dont l’orientation, la politique suivie, les programmes ont conduit la pays où il est, et porté Macron à la plus haute fonction ? Jean-Luc Mélenchon peut penser qu’après avoir fait ses preuves durant la présidentielle sur la question national et républicaine, il lui faut maintenant donner des gages à d’autres pour rassembler plus largement et en fin de compte imposer sa doxa. Mais cela est illusoire. En fin de compte la farce selon laquelle il se ferait rabatteur d’un PS en perdition n’est pas très loin. Il y a incompatibilité sur le fond entre les partisans d’une mondialisation sociale, d’une union européenne acceptable, "progressiste" et une Europe démocratique, respectant la souveraineté des peuples et la liberté des nations décidant de coopérer librement entre elles.

Jacques Cotta
Le 13 septembre 2018
Lu sur le site La Sociale

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