Mon interprétation de ce qui se passe dans le PCF

, par  Danielle Bleitrach , popularité : 2%

Je réponds à un camarade qui est un lecteur assidu de mon blog et avec qui je partage beaucoup de choses. Il intervient sur le texte de l’ami Polonaise découvrant l’anti soviétisme des cadres du PCF à l’occasion de sa première réunion.

Je crois mon cher Franck que nous ne voulons pas voir ce qu’est devenu le PCF ; cette rencontre qui n’a rien d’anecdotique entre une nouvelle adhérente polonaise et le Parti d’aujourd’hui nous confronte à une réalité politique dont nous avons du mal à maîtriser les tenants et les aboutissants, même nous qui avons vécu pas mal d’événements.

Cela dit tout mon travail intellectuel, les livres que j’écris, tentent d’élucider cette relation entre le passé et l’actualité et je crois que la relation est complexe.

Si l’on prend non pas la célébration de la Révolution d’octobre, les origines historiques du PCF et ce qu’il devient, mais un autre cas emprunté à l’actualité qui est le séparatisme catalan, la répression et la réalité de l’Etat espagnol, on est aussi confronté à une articulation complexe qui est intéressante y compris sur la question qui nous occupe.

En 1978, il y a eu après la mort de Franco un compromis qui a de fait accepté la transition telle que l’avait envisage Franco lui même et surtout les Etats-Unis, le capital international et le capital espagnol issu du franquisme. On a installé la monarchie, le poulain de Franco, Juan Carlos, avec une amnistie pour tout le monde sauf pour les résistants basques et surtout pas de reconnaissance des victimes du franquisme. Le symbole en a été le catafalque de franco dans la vallée des morts tandis que les républicains, les communistes restaient enterrés dans les fossés. Celui qui signe cet acte indigne c’est non seulement le parti socialiste mais le parti communiste avec son chef Santiago Carillo. Il le fait dans le cadre d’une idéologie appelée l’Eurocommunisme et qui est basé sur un autre compromis, celui de la rupture avec l’URSS et la construction d’une social-démocratie qui signe un pacte avec les Etats-Unis.

C’est ce qu’a imposé Mitterrand en France en calmant les Etats-Unis, en leur expliquant à quel point la seule manière d’en finir avec la puissance des communistes c’est de les annexer à un gouvernement qui va mener le néolibéralisme, l’internationalisation des monopoles financiers, la nouvelle phase triomphante du capitalisme en liaison avec une UE qui porte cette politique.

L’Eurocommunisme, c’est un triple mouvement

1) L’Italie avec Berlinguer qui poursuit sur la lignée initiée par Palmiro Togliatti, c’est-à-dire quelque chose né avec la fin du Komintern qui est la voie nationale au communisme (on retrouve la même idée chez Thorez avec le discours de Londres). Parce qu’il y a eu l’expérience soviétique, parce que l’URSS est forte, les pays peuvent trouver leur voie à partir de la situation ainsi créée et aussi leur traditions nationales.

Le parti communiste italien a connu un essor extraordinaire, une véritable hégémonie en adoptant cette ligne mais il se heurte à un blocage pour accéder au pouvoir. Le Vatican et la démocratie chrétienne, la mafia, le capital et les Etats-Unis, le tout uni par divers liens historiques tentent d’empêcher l’accès au pouvoir.

L’Eurocommunisme italien avec Berlinguer va innover. Comme Kanapa en France, Berlinguer est convaincu que « la parabole née de la Révolution d’octobre est terminée » (un des signes est l’absence de démocratie, mais surtout la querelle sino-soviétique et la stagnation économique). En fait on peut résumer tout cela en disant que la crise du capitalisme, celle qui se traduit par la fin des solutions keynésiennes et l’apparition du néolibéralisme, a ses propres effets non seulement sur le Tiers monde mais sur le socialisme réel de surcroit divisé par la querelle sinosoviétique.

Personne ne nie tous ces phénomènes, même Fidel Castro à Cuba met en place en 1983 la politique de rectification. Mais ce qui est recherché d’une issue et qui va déboucher ultérieurement en Chine sur une sorte de NEP, va être pris dans une contrerévolution néolibérale dans laquelle l’Eurocommunisme va être utilisée pour en finir avec les partis communistes européens, le passage à une social-démocratie dont on voit ce qu’elle est devenue dans le cadre européen privilégié.

2) L’Espagne, nous venons de le voir c’est là où la braderie du communisme sera poussé le plus loin, il ne s’agit pas comme en Italie d’un compromis avec la démocratie chrétienne, mais bien d’une acceptation du fascisme et de la monarchie comme base d’une unité nationale qui spolie les Républicains, les communistes et laisse en place le franquisme. la grande victoire c’est une monarchie présentée comme une démocratie et le « enrichissez-vous » devenu le mot d’ordre de la spéculation immobilière entre autres.

3) La France s’est le plus mal dépatouillé avec les « Révélations du rapport Khrouchtchev, les guerres coloniales » et sa propre social-démocratie. Elle s’est jetée dans une union à n’importe quel prix, depuis Guy Mollet envoyant le contingent en Algérie jusqu’à l’opération Mitterrand. Et là-dessus le 22ème Congrès, c’est-à-dire vingt ans après le choix de la politique de Togliatti. Georges Marchais flanqué de Kanapa oscille entre son refus de rompre avec le camp socialiste et sa dénonciation aux atteintes aux libertés. Le choix du programme commun, puis l’arrivée au gouvernement vont accélérer la situation en transformant peu à peu le PCF en force d’appoint. Mais c’est l’application en 1983 du plan Davignon, de la désindustrialisation française sous diktat européen et le tournant de la rigueur, qui va accélérer le refus de l’Eurocommunisme, voir l’antagonisme. La direction du parti est au cœur d’une bataille au sein de sa direction, parce que la majorité autour de Georges Marchais veut sortir du gouvernement, mais les ministres communistes avec à leur tête Fiterman mais aussi Rigoud, vont sur ordre de Mitterrand déstabiliser le parti. Encore aujourd’hui je vois sortir du bois des gens qui à l’époque se taisaient mais qui étaient dans le coup. C’est le discours de Rome de Rigoud qui déclenche les hostilités à l’intérieur du parti en juin 1984 en collaboration avec le PCI qui est allié à Mitterrand, comme le PCE de Santiago Carillo qui lui va encore plus loin.

Quand je vois un Gérard Streiff dont Marchais n’aurait voulu à aucun prix faire une biographie qui transforme Georges Marchais en chantre de l’eurocommunisme, je vois à quel point le passé continue à travailler le présent et à quel point il est là et continue à déterminer les enjeux.

Le détour par ce qui se passe en Catalogne

Mais pour comprendre cela retournons à notre exemple de ce qui se passe en Catalogne. Est-ce que depuis cette époque les choses sont restées en état. Non ! Certainement pas… La Catalogne qui avec le pays basque a été un des hauts lieux de la résistance au franquisme paradoxalement a été la province espagnole qui a le plus profité du dynamisme du capitalisme franquiste, en particulier dans le domaine de la spéculation immobilière et de l’Europe.

Et surtout est intervenu un phénomène essentiel, la crise dite des subprimes dont on ne mesure pas à quel point elle a été une phase de transformation et d’internationalisation du capital. Le vieux capitalisme hérité de Franco a été obligé de s’ouvrir et dans une certaine mesure cela a permis une emprise moindre sur la société. Dans le même temps, la crise s’abattait sur le pays et l’Europe n’était plus l’horizon de la prospérité. C’est dans ce contexte qu’intervient à la veille d’une nouvelle crise financière, une nouvelle bulle, la volonté d’indépendance qui reflète ce qui est hérité du passé dans ses diverses strates et la volonté d’en finir avec ce qui s’est mis en place en 1978.

La violence du choc entre des indépendantistes de la bourgeoisie catalane et le PPE (ses alliés du compromis) reflète une âpre lutte entre fractions du capital, mais aussi les aspirations républicaines, anti-franquistes, de ceux qui veulent en finir avec le compromis mais aussi les victimes de la crise. La seule réponse est de dénoncer la violence et d’aller vers une transformation de la constitution comme une remise en cause profonde du capitalisme prédateur et spéculateur. Bref un vrai parti communiste peut surgir y compris du blocage avéré de la solution PODEMOS.

Parce que le capital, confronté à sa perte d’hégémonie en tant que capitalisme dominé par les Etats-Unis et ses alliés est en plein dans un laboratoire pour trouver des formes politiques capables d’endiguer la colère, mouvements populistes, dépassement de la droite et de la gauche, libéralisme libertaire, le fascisme est aussi un possible, toutes les tendances se conjuguent en attendant de se fixer. L’urgence d’un parti communiste imposant la paix dans la justice sociale, le socialisme, le vrai est incontournable mais il est clair que tout sera mis en œuvre pour l’empêcher.

Ils n’ont pas renoncé à poursuivre Martigues et Hue, oui mais il y a le parti…

Ce long détour pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui au sein du PCF. Toujours en retard d’une étape sur les Italiens, les différents dirigeants du PCF depuis le départ et la mort de Marchais ont systématiquement voulu reproduire la stratégie eurocommuniste. Mais là ils atteignent un sommet ou ils voudraient l’atteindre. Ce moment où sous Ochetto, les dirigeants du PCI vont jusqu’au bout de leur logique. Voyant que le PS italien est complètement déconsidéré, ils débaptisent le PCI et tentent de se mettre à la place du Parti socialiste complètement mort. Aujourd’hui il y a 6 partis communistes italiens qui sont divisés sur des choix tactiques, des questions d’alliance et la social-démocratie ou plutôt le parti démocrate hérité de l’ancien parti fait partie du blocage institutionnel d’un capitalisme en crise dans une Europe en crise. Avec partout et toujours des tentatives « populistes » de se mettre à sa place.

La grande différence est que, quelles que soient ses métamorphoses, le parti communiste français est resté le PCF. Nos dirigeants français ont multiplié les tentatives désordonnées, ils ont détruit le parti dans la mutation, l’ont coupé de sa base ouvrière au congrès de Martigues, puis ils ont poursuivi avec le Front de gauche, ils se sont donnés à Mélenchon et maintenant ils se voient prenant la place des socialistes. Tout cela passe par la fin du parti communiste, le nom et le contenu, la perspective révolutionnaire, la stratégie en ce sens. Plus personne n’a la moindre idée de la manière dont les communistes comptent s’y prendre pour instaurer le socialisme. Même au plus haut point de l’adhésion à l’eurocommunisme à la Française, à savoir le XXIIème congrès, la stratégie pour un socialisme à la française reste au centre de l’analyse politique et le rôle du parti. De ce point de vue il demeure dans la lignée des Révolutions communistes du XXème siècle. Mais à la fois à cause de l’échec de la participation gouvernementale, l’incapacité à infléchir le processus qui force à quitter le gouvernement, et l’offensive menée au sein du parti de ceux qui veulent poursuivre jusqu’à la fin du PCF, la rupture avec l’idée même de Révolution socialiste autant que la remise en cause de la base de classe, leur victoire avec Robert Hue et les successeurs, nous sommes dans un autre cas de figure. Aujourd’hui la reconfiguration de son passé fait partie de cet assassinat soft : on célèbre la révolution d’octobre à travers deux héros, Lénine et Trotski, d’ailleurs on laisse de plus en plus la propagande historique à ce courant trotskiste. On trouve Streiff pour inventer un Georges Marchais eurocommuniste… On ne craint pas trop en revanche le PC chinois qui est loin et ne se mêle pas de l’idéologie des autres et que l’on peut toujours utiliser pour valider n’importe quoi. Dans ce domaine, avec l’aide des trotskistes de plus en plus nombreux dans les instances de direction, nous avons dépassé le stade de l’opportunisme pour glisser vers le révisionnisme et même la falsification.

Oui mais le problème auquel ces dirigeants dont certains étaient déjà là pour mener l’offensive contre Marchais en 1983 et d’autres sont les héritiers directs ou indirects, est l’existence d’un parti communiste qui freine des quatre fers en particulier en ce qui concerne le changement de nom. Il vieillit, mais bien des jeunes ne veulent pas renoncer à l’idée d’un parti révolutionnaire même s’il y a quelques jeunes loups aux dents longues pour qui il faut accélérer le processus entamé au Congrès de Martigues. Ils se heurtent y compris à des gens comme toi mon cher Franck qui marquent une limite à leur offensive, jusqu’à quand ?

Notre véritable atout est ici comme dans les deux autres cas qu’un parti communiste paraît indispensable et qu’il n’existe rien en capacité de le remplacer y compris dans la mémoire historique, alors même que le mécontentement s’accroît.

J’ai souri au récit de ce qui s’était passé le 18 novembre avec les animateurs. Tout le monde a dit à quel point dans « les Ruches » (sic) les discussions étaient passionnantes. Le compte-rendu du questionnaire allait à contrario des projets de la direction, pas question d’en finir avec le PCF au contraire. Mieux pour la première fois depuis longtemps la préoccupation de tous n’était pas la construction des « alliances » mais bien le parti communiste, sa stratégie, son devenir. Un très grand progrès. Bien sûr telle qu’elle est, cette feuille de route peut être détournée mais il y a ces faits. Il est clair que l’on a joué la démocratie de base pour éviter la question de la critique de la stratégie menée jusqu’ici, le Congrès de Martigues, mais quand les communistes s’expriment quel que soit le peu de temps qu’on leur laisse, ils disent des choses importantes.

Donc ce que raconte notre amie polonaise éclaire le trafic qui est mené sur nos mémoires mais aussi la résistance des communistes français.

Danielle Bleitrach

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