Marseille, le mouvement social, les grutiers et les voleurs sur le site Rouge Midi

, par  Charles Hoareau , popularité : 1%

La bataille fait rage pour que le rapport de forces créé dans la rue et les grèves ne prennent pas toute sa force dans les consciences. Le cas de Marseille est ainsi un enjeu national, car il est souvent cité comme exemple d’un mouvement qui serait "catégoriel", "spécifique", "traditionnel"... tous qualificatifs qui cherchent à masquer le fait que l’unité du peuple en action est plus large, plus profonde à Marseille et que celà se sent dans les luttes...

Le texte de Rouge Midi nous parait donc utile à faire connaitre

Régulièrement, lorsque monte le mouvement social en France, ces dernières années d’aucuns s’interrogent sur la force du mouvement marseillais. Ce fut le cas en 1995, en 2003, en 2005, lors du mouvement chômeurs…

Cette année encore Marseille est baptisée « capitale des luttes », ce qui nous fait un peu drôle, n’ayant pas le sentiment de vivre sur une autre planète comparé aux autres régions de France. Marseille et sa région connaissent comme ailleurs leur lot de fatalisme, d’individualisme, le faible taux de syndiqué-e-s…et entrer en action, ici comme partout, ne relève pas d’un automatisme quelconque.

Sociologues, politiques et journalistes avancent des explications pas toujours très convaincantes (comme celles parlant du tempérament méditerranéen) ou carrément cocasses, comme celles expliquant la force des grèves par la « rivalité syndicale » [1] – comme si la division avait été une seule fois facteur de mobilisation – argument avancé qui plus est dans un moment où l’unité syndicale a rarement été aussi large pour une durée aussi longue.

Ce qui frappe le plus à la lecture de ces analyses et commentaires c’est le peu de références à l’histoire ou aux démarches des organisations syndicales pourtant à l’origine des mobilisations, comme si c’était un fait établi que de tous temps Marseille avait été un lieu de prédilection de la révolte : y a grève ? C’est normal c’est à Marseille. En somme selon eux la lutte serait un gène marseillais.

Nos brillants observateurs de la lutte ont-ils oublié la révolte des canuts à Lyon ou la commune de Paris ? Se rappelle-t-on que le 14 juillet 1935 la manifestation parisienne rassembla 500 000 personnes et que l’année d’après le mouvement démarra du Havre pour ensuite gagner Toulouse avant de faire tâche d’huile dans le pays tout entier ? En 1947 la première grève eut lieu à Boulogne Billancourt avant de s’étendre aux mines du Nord et à la métallurgie parisienne.

Plus près de nous, lors de la journée historique du 13 mai 1968, alors qu’on dénombrait 1 million de manifestants à Paris, Marseille en comptait 50 000 ce qui était beaucoup, certes, mais logiquement bien loin de la capitale et sans commune mesure avec les manifestations que connait ces dernières années la cité phocéenne.

De même il semble hasardeux, comme le font certains, d’expliquer la force des manifestations marseillaises par le poids important de la fonction publique dans cette ville tout simplement parce que Marseille n’a pas le monopole de cet état de fait. Ce qui est vrai par contre, c’est que partout en France, à Marseille comme ailleurs, le démantèlement des grandes entreprises privées, la casse de nos industries, la parcellisation des productions, le développement du chômage et de la précarité ont affaibli la capacité de riposte du secteur privé, capacité symbolisée naguère par l’expression : « Quand Boulogne Billancourt éternue, la France s’enrhume ».

Si la destruction du tissu industriel marseillais n’a pas affaibli notablement les capacités de lutte du monde du travail de Marseille et sa région, si celles-ci semblent même s’être renforcées dans la dernière période, le phénomène est assez récent.

Cela remonte à une vingtaine d’années qu’à Marseille les mouvements sont devenus comparativement plus forts et plus tenaces qu’ailleurs. Au-delà des éléments externes au mouvement syndical et qu’il ne s’agit pas de nier, il y a des évènements et une démarche syndicale que personne ne relève et qui semblent pourtant déterminants.

« La solidarité n’est pas un champignon qui pousse en une nuit » [2]

A Marseille pas plus qu’ailleurs, la solidarité nécessaire à toute lutte n’est inscrite irréversiblement dans le patrimoine, même si des traditions contestataires existent [3].

La solidarité est une notion qui se travaille au même titre que la conscience d’appartenir à une même classe. En 1988 il y eut dans ce département des Bouches du Rhône la grande grève des mineurs de Gardanne qui allait durer 4 mois et pour laquelle les militant-e-s du département furent appelés par la CGT à verser chaque mois une journée de salaire afin que les mineurs gagnent. A l’entrée de la bourse du travail un immense tableau papier de plus de 3m de haut portait mois après mois les sommes et la source des dons tant individuels que collectifs. Tout au long des 4 mois il y eut des assemblées de militant-e-s du département avec comme seul ordre du jour : comment aider les mineurs à gagner ? Evidemment cette solidarité fut un élément déterminant de la bataille et ce bien au-delà de la question financière. Comment voulez-vous arrêter une grève quand vous savez que des centaines de syndiqué-e-s donnent ce qu’ils ont pour votre victoire ? Quand les mineurs gagnèrent ce fut bien sûr la victoire de tout un département.

Le même dispositif fut repris l’année suivante dans le combat de La Ciotat pour son chantier naval. Les manifs départementales tant à Marseille qu’à La Ciotat ou Paris se succédèrent, toutes les unions locales CGT du département (comme nombre de mairies à direction communiste) portèrent des banderoles avec inscrit : LA CIOTAT VIVRA ! Le combat dura des années, la mobilisation aussi. Le combat pour La Ciotat devint national et bien sûr cela renforça encore une solidarité qui marquera durablement la CGT de ce département. Dans la foulée de ces deux luttes, il y eut les deux longues grèves des traminots pour la défense du service public, grèves portées avec autant de force par l’ensemble de la CGT, les luttes des chômeurs pour lesquelles la CGT départementale consacra des moyens comme nulle part ailleurs en France, luttes qui s’enracinèrent dans les quartiers populaires auprès de populations que nulle autre organisation ne rejoignait.

Cette démarche syndicale non seulement renforça la CGT, mais elle créa aussi un climat qui dépasse encore aujourd’hui les frontières de l’organisation syndicale et rejaillit sur l’ensemble du mouvement social. Climat de confiance dans la lutte et perception du fait que pour gagner il faut un engagement fort des actrices et acteurs de celle-ci. Bien plus sûrement que le climat ou le tempérament, la spécificité marseillaise s’explique grandement par cela.

« Désormais en France quand il y a une grève personne ne s’en aperçoit » [4]

Le moins que l’on puisse dire c’est que ce n’est pas encore demain que le président de la république va devenir prophète ! Droite et patronat qui riaient à son allocution de 2008 ne rient plus du tout et s’aperçoivent qu’il y a des grèves… Alors ils s’emportent, font feu de tout bois et mènent une guerre médiatique d’autant plus intense que malgré une campagne publicitaire qui a coûté fort cher au peuple de France (ce qui n’a pas gêné ceux qui nous gouvernent), ce dernier dit haut et fort et de manière de plus en plus massive, qu’il faut abandonner cette réforme mauvaise et plus largement la régression sociale ça suffit !

Comme le mouvement actuel prend chaque jour – et ce n’est pas nous qui allons nous en plaindre – une dimension plus large, la bataille des retraites n’en étant que le catalyseur, gouvernement et patronat essaient pitoyablement de disséquer le mouvement et d’isoler les motifs de mécontentement comme s’ils n’étaient pas liés les uns aux autres car résultant des mêmes choix politiques. Là encore Marseille et sa région se trouvent au centre des attaques, en témoigne la récente campagne contre une profession portuaire montrée du doigt de façon scandaleusement mensongère [5], en jouant en plus sur l’amalgame, portuaires et dockers. Rappelons ici que plus de 500 employé-e-s du port sont dans l’action, entre autres, contre une loi qui privatise les ports, c’est-à-dire veut donner à quelques individus ce qui relève jusqu’à présent du bien commun. Au passage on est d’ailleurs surpris, que celles et ceux qui crient que la CGT a tué le port, que ce dernier est au bord de l’agonie, soient les mêmes qui piaffent d’impatience de reprendre pour eux-mêmes une affaire aussi calamiteuse !

Faut-il rappeler ici que les milliers de travailleurs en grève de l’enceinte portuaire, et parmi eux moins de 40 grutiers (qui gagnent 2140€ après 10 ans d’ancienneté pour 151h par mois), le sont, comme leurs autres camarades de la chimie, des cantines scolaires, du conseil général, des impôts, d’Air France, de la SNCF… pour une autre répartition des richesses ? Et c’est ça qui dérange les supporters de la bande du Fouquet’s au pouvoir. Connaissant leur appât du gain, il y a fort à parier que si les grutiers (comme hier les conducteurs de TGV ou les agents EDF qui ont subi les mêmes campagnes) avaient les conditions de travail annoncées, les membres de l’union patronale se bousculeraient au portillon de l’embauche… à moins qu’ils ne gagnent encore plus…

Qu’ils soient rejoints dans leur campagne par des élus socialistes locaux n’a rien de surprenant quand on connait le nombre de barons de ce parti qui, dans la lignée d’un Gaston Deferre fêtant son 3ème milliard [6], ont fait fortune grâce à l’exploitation des travailleurs du port. Loo, Andrieux, Guérini, Ménucci, on ne compte plus ces édiles qui sont patrons avant d’être élus et qui naturellement à chaque conflit de cette nature rejoignent les intérêts de leur camp.

Les chiffres qui ne révoltent pas… tout le monde

Si on ne connait aucun grutier ni aucun autre salarié d’ailleurs qui a pu faire fortune par son travail, l’actualité vient nous rappeler qu’il en est pour faire fortune et pas qu’un peu sans que ça dérange le MEDEF… évidemment !

Selon le Rapport 2010 sur la richesse mondiale de l’Institut de recherche de Crédit Suisse la richesse mondiale a progressé de 72% au cours des dix dernières années, pour atteindre 195.000 milliards de dollars. La France, avec 2,2 millions de millionnaires, soit 9 % du total mondial est la troisième terre d’asile des millionnaires. Loin devant l’Italie (6 %), la Grande-Bretagne (5 %), l’Allemagne (5 %), le Canada (4 %) et la Chine (3 %), mais derrière le Japon (10 %) et surtout les États-Unis (41 %), qui comptent 9,94 millions de millionnaires.

L’Europe fournit 35 % des plus riches, la France fournit un quart de ce contingent. 24,4 millions d’individus (0,5 % de la population) détiennent plus d’un million de dollars de richesse, soit 35,6 % des richesses mondiales. L’étude révèle que 3,03 milliards disposent de moins de 10 000 dollars de richesse, ce qui signifie que 68,4 % de la population mondiale ne possède que 4,2 % de sa richesse. Si l’on prend en compte la richesse moyenne par adulte, les Suisses sont à la première place. Ils se placent devant la Norvège, l’Australie et Singapour. La France se classe cinquième et les États-Unis septièmes.

N’en déplaise au MEDEF et au gouvernement, c’est exactement pour changer ces chiffres-là, qu’au côté des grutiers et de tant d’autres, nous sommes dans un combat que nous ne lâcherons pas, contre celles et ceux qui s’accaparent le bien d’autrui : en français cela se nomme des voleurs.

Quelques photos de la manif du 12 octobre à Marseille. Cliquer ici

Et là

Voir en ligne : sur le site de rouge midi

[1La Provence du 5 octobre

[2Bertolucci film 1900

[3On pense en particulier à 1981 et à ce meeting avec Georges Marchais qui avait rempli le stade vélodrome lors de la campagne de l’élection présidentielle où ce dernier était arrivé en tête dans cette ville

[4selon Sarkozy qui a encore perdu, le 6 juillet 2008, une occasion de se taire

[5si vous ne l’avez pas vue, il s’agit de la publicité disant que les grutiers qui gagneraient 4000€ par mois pour 18h de travail par semaine seraient en grève pour 450€ de plus...

[6et dont les liens avec la mafia locale et un certain Guérini ont été maintes fois dénoncés

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