Mais quelle est donc la contradiction principale ? contribution écrite le 13 avril, proposée et discutée pour publication sur le site

, par  Jean-Claude Delaunay , popularité : 2%

La contribution transmise par Jean-Claude Delaunay nous a été proposé le 13 avril. Nous avons échangé par mail avec lui pour souligner des points qui peuvent faire polémique et rechercher les meilleures conditions pour que ce texte soit utile au débat nécessaire.

La violence du résultat du 1er tour et la colère de nombreux militants devant le piège qui s’est refermé sur nous pour le 2eme tour a conduit à accélérer la publication.

Mon texte Quel avenir pour le parti communiste ? est une tentative d’ouvrir le débat à la hauteur du défi auquel les communistes sont confrontés. Il a été écrit après la lecture de celui-ci, et tient compte d’un constat qui émergeait de discussions précédentes, mais qui était pour la première fois formulé clairement par Jean-Claude Delaunay, le capitalisme n’est visiblement pas sur sa fin...

Il reste que l’appréciation sur les contradictions principales et secondaires, la réalité des luttes de classes et leur traductions politiques nécessitent un effort collectif urgent. C’est pourquoi la contribution de Jean-Claude est utile, et faite pour être critiquée, contredite, confirmée ou enrichie. Il nous interpelle sur des questions très actuelles, la nature du FN, l’enjeu de la sortie de l’UE dans le débat politique...

pam

Pierre-Alain Millet a évoqué, dans un texte récent, l’immense effort politique qu’il faudra selon lui accomplir pour mettre en mouvement les masses populaires de ce pays et les aider à changer leur vie. Comparé à l’un de ses textes de février 2017 portant sur 5 propositions d’un programme communiste pour «  bousculer le rapport de force », cette dernière réflexion me paraît plus réaliste. Centrée sur le seul thème de l’emploi, elle se présente comme un essai concret de réponse à un problème immédiat : les travailleurs, en France, veulent un emploi stable et le revenu qui va avec. Mais manifestement, ils ne croient pas à ce qu’on leur raconte à ce sujet.

PAM avance donc 5 propositions pour satisfaire cette exigence de manière renouvelée. C’est en même temps un texte appelant à l’examen collectif et à l’approfondissement. Je souhaite y contribuer sans phrases excessives. Je vais d’abord développer 3 points. Je reviendrai en conclusion sur les propositions que PAM soumet à la discussion.

L’état actuel du monde et de l’économie française dans cet ensemble ?

Ce premier point vise à rappeler des analyses qui sont aujourd’hui à peu près claires concernant l’état actuel du monde. Quatre idées organisent ce premier point.

1) La première est que notre époque est l’héritière d’une crise globale des structures capitalistes, apparue au cours des années 1970. Le capitalisme monopoliste d’Etat, qui fut la forme typique de fonctionnement du capital des pays développés après la deuxième guerre mondiale, montra alors ses limites. Ces phénomènes ont été abondamment étudiés. Le programme commun de gouvernement de la gauche fut un essai pour faire face à ces limites. Il a échoué pour des raisons qui sont encore en discussion. Cet échec a marqué et marque encore les esprits et les comportements.

2) La deuxième idée est que les grandes entreprises capitalistes et leurs Etats ont alors mis en œuvre « une autre solution », celle de la mondialisation capitaliste. Cette dernière a reposé sur la libéralisation, complète en théorie mais diversifiée dans la pratique, des flux de marchandises, des flux humains, des marchés du travail, des investissements, des secteurs publics, de la vente et de l’achat des entreprises, des inventions, de la finance, de la monnaie, du capital-argent, des taux d’intérêt, et de tout ce qu’il était possible de sortir de l’influence étatique et démocratique.

Avant 1980, les sociétés conduisaient tant bien que mal leur destinée. Elles entretenaient entre elles des relations internationales. Elles fonctionnaient sur la base de législations compensatrices des déséquilibres capitalistes. Après 1980, leurs destinées sont passées sous la conduite des marchés financiers, c’est-à-dire du grand capital financier, qui est devenu à peu près totalement incontrôlé. Pendant 20 ans, ce système a produit des effets certes négatifs pour les travailleurs dans les pays développés mais positifs pour le grand capital, qui s’est déployé dans le monde. Le système socialiste de type soviétique s’est effondré au cours des années 1990. Les dirigeants du monde capitaliste ont cru qu’ils avaient trouvé « LA SOLUTION ». La crise économique de 2007-2008, qui n’est pas résorbée, est venue sonner le rappel de ces illusions.

3) La troisième idée a trait aux conséquences de la mondialisation capitaliste sur le développement économique des pays dits du SUD. Il s’est produit une coïncidence heureuse entre, d’une part, la quête, par le grand capital des pays développés, de nouvelles sources d’exploitation et de nouveaux marchés et le besoin de développement des pays du Tiers-monde, d’autre part. Le capitalisme n’a donc pas terminé son existence avec la crise profonde et durable des années 1970. Il a trouvé, dans la mondialisation capitaliste et dans les pays en développement qui en avaient les moyens, la chance d’un nouveau rebond.

Certes, cela n’a pas mis fin aux crises qui le traversent en permanence. Celles-ci, au contraire, ont été amplifiées suite à la destruction des filets de sécurité qui fonctionnaient antérieurement au plan national, alors même qu’il n’existe pas d’Etat mondial susceptible d’en compenser certains effets.

En outre, le déploiement mondial du capital s’est traduit par l’accroissement des inégalités entre les différents pays du monde. Certains d’entre eux, comme la Chine ou l’Inde, sont entrés dans l’ère de l’industrialisation et de la vie moderne. Les investissements étrangers ont aidé à ce décollage. D’autres, au contraire, ne recevant même plus les miettes publiques que leurs distribuaient autrefois les Etats les plus riches sont entrés dans un état de misère encore plus grande. D’autres, ont été détruits par les pays développés, voulant en contrôler sans faille les ressources naturelles.

Enfin, la mondialisation du capital a engendré des formes visibles de surexploitation du travail dans tous les pays, sous-développés comme développés. Dans les pays sous-développés, les travailleurs acceptent ces formes pour que la raison que, n’ayant absolument rien, ils ont le sentiment de sortir de leur misère. Dans les pays développés, où les travailleurs ont réussi, par leurs luttes et leur épargne, à gagner un petit quelque chose, le sentiment général justifié est celui de la régression.

Le système capitaliste et ses rapports sociaux ont donc profondément évolué au cours des 50 dernières années. Les pays du monde entier ont été et sont bouleversés par cette évolution, qui s’accompagne de fortes migrations de population. Il s’agit, bien souvent, pour elles, de survivre en fuyant la misère.

Et pourtant, le système capitaliste en tant que tel n’a pas fini d’accomplir sa mission historique, qui est de contribuer à la production « des choses matérielles », à l’industrialisation du monde. Les pays de Tiers-monde (80% de la population) avaient essayé « les solutions socialistes » pour se développer. Mais ils ont pris conscience de ce que le moyen le plus rapide de le faire était de recourir au capitalisme, fût-ce sous contrôle. Ce dernier n’est donc pas mort.

4) La quatrième idée a trait aux organisations régionales, formées après 1945 ou au cours de cette période. L’une d’elle, l’Union européenne, nous concerne de très près, évidemment. Le premier traité important relatif à cette union fut signé en 1957, avant, par conséquent, que ne s’affirme le processus de mondialisation capitaliste. Mais ce dernier s’en est emparé et les forces sociales qui le dirigent ont réussi à lui donner la forme qu’elles souhaitaient lui donner :

a) être un chaînon intermédiaire de rationalisation des rapports entre les pays développés européens, généralement de petite taille, et le marché capitaliste mondial,

b) harmoniser et intensifier les règles de l’exploitation capitaliste sur le territoire européen lui-même, ou à ses frontières. Le mécanisme de la monnaie unique placé sous la direction du grand capital allemand, est la forme résumée de ces exigences.

Cela dit, le chaînon intermédiaire, que l’on peut appeler « La Petite Mondialisation », n’a pas fait mieux que la chaîne tout entière, « La Grande Mondialisation ». L’Union européenne est un échec tout comme la Mondialisation capitaliste.

Au terme de cette présentation, je tire, pour ma part, 4 conclusions pour ce qui concerne les préconisations immédiates relatives à l’emploi salarié en France :

1) Le problème majeur actuel que l’on doit aider les salariés de ce pays à résoudre n’est pas tant celui de la sortie et de l’abolition du capitalisme, que celui de sa maîtrise, de son guidage, de son recul, tant au plan national qu’européen et mondial. Dans ce processus, un certain nombre de capitalistes ont leur place. Mais les prolétaires devront assurer un rôle, en tout cas moral, de guidage effectif.

2) Les destructions engendrées par la mondialisation capitaliste ne seront pas réparées en quelques minutes. Ce ne sont pas seulement des destructions de répartition. Ce sont aussi des destructions de production, de rapports sociaux de production. Pour réparer, il faut, il faudra choisir ce qui doit être réparé en priorité.

3) La solution de ces problèmes obligera les forces révolutionnaires, en France, à affronter celles qui orientent et commandent la mondialisation capitaliste. Ces forces révolutionnaires devront trouver des alliés.

4) Elles devront également affronter les forces dirigeantes de l’Union européenne, qui est le complémentaire régional de la mondialisation capitaliste. Or l’Union européenne n’est pas réformable. Delenda est. Mais à l’intérieur de l’Union européenne, la France devra également trouver des alliés.

La contradiction principale sous-jacente à la crise européenne et mondiale actuelle du capital est déterminée par la structure sociale du capitalisme financier mondialisé

S’interroger sur la contradiction principale de la situation que l’on observe vise à mieux cerner les forces sociales et politiques sur lesquelles le mouvement révolutionnaire peut et doit prendre appui ainsi que les forces sociales et les organisations politiques à combattre.

Avec la théorie de Marx, il est clair que la contradiction principale caractéristique de la crise sévissant actuellement en France est celle entre le Capital et le Travail. Ce résultat est bien connu. Comme l’écrit PAM, « seule l’intervention organisée et unie du monde du travail peut faire reculer le capital mondialisé et son cortège d’inégalités et de violences ».

Je crois, cependant, qu’il serait insuffisant d’en rester à ce niveau d’analyse, et que, en raison même de l’existence du processus actuel de la mondialisation capitaliste, totalement nouveau par rapport à ce qu’analysait Marx, il convient de se demander s’il n’y a pas lieu d’enrichir cette conceptualisation de base. Je vais décomposer ma réponse à l’aide de 3 sous-points.

1) Premier sous-point. Dire que la contradiction principale dans le capitalisme est celle du Capital et du Travail est un énoncé banal. C’est aussi un énoncé de base, quelque chose qu’il convient de ne jamais oublier. Pour les marxistes, la contradiction pouvant expliquer toute crise économique dans le contexte du système capitaliste, est celle existant entre les capitalistes et les travailleurs. Il s’agit, pour eux, d’une contradiction profonde, ne pouvant être dépassée que par « la négation » de l’un des sujets de la contradiction. Comme ils disent, elle est antagonique. Dans la mesure où elle se déploie aujourd’hui dans un contexte mondial, certains en déduisent même que l’histoire contemporaine aurait atteint la phase ultime d’existence du capitalisme. J’ai déjà, dans le point précédent, mis en doute cette conclusion et je vais y revenir, tout en expliquant le contenu de cette contradiction.

Pourquoi cette contradiction est-elle « basique » ? Pour les marxistes, l’économie est le fondement de toutes les activités sociales, qui ont nom : production, partage de la production, recommencement de la production. Selon eux, l’interprétation de ce processus, de sa dynamique, en serait donnée par la connaissance des rapports de propriété privée s’exerçant, directement ou indirectement, sur les moyens de production, de commercialisation, de financement, et sur la production. Or la contradiction en question porte sur l’ensemble du produit et sur le partage, qui s’en déduit, entre les profits et le reste. C’est donc la contradiction principale. Les classes sociales qui sont motrices de cette contradiction sont les classes sociales fondamentales.

La contradiction Capital/Travail, c’est à peu près ça. Sans m’expliquer davantage, je rappelle que cette contradiction est, c’est ma conviction, constitutive de la vie quotidienne de tous les salariés, publics et privés, et qu’un certain nombre de petits patrons, qui sont aussi des travailleurs, en subissent eux aussi, et parfois durement, les effets.

Raisonner à partir de cette contradiction, disent les marxistes, revient à s’en référer à l’essentiel. Car il existe d’autres contradictions, certainement plus visibles, plus immédiatement ressenties, mais qui ne sont que les dérivées de la contradiction principale. Ainsi en est-il, par exemple, de la contradiction pouvant exister, dans la crise, entre les travailleurs eux-mêmes, sur le marché du travail, ou même entre les possédants, les entrepreneurs, sur le marché des produits et pour le partage du profit. La crise peut les opposer entre eux de manière visible et brutale.

Toutefois, derrière ces contradictions quasiment palpables et d’origine concurrentielle, se tient, disent encore les marxistes, la contradiction essentielle entre Capital et Travail. Car la contradiction entre travailleurs ne porte que sur les salaires, lesquels sont une fraction du produit total. La contradiction entre les capitalistes ne porte, elle aussi, que sur une fraction du produit total, le profit macroéconomique. Ce sont donc des contradictions de second ordre, alors que la contradiction Capital/Travail porte sur tout le produit. C’est elle qui, simultanément, met en mouvement l’ensemble de la société.

2) Deuxième sous-point. Je crois que tel est le schéma de raisonnement inconsciemment mis en œuvre aujourd’hui, en France, par une partie de l’opinion publique, à l’égard des travailleurs étrangers, plus généralement de l’immigration, et de la perception de leurs rapports avec les travailleurs et la population française. La crise économique serait marquée par deux sortes de contradictions : une contradiction Capital/Travail et deux contradictions Capital/Capital et Travail/Travail. La contradiction Travail/Travail serait, comme la contradiction Capital/Capital, de nature secondaire.

De plus, si on laisse de côté la contradiction Capital/Capital (celle entre les entreprises), cette partie de l’opinion publique estime qu’il serait toujours possible de trouver, voire d’inventer des contradictions économiques et raciales entre les travailleurs pour dédouaner le Capital de ses propres responsabilités, tout en entraînant une partie de la population pauvre et modeste dans des voies sans issues. Tenir pour important la contradiction entre Travail des résidents en France et Travail des étrangers signifierait que l’on prendrait le secondaire pour l’essentiel, tout en risquant de se fourvoyer dans des impasses idéologiquement dangereuses.

Les spectres du fascisme et du nazisme sont présents derrière ces interprétations, plutôt favorables à l’immigration. La vraie contradiction principale serait la contradiction classique, celle opposant le Capital et le Travail. Les trotskistes du NPA, par exemple, qui sont des ayatollahs du marxisme, préconisent l’ouverture complète des frontières aux travailleurs du monde entier, sans doute pour la raison que, indépendamment de leur tendance naturelle à l’irresponsabilité politique la plus totale, cette contradiction ne serait, selon eux, que secondaire.

3) Troisième sous-point. Ce que je crois, cependant, est que cet énoncé, bien que fondamental, est une abstraction. Pour l’instant, je ne fais même pas allusion au fait qu’il relève de l’économisme le plus complet. Comme si les habitants d’un pays ne vivaient que dans « des rapports de production » ! C’est avoir une approche bien étroite du marxisme que de réduire la vie dans un pays à ce genre de vision économique exclusive.

Cela dit, en s’en tenant au seul niveau de l’économie, s’en tenir, sans autre examen, à la seule contradiction « Capital/Travail », c’est comme parler du capitalisme en général. Or il n’y a pas de capitalisme en général. Il existe, il a existé, par exemple, un capitalisme commercial, un capitalisme industriel, un capitalisme financier, et ainsi de suite, et dans chacune de ces déterminations, de nouvelles déterminations aident à préciser les premières.

Si l’on veut sortir des platitudes et surtout éviter l’erreur, il faut préciser de quel capitalisme on cherche à décrire la contradiction fondamentale. Selon moi, l’abstraction que je critique a le défaut majeur de ne pas tenir compte de la situation concrète, de ce qui se passe réellement aujourd’hui. Les marxistes ne peuvent prétendre être scientifiques (ce sont d’ailleurs eux qui le disent et nul n’est forcé de les croire) que s’ils tiennent compte des faits.

Il me semble, précisément, que 7 catégories de faits au moins doivent être intégrées à l’analyse marxiste du capitalisme contemporain pour répondre à la question que j’ai soulevée en tête du présent article. La société contemporaine n’est pas structurée par « le capitalisme » (ce qui est une généralité). Elle est aujourd’hui structurée par « la mondialisation capitaliste financière ».

Je suis personnellement très critique de celles et de ceux pour qui « le capitalisme » a toujours été mondial, et qui, pour cette raison, se croient autorisés à ne pas tenir compte des différences profondes existant entre les diverses étapes de l’histoire. Comme le capitalisme aurait toujours été mondial, du coup, le capitalisme contemporain serait comme les autres, et basta.

Non, cette démarche n’est pas scientifique. Il faut observer les faits. A supposer que le capitalisme ait toujours eu une vocation mondiale, les rapports qui l’ont structuré ont varié d’une époque à l’autre de mondialisation. Cela veut dire que, selon moi, la mondialisation capitaliste contemporaine n’est pas « un petit quelque chose » dont il faudrait saupoudrer le concept de capitalisme pour savoir comment fonctionnent les économies aujourd’hui.

La mondialisation capitaliste contemporaine est la forme moderne du capitalisme. C’est la structure essentielle du capitalisme contemporain. Elle a un nom. Pour ma part, je l’appelle « capitalisme financier mondialisé ».

Si l’on raisonne de cette manière, il se dégage de cette perception des rapports sociaux actuels une analyse de la contradiction principale entre Capital et Travail que je crois plus exacte que celle découlant du modèle marxiste abstrait que j’ai évoqué ci-dessus. Les 7 catégories de faits que je retiens sont les suivantes :

a) Dans le contexte de la mondialisation capitaliste, le rapport entre Capital et Travail est, médiatisé par les Etats, les Nations, les Grandes organisations internationales, les grandes firmes multinationales, les populations. Le rapport Capital/Travail n’est pas un rapport direct, c’est un rapport médiatisé. Par conséquent, les éléments de la médiatisation sont des acteurs concrets, certains très puissants, d’autres de rang inférieur, du processus considéré.

b) La mondialisation capitaliste contemporaine induit que le Capital fonctionne de plus en plus comme capital fictif. Pour Marx, dans Das Kapital, le capital fictif (de même que la monnaie) étaient l’aboutissement de sa réflexion théorique. Aujourd’hui, le capital fictif est le point de départ permanent et régulier du fonctionnement du capitalisme mondialisé. Le rapport général entre capital et travail prend donc aujourd’hui la forme concrète spécifique du rapport entre Capital fictif et Travail. Ce rapport n’est pas le même que celui existant entre Capital et Travail au sein du capitalisme industriel de la machine-outil.

c) La mondialisation capitaliste engendre d’importantes migrations de populations. Celles-ci se déplacent pour des raisons économiques de survie, que ce soit par suite de l’appauvrissement extrême de leur économie ou de destructions guerrières impérialistes. Cela fut déjà vrai au 19ème siècle : les migrations irlandaises, polonaises, allemandes, etc. Mais aujourd’hui, il semblerait que ce processus touche l’ensemble des populations du monde, à une époque où la population en général a fortement augmenté.

d) Les entreprises multinationales jouent le plus rôle actif dans la mondialisation du Capital et du Travail. Elles poussent à la formation d’un tissu mondial de places financières. Elles définissent de nouvelles lois de fonctionnement du marché capitaliste mondial et de nouvelles règles de formation de la valeur des marchandises. Elles impulsent de nouvelles technologies, de nouvelles règles de management des entreprises. Elles tendent à se subordonner, autant qu’elles le peuvent, toutes les populations du monde, toutes les ressources du monde.

Elles interviennent également et prioritairement sur le Travail à l’échelle mondiale. Elles le façonnent et le répartissent selon leur besoins. Dans ce processus, par exemple, le Travail est scindé en plusieurs segments. L’un est lié aux territoires nationaux et à leur Etat (les administrations, les activités du marché intérieur), l’autre est lié aux territoires du monde prospectés par ces multinationales. On observe, par ailleurs, que ces entreprises refusent de payer l’impôt national pour des motifs de compétitivité mondiale. Pour les mêmes raisons, elles soutiennent toute politique de réduction drastique des services publics nationaux, ainsi que des acquis sociaux des travailleurs. De manière générale, leur action mondiale, qui a une origine privée, est évidemment engagée sans aucune précaution et sans souci des conséquences. L’intérêt collectif n’est pas leur problème.

e) Pour agir mondialement, les entreprises multinationales ont créé progressivement et de manière expérimentale un tissu complexe d’organisations internationales. Elles continuent à le faire. Elles contribuent à l’élaboration d’accords divers entre les Etats, entre les zones économiques. Le socialisme de type social-démocrate puise dans ces organisations une partie de ses ressources humaines dirigeantes.

f) Compte tenu, via la mondialisation capitaliste, de la généralisation du mode capitaliste de production à toute la planète (c’est-à-dire à 80% de populations supplémentaires par rapport au monde de 1970), la contradiction Capital/Travail s’est doublée de la contradiction Capital/Nature. Certes, cette contradiction est apparue avant 1970. La recherche désespérée du développement économique s’est accompagnée, dans certains pays, de vastes destructions naturelles. Dans les pays développés eux-mêmes, la nature a été mise à contribution de manière irréfléchie et dangereuse. Mais avec la mondialisation capitaliste, ce processus a encore pris de l’ampleur. On observe aujourd’hui la tendance spontanée du capitalisme à transformer certains Etats en vastes poubelles, à déverser sur d’autres pays les productions les plus polluantes. Certains gouvernements prennent, dans ce cadre, des décisions planétairement irresponsables, comme celles actuellement en cours aux Etats-Unis. Pour prendre place dans la compétition économique mondiale, ces pays sont prêts à réduire les frais sociaux de production de tous les faux-frais liés à la protection de la nature.

g) Enfin, on ne peut manquer d’observer que la mondialisation capitaliste contemporaine, bien qu’économique dans ses motivations, agit comme un phénomène social total. Ce ne sont pas seulement les aspects matériels de la vie des sociétés qui sont bouleversés et mis en rapport. Ce sont aussi leurs dimensions idéelles, intimement liées à leurs dimensions matérielles. Les religions, qui sont au principe de la formation des sociétés, sont aux premières loges de cette confrontation souvent brutale. Je vais faire état, ici, d’une distinction sémantique, que je trouve commode et de bon sens, entre les civilisations et les cultures. Je suis évidemment prêt à écouter ce qu’en disent les anthropologues.

Les civilisations exprimeraient, selon moi, notre commune humanité. De ce point de vue, elles seraient toutes équivalentes. Les cultures exprimeraient au contraire, les diversités et différences découlant de l’histoire des sociétés, et notamment de la dynamique de leurs rapports sociaux. Je respecte, pour ma part, toutes les civilisations. Il me semble, en revanche, que les cultures ne se valent pas. Il faudrait certes, aller au-delà de ces premières intuitions, ne serait-ce qu’en raison des relations qui s’établissent entre les civilisations et les cultures. Le fait remarquable est, toutefois, que la mondialisation capitaliste oblige, de manière quasiment quotidienne, à entreprendre ce genre de recherche, à y réfléchir, à en tirer des conclusions pratiques.

Dans ce contexte, d’autres contradictions mériteraient certainement d’être mentionnées ou examinées. L‘agriculture, par exemple, est une activité fortement mondialisée quoique dotée de particularités. Comment la mondialisation capitaliste s’empare-t-elle de ces particularités ? Ou encore : Le capital industriel est certainement, de tous les capitaux réels, le plus susceptible d’être mondialisé. Mais peut-on, par exemple, développer dans un pays une recherche scientifique nationale conséquente si le tissu industriel de ce pays est complètement éparpillé et mondialisé ?

Pour résumer ce que j’estime être les traits principaux de l’incidence de la mondialisation capitaliste sur les Etats et les nations des années 1950-1970 (les 7 aspects précédents), je dirai que le système capitaliste relève d’une dialectique nouvelle, faite de rapports sociaux de production, de consommation et d’idéologie, modifiés non pas dans leur essence ultime que dans la profondeur de leur forme. Les Etats, les Nations, les populations continuent d’exister avec l’apparence que revêtaient ces entités étaient avant la crise structurelle des années 1970. Mais elles ont changé de configuration. Elles se meuvent dans des rapports politiques et culturels inédits. Elles sont traversées ou portées par des techniques qui les bouleversent complètement. Elles sont soumises à des rapports économiques et politiques qui les soumettent à des tensions considérables et les font exploser. Le problème que l’humanité doit aujourd’hui résoudre est celui de la maîtrise de de cette dialectique nouvelle. Par quels rapports politiques nouveaux en orienter le cours ?

Je vais maintenant essayer de conclure globalement le point en question.

Selon moi, la contradiction principale caractéristique de la France actuelle est, certes, abstraitement perçue, une contradiction entre Capital et Travail mais on doit la préciser de plusieurs manières. Je vais en évoquer 3.

1) Cette contradiction fonctionne concrètement comme contradiction entre « forces de la nation et forces de la mondialisation ». Comment peut-on affirmer que la nation est l’un des pôles de cette contradiction et que l’autre pôle est le monde capitaliste ?

a) Un premier élément de réponse consiste à noter que, dans un pays comme la France, le territoire national est le cadre dans lequel se déroule la consommation de celles et de ceux vivant sur ce rocher et ne pouvant le quitter. Cette consommation est en partie satisfaite par des productions nationales. Ce qui compte, pour ces entreprises, est la Demande Intérieure.

D’un autre côté, existe la consommation permettant l’écoulement de la production des grandes entreprises. L’espace national n’est pour elles qu’un segment de l’espace mondial. Pour ces grandes et très grandes entreprises, ce qui compte est la Demande mondiale.

La mondialisation capitaliste met la Nation sous tension dans la mesure où les exigences de la Demande mondiale dominent celles de la Demande intérieure, entièrement subordonnée.

b) Les contraintes propres à la demande mondiale (formation d’un prix unique mondial, qui soit le plus bas possible pour un niveau de qualité adéquat) se répercutent, via les capitaux multinationaux investis sur le territoire national, comme contraintes sur les travailleurs, et les petits entrepreneurs liés au marché intérieur. Le temps de travail, les conditions de travail, les rémunérations, qu’elle soit directes ou indirectes, sont concernées. Inutile de faire un dessin.

c) L’organisation juridique et institutionnelle de ces contraintes est d’abord effectuée au plan national. Celle-ci est doublée, en France, par un système de contraintes organisées au niveau de l’Union européenne. Les travailleurs et les producteurs nationaux subissent donc 3 niveaux convergents de contraintes, économiques et institutionnelles : la contrainte mondiale, la contrainte de l’Union européenne, la contrainte française stricto sensu.

2) Je crois que celles et ceux des communistes pour lesquels la contradiction principale actuelle est celle entre Capital et Travail, laquelle prendrait la forme de la contradiction entre Capitalisme et Socialisme, font reposer leur conviction sur 2 hypothèses, que je ne partage pas, pour les raisons suivantes, dont il faudrait approfondir la discussion, cela va de soi.

La première est l’idée selon laquelle le capitalisme aurait complètement fait son temps. Qu’on le regrette ou qu’on s’en réjouisse, le moins que l’on puisse dire est que les évolutions ne se réalisent pas en 5 minutes et que les révolutions mettent du temps avant de murir. Le capitalisme a encore de l’avenir devant lui. J’ai déjà abordé ce point.

La deuxième correspond à l’idée selon laquelle les salariés sont unis par le même intérêt contre le capital. Je pense que le capital, en se mondialisant, engendre deux catégories de salariés dont les intérêts tendent à diverger fortement.

Au total, sur ce point, ma conclusion est que la contradiction entre travail et capital, dans le cadre de la mondialisation capitaliste, peut faire apparaître une certaine convergence d’intérêts entre diverses couches de capitalistes et de salariés, sur la base de l’intérêt national. Il est possible, à mon avis, de dire à ces capitalistes : nous ne pensons pas que le capitalisme va disparaître dans l’immédiat. Cela ne veut pas dire que les entreprises, surtout les plus puissantes, puissent faire n’importe quoi.

Je crois que, au contraire, cette contradiction peut engendrer concrètement de fortes divergences d’intérêts entre les salariés « fixés sur le rocher » et les salariés entraînés dans le cours de la mondialisation capitaliste.

3) Le raisonnement que je tiens me conduit à percevoir autrement que certains de mes camarades le dépassement de la contradiction Capital/ Travail. Pour ceux qui pensent que la forme actuelle de la contradiction Capital/Travail est la lutte entre le Capitalisme et le socialisme, l’objectif à atteindre est celui de la Souveraineté du Prolétariat.

Dans la mesure où je pense que la forme actuelle de la contradiction entre Capital et Travail est celle entre la Nation et la Mondialisation capitaliste, l’objectif que j’estime raisonnable est celui de la souveraineté nationale, ou encore celui de la souveraineté du peuple.

4) Que signifie, pour la France, le fait de recouvrer sa souveraineté ? Pour la France, recouvrer la souveraineté de son économie suppose qu’elle recouvre sa souveraineté monétaire et de financement. Si les Français se donnent majoritairement ce but, la France doit donc sortir de l’euro ainsi que des filets d’emprisonnement tissés, depuis plusieurs années déjà par le Capital fictif mondial, pour contraindre les travailleurs à subir toutes les pressions des grandes entreprises, pour orienter l’épargne nationale à son gré, pour restreindre la dépense publique. Je reprends un trait mentionné ci-dessus : le capital fictif est aujourd’hui la forme active dominante du Capital au sein du Capital mondialisé. Je me permets d’ajouter ici, sans insister, qu’il ne s’agit pas seulement de recouvrer la souveraineté monétaire et financière, mais qu’il faut l’organiser pour que, dans le processus même de son exercice, elle se reproduise comme activité souveraine.

5) C’est à peine si j’évoque la souveraineté militaire de la France tant, dans le cadre d’une politique ouvertement pacifique, elle devrait être une évidente obligation. Il se trouve, hélas, que des individus se disant les héritiers de Jaurès, et même des « socialistes », mais plus pour très longtemps, je crois, apprécient de se soumettre, à travers l’OTAN, aux pulsions guerrières incontrôlées du grand capital américain et des russophobes maladifs de l’Europe centrale.

6) Enfin, il me semble tout à fait clair que la France doive recouvrer sa souveraineté démographique.

Il revient d’abord à la nation de favoriser les naissances, si les nationaux le souhaitent. Contrairement à d’autres populations (allemande, par exemple), les Français aiment plutôt les enfants. Il faut encourager ce sentiment, car, chaque couple peut l’observer, élever un enfant coûte cher. Mais que serait une nation qui n’aurait pas d’enfant ?

Il revient ensuite à cette même nation de mettre en place une politique d’immigration, de regroupement familial, de degré de tolérance aux manquements à la loi, qui soit adaptée aux contraintes économiques et sociales.

Une telle politique n’a rien à voir avec la xénophobie et le racisme. Je me permets de rappeler que Georges Marchais, en son temps, avait pris l’initiative d’attirer l’attention des Français sur les dangers d’une politique d’immigration non contrôlée, satisfaisant seulement les besoins des entreprises en main-d’œuvre mobile, flexible et pas chère.

Mais indépendamment de cette référence, je dirai que la souveraineté démographique est, dans une nation, une exigence légitime, à la fois pour aujourd’hui et pour demain. L’insertion dans la population française de populations nouvelles doit être réalisée de manière raisonnée, sans perturber le milieu d’arrivée de manière excessive. C’est particulièrement vrai à l’époque du capitalisme mondialisé.

Ce sont des propos de bon sens, qui visent à préserver les intérêts matériels et moraux « des Français de fraîche date » comme « des Français plus anciens ». La mondialisation capitaliste rompt les équilibres démographiques, en attaquant tous les lieux de production du monde. Elle engendre alors des mouvements massifs de population de nature économique, allant des pays pauvres vers les pays riches, et elle contribue au déplacement de ces populations vers des lieux de plus en plus éloignés de leurs cultures originelles.

Autrement dit, l’insertion de populations nouvelles, en France par exemple, tend non seulement à soulever des problèmes de production (rivalités sur le marché du travail) et de redistribution du revenu (accès aux allocations publiques). Elle soulève également des problèmes de consommation, en particulier de consommation de l’espace public.

Au moment où la mondialisation met en contradiction frontale la consommation intérieure des ménages et la production des grandes entreprises, orientée vers la demande mondiale, la consommation intérieure est elle-même mise en contradiction, par l’intermédiaire de flux migratoires qui ne sont plus contrôlés, ou qui le sont difficilement, entre une consommation résidente (dont les agents perçoivent la réduction) et une consommation d’origine externe (dont les agents expriment l’exigence immédiate). Cette contradiction économique est elle-même, à son tour, surdéterminée par des contradictions culturelles exprimant les écarts de développement et de maturité des sociétés.

Je crois pouvoir répéter que les civilisations se valent car elles sont l’expression de notre commune humanité mais les cultures ne se valent pas, car elles sont l’expression de structures sociales historiquement différenciées. Je ne vois aucune raison, par exemple, de considérer que l’excision des jeunes filles devienne le fin du fin de la culture française.

Voici les conclusions que j’estime pouvoir énoncer au terme de ce deuxième point :

1) Dans le cadre de la mondialisation capitaliste, la contradiction principale entre Capital et Travail est transformée en contradiction entre Nation et Mondialisation. Il est clair que ce choix théorique a des conséquences. La perception que l’on a du monde et de l’action politique est différente si l’on pense que la contradiction principale est celle existant entre capitalisme et socialisme.

2) Les forces de la Nation ne recouvrent pas exactement l’ensemble des salariés, dont une partie est tirée vers la Mondialisation. Les forces de la Mondialisation capitaliste ne recouvrent pas exactement l’ensemble des capitalistes, dont une partie est tirée vers la Nation.

3) Le contrôle de l’immigration est une partie intégrante de la défense actuelle des intérêts des salariés qui la subissent. Les mots d’ordre de lutte auprès des travailleurs résidents en France sont totalement inaudibles s’ils ne sont pas accompagnés de préconisations explicites et d’actions réelles, relatives aux sources de travail que fournit l’immigration, aux dépenses qu’elle induit pour la collectivité, aux profiteurs de cette immigration.

4) Les contradictions liées à l’immigration sont des contradictions dérivées. D’une part, on ne saurait les sous-estimer. Elles doivent être abordées et traitées de manière explicite. Mais d’autre part, l’essentiel de l’action politique à mener est de viser les acteurs de la mondialisation, beaucoup plus que les pauvres ères qui en sont les victimes.

5) S’il est vrai que la contradiction principale actuelle est celle opposant les forces de la Nation aux forces de la Mondialisation, alors il faut détruire la Mondialisation, que ce soit dans sa forme mondiale achevée ou dans sa modalité européenne. Mais détruire aujourd’hui la mondialisation capitaliste, ce n’est pas détruire le capitalisme.

Comment l’analyse qui vient d’être présentée permet-elle d’interpréter le rapport des forces que révèlent les sondages actuels ? Comment conduit-elle à se situer par rapport aux partis politiques et personnalités figurant dans la présente élection présidentielle ? Au centre de cette interrogation se trouve évidemment celle concernant la nature du Front national et le rapport qui s’en déduit.

deuxième partie et conclusion à venir

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