« Les soviets plus l’électricité » Bulletin Comaguer n° 493

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Bulletin Comaguer n° 493

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Ce qui a été présenté ou plutôt conservé ainsi dans la mémoire collective comme un simple slogan de Lénine mérite absolument d’être revisité dans la crise aiguë actuelle du capitalisme qui a sa source dans une crise énergétique multiforme touchant simultanément tous les niveaux de la société : gouvernements, entreprises et particuliers.

Car ce « slogan » est la quintessence d’une vision politique de l’humanité future, préoccupation centrale de Lénine pour dépasser le stade suprême de l’impérialisme. Son actualité s’impose au moment où l’impérialisme est passé du stade suprême à la phase ultime c’est à dire au moment ou son remplacement est à l’ordre du jour.

Commençons par analyser le second terme du slogan : l’électricité

De la centrale nucléaire jusqu’au générateur portable au gas-oil, les sources d’électricité sont multiples et de toutes tailles et il n’est pas exagéré de dire que très peu de populations contemporaines sont privées d’électricité. Les derniers chiffres publiés sont, si l’on ose dire, lumineux : en 2019, 90% de nos contemporains ont accès à l’électricité.

Mais moins de la moitié y a accès par un réseau. Là se situe la première fracture visible en termes de niveaux de développement (voir les cartes).

Ces deux cartes illustrent cruellement le retard du continent africain en la matière. Son dépeçage colonial que la décolonisation formelle n’a pas surmonté a empêché la constitution d’un réseau continental intégré ou au moins de plusieurs réseaux régionaux qui auraient trouvé sur place d’énormes ressources hydrauliques solaires pétrolières et gazières.

Ce que qu’affirme Lénine et que va réaliser l’URSS c’est le droit à tout citoyen de l’Etat socialiste d’avoir accès où qu’il soit dans les 22 millions de km2 de l’immense URSS au futur réseau national.

Ce qui fut fait en une dizaine d’années et la persistance sur le territoire actuel de la Fédération de Russie du plus grand réseau électrique du monde atteste de la réussite du projet. Cette réussite a d’ailleurs été saluée par une exposition organisée à Moscou en 2021.

Au moment de la chute de l’URSS le problème de la déconnexion des réseaux électriques des nouvelles républiques de l’Ouest l’Ukraine et Belarus ne s’est pas posé et le réseau soviétique a continué à fonctionner, techniquement inchangé. De ce point de vue le rattachement de la Crimée à la Fédération de Russie en 2014 n’a donc posé aucun problème. La question de la déconnexion électrique n’a commencé à prendre de l’importance que dans la stratégie occidentale d’arrachement de l’Ukraine à la sphère russe lancée par le coup d’Etat de Kiev en 2014.

Déconnecter une fraction d’un réseau électrique d’un réseau plus grand est un problème technique connu mais délicat. Il s’agit de s’assurer de la stabilité du réseau

STABILITE D’UN RESEAU ELECTRIQUE

Un réseau électrique a pour fonction de relier sur un espace donné un ensemble de producteurs et un ensemble de consommateurs d’un produit qui n’est pas stockable. L’ajustement permanent d’une offre émanant d’un petit nombre de producteurs et d’une demande émanant d’un très grand nombre de consommateurs est la régulation du réseau.

D’autre part le produit fourni : le kilowatt doit être homogène c’est-à-dire que tous les producteurs doivent produire un courant électrique identique de telle façon que les appareils des consommateurs qu’il s’agisse d’un TGV ou d’un séchoir à cheveux soient construits pour être compatibles avec le courant produit. Un courant électrique a deux caractéristiques : la fréquence mesurée en Herz –abrégé Hz l’intensité mesurée en volts - abrégé V.

La stabilité d’un réseau est sa capacité à garantir une fréquence régulière permanente et une intensité fixe. Aujourd’hui en France le réseau distribue du courant alternatif à une fréquence de 50 Hz avec une marge de variation de +- 0,05 Hz et à une intensité de 220V. La stabilité des réseaux nationaux est surveillée en permanence par des agences spécialisées.

PREMIER TEMPS DE LA SECESSION : COUPER L’UKRAINE DU RESEAU RUSSE

Bien qu’intégrée au réseau soviétique la partie ukrainienne du réseau ukrainien était bien pourvue en producteurs : centrales hydroélectriques, centrales thermiques et centrales nucléaires et il alimentait de gros consommateurs : usines sidérurgiques et métallurgiques et une population de 52 millions en 1992 (probablement réduite aujourd’hui à 38 millions). Donc l’Ukraine livrée à elle-même ne devait pas manquer d’électricité.

Mais autant les manœuvres diplomatiques pour séparer l’état ukrainien de l’état russe avaient été intenses dés l’indépendance allant jusqu’à une première tentative de coup d’état en 2004 ( révolution orange) l’UE et l’OTAN venant danser sans interruption la danse des 7 voiles à Kiev ou à Yalta ( voir forum YES dans notre bulletin n° 479 –Ukraine ceux d’en haut et ceux d’en bas) autant le jeu avec les robinets sur les gazoducs et oléoducs transportant gaz et pétrole russes sur le territoire ukrainien avec l’arrivée au pouvoir en 2004 de la passionaria orange Yulia Timoshenko , « la reine des vannes », autant la question du réseau électrique était restée secondaire : l’électricité fournie en Ukraine pouvait provenir tout autant de centrales ukrainiennes que de centrales russes dans le cadre du réseau ex- soviétique intégré même si c’était dans le cadre de contrats commerciaux différents.

Le changement provient de la riposte russe soudaine et inattendue au coup d’état de 2014 : le rattachement pacifique de la Crimée à la Fédération de Russie. Cela veut dire que pour la première fois depuis l’effondrement de l’URSS la frontière entre l’Ouest Otano-européen et la Russie au lieu de poursuivre une marche vers l’Est qui paraissait depuis 25 ans inexorable s’effectue dans l’autre sens.

DEUXIEME TEMPS : RATTACHER LE RESEAU UKRAINIEN AU RESEAU EUROPEEN

C’est l’alerte à Washington et à Bruxelles. Il faut arrêter ce mouvement anti-impérialiste contraire. Commencent immédiatement les bombardements du Donbass mais s’élabore parallèlement le projet plus complexe concernant le réseau électrique : d’abord couper le réseau électrique d’Ukraine du réseau russe et ensuite le raccorder au réseau européen.

L’opération est techniquement complexe – s’assurer de la stabilité de la seule fraction ukrainienne du réseau soviétique ce qui fut expérimenté avec succès mais elle l’est aussi politiquement. En effet il n’existe pas à l’ouest un réseau européen unique mais une fédération de réseaux nationaux l’ENTSO-E ce qui veut dire que la future connexion

« européenne » du réseau ukrainien passe en pratique par une série de connexions respectivement aux réseaux polonais, slovaque, hongrois, moldave et roumain. En 2017 un accord est signé entre l’ENTSO-E et le gouvernement de Kiev qui entérine le principe du rattachement du réseau ukrainien au réseau « européen » et programme sa mise en œuvre progressive. Mais pour les signataires réseau « ukrainien » cela voulait évidemment dire

tout le réseau du territoire de l’Ukraine c’est-à-dire Crimée et Donbass compris. Il s’agissait donc pour reprendre le vocabulaire churchillien bien adapté à cette période-ci et au cas du réseau électrique de tirer un nouveau rideau de fer mais cette fois pas au milieu de l’Allemagne mais environ 1500 km plus à l’Est entre l’Ukraine et la Russie en attendant mieux. Le cas des républiques baltes est du point de vue des réseaux électriques identique à celui de l’Ukraine mais politiquement moins central vu le très faible poids démographique et économique des trois républiques.

LE COUP D’ARRET DU 24 FEVRIER 2022 ET SES SUITES

Craignant une coupure brutale par Moscou du réseau ukrainien du réseau russe dont il est techniquement partie intégrante même s’il existe depuis 1991 un organe ukrainien de pilotage du réseau le gouvernement de Kiev ouvre aussitôt les liaisons avec les réseaux polonais et slovaque formalisées en application de l’accord ENTSO –E Ukraine de 2017. En fait la Russie n’a pas coupé l’Ukraine du réseau mais a poursuivi son mouvement vers l’ouest concrétisé par l’entrée dans la Fédération de Russie des provinces de Donetz, Lougansk, Zaporiye et Kherson. Aujourd’hui donc le réseau russe a absorbé le réseau de ces 4 provinces ex-ukrainiennes y compris les centrales qui y sont installées dont celle de Zaporiye/Energodar qui a défrayé la chronique pour d’autres raisons. La fameuse « plus grosse centrale nucléaire d’ « Europe » avec ses cinq réacteurs est donc désormais en Russie.

On imagine les cris d’orfraie qui vont être poussés à Kiev et à Washington « la Russie nous vole notre centrale nucléaire » et les nouvelles sanctions qui pourraient s’en suivre mais plaider la restitution à l’Ukraine de centrales financées et construites par l’URSS, alimentées par la Russie depuis 30 ans en combustible, va s’avérer un dossier complexe. La Russie, en tant qu’Etat prolongeant en droit l’Etat soviétique pourrait peut être demander à l’Ukraine de lui racheter les 4 autres centrales nucléaires toutes soviétiques qui restent exploitées sur le territoire ukrainien mais il est très difficile de trouver des documents, s’il en a existé dans la débâcle de 1991-1992 , traitant en droit de la dévolution des biens soviétiques aux nouvelles républiques indépendantes, le seul cas réglé officiellement étant celui des armes nucléaires. L’expérience a montré que, même si des règles de droit avaient été établies, les biens soviétiques étaient souvent tombés directement et de force entre les mains des oligarques. Tout éclaircissement que pourraient nous fournir nos lecteurs sur ce sujet serait le bienvenu.

La phase actuelle du conflit se caractérise par l’attaque russe du réseau électrique ukrainien, qui sans toucher aux centrales apporte la démonstration radicale qu’un Etat moderne est incapable de fonctionner sans un réseau électrique intégré.

Bref le dossier de l’électricité en Ukraine est un des plus lourds qui attend les négociateurs au moment où se préparera la sortie de crise.

QUID DES SOVIETS ?

Pour Lénine et pour les tenants du socialisme il existe trois portes d’accès à la démocratie prolétarienne : l’éducation, la santé et l’énergie. C’est la quintessence de la formule :

  • assurer un accès égal et gratuit à toute la population et sous son contrôle à l’éducation et à la culture,
  • assurer un accès égal et gratuit à toute la population et sous son contrôle à la santé [1] et on sait que sur ces deux chapitres l’URSS a fait d’énormes pas en avant
    3 – assurer un accès égale à toute la population et sous son contrôle à l’énergie sous sa forme la plus immédiate et la plus universelle : l’électricité.

Inutile d’insister sur le fait que l’égal accès gratuit de toute la population à l’éducation, à la culture et à la santé n’est pas assuré dans les états du capitalisme libéral même si les ravages de la privatisation de ces divers biens sociaux sont plus ou moins importants selon les Etats.

L’acharnement des croisés libéraux français dont Macron est aujourd’hui le héraut à privatiser tous ces secteurs est connu mais rencontre encore des résistances qu’il n’a pas réussi à vaincre. La situation au cœur de l’empire, aux Etats-Unis, est, on le sait, bien différente.

Pour ce qui concerne l’électricité la logique politique économique et sociale d’un réseau national fortement intégré constitue un obstacle à la privatisation et les diverses supercheries commerciales destinées à faire croire au consommateur français qu’il achète des kilowatts verts , la saignée organisée d’EDF consistant à l’obliger à vendre à des concurrents les kilowatts qu’ils vendent mais ne produisent pas à travers un réseau national public à un prix inférieur au coût de production est un crime contre la nation , délit non encore inscrit dans le Code Pénal mais bien réel.

Bien que sous une forme insatisfaisante la renationalisation d’EDF qui devrait être constitutionnelle et définitive démontre l’incapacité du capitalisme à gérer un bien public nécessitant une planification à long terme et garantissant, sous contrôle populaire, l’accès égalitaire de tous : entreprises, collectivités et ménages à ce bien commun de base dans une société développée : l’énergie électrique.

[1Voir à ce sujet l’excellent livre « Medecine and Health in the Soviet Union » du médecin suisse Henry E. Sigerist . Maitre et fondateur mondialement reconnu de la Médecine historique comme discipline universitaire il a réalisé dans les années précédant la guerre une très longue enquête de terrain en URSS. Son livre rédigé en anglais a été publié en 1947 par l’éditeur new-yorkais Citadel Press. Une traduction française vient d’en être réalisée. Un éditeur est recherché.

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    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

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