Les effets voulus de la monnaie unique La Lettre de Michel J. Cuny, numéro 10

, par  Michel J. Cuny , popularité : 3%

Dans le cadre de l’Europe, la France est le plus gros morceau que l’Allemagne
ait eu à avaler. Ce processus est toujours en cours aujourd’hui. L’outil principal
en aura été la monnaie unique. Comment cet instrument fonctionne-t-il ?

Comme je l’ai déjà fait dans Une santé aux mains du grand capital ? – L’alerte du Médiator, je m’appuierai ici sur les travaux réalisés par A. Harrison, E. Dalkiran, E. Elsey après la signature du traité de Maastricht (7 février 1992), mais avant la mise en circulation de l’euro (1er janvier 2002), ou tout au moins avant que l’on puisse mesurer ses effets réels.

Ainsi verrons-nous ce qui était prévisible dès le départ.

Nous pouvons commencer par cette phrase :

« L’expérience de l’Allemagne et du Japon montre que les entreprises apprennent à vivre avec des taux de change élevés et stables en améliorant la productivité et la qualité des produits. »

Si donc la suite devait, à un moment où à un autre, laisser à penser que les entreprises souffrent en régime de monnaie unique, il faudrait avoir le réflexe de penser que, lorsque cette souffrance se traduit par le décès de quelques entreprises, elle a pu porter les autres à avoir la bonne idée d’améliorer leur productivité ou de revoir la qualité de leurs produits…

Selon nos auteurs, voici l’un des premiers impacts possibles de la monnaie unique sur la politique monétaire des États :

« Avec une monnaie unique, un pays n’aurait pas de possibilité d’augmenter ses taux d’intérêt unilatéralement ou de permettre à sa monnaie de se déprécier afin de restaurer la compétitivité. Il incomberait aux entreprises, aux travailleurs et aux syndicats de réduire les coûts de production. »

Nous retombons donc ici directement sur la question de l’accentuation de l’exploitation du travai : augmentation de l’intensité de celui-ci ou baisse relative des salaires. Une autre réponse serait d’améliorer les outils de production, l’organisation du travail, etc. Mais, dans tous les cas, il est clair que c’est au travail de payer le prix de la pression exercée par la monnaie unique sur les éventuelles variations monétaires.

Comme les auteurs nous y engagent, ne perdons pas de vue qu’à la stabilité monétaire va s’ajouter la prudence budgétaire puisque « les critères de convergence de Maastricht ont également renforcé la détermination des gouvernements européens de poursuivre la stabilité monétaire et budgétaire ».

Ainsi, « de la même façon, la monnaie unique obligera les entreprises à conserver des prix compétitifs. Ceci, en retour, leur demandera de maintenir des coûts bas et imposera la même discipline pour les travailleurs et les syndicats. Ne pas se conformer à ces obligations conduirait à la perte de marché au profit de rivaux plus disciplinés ».

Si l’on ajoute que l’augmentation de la compétitivité ou de la productivité doit, en régime de monnaie stable, se traduire par une baisse des prix, on aboutit à ceci :

« Les actions des entreprises et de leurs employés, combinées à la prise de conscience des prix par les consommateurs, devraient aider à renforcer la discipline de la Banque centrale européenne et des gouvernements membres de l’UE. Finalement, l’existence de marchés financiers transparents et l’attente générale d’une inflation faible devraient contribuer à conserver des taux d’intérêt bas. Les taux d’intérêt bas réduisent le coût de l’emprunt et augmentent la rentabilité de l’investissement du capital. »

Comme on le voit, la pression centrée, grâce à la monnaie unique, sur le travail, doit se traduire par une hausse de l’exploitation qui rend l’aventure de l’investissement d’autant plus attrayante. Tous les responsables politiques qui se sont activés autour de la réussite de la ratification populaire du traité de Maastricht le savaient pertinemment.

Dans le cadre de l’amélioration permanente de la productivité et de la compétitivité impulsée par la monnaie unique, la zone couverte par celle-ci ne peut certainement pas être conçue comme un refuge à l’intérieur duquel il serait possible de s’ankyloser. C’est bien sûr tout le contraire. Mais, comme nos auteurs le soulignent, les travailleurs y mettent quelques fois une particulière mauvaise volonté.

Voyons cela :

« Le capital, le travail et d’autres facteurs de production doivent pouvoir bouger librement à travers la zone de la monnaie unique pour provoquer une utilisation efficiente des ressources et redistribuer les ressources non employées. De nombreuses ressources se déplacent déjà librement, mais le marché du travail manque souvent de souplesse,particulièrement dans les économies sociales d’Europe. Après tout, les États-Unis, avec leur monnaie unique et un marché de l’emploi flexible, détiennent systématiquement un taux de chômage plus bas que celui des économies européennes. »

Et c’est ici que nous retrouvons la dichotomie désormais discriminante à l’échelle planétaire entre les travailleurs qualifiés et ceux qui ne le sont pas :

« Malheureusement, le débat se limite souvent à la souplesse des salaires, au droit pour les employeurs d’embaucher et de licencier, à des diminutions de l’influence des syndicats. La souplesse est également au rendez-vous lorsque des ouvriers et des patrons sont hautement qualifiés, ont des compétences transférables, ont une attitude souple vis-à-vis de leur emploi, travaillent harmonieusement en équipe et respectent la contribution des autres. »

Faudrait-il imaginer qu’il vaille la peine de transplanter un travailleur non-qualifié dans un
endroit plus ou moins lointain où il tomberait en concurrence avec une multitude d’autres
travailleurs tout aussi peu qualifiés que lui du point de vue des exigences patronales ?

Cette
impossibilité patente débouche sur la solution que nous connaissons maintenant assez bien,
en Europe occidentale en particulier. Mais déjà, H., D. et E. la retranscrivent pour nous :
« Si la souplesse du marché, les transferts de ressources et d’autres mécanismes d’ajustement
se montrent insuffisants pour compenser la perte de souplesse liée au taux de
change, alors, le taux de chômage pourrait bien augmenter dans l’intégralité de la zone. »

Et tout ceci était donc écrit par MM. Harrison, Dalkiran, Elsey, il y a maintenant plus de dix
ans...

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