Le crime de Fabien Roussel ? Avoir parlé de gastronomie française Par Natacha Polony

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En ce mois de janvier, certains se désolent de voir la gauche réduite à la portion congrue dans un pays dont beaucoup diagnostiquent l’état de « droitisation » avancée. D’autres attendent que "Sainte Christiane", entre deux paraboles inspirées, descende de son Olympe pour la rédemption ultime. Et chacun de s’interroger : comment a-t-on pu en arriver là ? La faute aux médias qui « banalisent l’extrême droite » et « usent de son vocabulaire » ? La faute aux « populistes » qui manipulent des électeurs par conséquent manipulables ? Et puis surgit un épisode, tout juste une anecdote, et tout s’éclaire. Et l’on est pris d’une pensée émue pour Jean Jaurès, Léon Blum ou Jean Zay.

On avait déjà remarqué que Fabien Roussel, candidat communiste à l’élection présidentielle, faisait entendre une musique nouvelle. Déjà, il est candidat, quand son parti, depuis longtemps, avait renoncé à toute forme d’existence et s’était rangé derrière des Insoumis chez qui les transfuges du NPA ont pris le pas sur les grognards du Parti de gauche. Et le voilà qui déclare tout de go, en un week-end où Emmanuel Macron et Valérie Pécresse se sont lancés dans un concours de Kärcher : « Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : c’est la gastronomie française. Le meilleur moyen de la défendre, c’est de permettre aux Français d’y avoir accès ». Un esprit naïf considérera qu’il n’y a pas là matière à s’émouvoir et que la proposition n’est pas d’une audace ébouriffante. C’est oublier ce qu’est devenue la gauche.

Sandrine Rousseau tweete aussitôt : « Le couscous, plat préféré des Français ». D’autres se font plus explicites : « Faites avancer la gauche au lieu de faire des appels du pied à la droite identitaire ». En résumé, Fabien Roussel s’est rendu coupable non seulement de prôner des nourritures qui relèvent de l’exploitation criminelle des animaux, mais surtout de parler de « gastronomie française », et de tenter de la définir par des éléments qui ne fleurent pas bon le multiculturalisme. Il eût été davantage au goût de ces grands penseurs de la gauche de paraphraser l’Emmanuel Macron de 2017, qui visiblement les défrisait moins qu’un communiste à l’ancienne : « Il n’y a pas de gastronomie française, il y a une ­gastronomie en France et elle est diverse ».

JPEGTerrine de foie gras de Joël Robuchon

Misère de cette présidentielle

Ceux qui ont un certain âge se souviendront d’un temps où le Parti communiste français ne craignait pas de prononcer le mot « France » et appelait même les travailleurs à consommer français pour préserver leur emploi. Face à une mondialisation qui se mettait déjà en place, il était un des rares partis ­politiques à avoir compris que les conquêtes sociales du XIXème et du XXème siècle pouvaient être balayées par la libre circulation des hommes, des capitaux et des marchandises, qui permettaient aux multinationales de se fournir là où l’on pouvait encore exploiter les hommes et la terre.

La phrase de Fabien Roussel est impeccable, en ce qu’elle pointe la nouvelle forme que prend l’écrasement des prolétaires dans un monde régi par le capitalisme consumériste et le modèle du low cost : faire manger aux pauvres des produits infâmes et ultratransformés sous prétexte de les nourrir pour pas cher. Quand un virus s’attaque en priorité aux obèses, aux diabétiques, c’est-à-dire aux malades de la malbouffe, le problème devient plus prégnant encore.

Définir un modèle dans lequel une viande ou un fromage (ou un vin, crime contre l’hygiénisme, incitation à la débauche !) de qualité, fruits d’un savoir-faire respectueux des animaux et de l’environnement, sont accessibles à tout citoyen dans des quantités raisonnables, un modèle dans lequel tout citoyen, justement, a conscience des bienfaits non seulement nutritionnels mais aussi gustatifs, et donc spirituels, de ces mets plutôt que d’être dépendant de la publicité qui lui dicte ses envies de gras et de sucre, c’est un programme d’émancipation comme la gauche n’en offre plus depuis des lustres.

Alors, il y a ces mots : « gastronomie française ». Mon Dieu, on ose définir ce que serait la France ! Pour certains, à gauche, c’est déjà rouvrir Drancy. Tout ce qui préexiste et qu’on pourrait aspirer à perpétuer exclurait par essence ceux qui viennent d’ailleurs et doit donc être effacé. On ne sache pas que Jaurès ait eu une telle conception, ni que l’internationalisme implique l’uniformisation de l’humanité et l’effacement de toute appartenance. Mais, surtout, ces termes, « gastronomie française », nous rappellent qu’un tel patrimoine appartient au peuple. Un peuple qui se définit comme une communauté politique rassemblée par une histoire commune dont les nouveaux venus sont également dépositaires et qu’ils s’approprient. Le fameux « legs de souvenirs » de Renan.

Et ce peuple français a inventé une façon d’être au monde liée à la géographie de ce territoire. Rien là qui relève du génie de quelques-uns ou de la richesse étalée par des privilégiés. La gastronomie commence par l’œuf au plat, la soupe de poireaux et pommes de terre. Elle est accessible à tous. La gastronomie, c’est le produit qui a la gueule de l’endroit et qui donne du plaisir. Et ce devrait être la richesse des plus pauvres. Un communiste a su le dire, et certains veulent poursuivre l’enterrement de la gauche en abandonnant cela aussi à l’extrême droite. On comprend mieux la misère de cette présidentielle.

Natacha Polony
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