La Pologne sous le gouvernement conservateur en 2017

, par  Monika Karbowska , popularité : 1%

Parmi les pays de l’Union Européenne la Pologne est sans doute le « jardin préféré » de l’oligarchie néolibérale occidentale. Celui dont la population est la plus soumise à l’impératif de la concurrence. Elle ne s’est pas révoltée en masse alors que tous les pays de l’Est, y compris la Bulgarie, la Bosnie ou la Roumanie, ont été secoués par des mouvements sociaux aussi puissants que vains de 2011 à 2014. Rien de tel en Pologne d’où toute conscience de classe semble avoir disparu.

Cependant, au bout de huit années de crise, les contradictions du système capitaliste ont quelque peu modifié les rapports sociaux et politiques. En 2014 une partie de l’oligarchie compradore, qui est au pouvoir depuis 25 ans, a eu peur devant l’ampleur prise par la politique américaine de « régime change » (changement de régime) appliquée en Ukraine et des pressions poussant à faire la guerre à la Russie. Le peuple polonais, notamment la population du Sud-Est, région frontalière de l’Ukraine, appréhendait également l’éventualité d’une guerre d’autant que la mémoire des massacres commis par les bandes de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne ( UPA) pendant la Seconde Guerre mondiale reste forte dans ces régions. Dans ces conditions, le parti conservateur PIS (Droit et Justice) a remporté sans peine les élections présidentielles et législatives avec un programme visant à rétablir des relations correctes avec le voisin russe, à annuler des contre-sanctions douloureuses et à mettre un terme au soutien apporté aux nationalistes ukrainiens. En deux ans de pouvoir les conservateurs polonais ont mené une politique de continuité avec le capitalisme néolibéral mais nuancée par des réformes qui montrent que nous sommes entrés dans une nouvelle ère.

A première vue, la continuité semble totale : la Pologne reste la pièce maîtresse de l’OTAN à l’Est, ce qui lui a valu le retour de soldat étrangers sur son territoire. Des bases américaines ont été installées qui accueillent 4000 soldats US. L’armée polonaise est activement préparée à la guerre mais, paradoxalement, la violente propagande russophobe qui se déchaînait du temps de Donald Tusk [1] dans les médias publics est aujourd’hui moins virulente. Selon Jaroslaw Kaczynski, le leader du PIS, la Pologne pourrait s’opposer à l’entrée de l’Ukraine dans l’UE « tant que les héritiers de Bandera seront au pouvoir »… Cette prise de position ne vise pas seulement à rassurer l’électorat conservateur des régions du Sud-Est. Pour les Polonais, cela revient à donner un feu vert à ceux qui oseraient mettre de l’ordre dans une Ukraine en décomposition, au prix, s’il le faut, du retour au pouvoir d’un oligarque pro-russe.

Cela dit, la Pologne ne maîtrise pas l’agenda américain. Elle n’a ni la volonté ni la possibilité de refuser l’installation de dizaines de milliers de migrants ukrainiens pour préserver Kiev du risque d’explosion sociale ou de contrôler la participation de Polonais à la guerre du côté de Kiev par le biais de milices ou d’entreprises de sécurité privées américaines et polonaises.

À mi-chemin entre soumission et résistance le gouvernement conservateur a cependant osé introduire une nouvelle mesure sociale qui déplaît aux multinationales occidentales. Il s’agit de l’allocation familiale dite « 500 + », la première mesure sociale depuis 1989… Cette allocation, est importante car 500 zlotys, c’est 120 euros dans un pays où le salaire minimum est de 300 euros. Y ont droit toutes les familles d’au moins deux enfants, y compris les mères célibataires. Aux dernières nouvelles les familles polonaises se bousculent pour recevoir cet manne qui leur est allouée sur la base d’une simple déclaration sur l’honneur, sans même qu’elles aient à produire une attestation d’imposition ou à justifier l’emploi de cette somme.

Le gouvernement est à peu près certain d’obtenir le soutien d’une grande partie de la population grâce à cette largesse à quoi s’ajoutent l’ abaissement de l’âge de la retraite qui, porté à 67 ans par Tusk, est ramené à 65 ans, la gratuité des médicaments pour les retraités et la promesse de mettre fin aux privatisations de logements nationalisés ou construits par la Pologne populaire et aux expulsions locatives. Du coup, les manifestations anti-gouvernementales organisées par les libéraux au nom de la « défense de la démocratie » ne rassemblent que les couches urbaines aisées qui profitent de la mondialisation. Le peuple soutient le gouvernement. Quant à la la gauche anticapitaliste, elle peut difficilement contester des mesures qu’elle réclame à cor et à cri depuis 25 ans.

Manifestation de femmes polonaise à Varsovie (2016)

La société polonaise s’était réveillée à la politique, entre les manifestations de type « Maïdan » des néolibéraux et les déclarations nationalistes, parfois anti-occidentales, d’un gouvernement acculé à la défense. Cette fois-ci, la surprise a été créée par la mobilisation des femmes contre les conservateurs qui, pour la cinquième fois en 15 ans, ont tenté d’inscrire l’interdiction de l’IVG dans la Constitution. En octobre 2016, ce ne sont plus les habituelles militantes féministes qui se sont présentées devant le Parlement pour protester contre le projet de loi visant à interdire définitivement toute IVG. Ce sont, dans toute la Pologne, des centaines de milliers de femmes habillées de noir qui ont osé clamer publiquement : « Notre corps nous appartient ». Pour la première fois depuis l’interdiction de l’IVG en 1993, les Polonaises se sont ouvertement et massivement dressées contre la politique anti-avortement de la classe politique capitaliste et fait reculer un projet qui porte atteinte à leur liberté [2]. Les néolibéraux de Tusk tentent actuellement d’utiliser la question des femmes pour renverser le gouvernement – tout en maintenant bien entendu l’interdiction de l’IVG - mais cette stratégie risque fort de leur échapper si le mouvement social des femmes gagne en autonomie et radicalité.

Démonstration des nationalistes polonais de Narodowe Sily Zbrojne (Groupe Armé National)

Cela dit conservateurs et néolibéraux s’entendent pour réprimer l’opposition, notamment celle de gauche. La propagande anticommuniste prend des proportions hallucinantes. Elle en arrive à faire passer pour des héros nationaux, les nationalistes de Narodowe Sily Zbrojne (Groupe Armé National). Aujourd’hui, dans les médias publics, dans les écoles, les membres de ces groupuscules fascistes qui ont sévi dans les forêts pendant et après la guerre, qui ont massacré quantité de juifs, de communistes et de villageois favorables au régime de la Pologne populaire, sont présentés comme des héros romantiques et donnés en exemple, à l’instar du Pravy Sektor qui, en Ukraine, transforme en héros nationaux les fascistes de l’Armée insurrectionnelle ukrainienne. En Pologne, c’est tout un appareil d’État qui est mis au service de cet inquiétant renversement qui désigne comme « occupants » les communistes polonais et gomme toute la tradition de résistance de l’Armée de l’Intérieur, l’AK. Des monuments de l’Armée Rouge, cimetières compris, sont détruits malgré les protestations officielles de la Russie ; des rues sont débaptisées même si les noms proscrits sont ceux de militants socialistes de la Révolution de 1905…

Toute la mémoire du mouvement ouvrier polonais est effacée du paysage. Il est interdit de parler en bien de la Pologne populaire. Depuis deux ans, quatre militants du Parti communiste polonais, le KPP, sont poursuivis en justice parce qu’ils ont publié dans leur journal des articles favorables à la Pologne populaire. Inculpés pour « propagande totalitaire », ils risquent neuf mois de prison, et s’ils ne sont pas encore emprisonnés, c’est uniquement grâce à la solidarité internationale développée par les communistes français.

Citons pour conclure le cas préoccupant de Mateusz Piskorski qui, emprisonné depuis plus d’un an sans jugement ni acte d’accusation, est sans conteste le principal prisonnier politique de la République polonaise capitaliste. Ancien collaborateur du leader paysan Andrzej Lepper, mystérieusement « suicidé » en 2011, Piskorski a créé le parti souverainiste Zmiana (Le changement) et organisé plusieurs manifestations contre les bases de l’OTAN et la politique de soutien de la Pologne à Kiev. Enlevé dans la rue il y a un an par des hommes de l’ABW, (l’Agence polonaise de renseignement), Piskorski est accusé d’espionnage au profit de la Russie sans aucune preuve et sans que cela émeuve les associations des droits de l’homme. Cette détention est un signal fort envoyé à la gauche anticapitaliste qui avait, elle aussi, organisé deux manifestations contre les bases américaines, à Wroclaw dans le cadre du Forum Social Est-Européen en mars 2016 et à Varsovie lors du Contre-sommet de l’OTAN en juillet. Signal clair du gouvernement : « Vous êtes les prochains sur la liste ! ». Mais cette répression génère aussi en Pologne une forte haine du système occidental et l’on assistera sans doute bientôt à l’émergence d’une nouvelle radicalité portée par une jeunesse humiliée, qui aura compris que l’Histoire s’est remise en marche et que les jeunes peuvent à nouveau jouer les acteurs et non plus les victimes passives.

Monika Karbowska

Source : le Collectif Polex

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[1Donald Tusk a été président du Conseil des ministres de Pologne de 2007 à 2010 puis de 2011 à 2014, date à laquelle il est élu est président du Conseil européen.

[2Pour mémoire – le fameux « compromis pour l’avortement » de 1993 consistait en une entente des libéraux et des nationaux-chrétiens extrémistes sur le dos des femmes pour museler le mouvement social et faire passer les privatisations capitalistes.

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