« L’inégalité et l’islamophobie créent les conditions du djihadisme » par Saïd Bouamama

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Saïd Bouamama est un sociologue algérien établi depuis plusieurs années en France. Il est docteur en socioéconomie. Il développe une sociologie des dominations prenant pour objets les questions liées à l’immigration, comme la place des personnes issues de l’immigration dans la société française. Il est, par ailleurs, militant politique et associatif dans les luttes de l’immigration pour l’égalité réelle des droits en France. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages : Les Discriminations racistes, une arme de division massive (2011), La Manipulation de l’identité nationale : Du bouc émissaire à l’ennemi de l’intérieur (2011) ou encore Femmes des quartiers populaires en résistance contre les discriminations (2013).

- Que pensez-vous du débat politique en France qui pointe du doigt la banlieue et l’immigration suite aux attentats de Paris ?

Le débat actuel est incompréhensible si on ne le restitue pas dans un contexte plus global. Le premier élément de ce contexte est une paupérisation et une précarisation massive des classes et quartiers populaires depuis quatre décennies. Les politiques ultralibérales ont fragilisé, de manière inédite jusqu’à aujourd’hui, ces classes et espaces de vie où les populations issues de l’immigration sont concentrées. Des taux de chômage atteignant, selon les chiffres officiels, plus de 40%, c’est-à-dire quatre fois plus que la moyenne nationale, caractérisent ces quartiers.

De surcroît, ces jeunes Français issus de l’immigration sont confrontés à des discriminations massives et systémiques. En 2008, selon une étude du Bureau international du travail (BIT), quatre sur cinq employeurs discriminent à l’embauche les candidats issus de groupes minoritaires, noirs ou d’origine maghrébine. Toute une partie de notre jeunesse est, de ce fait, dans une situation de désespérance sociale.

De plus, s’ajoute à cela des contrôles au faciès qui sont vécus comme de l’humiliation et de la hogra. Enfin, depuis les attentats du 11 Septembre, puis après la loi interdisant le port du foulard à l’école, les débats médiatiques et politiques se sont succédés pour stigmatiser les musulmans en les amalgamant fréquemment à l’intégrisme, au terrorisme, au djihadisme, etc. C’est ce que nous avons appelé les "islamalgames".

- En tant que sociologue, comment expliquez-vous le phénomène de radicalisation dans les quartiers populaires ?

C’est le contexte global, dont je viens de parler, qui débouche pour de nombreux jeunes sur une absence de projection dans l’avenir, sur un rapport sceptique au monde et sur une colère sourde. Cette colère explose parfois suite à des contrôles aux faciès, par exemple. Cette discrimination a provoqué plus d’une dizaine de morts en dix ans. Une extrême minorité de ces jeunes est tombée en proie à des prédicateurs de la haine, financés par l’Arabie Saoudite ou le Qatar, par ailleurs grands amis de l’État français.

Le phénomène de radicalisation, il faut le dire aussi, est renforcé par la participation de la France à toutes les guerres pour le pétrole et son soutien à l’État d’Israël, y compris lors des périodes de massacres de masses. L’interdiction, cet été, de plusieurs manifestations publiques de soutien à la Palestine a été vécue comme une injustice. D’ailleurs, la présence des assassins israéliens à la manifestation de dimanche dernier est également perçue par certains comme une provocation.

- Une semaine après les attaques contre Charlie Hebdo, quelle est votre évaluation des réactions politiques et médiatiques envers la communauté musulmane ?

Je disais souvent que la stigmatisation, sur une longue durée, des musulmans, réelle ou supposée, a produit une islamophobie. Elle est entretenue sur le plan médiatique par des propos polémiques de la part même de membres du gouvernement. Parler des conséquences de ce qui s’est passé, comme on le constate depuis une semaine, sans aborder les causes est une autre injustice qui se paye cher. A cause des discours médiatiques qui ont suivi les attentats, les actes islamophobes se sont multipliés.

On en compte une cinquantaine, qui vont de grenades lancées dans une mosquée à une tête de porc déposée devant une autre, à un jeune molesté lors d’une minute de silence, en passant par des graffitis injurieux et des insultes racistes. En réalité, c’est l’inégalité et l’islamophobie qui créent les conditions du djihadisme d’une minorité de jeunes. Le nier et ne pas prendre des mesures claires contre l’islamophobie alimentent ce processus.

- Pourquoi avez-vous déclaré que vous n’êtes pas Charlie ?

J’ai préféré dire « Je ne suis pas Charlie » pour dénoncer trois sortes d’instrumentalisation de cette affaire. D’abord, deux instrumentalisations du gouvernement français. Ce dernier a fait des choix économiques qui conduiront inévitablement les quartiers populaires à des explosions. Il profite de l’émotion liée aux assassinats atroces des journalistes de Charlie Hebdo pour justifier un futur Patriot Act, à la française, donnant de nouveaux droits aux policiers.

Ainsi, on peut craindre le pire quand on sait que le deuxième syndicat de policiers est ouvertement d’extrême droite. La lutte contre le terrorisme est prise comme prétexte pour introduire une restriction des libertés et des droits démocratiques pour tous, mais nous savons très bien qui sera pénalisé en premier lieu.

La seconde instrumentalisation de la part du gouvernement est celle du discours sur l’unité nationale. Cette unité n’est pas possible si les questions de la justice sociale, de la lutte contre les discriminations et du combat contre l’islamophobie ne sont pas posées. Le discours sur l’unité nationale vise à masquer et à rendre inaudibles ces questions. Au nom de cette unité nationale, il a été demandé de défiler avec Netanyahu et ceux qui ont refusé, ont été présentés comme idiots utiles ou complices des assassins.

La troisième instrumentalisation est médiatique et sociétale. Elle se trouve dans le slogan « Nous sommes Charlie ». Cet hebdomadaire satirique développe depuis de nombreuses années des caricatures islamophobes et insultantes. C’est son droit inaliénable et il n’est pas question de le remettre en cause.

En revanche, il est impossible de demander à ceux qui se sont sentis insultés pendant de nombreuses années de se revendiquer de leur insulteur. La réaction spontanée — que les médias ont massivement occultée — a été la mise en circulation de multiples affichettes, pancartes et tags : « Je suis Ahmed », « Je suis contre l’islamophobie », « Je suis contre le sionisme », « Je suis musulman et contre les attentats », « Je suis contre le djihadisme », etc.

- Que devront faire les jeunes des quartiers populaires pour se défendre et se démarquer du terrorisme, tout en restant dignes ?

Il est urgent de donner un canal d’expression organisé aux jeunes des quartiers populaires. Faute de cela, ils deviendront les otages de la fausse alternative entre injonction à la soumission — se taire sur leurs revendications sociales, sur leur opposition aux guerres pour le pétrole, sur leur soutien à la cause palestinienne, etc., pour ne pas être amalgamés aux djihadistes — et se taire sur les djihadistes pour ne pas renforcer les stigmatisations des musulmans.

Tel est le piège qui est aujourd’hui tendu. Refuser cette alternative c’est s’auto-organiser, c’est s’allier avec les forces de la société française qui refusent la situation. C’est se donner les moyens d’une expression autonome pour dévoiler la réalité sociale et économique des quartiers populaires.

En réalité, il ne s’agit que d’une partie d’un combat mondial contre une mondialisation impérialiste et néocolonialiste provoquant guerres et misère ici et là. Nous ne voulons pas que nos enfants détruisent leur vie en allant faire des guerres injustes. Nous ne voulons pas qu’ils écoutent les sirènes de voyous inspirés de Doha ou de Riad. Nous ne voulons pas non plus qu’ils deviennent des indigènes de second collège dans leur propre pays.

Interview de Samir Ghezlaoui

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