Quelles sont les raisons d’un carnage qui ramène un pays quarante ans en arrière ?
L’entreprise libyenne est un échec qui pèsera sur notre avenir commun Par Carlo Santulli, Professeur à l’Université Paris-II (Panthéon-Assas)

, par  lepcf.fr , popularité : 1%

On sait aujourd’hui ce qu’on devait comprendre dès le début de l’affaire libyenne : les bombardements des «  manifestants pacifiques  » par Kadhafi, et les milliers de victimes qui ont «  justifié  » l’intervention militaire occidentale étaient une macabre invention, lancée par la télévision du Qatar (Al Djazira). Les témoignages des expatriés européens, l’observation satellitaire russe, et les rapports d’Amnesty et de la mission dirigée par le préfet Bonnet, ancien directeur de la DST, ne laissent aucun doute : le bombardement des civils par Kadhafi n’a jamais eu lieu. Le régime avait les moyens militaires pour le faire. Il a choisi de ne pas les utiliser. L’Otan, le Qatar et les rebelles, eux, bombardent depuis des mois des villes pacifiques en massacrant des civils coupables de ne pas partager leur avis. Un détail encore. Au moment de la «  sanglante répression  », le ministre de la Justice (patron des procureurs) et le ministre de l’Intérieur (patron de la police) étaient Jalil et Younès, qui deviendront ensuite, respectivement, le chef politique et le chef militaire (assassiné depuis) des «  insurgés  » : les chefs de la répression à la tête des réprimés ? Une résolution a été arrachée au Conseil de sécurité des Nations unies par des allégations mensongères, et elle a été dévoyée pour réaliser ce qu’elle était fictivement censée empêcher : le bombardement de civils innocents.

On sait aujourd’hui que l’histoire des mercenaires noirs utilisés par Kadhafi était une sanglante invention. Elle a été le prétexte d’un crime contre l’humanité commis contre les femmes et les hommes de couleur vivant en Libye, violées et massacrés systématiquement par les «  libérateurs  ».

On sait aujourd’hui que les «  rebelles  » (le CNT) ne seront pas en mesure de gouverner la Libye, dont l’organisation tribale n’est pas près de plier. On sait que les seules forces «  révolutionnaires  » à avoir pris des positions grâce aux bombardements de l’Otan sont les islamistes affiliés à al-Qaida, sanguinaires armés par les Occidentaux, acharnés à replonger, en notre nom, des millions de femmes libyennes dans l’obscurité de laquelle elles étaient péniblement sorties sous l’administration intertribale coordonnée par Kadhafi.

On sait aujourd’hui que chez nous, dans «  l’Europe des droits de l’homme  », la pluralité des médias ne garantit pas le pluralisme de l’information. On sait que notre «  démocratie  » peut créer en quelques semaines un monolithe totalitaire conduisant en trois étapes au massacre d’un peuple pacifique : diabolisation du régime, invention d’une menace, habillage humanitaire des bombes.

On sait aujourd’hui que l’entreprise libyenne est un échec qui pèsera lourdement sur notre avenir commun. Elle est l’échec de notre «  modèle démocratique  », qui se révèle belligène et totalitaire. La France, avec ses alliés, a détruit l’ensemble des infrastructures civiles du pays le plus développé d’Afrique (selon l’indice de développement humain de l’ONU), en le ramenant en quelques mois quarante années en arrière. Mais cette puissance s’arrête au massacre et à la destruction. Elle s’accompagne de l’incapacité d’obtenir quoi que ce soit d’autre en Libye : elle est impuissance politique et vide moral. Dans un pays dont on a diabolisé le régime, en ignorant délibérément l’originalité de la structure intertribale, on voit le résultat : la tête est coupée, le gouvernement libyen est chassé de Tripoli… et pourtant le CNT ne contrôle à peu près rien en Libye, et ne peut même pas s’installer dans «  sa  » capitale. Pourquoi continue-t-on à massacrer les Libyens, à bombarder quotidiennement les villes, si «  le dictateur est en fuite  » et «  le peuple avec les insurgés  » ? Contre qui combat l’Otan, si ce n’est contre les tribus libyennes, c’est-à-dire contre les populations civiles, coupables de ne pas vouloir se plier à ses bombes humanitaires ? Il n’y a pas d’objectif, et donc aucune chance de «  gagner  » cette guerre !

On se perd en conjectures sur les «  vraies  » raisons de la guerre (puisque, on le sait aujourd’hui, les raisons humanitaires alléguées étaient fictives). On a découvert que la France s’était vu promettre 35 % du pétrole pour soutenir ce coup d’État meurtrier. On a constaté que Sarkozy reprenait la méthode Bush : provoquer une guerre et profiter du monolithe médiatique en faveur de la guerre (on est tous d’accord pour intervenir  ; on est tous derrière le chef de guerre  ; on votera tous pour lui). On vient d’apprendre également que c’était une opération d’asservissement et de prédation néocoloniale planifiée et organisée bien en amont. Et alors  ? Pourquoi cherche-t-on encore les «  raisons  » des guerres  ? Quel apaisement espère-t-on de cette rationalisation  ?

On sait pourtant comment s’organise la guerre auprès de l’" opinion ", auprès de nous. La guerre est toujours la déshumanisation de l’ennemi : le sang des Libyens ne vaut rien pour nous. Je ne prétends évidemment pas qu’il fallait défendre le régime dans l’«  opinion publique  », mais simplement ne pas transformer l’analyse critique en une propagande monstrueuse. La guerre est possible car les enfants, les femmes, les vieillards et les adultes qui meurent ne sont pas des nôtres, car ils sont arabes, africains (et, pour la plupart, réputés «  du côté  » d’un régime dont les soutiens cesseraient ipso facto d’appartenir au genre humain). Sans cruauté et racisme, il n’y a pas de guerre. Il est donc urgent de crier que nous n’en sommes pas, que nous ne voulons pas ce sang sur nos mains.

Carlo Santulli

Tribunes de L’Humanité, le 13 septembre 2011

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