A propos du livre "Cuba : Ce que les médias ne vous diront jamais" de Salim Lamrani Par Ambrosio Fornet*, La Jiribilla, Revista de Cultura Cubana

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Voici la critique d’Ambrosio Fornet, critique littéraire, essayiste et scénariste cubain, Prix National de Littérature 2009, à propos de mon ouvrage "Cuba : ce que les médias ne vous diront jamais".

Salim Lamrani


Certains parmi vous pourraient se demander quelle autorité dispose un critique littéraire pour parler d’une œuvre telle que "Cuba : Ce que les médias ne vous diront jamais", de Salim Lamrani que les Éditions [Estrella] ont eu l’heureuse initiative de mettre à la disposition des lecteurs. Mon autorité – si l’on peut dire – vient du fait que je suis un lecteur systématique et enthousiaste de Salim Lamrani, qui depuis longtemps m’honore d’un privilège en me transmettant régulièrement ses chroniques et articles, que je m’empresse de faire circuler parmi les membres les plus réceptifs de mon entourage.

En lisant les travaux polémiques et agréables qui font partie de ce volume, j’ai découvert qu’ils m’obligeaient à adopter le regard avec lequel, par exemple, je lis un roman, parce qu’ils sont remplis de personnages et de conflits, et le choc des uns et des autres génère, paragraphe après paragraphe, une attente croissante, plus propre aux œuvres narratives et dramatiques qu’à l’essai et au journalisme.

Par ailleurs, le facteur du « regard » est très présent. Il s’agit de ce que l’on appelle dans le jargon de notre profession le point de vue du narrateur « omniscient », celui qui raconte à la troisième personne, mais dont le discours, dans ce cas, coule avec le ton persuasif et familier qui caractérise le narrateur à la « première » personne, celui qui semble « témoigner » d’une expérience vécue. Si nous regardons bien, nous trouverons, dès le titre même, la promesse d’un narrateur à l’affût, celui qui sait ce qui est occulté, ce que « les médias ne vous diront jamais », laissant entendre ainsi que, le moment venu, ces médias seront « démasqués ». Et ils le sont en effet, grâce à une stratégie discursive qui consiste à souligner le contraste entre les paroles et les faits, entre ce qui est dit et ce qui est occulté, entre les prétentions d’objectivité et la façon de s’aligner à l’une des parties en conflit, celle que représente le grand pouvoir médiatique.

Cela est dramatiquement mis en évidence dans un cas comme celui de Cuba qui, selon l’auteur, devrait être étudié partout où l’on analyse le phénomène de la désinformation. Parce que là se cache un mystère qu’il conviendrait d’éclaircir : comment s’explique le contraste – ce que l’auteur appelle le « décalage » existant – « entre l’image désastreuse de Cuba » promue par les transnationales de l’information et « le prestige dont jouit ce pays à travers le monde » ?... lequel – soit dit en passant – a été magnifiquement illustré par le discours de Nelson Mandela intégré en guise de prologue de ce livre. Nous nous trouvons précisément face à l’énigme que l’auteur se propose de révéler : « Dans cet ouvrage – dit-il – les principales problématiques de la réalité cubaine seront analysées pour illustrer le gouffre qui sépare la réalité d’un pays complexe de l’image véhiculée par les médias occidentaux ». Il aborde donc – non seulement avec des arguments persuasifs, mais aussi avec un impressionnant déploiement de documentation – des thèmes qui vont des droits de l’homme au terrorisme, de l’apparition des Dames en Blanc à l’accès des Cubains à Internet, de l’émigration à la dissidence jusqu’au futur d’une Cuba sans Fidel Castro. Et dans tous les cas, il lève le voile sur un contexte de manipulation et de « double morale », commençant par celui qui a été mis en évidence dans l’attitude assumée par l’Union européenne en 2005, suite à un accord avec le représentant de Washington, « pour soutenir la transition démocratique à Cuba ».

Le rapport d’Amnistie Internationale de 2008 démontre selon Salim Lamrani que « la rhétorique de l’Union européenne sur la question des droits de l’homme », comme justification de la condamnation de Cuba, est « un prétexte peu crédible ». « Il ne s’agit pas d’affirmer qu’il n’y a aucune violation des droits de l’homme à Cuba. Il en existe selon AI. Mais sur le continent américain, du Canada à l’Argentine, les violations des droits de l’homme sont terrifiantes et Cuba est de loin le pays le moins accablé par l’organisation ».

S’il est des condamnations – et les mêmes se projettent bruyamment sur Cuba –, il ne s’agit pas de la défense des droits établis, mais de l’élaboration d’une campagne contre l’existence même de la Révolution. Mais le langage, nous le savons, a ses alibis : jusqu’au milieu de l’année 2008, l’Union européenne a insisté sur le fait que son but était de promouvoir à Cuba « une société civile plus démocratique et mieux organisée ». Magnifique. Que se passerait-il – se questionne Salim Lamrani – si Cuba finançait les indépendantistes du Pays Basque ou ceux de Corse afin d’accélérer « la transition démocratique » en Espagne et en France ? Et concernant les pittoresques députés italiens qui soutiennent les dissidents à Cuba, auraient-ils le courage de soutenir, par exemple, les Colombiens ou les Honduriens ? Le double standard est mis en évidence à maintes reprises y compris pour les impliqués. Selon un rapport de juin 2007, rédigé par la Commission (européenne) des questions juridiques et des droits de l’homme, leurs gouvernements respectifs ne sont pas en condition de juger les autres : « Bruxelles – affirme Salim Lamrani – est totalement dénuée de légitimité morale et éthique pour disserter sur la question des droits de l’homme ».

Nous pourrions dire la même chose au sujet d’organisations telles que Reporters sans frontières qui « joue également un rôle fondamental » dans le processus de satanisation de Cuba. L’Organisation assure se limiter à la défense de la liberté de la presse, mais – se demande Salim Lamrani – est-elle neutre et objective ou défend-t-elle un agenda politique et idéologique déterminé ? Il est impossible de répondre sans prendre en compte le fait que Reporters sans frontières est en partie financée par le National Endowment for Democracy, qui selon un article publié dans le New York Times le 31 mars 1997, a été créé cinq années auparavant « pour réaliser publiquement ce que la Central Intelligence Agency (CIA) a fait subrepticement durant des décennies » et qui « dépense trente millions de dollars par an pour appuyer des partis politiques, des syndicats, des mouvements dissidents et des médias d’information dans des dizaines de pays ». Est-il possible d’être neutre quand l’un des sponsors de cette neutralité milite agressivement dans un camp ?

Un détecteur de mensonges et de demi-vérités infaillible parcourt du début à la fin les pages de ce livre. Il s’agit, à mon avis, du registre le plus complet publié à ce jour sur la campagne de désinformation que développent les ennemis publics et cachés de la Révolution cubaine. Pour la plupart des lecteurs non cubains, "Cuba : Ce que les médias ne vous diront jamais" sera une révélation ; pour nous, il s’agit d’une invitation à continuer la réflexion sur les défis de la lutte idéologique dans un contexte disproportionné, qui pourrait bien être illustré par la légende de David et Goliath.

Pourvu que cet ouvrage se convertisse en un texte de consultation obligatoire pour les étudiants en journalisme, en un matériel de référence pour les politologues, et en une lecture agréable et enrichissante pour l’opinion publique afin de scruter les multiples visages du monde explosif dans lequel nous nous vivons.

Ambrosio Fornet,

*Critique littéraire, essayiste et scénariste cubain, Prix National de Littérature 2009.

"Cuba. Ce que les médias ne vous diront jamais", prologue de Nelson Mandela

Ouvrage de Salim Lamrani

Paris, Éditions Estrella, 2009, 300 pages, 18 €

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