Comprendre le mal qui détruit nos sociétés Le point de vue d’un économiste libéral...

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Cet article d’un économiste libéral, Bruno Berthez [1] est instructif sur ce que pense un expert du système bancaire et financier, l’incapacité du capitalisme à retrouver le chemin d’une croissance de l’économie réelle permettant de nouvelles phases de progrès social. Pour nous, c’est une confirmation, quelques soient les motivations réelles des fondateurs de la FED, que de toute façon ce système n’a pas d’avenir...

Les banquiers des banques centrales détiennent le pouvoir mondial. Ils créent, ils distribuent, ils jonglent avec les milliards. Ils ont réussi à se garantir l’impunité totale, l’irresponsabilité et même au-delà puisque les critiquer ou attenter à leur indépendance est interdit.

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Qui a élu les Greenspan, Bernanke, Powell, Trichet ou Draghi ? Personne !

Pourtant ils fixent les taux d’intérêt, c’est-à-dire le rapport entre le présent et le futur. Ils manipulent les valeurs des monnaies les unes par rapport aux autres. Ils jonglent avec les prix des actifs, avec la valeur des patrimoines, avec le taux d’inflation et beaucoup d’autres choses encore, moins visibles, plus mathématiques, comme par exemple le risque.

Qui leur a donné ces pouvoirs que je qualifie souvent de démiurgiques ? Qui les a instaurés comme apprentis sorciers ?

Ce n’est pas Alexander Hamilton, le premier secrétaire au Trésor US et ardent défenseur de finances nationales solides. Ce ne sont pas non plus les pères fondateurs de la Fed.

Si les promoteurs du Federal Reserve Act de 1913 pouvaient revenir sur Terre pour voir le résultat de leur œuvre, le choc les tuerait une seconde fois ! A l’époque, le Congrès américain avait envisagé une institution qui devait fonctionner dans le contexte de l’étalon-or international. Il ne faut pas l’oublier.

Cela signifiait que le dollar était défini par un poids fixe d’or. Le vieux Carter Glass, le défenseur de la Fed au Congrès, avait réprimandé les critiques lorsqu’ils avaient osé suggérer qu’il tentait de remplacer le dollar en or par un bout de papier vert.

Eh bien, c’est ce Glass lui-même qui est responsable de la majeure partie du mal qui a suivi. Le préambule législatif de l’acte que Woodrow Wilson a signé en 1913 décrit un projet de loi « visant à fournir une monnaie élastique, afin de permettre l’escompte de billets de trésorerie, d’établir un contrôle plus efficace des opérations bancaires aux Etats-Unis et à d’autres fins  ».

Ces autres fins sont rapidement devenues les fins principales.

L’avènement de la répression financière

A peine l’Amérique est-elle entrée dans la Grande guerre que la Fed a prêté main forte pour faciliter le placement des emprunts du gouvernement destinés à payer les dépenses.

Au moment où le système a célébré son 30ème anniversaire, en 1943, la banque centrale a arrimé les taux d’intérêt afin de supprimer le coût de financement d’une guerre encore plus intense.

C’est ce que l’on appelle répression financière, dont j’ai déjà souvent parlé.

La répression financière est un outil des gouvernements pour financer les guerres — et quand je vous répète que nous sommes en guerre, je ne blague pas. L’autre outil, je vous en parle souvent : c’est le mensonge, la fin de la Vérité.

La répression financière, c’est ce qui a été instauré lors de la crise de 2008. Cela permet de quasiment annuler le coût des dettes et, symétriquement, de supprimer la rémunération des épargnants.

Par la décision de mise en place de la répression financière, les banquiers centraux font des cadeaux par centaines de milliards aux emprunteurs et à tous ceux qui ont accès au crédit, les ultra-riches. Et, en face, ils spolient tous ceux qui économisent, qui épargnent pour leur retraite ou pour installer leurs enfants. Ils brisent, ils pulvérisent une régulation, un équilibre séculaire.

Les banques centrales ont ainsi, ni vu ni connu, pris des milliers de milliards de dollars/euros/yens/livres/etc. dans la poche des uns pour les transférer dans la poche des autres. C’est l’une des causes de la forte montée des inégalités mais chut, c’est un secret !
La vraie guerre…

La vraie guerre, c’est en effet… contre vous. C’est vous l’ennemi, c’est vous qu’il faut défaire.

Sautez une autre génération. En 1971, le dollar est devenu le bout de papier non collatéralisé que Carter Glass a nié être. C’est Nixon qui a coupé le lien qui rattachait le dollar à l’or ; il a fermé ce que l’on appelle la fenêtre de l’or, il a protégé le stock d’or américain. Il avait bien compris à quel point l’or était précieux puisque c’est la monnaie des rois, celle qui permet de payer vraiment, c’est-à-dire d’éteindre les dettes.

Nixon a choisi en fait de ne plus payer les dettes américaines, de les transformer en bouts de papier, en dette à perpétuité – ce que bien sûr il ne faut pas dire non plus.

Vous remarquerez que Nixon a choisi de protéger le stock d’or américain contre les demandes du général de Gaulle, par exemple, et que s’il l’a fait c’est parce que l’or est ce qu’il y a de plus précieux… mais pour vous, pauvres idiots, l’opération a été présentée non pas comme une sacralisation ultime de l’or mais comme sa dévalorisation, sa démonétisation ! Ah, les braves gens.

On vous dit qu’il ne vaut plus rien, qu’il est bon pour la poubelle, au titre de relique barbare, mais on conserve bien précieusement celui que l’on a et on n’y touche plus.

C’est ainsi que la gestion monétaire discrétionnaire, arbitraire, sans règle par les anciens professeurs d’économie, les PhD ["Doctor philosophiae", intitulé le plus courant d’un diplôme de doctorat de recherche aux Etats-Unis, ndlr.], est devenue la nouvelle technique de fonctionnement de la Fed.

L’étalon-or était mort. Vive l’étalon PhD. Le doctorat le PhD est devenu l’étalon ; le dollar, comme je le dis souvent, c’est l’étalon PhD.

Dirigée par les PhD – les diplômés d’économie sans prise avec le monde réel, comme nous l’avons vu vendredi –, libérée de l’or après 1971, la Fed est intervenue pour "nettoyer" après la catastrophe financière spéculative de 1998 créée par la gestion de LTCM.

Elle est intervenue pour nettoyer après le sinistre spéculatif des dot.com, puis pour éteindre les incendies spéculatifs de l’immobilier et de l’hypothécaire de 2008.

Le taux d’intérêt a été ramené à zéro et maintenu à ce niveau pendant des années. Aujourd’hui, si la Fed écoutait Trump, la politique monétaire serait utilisée pour financer MAGA, "make America great again".

Alexander Hamilton aurait-il été choqué par ces mesures radicales ? Certainement, et Glass aussi.

Mais la modernité en tant qu’idéologie sociale gérée par les classes dominantes a pour fonction d’euthanasier le passé, de neutraliser l’esprit critique, de supprimer les références et ainsi de valider les escroqueries des élites. "Le culte des ancêtres est un pauvre substitut du progrès", disent-ils.

La science, cependant, est une chose – la finance en est une autre. En science, les progrès sont cumulatifs et ils sont sous le contrôle de l’expérience et des résultats. En matière scientifique, "nous tenons sur les épaules de géants".

En finance, nous sommes juchés sur les épaules de nains de la pensée. Ce que j’ai écrit dès 1981, il y a fort longtemps donc.

La finance masque le réel

Ce n’est pas parce qu’en matière financière nous n’apprenons jamais. Non. Nous apprenons. Mais nous n’apprenons pas ce qu’il faut : nous n’apprenons pas à comprendre le réel.

Cela, le réel, la finance a pour fonction de le masquer !

La finance, comme la monnaie et comme les récits des élites et de leurs mercenaires, a pour fonction de le voiler, de le dissimuler. La finance c’est le grand non-su, le grand non-formulé.

Nous n’apprenons pas l’effort, mais la facilité, la veulerie, l’esprit de jeu et d’irresponsabilité. Nous apprenons à réagir aux incitations, aux manipulations, aux interventions désormais prévisibles de la Réserve fédérale et de ses consœurs visant à soutenir le marché boursier, visant à forcer les gens, ceux qui le peuvent, à s’endetter et à gaspiller l’argent des autres.

Nous apprenons certes... mais nous apprenons à nous habituer au vice, au vice du casino – et c’est ainsi que toute l’activité humaine est devenue le sous-produit d’un jeu de casino.

Nous apprenons à profiter, lorsque nous le pouvons bien sûr, des opportunités offertes par les taux d’intérêt toujours plus bas. Nous apprenons à spolier, à attirer à nous des richesses réelles que d’autres ont produites mais pour lesquelles ils n’ont pas été payés, pas rémunérés.

Le chiffre le plus important de tous

Les taux d’intérêt sont probablement les chiffres les plus importants et les plus conséquents du capitalisme. Ils régulent les rapports entre le présent et l’avenir, ce que l’on appelle les préférences dans le temps.

Ils équilibrent l’épargne et l’investissement, ils actualisent les flux de trésorerie futurs, ils définissent les taux de rendement des investissements, ils mesurent le risque financier, ils déterminent les taux de change entre les différentes monnaies et donc le pouvoir de prélèvement d’un pays sur la richesse mondiale.

La Fed et ses homologues étrangers passent leur temps à manipuler, à influencer, les taux d’intérêt à long terme et à court terme.

Les marchés financiers et les ultra-riches, comme leurs gouvernements, adorent cela ! Les taux artificiellement bas des 10 dernières années ont avantagé les investisseurs, les spéculateurs en général, les promoteurs d’entreprises, les spéculateurs immobiliers et les politiciens.

Ils amortissent ou suppriment les capteurs, les avertisseurs, les indicateurs de risque. Les taux manipulés – comme ceux qui prévalent depuis plus de 10 ans – allouent des fortunes tombées du ciel. Ce sont des désinhibiteurs financiers, ils encouragent à la prise de risque donc ils incitent à la spéculation.

Mais le risque est toujours là, lui ! Il est logé dans le bilan des banques centrales – c’est-à-dire dans le patrimoine commun de tous les citoyens, de tous les contribuables.

Ceux qui s’enrichissent reportent structurellement le risque sur la société tout entière

C’est la socialisation, mais inversée : pour les riches au détriment de la masse, au détriment des pauvres. Ah, les braves gens.

Les taux bas – selon certaines mesures, ce sont les plus bas depuis 3 000 ans – ont pénalisé les épargnants, les classes moyennes, et ils ont incité les possédants à prendre des risques douteux.

Ils ont accéléré la croissance de l’endettement mondial, maintenu en vie des entreprises qui auraient échoué sans le crédit facile.

Ils ont creusé le fossé qui sépare les riches et les pauvres.

Ils ont détruit nos arrangements politiques, disloqué nos sociétés et créé ce que l’on fait semblant d’appeler, pour le stigmatiser, le populisme.

Ce n’est que le début car ces taux bas détruisent en profondeur nos systèmes de retraite, ce qui va paupériser, rendre dépendants, prolétariser des masses considérables de population.

Tout est devenu faux, artificiel.

Nous vivons dans une "fausse économie". Nous disloquons nos sociétés et les valeurs qui vont avec. Nous produisons de nouvelles valeurs de moindre effort, de mensonge et de mystification. Tout en découle : le mal se répand de proche en proche, comme du liquide. Le "pognon" des banques centrales arrose tout et pourrit tout.

Le problème est que les coûts des politiques monétaires scélérates sont différés ; les ravages sont peu clairs et non évidents. La chose monétaire est opaque. On peut toujours tricher avec tout ce qui est monétaire.

En revanche les cadeaux tombés du ciel que les politiques monétaires font pleuvoir sont bien visibles, gratifiants et immédiats.

Ces cadeaux sont transitoires

Les entreprises zombies finissent par faire faillite. Les prix des actifs gonflés à l’hélium monétaire finissent par chuter ; on ne trouve dans l’Histoire aucun exemple de bulle durable.

La vérité des valeurs, la loi de la Valeur finissent toujours par s’imposer, la gravitation est toujours la plus forte. Tout ce qui est soutenu demande un effort, une énergie – et donc l’effort finit soit par céder soit par être contre-productif.

En d’autres termes, dans le vrai monde, on ne rase pas gratis. Ce n’est que dans l’imaginaire monétaire que l’on a quelque chose pour rien.

Même ceux qui s’enrichissent en ce moment, maintenant, les ultra-riches, subiront la contrepartie, le coût de leurs gains actuels : le système qui les fait exister part en lambeaux, les consensus s’effondrent. Un jour, ils seront nus.

La richesse n’est qu’un rapport social relatif à un ordre qu’ils sont eux-mêmes en train de détruire.

Si vous avez compris ce que j’essaie de faire passer vous comprenez également que Macron, l’Europe, les élections, tout cela c’est du pipeau, c’est la surface des choses. Tout se passe ailleurs.

Seule une pensée radicale, c’est-à-dire une pensée qui va à la racine des choses, peut faire progresser les luttes et leur donner un sens. Tout le reste se situe dans la bouteille, comme je le dis, dans l’imaginaire, dans la névrose, et est un produit du système contre lequel on croit lutter.

C’est l’origine du sentiment d’impuissance que ressentent tous les révoltés et tous rebelles.

Voir en ligne : Rédigé par Bruno Berthez 24 mai 2019

Ce texte m’a été inspiré par une conférence de Jim Grant, le géant de la chose monétaire et des taux d’intérêt. Je lui rends hommage. J’ai laissé courir mes associations, mes raisonnements, ma propre logique mais je dois beaucoup à son texte, je tiens à le préciser.
Disons, si cela existe, que c’est une sorte de détournement de son exposé pour exprimer quelque chose que j’avais à cœur de formuler.

[1Bruno Bertez est né en septembre 1944. Patron d’un groupe de presse spécialisé dans l’économie et la finance, il fonda le quotidien La Tribune en 1985. Il écrit régulièrement dans le quotidien des affaires suisse L’Agefi, ainsi que sur son blog personnel, consultable ici : https://brunobertez.com/

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