Contribution au débat autour du projet du PCF « La France en Commun »
Comment situer « La France en Commun » dans « un monde en commun » (3e Partie) Le programme du PCF pour une transition vers le socialisme et vers le communisme

, par  Hervé Fuyet , popularité : 1%

Depuis son 30e Congrès de Martigues en 2000, le PCF n’aborde plus clairement la question d’un programme de transition vers le socialisme et vers le communisme. Il n’aborde pas non plus la question d’un programme minimum de réformes en alliance avec d’autres forces progressistes.
Retrouvons-nous là l’influence lointaine de Jean Jaurès qui ne voyait pas vraiment de saut qualitatif entre réforme et révolution et qui écrivait :

« Aujourd’hui, comme il y a un demi-siècle, il faut se garder de la phrase révolutionnaire et comprendre profondément les lois de l’évolution révolutionnaire dans les temps nouveaux ».

(Jean Jaurès, Études socialistes, Cahiers de la Quinzaine, ÉVOLUTION RÉVOLUTIONNAIRE 1901, p.42, http://fr.wikisource.org/wiki/%C3%89tudes_socialistes/En_cinquante_ans)

On oublie parfois que Lénine ne partageait pas les opinions politiques de Jean Jaurès qu’il jugeait réformistes et proches de celles de Bernstein. Si la question vous intéresse, l’article de Pierre Martin fait une synthèse, sans indulgence pour Jaurès, des analyses de Lénine (http://lepcf.fr/Jaures-versus-Lenine).
On voit que Lénine trouvait déjà cette notion d’évolution révolutionnaire assez floue et source de confusion.
On se demande ce qu’il dirait aujourd’hui en lisant le texte d’orientation adopté par le 36e congrès du PCF - 10 février 2013 :

« A celles et ceux qui en appellent à la mesure et proposent de réguler le capitalisme, nous disons que c’est un objectif illusoire. Sans la volonté de prendre le pouvoir aux marchés financiers et aux grands possédants, l’expérience a montré qu’il n’y a aucun résultat signifiant. Il y a une contradiction de plus en plus insoutenable entre le capitalisme et le progrès social, entre le capitalisme et la démocratie, entre le
capitalisme et le développement culturel, entre le capitalisme et l’écologie, entre le capitalisme et la paix.
C’est pourquoi nous parlons de révolution. Une révolution sociale, citoyenne, pacifique, démocratique, et non pas la prise de pouvoir d’une minorité. Un processus de changement crédible et ambitieux, visant à rompre avec les logiques du système. C’est pourquoi nous parlons de communisme, un "communisme de nouvelle génération" ».

(http://www.pcf.fr/sites/default/files/36_humanifeste_pcf_0.pdf).

A propos des Chantiers de l’Espoir

Le document « La France en commun » ouvre des « Chantiers de l’espoir » et veut « déverrouiller la politique ».

Dans cette perspective, le quotidien L’Humanité consacre chaque semaine une double page à prévenir une « déverrouillée » qui menace malheureusement les partis politiques de gauche en France et risque de paver la voie à la prise de pouvoir par l’extrême droite « Bleu Marine » aux élections présidentielles de 2017.

Voyons ce que L’Humanité propose dans ses doubles pages de l’édition du jeudi pour « déverrouiller la politique »

Les Déverrouillons la politique des Humas du jeudi

Jeudi 11 juin 2015

Christian Laval, professeur de sociologie à l’Université Paris-Ouest Nanterre, prône « la relance de l’internationalisme   » ce qui signifie pour lui :

« ...saisir ce qui émerge partout dans le monde » et donc « Pour réinstituer la gauche, deux grandes orientations doivent prévaloir : la relance de l’internationalisme d’abord, pour contrer les illusions et dérives nationalistes. Mais, surtout, avant tout, donner une forme politique crédible à l’espoir. Et pour cela il faut saisir ce qui émerge partout dans le monde, et dans tous les secteurs de la société, au-delà des clivages politiques à gauche, et qui a pour nom le « commun ». Les mouvements espagnols l’ont bien compris qui gagnent des élections en mettant Barcelone et les autres grandes villes "en commun" . Les pratiques du commun, dans la société, qui articulent l’autogouvernement et le droit à l’usage collectif, régénèrent la perspective révolutionnaire en tournant le dos aux vieilles formules étatistes du socialisme et du communisme ».

Christian Laval conclut que

« C’est en écoutant les mille voix du commun que la gauche réinventera un projet révolutionnaire ».

(http://www.humanite.fr/comment-et-partir-de-quels-leviers-refonder-un-projet-politique-alternatif-576614)

Dans ce même numéro de L’Humanité, toujours dans la rubrique « Dévérouillons la politique », Ugo Palheta, sociologue de Champ libre aux sciences sociales, veut « Inventer une politique de l’opprimé », reprenant ainsi le terme de Daniel Bensaïd (Daniel Bensaïd est un "Philosophe et théoricien du mouvement trotskiste en France. Il fut un dirigeant historique de la Ligue communiste révolutionnaire et de la Quatrième Internationale. Son influence politique et théorique ont fait de lui un acteur incontournable dans le mouvement trotskiste mondial, et plus généralement dans le communisme antistalinien”. (http://fr.wikipedia.org/wiki/Daniel_Bensa%C3%AFd )

Jeudi 21 juin 2015

Selon Ugo Palheta :

« ... il est heureux que les exemples grec et espagnol viennent rappeler qu’il n’y a rien de fatal dans les succès de l’extrême droite en Europe. Mais ils signalent également que l’émergence d’une nouvelle représentation politique des classes populaires n’est jamais le produit d’un travail de recomposition à froid ; elle dépend et de l’intensité des luttes populaires et de la capacité, de la part de forces existantes (Syriza) ou latentes (Podemos), à donner forme politique aux aspirations à une rupture ».

(http://www.humanite.fr/comment-et-partir-de-quels-leviers-refonder-un-projet-politique-alternatif-576614)

Ainsi l’internationalisme évoqué se limite à Syriza et Podemos, mais n’inclut pas les partis communistes et les pays du socialisme réellement existant. Loin de moi l’idée de vouloir minimiser l’intérêt de Syriza et de Podemos, surtout s’ils peuvent contribuer à la progression du socialisme réellement existant dans le monde, au lieu de le diffamer ou de l’ignorer !

Syriza et Podemos, la solution ?

Selon Pierre Laurent, secrétaire national du PCF :

« La France peut suivre le chemin de la Grèce et de l’Espagne »

Pierre Laurent dit ne pas voir une victoire à gauche fondée sur « un parti communiste élargi » mais pense que la France est un pays susceptible de suivre le chemin de la Grèce ou de l’Espagne. La ligne de Pierre Laurent semble claire : « Syriza, Podemos et nous, c’est la même chose » dit-il.
(http://www.estrepublicain.fr/edition-belfort-hericourt-montbeliard/2015/06/04/pierre-laurent-secretaire-national-du-pcf-a-belfort-podemos-syriza-et-nous-c-est-la-meme-chose)

Quelques remarques sur la théorie de Podemos et Syriza

Les principaux dirigeants de Podemos ont écrit un petit livre sur Podemos et sur Syriza pour mieux les faire connaître intitulé « Podemos, sûr que nous pouvons ! », (« Podemos, sûr que nous pouvons ! », (French Edition) by Carolina BESCANSA, Pablo IGLESIAS, Iñigo ERREJON, Juan Carlos MONEDERO, version ebook).
J’en ai choisi et commenté quelques extraits, sans évidemment penser épuiser un sujet si complexe, mais pour inciter ceux qui le souhaiteraient à approfondir la question

Les auteurs du livre nous disent :

« N’est-ce pas, déjà, le langage de Podemos avec sa volonté de « casser » les cadres établis qui aujourd’hui empêchent la politique d’inventer de nouvelles formes capables de répondre aux demandes de l’époque ? N’était-ce pas aussi le sens d’Indignez-vous !? Que chacun trouve son propre motif d’indignation, car alors, écrivait son auteur, Stéphane Hessel, le vieux résistant, « on rejoint le grand courant de l’histoire ; et ce courant va vers plus de justice, plus de liberté, plus de droits ; et si vous rencontrez quelqu’un qui n’en bénéficie pas aidez-le à les conquérir »
(location 47).

On voit déjà là cette même confusion européocentriste entre l’Europe et le monde. Les pays socialistes comme Cuba, le Vietnam, la Chine surtout, n’ont pourtant pas attendu Podemos pour « répondre aux demandes de l’époque ».

Podemos a fait une découverte ! Il ne suffit pas de s’indigner, il faut aussi voter !

« Nous avons compris que nous avions fait un grand pas en avant en nous indignant, mais nous nous sommes aussi rendu compte que cela ne suffisait pas. Le deuxième pas était plus compliqué : il nous obligeait à nous organiser, à entrer dans le terrier du renard, à remettre en cause le sens commun dans les endroits où aujourd’hui il se construit. Mais nous savions déjà que la seule chose qui fait peur au pouvoir, c’est de le battre par les votes. Il fallait mettre toute la vapeur de l’indignation sociale dans une chaudière qui nous conduirait à ce Sud où la politique, ce sont les peuples qui la font à nouveau » (location 71).

Ce « Sud », c’est le sud de l’Europe, puisque pour Podemos, ce qui compte, c’est l’Europe ! Ce sont les victoires électorales nationales de Syriza en Grèce et municipales de Podemos en Espagne qui sont pompeusement qualifiées de « ce Sud où la politique, ce sont les peuples qui la font à nouveau ».

Pour Podemos, l’ideologie, voilà l’ennemi ! Podemos écrit :

« Nous avons compris que nous ne pouvions pas continuer de parler d’idéologie si cela avait pour seule conséquence de nous fragmenter » (location 124).

Quand Podemos n’aime pas, c’est de l’idéologie, mais leur idéologie n’en serait pas une ! En tous cas, nous sommes bien loin du marxisme en effet...

Podemos ajoute avec « modestie » :

« Nous allons tracer de nos mains un éclair qui montre qui sont ceux d’en bas et ceux d’en haut » (location 127) [...] « Nous allons proclamer et assurer que ça nous est égal : ce que tu as voté hier, ça nous est égal ; ça nous est égal de savoir avec quelle idéologie tu ordonnes » (location 129 ) [...] « Après un siècle plein d’étiquettes, nous proposons de congédier les vieilles idéologies. Pendant que nous élaborons les nouvelles, faisons comme si nous n’en avions pas besoin pour nous organiser » (location 141).

« Congédier les vieilles idéologies », veut sans doute dire « congédier » le marxisme, le léninisme, le socialisme aux caractéristiques de la Chine, etc., pendant que « nous » (Podemos, Syriza, et des « poissons-pilotes trotskistes »), « élaborons
les nouvelles » idéologies. Quelle modestie !

Marx et les Communistes en général ont une autre opinion de l’idéologie. Je retrouve ces lignes dans mes vieilles fiches de lecture et dictionnaires un peu moisis. Le langage est moins « marketing » que la « pensée Podemos », mais plus clair quand même :

« IDEOLOGIE. Système d’opinions, d’idées et de concepts que professe une classe ou un parti politique. Les opinions politiques, la philosophie, l’art, la religion sont des formes d’idéologie. Toute idéologie est le reflet de l’existence sociale, du système économique qui prédomine au moment donné. L’idéologie dans une société de classes est une idéologie de classe. Elle exprime et défend les intérêts de telle ou telle classe en lutte. Pour Lénine, "... Le problème se pose uniquement ainsi : idéologie bourgeoise ou idéologie socialiste. Il n’y a pas de milieu (car l’humanité n’a pas élaboré une ’troisième idéologie’ ; et puis d’ailleurs, dans une société déchirée par les antagonismes de classes, il ne saurait jamais exister d’idéologie en dehors ou au-dessus des classes)"
L’idéologie joue un rôle immense dans la vie sociale, dans l’histoire de la société. Reflétant les conditions de la vie matérielle de la société et les intérêts de telles ou telles classes, l’idéologie, à son tour, agit sur le développement de la société. L’idéologie progressiste sert les intérêts des forces révolutionnaires de la société. L’idéologie de la classe ouvrière est le marxisme-léninisme , arme idéologique du parti communiste et de la classe ouvrière dans la transformation révolutionnaire, socialiste, de la société. La force de cette idéologie provient de ce qu’elle traduit fidèlement les lois objectives du développement de la société et exprime les nécessités du développement historique de notre époque. L’idéologie bourgeoise contemporaine est au contraire une force réactionnaire. »

(Oeuvres choisies en deux volumes, t. I, 1re partie, M. 1954, p. 238).

Il est amusant de constater que Marx lui-même a éprouvé des difficultés avec le Parti
Communiste de son temps justement sur la notion d’idéologie. Podemos et le PCF n’ont rien inventé !

« L’ Idéologie allemande » (1845-1846) est une des premières oeuvres philosophiques de Marx et d’Engels, Marx et Engels y donnent pour la première fois dans cet ouvrage un exposé circonstancié de leur théorie matérialiste de l’histoire. Le livre ne parut pas du vivant de ses auteurs. Dans une lettre à Annenkov, Marx en explique la raison : "Vous ne croirez jamais quelles difficultés une telle publication rencontre en Allemagne, d’une part de la police, d’autre part des libraires, qui sont eux-mêmes les représentants intéressés de toutes les tendances que j’attaque. Et quant à notre propre parti, il est non seulement pauvre, mais une grande fraction du parti communiste allemand m’en veut parce que je m’oppose à ses utopies et à ses déclamations" »

(Marx-Engels : Ausgewählte Briefe, B. 1953, S. 41).
« L’Idéologie allemande » fut publiée pour la première fois en U.R.S.S. en 1932.

Tout cela semble bien dépassé pour Podemos qui affirment sans hésiter :

« Comment définir ce que nous faisons ? Nous bataillons pour faire émerger des notions essentielles. Les gens croient que pour militer il faut entrer dans les partis ou dans les collectifs politiques, mais ce n’est pas vrai, les gens militent à travers les médias (location 380). Avec des slogans tels que "nous sommes les 99 %" et la polémique "nous ne sommes ni de droite ni de gauche, nous sommes ceux du bas contre ceux d’en haut". Ce qu’a voulu transmettre ce mouvement, c’est que les vieux positionnements idéologiques qui ont structuré le champ politique espagnol ne servent plus »( location 426). [...] Nous sommes des militants et notre parti est La Tuerka, (Rappelons que Trotski, opposant notoire à Staline, fut assassiné au Mexique par le militant communiste catalan Ramón Mercader, en 1940. (N.d.E. français) ). "Aujourd’hui, je crois que c’est mon tour de donner une explication et, fidèle au style Tuerka, ça va être une explication provocatrice. Qui aurait dit au bon Léon Trotski, génial organisateur de l’Armée rouge, qu’un autre communiste, le Catalan Ramón Mercader, allait lui donner la mort ? Qui aurait dit à Mercader que son intempestive mère Caridad, en essayant de l’aider, obtiendrait qu’il pourrisse dans une prison mexicaine pendant vingt ans ? Et qui m’aurait dit que, grâce à un débat avec Federico Jiménez Losantos dans El Gato al Agua, les médias allaient me donner la parole ?" » (location 534).

Podemos ajoute :

« À l’issue de la Seconde Guerre mondiale, quand une droite devenue fasciste dans les années 1930 fut battue, l’antifascisme put construire une nouvelle forme d’entente entre nous, cet État social et démocratique de droit. Mais cet État social fut soldé par la disparition de l’Union soviétique qui laissa à la droite la victoire de la guerre froide. Depuis lors, la gauche ne relève pas la tête ; et si elle la lève, on la lui coupe » (location 574).

Cette partie du livre de Podemos n’est vraiment pas claire ! Que vient faire là le soit-disant génial Trosky ! Et pourquoi cet antisoviétisme primaire !

Errejón , un des dirigeants de Podemos, écrit :

« L’Amérique latine, dans les deux programmes de télévision que nous avons élaborés, La Tuerka et Fort Apache, m’a fourni des scénarios où les grandes paroles renvoyaient à des pratiques réelles et pas à du charabia de frikis de gauche. État,socialisme, démocratie, pouvoir, révolution, hégémonie, réaction ou oligarchie n’étaient pas des mots à simplement lancer sur Twitter ou à imprimer sur un teeshirt, mais bien de vrais termes définissant de vrais équilibres, des rapports de force réels engagés dans les processus qu’on était en train de vivre » (location 723).

Les éditeurs français rédigent une longue note sur le sens du mot frikis et surtout sur
Laclau et Mouffe et expliquent ainsi l’attachement de Podemos pour ces penseurs.

« (Frikis : vient du mot anglais freak qui veut dire original, farfelu. (N.d.E. français). Aussi bien les jeunes leaders espagnols de Podemos que les Grecs du mouvement Syriza reconnaissent des "maîtres à penser" dans l’Argentin Ernesto Laclau (1935-2014) et Chantal Mouffe (née en 1943) ; couple dans l’intimité puisqu’ils furent mari et femme, mais aussi intellectuellement : ils ont cosigné leur grand livre, Hégémonie et stratégie socialiste (Verso Books, Londres, 1985 ; édition française, Les Solitaires intempestifs, Besançon, 2008), traduit en trente langues et considéré comme un manifeste post-marxiste pour la "démocratie radicale" qu’appelle de ses vœux la génération des Indignés. Si Íñigo Errejón en particulier s’est abondamment nourri de la pensée du politologue argentin, formé à Oxford et professeur à l’université d’Essex, en Angleterre, jusqu’à sa mort en avril dernier, et de sa compagne née à Charleroi en Belgique, directrice, elle, du Centre pour l’étude de la démocratie à l’université de Westminster, Londres, Yánis Varoufákis, le bouillonnant ministre des Finances de Syriza a été l’élève d’Ernesto Laclau. Aux yeux de Laclau et Mouffe, le conflit de classe identifié par Marx est détrôné aujourd’hui par de nouvelles formes d’identité et de conscience sociale. S’il s’agit bien de rompre avec les diktats de la théorie marxiste – lois de l’histoire, primat de l’infrastructure économique et la dictature du prolétariat –, il n’en est pas moins crucial de se démarquer d’une pensée libérale qui place en son centre l’individualisme et le rationalisme. Ce qui ne veut pas dire, aux yeux de ces penseurs dans la filiation d’Antonio Gramsci, Cornelius Castoriadis et Michel Foucault, tout détruire et repartir à zéro, mais réellement mettre en œuvre les principes d’égalité et de liberté proclamés, mais non appliqués, par les démocraties libérales modernes. En somme, "radicaliser la tradition démocratique moderne". On doit à Ernesto Laclau plus particulièrement, à travers son ouvrage La Raison populiste (Seuil, 2008), d’avoir réhabilité la notion de populisme de gauche, un sentiment dont il a étudié la montée et l’incarnation en Amérique latine à travers les victoires de Hugo Chávez au Venezuela, de Néstor puis Cristina Kirchner en Argentine, de Rafael Correa en Équateur. "Je dirais, précise Laclau, qu’une démocratie vivante doit savoir créer un équilibre entre le monde institutionnel et les revendications populaires qui s’expriment parfois à travers le populisme". Chantal Mouffe, elle, insiste sur le rôle des passions dans la formation des identités collectives, et sur les antagonismes – ou conflictualités – indissociables de toute démocratie, réelle, plurielle, et qui peuvent, doivent être sublimés en "agonismes", car alors "l’ennemi" devient "adversaire" et c’est entre adversaires qu’on affûte, qu’on étend le domaine de la démocratie. Notons que si Ernesto Laclau et Chantal Mouffe sont considérés en Amérique latine et aux États-Unis comme des représentants majeurs de la philosophie politique contemporaine, on rend mal justice en France à leurs travaux, et à leur rôle auprès des générations politiques montantes.

Rendant hommage à Ernesto Laclau au lendemain de sa mort, Íñigo Errejón écrivait :

« Il a semé des graines qui ont fécondé la richesse intellectuelle et politique d’une Amérique latine laquelle a étendu l’horizon du possible et nous a montré que la politique peut être une création, une tension, une ouverture et aussi une forme d’art quotidien, plébéien » (N.d.E. français) ( location 1002).

Je ne saurais pas dire si Laclau et Mouffe sont considérés en Amérique
latine comme des représentants majeurs de la philosophie politique contemporaine, mais il me semble que ce n’est pas le cas aux Etats-Unis.
Par contre, je trouve très intéressant l’influence de Laclau et Mouffe sur Podemos et Syriza et l’Amérique latine (Voir http://en.wikipedia.org/wiki/Ernesto_Laclau
https://fr.wikipedia.org/wiki/Chantal_Mouffe).

Ensuite Podemos écrit :

« On nous a beaucoup demandé si Podemos est compatible avec les structures de la gauche conventionnelle. J’oserais dire que Podemos n’est pas compatible avec les structures politiques caractéristiques de la démocratie représentative, de gauche comme de droite. C’est précisément une des clés de la crise que nous vivons, à savoir que ce qui est contesté, c’est le cœur même de la démocratie représentative, avec l’idée de délégation, l’idée de participation et jusqu’au concept même de citoyenneté. Les partis politiques tels que nous les connaissons, dont l’origine se trouve dans les partis ouvriers de masse des années 1910 et 1920, sont des partis nés quand la majorité des gens ne savaient ni lire ni écrire, quand les niveaux de formation étaient très bas et que la capacité des gens à participer aux débats était très limitée, à cause du manque de formation, du manque d’espaces de discussion, de moyens d’accès à l’information.
Cent ans après, non seulement ces modèles de partis issus des partis de masse se sont tous convertis en partis fourre-tout, en machines électorales et clientélistes (ces grandes structures où tout fonctionne par mécanismes de délégation et donc par un concept de tutelle, de tutelle du militant ou de l’affilié), mais ils cessent d’avoir un sens dans des sociétés où la majorité des gens ont fait des études secondaires, ont un niveau d’accès à l’information et une capacité d’analyse et de débat très élevés. Dans les sociétés contemporaines, les gens n’ont pas besoin de tutelle – même les mieux intentionnées – pour pouvoir participer à un débat, pour pouvoir penser ou se former une opinion. Or, il existe dans les partis politiques de vieilles structures qui
n’ont pas tant à voir avec la gauche qu’avec la démocratie représentative ; de vieilles structures qui conçoivent la citoyenneté en des termes qui ne correspondent plus aux sociétés contemporaines. C’est pourquoi la question n’est pas de savoir si Podemos est compatible avec les vieilles structures de gauche ; le problème c’est que Podemos n’est pas compatible avec les formes d’organisation de la démocratie représentative ».

Cette curieuse affirmation de la « pensée Podemos » s’applique-t-elle en Espagne, en Europe ou dans le monde entier ? Pas clair ce Podemos ! On dirait que la pensée Podemos est une vision « basiste » d’une démocratie directe guidée par des experts de la com, sinon même du marketing. Cela rappelle un peu, curieusement, les méthodes de la théologie de la libération, qui ont donné en effet des résultats spectaculaires, mais éphèmères, comme l’ex-président Aristide en Haïti et son mouvement « Lavalas », une sorte de Podemos avant la lettre. La victoire remarquable du NON grec à l’Europe néolibérale dans le référendum grec du 5 juillet 2015 est un autre bon exemple de la « pensée Podemos ». Cela montre bien la force, mais aussi les risques de ce que le théoricien de la psychanalyse, Hervé Hubert, nomme « transfert social » (http://cocowikipedia.org/index.php?title=Transfert_social).

Podemos ajoute :

« Si nous avons toujours prêté une attention particulière à l’Amérique latine, c’est que, pour nous, l’Amérique latine représente le laboratoire des transformations politiques dans une direction progressiste, favorable à ceux d’en bas. L’ultime espérance de la gauche depuis la chute du Mur de Berlin » ( location 1214).

Encore cette fascination pour l’Amérique latine et ce curieux déni du socialisme réellement existant (ou ayant réellement existé).
L’Amérique latine était un véritable pèlerinage pour les intellectuels trotskystes ou
euro-communisants des années 70.

Podemos parle ensuite de son cousinage avec Syriza :

« Syriza, en Grèce, dont nous partageons le programme, a prouvé, en gagnant les élections, que tous ces thèmes à propos desquels nous avons beaucoup échangé à Athènes peuvent changer la donne politique. Nous voyons combien le bien-être du Nord se construit sur le mal-être du Sud ; comment on est en train de construire « des Suds » dans le Nord, en créant des zones d’appauvrissement, de soumission aux diktats des États du Nord. Aléxis Tsípras, l’actuel Premier ministre grec, a montré beaucoup d’intérêt pour nos idées sur la récupération du concept de patrie, sur la manière dont il fallait casser la dichotomie gauche-droite, si nous voulions l’emporter. Et ils l’ont emporté. Sûr que nous pouvons l’emporter aussi ! Les jeunes intellectuels à la tête de mouvements-partis comme Podemos et Syriza ont remis en scène un penseur marxiste majeur de la gauche italienne du début du XXe siècle, Antonio Gramsci (1891-1937). Ses concepts de "sens commun", d’ " intellectuel organique" et d’ "hégémonie culturelle" paraissent avoir été écrits pour notre époque ; il ne réduit pas la bataille politique aux seuls renversements des structures économiques et sociales existantes. Une bataille "morale-culturelle" doit être livrée par la société civile animée par le "sens commun" (qui inclut, mais sans se limiter à lui, le "bon sens"). L’intellectuel organique, solidaire des mobilisations populaires, les aide à gagner cette bataille en leur faisant prendre conscience de leur homogénéité. À la différence de l’intellectuel traditionnel qui s’estime au-dessus des classes sociales, des conflits. Cette phrase agitée sur les places, dans les rues exprime bien la stratégie "gramscienne" reprise par les leaders de Podemos : "Ce n’est pas ’le peuple’ qui produit le soulèvement, c’est le soulèvement qui produit ’son peuple’ » (N.d.E. français) (location 1263).

Nous retrouvons donc chez Podemos la version eurocommuniste de Gramsci. Comme l’explique Peter Thomas :

« ...le Gramsci mis plus tard en avant par les eurocommunistes, maintenant théoricien de la modernisation et du développement (censé justifier divers "compromis historiques" à partir des années 1970), fut accompagné d’une lecture dans laquelle son concept de société civile devenait le lieu véritable d’un pouvoir politique que la forme étatique existante n’aurait confisqué que formellement et après coup. Par conséquent, la prise du pouvoir politique nécessitait un premier et lourd travail de construction "hors de l’État" visant à le priver de soutien ».

(http://www.contretemps.eu/interventions/gramsci-politique)

Intéressant, les points communs entre Podemos, Syriza et certains courants du PCF avec les mêmes interprétations de la pensée de Gramsci !

Pourtant Podemos et le PCF auraient pu avec profit s’inspirer de cet aspect de la pensée de Gramsci :

« Gramsci fut incité, au premier chef, à élaborer une théorie de la "traduisibilité" par la remarque de Lénine lors du 4e Congrès de la 3e Internationale en 1922, remarque selon laquelle la Révolution russe n’avait pas encore pu "traduire" son langage dans les langues de l’Ouest européen ».

(http://www.contretemps.eu/interventions/gramsci-politique)

Cette incompréhension atteint des proportions dramatiques chez Podemos comme le montre la « pensée Podemos » suivante :

« D’où la similitude des guerres, des restrictions financières et des réductions budgétaires, du rôle de la science, du machisme ou du traitement des sans-papiers. Il y a une sorte de macdonaldisation du monde qui découle de l’hégémonie occidentale, depuis au moins le XIXe siècle. Au final, le capitalisme est comparable au Venezuela, en Espagne et en Chine... » ( location 1454).

Podemos met-il sur le même pied la Chine (à l’étape primaire du socialisme) et le Vénezuela (qui construit un socialisme du XIXe siècle) avec l’Occident impérialiste ? Il me semble qu’une telle confusion serait grave ! Comment ne pas se dissocier d’une telle posture, d’une telle imposture aussi !

Podemos écrit ici à propos de sa compréhension de la situation politique en Amérique
latine et à Cuba :

« Ce scénario, qui au XIXe siècle est à l’origine du débat sur la lutte des classes, était très présent en URSS et servit de justification au stalinisme. Dans les gouvernements de transition en Amérique latine, la lutte pour la critique, pour l’existence de factions, pour l’autogestion, pour des médias qui demandent des comptes aux gouvernements – y compris dans les services publics – est une nécessité qui reste souvent lettre morte. Depuis la victoire de Chávez aux élections de 1998, les pouvoirs traditionnels, aussi bien vénézuéliens que latino-américains, nord-américains et européens, se sont mis à conspirer pour en rejeter le résultat... Et le Venezuela en est toujours sorti victorieux. Mais le comportement putschiste de l’opposition – comme souvent dans le continent – a poussé le gouvernement dans ses retranchements, et il est devenu imperméable aux critiques... Ce comportement finit par mettre toutes les critiques sur le même pied, comme si elles avaient toutes un but de déstabilisation, ce qui a beaucoup affaibli les gouvernements de la gauche latino-américaine. Cuba d’abord, puis tous les autres pays, lesquels n’ont pas pris en considération que la critique est l’oxygène : elle alimente les processus de changements et revitalise la fibre révolutionnaire de la citoyenneté (alors que son affaiblissement produit l’effet inverse) » (location 1537).

Stalinisme, factions, critiques de Cuba, etc. On est en plein trotskisme !

Tsipras et Georges Marchais

Il est intéressant de voir que, selon certains communistes comme Gilbert Remond, la source du problème remonte à loin, au concept de démocratie avancée et à Georges Marchais.

Gilbert Remond écrit en janvier 2015 un article intitulé “Le défi démocratique, Georges Marchais et Alexis Tsipras” (http://lepcf.fr/Le-defi-democratique-Georges-Marchais-et-Alexis-Tsipras)

« On a l’impression d’être sur une toute autre planète que celle ou nous vivons. L’un comme l’autre parlent de socialisme, de pays socialistes qui ne connaissent pas l’inflation, où les salaires augmentent, où les gens sont logés à des prix bon marché qui intègrent le téléphone, l’eau, le chauffage. L’exposé est concret. Le descriptif des forces sociales à rassembler est clair. Tous deux insistent avant tout sur la dimension sociale et non politicienne du rassemblement. Cependant une seule chose me laisse perplexe, l’insistance portée sur la dimension démocratique...
Je crois que plus le temps passe, moins je vois possible cette stratégie. Le changement que pouvait apporter une stratégie issue d’un rassemblement type union de la gauche pour une démocratie avancée, me semble impossible dans les conditions institutionnelles de notre pays.
La monté des contradictions dans l’Europe capitalistes et entre puissances impérialistes, risque bien de nous entraîner vers une période de guerre et de répressions intenses. C’est pourquoi l’Ukraine est un théâtre qui ne se limite pas au bruit et à la fureur shakespearienne. Il se rapproche de plus en plus d’un drame de type orwellien où les souffleurs appartiennent à la police de la pensée. Aussi est-ce la raison pour laquelle je crois que le "Défi démocratique", s’il est un livre à relire pour comprendre ce qui aurait pu fonctionner mais qui a dysfonctionné il y a trente ans, n’est pas un livre a réécrire...
Je me rappelle trop Fiterman (le porte plume du "Défi démocratique") qui déclarait avec une conviction tranquille que l’impérialisme était une phase dépassée parce que nous entrions dans un monde où la force de la politique prenait le pas sur la politique de la force. Je pense que cette disposition d’esprit qui nous vient de Gorbatchev n’a pas fini de nous nuire parce qu’elle est toujours en cours dans la direction du parti. Elle est celle qui domine dans le PGE ».

Interview de Georges Marchais sur le "Défi démocratique"

« A l’occasion de la sortie du livre le "Défi démocratique" en septembre 1973, Georges Marchais est interviewé en compagnie de Mireille Bertrand. Au cours de cet interview, Georges Marchais répond aux questions du journaliste Marcel Trillat et explique la nécessité du défi démocratique, sa complémentarité avec le programme commun cosigné avec les socialistes et les radicaux de gauche. Selon Georges Marchais, le défi démocratique annonce la mise en place de la société socialiste de demain et la manière d’y parvenir. L’essentiel des réponses est donné par
le premier secrétaire du Parti communiste, Mireille Bertrand intervient de manière plus brève et non systématique.
Contexte Historique : en 1972, la droite est au pouvoir, Georges Pompidou est président de la République, les communistes signent alors avec le parti socialiste et les radicaux de gauche un Programme commun de gouvernement. En septembre 1973, Georges Marchais alors premier secrétaire du Parti communiste, fait paraître un livre intitulé le "Défi démocratique". A l’occasion de la sortie de ce dernier, il est interviewé en compagnie de Mireille Bertrand. Au cours de cette interview Georges Marchais explique la nécessité du défi démocratique, sa complémentarité avec le programme commun ».
(http://www.cinearchives.org/Films-447-293-0-0.html)

Quelques remarques sur la pratique de Syriza et Podemos

La revue Savoir/Agir consacre une partie de son très intéressant numéro 32 de juin 2015 à la pratique de Podemos et de Syriza.(http://croquant.atheles.org/revuesavoiragir/revuesavoiragirn32)

Dans ce numéro de Savoir/Agir, Frédéric Lebaron mentionne
« ...la création de la nouvelle banque de développement international des BRICS... et les rapprochements stratégiques, embryonnaires, mais ô combien symboliques, entre la Grèce d’une part, la Russie et la Chine d’autre part (p.6) ».

Si le sujet vous intéresse, voici un article écrit avec humour et
bien documenté : http://www.mondialisation.ca/russie-le-calme-dans-la-tempete-sanctions-economiques-militarisation-usotan-a-la
- frontiere-russe/5459720

Dans la revue Savoir/Agir numéro 32 :

Héloïse Nez, note que :

« Si les modes de fonctionnement de Podemos sont en partie hérités des Indignés. Pour Podemos, les débats sur l’organisation interne du parti débouchent sur une structure assez classique, où la figure du leader incarné par Pablo Iglesias, un professeur de science politique de 36 ans, connu médiatiquement pour ses interventions à la télévision est centrale » (p.54).

Pour Lamprini Rori :

« Contrairement à l’idée reçue, selon laquelle Syriza a rassemblé grâce à une organisation alternative ou innovante, nous montrerons que Syriza a pu remporter les élections en se dotant de structures caractéristiques d’un parti politique classique, s’adaptant aux règles de la compétition électorale et sachant utiliser à son profit le contexte institutionnel et politique » (p.61).

Jacques Sapir écrivait le 27 juin (donc avant la victoire référendaire de Syriza le 5 juillet) a écrit :

« Alexis Tsipras avait décidé de convoquer un référendum le 5 juillet, demandant au peuple souverain de trancher dans le différent qui l’oppose aux créanciers de la Grèce. Nous sommes en présence d’un véritable abus de pouvoir qui a été commis ce 27 juin dans l’après-midi, quand l’Eurogroupe a décidé de tenir une réunion sans la Grèce. Ce qui se joue désormais n’est plus seulement la question du devenir économique de la Grèce. C’est la question de l’Union européenne, et de la tyrannie de la Commission et du Conseil, qui est ouvertement posée...
Et c’est peut-être là l’échec principal de l’Eurogroupe et des institutions européennes : avoir transformé un partisan de l’Europe en un adversaire résolu des institutions européennes.

Tsipras n’était pas il y a cinq mois de cela un opposant à l’idée européenne. Mais, la
multiplication des humiliations, des tentatives de coup de force, l’ont obligé à réviser nombre de ses positions, qui pour certaines d’entre-elles relevaient de l’illusion. Tsipras et Varoufakis sont aujourd’hui sur une trajectoire de collision avec l’Eurogroupe et l’UE non pas de leur fait, mais de celui des « institutions européennes ». Ceci est d’une immense importance pour la suite...

Il est alors symptomatique que la crise induite par un pays ne représentant pas plus de 2% du PIB de l’UE ait pris cette tournure. En fait, cela révèle au grand jour la nature fondamentalement antidémocratique des institutions de l’UE et le fait que cette dernière soit en train de se constituer en Tyrannie ».

(http://russeurope.hypotheses.org/4019)

Le "Penser l’Après" de Jacques Fath

Jacques Fath, membre du Comité exécutif et responsable des relations internationales du PCF de 2006 à 2013, publie en juin 2014 un livre intitulé « Penser l’Après, essai sur la guerre, la sécurité internationale, la puissance et la paix dans le nouvel état du monde ».

Ce livre rédigé par un dirigeant du PCF est d’un grand intérêt tant par ce qu’il nous apprend que par les questions qu’il pose. Jacques Fath, qui fait partie du comité du projet qui a travaillé pendant deux ans sur « La France en Commun », expose ici la politique internationale du PCF de ces dernières années, politique extérieure qui constitue le cadre idéologique de « La France en Commun » dans son état actuel de juillet 2015. On peut espérer que les débats soulevés par le livre et par « La France en Commun » contribueront à une évolution de la théorie et la pratique du
PCF. Une lecture attentive de l’Huma sur l’Ukraine, par exemple, semble indiquer que cette évolution a déjà commencé.

Jacques Fath commence par une analyse du XXe siècle qu’il perçoit comme :

« ère des catastrophes... Cette séquence de l’histoire, dit-il, requiert bien une telle qualification avec les deux guerres mondiales et le génocide hitlérien, avec deux bombes nucléaires sur le Japon, avec le génocide des Arméniens et celui du Rwanda, avec les guerres coloniales et les massacres qui les ont accompagnées. On peut dire que c’est l’ensemble du siècle qui relève du tragique et de l’impensable humain. La certitude du progrès sur des valeurs universelles en a été ébranlée » (« Penser l’Après », p. 8).

Aucune mention par contre de la Révolution d’Octobre, ni de la Révolution chinoise de 1949, ni des autres révolutions socialistes ! Par contre, l’auteur nous dit, quelques pages plus loin, que :

« Le basculement de la chute du Mur de Berlin et la dissolution du bloc de l’Est entre 1989 et 1991 sont des bouleversements géopolitiques mondiaux qui ont transformé toutes les relations internationales » (idem, p.11).

Et il conclut que « La confrontation systémique et idéologique Est/Ouest a disparu avec l’extension du libéralisme économique, des modes de croissance et de gestion capitaliste. La contradiction Nord/Sud structurée sur le tiersmondisme d’hier et sur un anticolonialisme et un antiimpérialisme, comme réalité d’ensemble pesant sur le rapport des forces, s’est effacée. Le système capitaliste n’a plus d’adversaires extérieurs à sa mesure » (idem, p.12).

Dans ce qui ressemble à la Pensée Podemos, Jacques Fath ajoute encore que :

« Depuis la chûte du mur, le capitalisme n’a plus d’adversaire ou de système antagonique contre lui. Il est maintenant clairement et entièrement face à ses propres problèmes (idem, p.16) [...] Le besoin de ruptures a produit les mouvements sociaux et les changements politiques en Amérique latine qui s’affirment dès les années quatre-vingt-dix avec le rejet très majoritaire des contraintes néolibérales (idem, p.12) [...] l’idée même d’une alternative possible au capitalisme s’effondre avec l’échec du socialisme réel en Europe de l’Est » (idem, p. 16).

Dans le chapitre « Guerre froide : un concept dépassé », Fath cite Zbigniew Brzezinski pour sourcer son point de vue :

« Au XXe siècle, l’Europe nous a posé le problème de la guerre et de la paix, et nous avons dû en faire notre priorité. Au XXIe siècle, l’Asie nous pose le problème de la compétition ou du déclin. C’est un problème différent, et je pense ...nous n’irons pas à une sorte de collision militaire du XXIe siècle avec la Chine. Le problème est néanmoins d’une complexité massive, mais il est qualitativement différent ». (L’Amérique face au monde. Quelle politique étrangère pour les Etat-Unis ? éditions Pearson 2008, cité dans Penser l’Après, p.172)

Jacques Fath ajoute :

« Pour pouvoir assurer une hégémonie, les puissances occidentales à partir des conséquences de leurs propres politiques n’ont cessé de désigner et construire des menaces -le terrorisme, l’islamisme politique radical, les Etats voyous, et même la Russie ou la Chine comme autant de défis et d’antagonismes stratégiques afin de "remplacer" l’adversaire disparu avec la chute du mur » (idem, p.175).

Il n’est pas facile du suivre la logique de l’auteur. L’intérêt du livre réside plutôt en ce qu’il explicite ce qui est dans l’ombre dans le projet « La France en Commun » et éclaire ainsi comment le comité du projet de la « France en Commun » voit actuellement le monde en commun.

Poutine me semble plus clair quand il dit :

« La Russie et la Chine ne constituent pas des blocs militaro-politiques ou ne tissent pas des liens ’’d’amitié contre quelqu’un’’, a indiqué vendredi le président Vladimir Poutine. ...La Chine et la Russie ne créent pas des blocs ou des alliances militaires contre qui que ce soit... Nous sommes en train de construire une alliance afin de protéger nos intérêts nationaux’’, a ajouté M. Poutine.
S’exprimant devant la session plénière du Forum économique international qui se tient actuellement à Saint-Pétersbourg, M. Poutine a affirmé qu’il est ’’naturel’’ que la Russie coopère avec ses pays voisins, la Chine en particulier ».

(http://french.cri.cn/621/2015/06/20/603s437883.htm)

Le vrai problème ici me semble être de quel côté de la barricade se situent le PCF en juillet 2015. Ne serait-il pas urgent d’ajouter un autre chantier de l’espoir à la « France en Commun » si on veut que le PCF reprenne force et vigueur ?

Comme le suggère Danièle Bleitrach le 25 juin 2015 dans son blog « Histoire et Société » :

« Ce que la situation grecque est en train de démontrer c’est que l’UE et derrière elle les institutions de Bretton Wood, telle qu’elles ont été mises en place pour conforter l’hégémonie occidentale ne peuvent pas tolérer les propositions d’une gouvernement fut-il social-démocrate modéré comme l’est celui de Tsipras. Il faut passer par lesfourches caudines de l’austérité, du pillage, logique appliquée depuis tant d’années aux pays du Tiers monde et qui désormais concerne l’Europe. Logique à laquelle a répondu la création des BRICS. Le jusqu’auboutisme apparemment technique en fait totalement politique s’accompagne de l’affaire ukrainienne qui elle témoigne de la volonté de l’OTAN d’aller porter la guerre, l’instabilité permanente contre cette tentative de résistance. Avance l’idée de la seule résistance possible que le capital tente de dévoyer en renforçant l’extrême-droite , le nazisme comme simulacre nationaliste sauvant les oligarchies locales ».

(https://histoireetsociete.wordpress.com/2015/06/25/grece-un-probleme-faussement-technique-et-reellement-politique)

Il y a bel et bien, me semble-t-il, deux conceptions opposées du monde aujourd’hui en 2015. Ce ne sont pas les mêmes que du temps de la Guerre froide et de l’Union soviétique, mais ce sont tout de même deux conceptions du monde opposées. La question principale devient alors pour le PCF et le manifeste « La France en Commun » de préciser « Wich side are you on », comme le disait déjà en 1931 le grand chanteur étatsunien communiste Peete Seeger.
(Pete seeger "Which Side are You on" - YouTube www.youtube.com/watch?v=5iAIM02kv0g)

En 2015, en ce qui concerne « La France en Commun », il s’agit de voir concrètement si le PCF peut ou doit faire sortir la France de l’OTAN et de l’UE qui sont chaque jour de plus en plus impérialistes et joindre la mouvance progressiste des BRICS de la CELAC et du mouvement communiste international.

Comme le dit bien le Capitaine Martin :

« À l’approche de la commémoration du soixante-dixième anniversaire de la création de l’Organisation des Nations Unies, un vif débat met en avant deux conceptions opposées de l’avenir des relations internationales.
D’un côté, l’ambassadrice des États-Unis à l’ONU, Samantha Power, répète à l’envi que le respect des droits de l’homme est un préalable à la paix ; de l’autre, Wang Yi, le ministre chinois des affaires étrangères qui a présidé le débat du 23 février dernier au conseil de sécurité, est persuadé qu’une nouvelle vitalité de la Charte des Nations Unies ne peut être garantie qu’en respectant l’indépendance et l’intégrité territoriale de chaque pays. En clair, la souveraineté comme fondement de l’ordre international.
La logique de l’interventionnisme humanitaire, animé de la mission de vouloir protéger les peuples d’actions génocidaires accomplis par des "Hitler de service" (mais à la discrétion, cela va de soi, des puissances hégémoniques et de leurs alliés...) a donc encore ses thuriféraires. "Assumez le fardeau de l’Homme blanc", écrivait Rudyard Kipling, le poète de l’impérialisme britannique à la fin du XIXème siècle. Il lançait ainsi un appel aux États-Unis afin qu’ils viennent soutenir la France et l’Angleterre dans leur "mission civilisatrice" en Afrique et en Asie. Au milieu des années 2000, le ministre de la défense britannique John Reid affirmait que le but de la présence de son pays en Afghanistan était "de fournir assistance et protection au peuple afghan pour qu’il reconstruise l’économie et rétablisse la démocratie". En 2011, au plus fort de l’engagement de la coalition internationale, c’étaient 140.000 soldats de l’OTAN qui y étaient déployés. Et 3.485 militaires occidentaux y ont perdu la vie depuis 2001. Le coût de l’opération avoisine les 800 milliards d’euros rien que pour les États-Unis. La Mission d’assistance des Nations Unies en Afghanistan ne publie des rapports annuels que depuis 2009 et ceux-ci totalisent plus de 17.000 morts pour ces six dernières années. En Libye, les commentateurs les plus objectifs estiment que l’intervention de Nicolas Sarkozy et de David Cameron a été un désastre... même si elle fut applaudie par les journalistes de l’époque. Ce pays est maintenant sous le contrôle des milices et des seigneurs de guerre salafistes qui exportent des armes et des guerriers dans toute la région, obligeant aujourd’hui des migrants à s’exposer aux plus graves dangers en tentant de traverser la Méditerranée.
Le bilan des interventions en Afghanistan, en Afrique ou dans les pays arabes est donc globalement négatif. Si elles sont souvent présentées comme moralement justifiées, elles sont souvent légalement discutables et presque toujours désastreuses d’un point de vue stratégique. parce qu’une autre voie, méconnue du plus grand nombre parce que ignorée par les médias dominants, apparaît plus que jamais devoirs’imposer dans les relations internationales.
Pourtant, elle ne date pas d’hier. C’est en 1954 en effet que la Chine, l’Inde et la Birmanie ont proposé ce que l’on appelle les "cinq principes de la coexistence pacifique" : ceux-ci sont le respect mutuel de l’intégrité territoriale et de la souveraineté, la non-agression mutuelle, la non-ingérence mutuelle dans les affaires intérieures, l’égalité et les avantages réciproques et la coexistence pacifique. Au cours des soixante dernières années, ils sont devenus non seulement
la base de la diplomatie indépendante, autonome et pacifique de la Chine, mais également des principes primordiaux en matière de relations internationales reconnus par la majorité des pays du monde.
"Nés au cours de la Guerre froide, ces cinq principes prônent la justice, la démocratie et le règne de la loi. Depuis leur entrée sur la scène historique, ils ont permis de dépasser les limites des idéologies et des systèmes et représentent les intérêts vitaux des pays en développement", nous explique le vice-président de l’association du peuple chinois pour l’amitié avec l’étranger (APCAE), Xie Yuan.

Dans l’ère actuelle de la mondialisation, ces grands principes devraient avoir une plus grande portée encore dans les relations internationales, loin de l’appropriation de la politique et de la stratégie par la morale publicitaire, son verbiage, son sentimentalisme primaire et son affirmation terroriste. Loin de la propension de l’Occident de faire dépendre la liberté des autres d’une définition de la liberté qu’il a su arranger à sa sauce ».

(http://www.legrandsoir.info/la-coexistence-pacifique-plutot-que-l-interventionnisme-de-l-otan.html)

Conclusion

Il me semble que l’initiative prise par le PCF avec le projet « La France en Commun » est une initiative excellente et nécessaire. Elle permet aux membres du Parti et à ses amis de tenter de faire le point sur la situation préoccupante du Parti, de la France dans le contexte actuel de mondialisation. Ce projet nous oblige à réfléchir et en quelque sorte à faire un « PCF en Commun » et voir si « Podemos » (« Nous pouvons »).

Le choix fait par le PCF dans les années 70 de l’eurocommunisme et de la critique antagoniste des pays du socialisme réellement existant s’est-il révélé conforme à la réalité ? N’est-il pas vrai qu’aujourd’hui les Eurocommunistes persistent à blâmer leur déclin sur ce qu’ils nomment « le stalinisme » voulant, sans succès et en dépit de la réalité, englober sous ce mot toute la richesse et la diversité des pays socialistes. Pourtant sondage après sondage, les Russes manifestent leur nostalgie de l’Union Soviétique (c’est vrai dans plusieurs pays de l’ex-URSS), le Parti Communiste de la Fédération de Russie est en pleine croissance, etc. La situation devient encore plus ridicule quand le PCF et le projet « La France en Commun » font comme si les pays socialistes d’aujourd’hui n’existaient pas ou n’étaient pas socialistes. N’oublions pas que comme le dit bien une camarade, « ça (voulant dire le déclin du PCF) ne commence pas « après » la contre-révolution en Union Soviétique mais dans les années 80, c’est-à-dire en même temps, c’est la même contre-révolution » !
Des mouvements comme Podemos en Espagne ou Syriza en Grèce constituent évidemment des forces progressistes. Si elles parviennent à gagner des élections municipales importantes en Espagne, ou à gagner des élections nationales en Grèce, on ne peut que s’en féliciter et les soutenir sans ignorer leur fragilité. Ce sont des pas importants dans la bonne direction, comme le montre le succès de Tsipras au référendum grec contre la dette. Cela n’est vrai évidemment que dans la mesure où ces mouvements ne sont pas contre-révolutionnaires en s’opposant d’une manière ou d’une autre aux pays socialistes et aux partis communistes !
Si le PCF et le projet « La France en Commun » persistent à nier ce que tout le monde voit et sait, il faut craindre que cela nuise à la confiance que les travailleurs et travailleuses peuvent accorder au PCF au point où cela rendra inaudible et invisible tout ce qu’il y a bon dans les divers chantiers de l’espoir contenus dans le document.
Pourquoi le débat public autour du projet « La France en Commun » ne serait-il pas l’occasion de faire une évaluation, un bilan, du virage eurocommuniste et trotskisant du PCF avec toutes ses séquelles, et de rallumer enfin l’étoile rouge.

J’essaie modestement de répondre à l’invitation du PCF qui nous dit :

« qu’il est donc utile de travailler très largement pour rendre efficace et crédible ce projet. Notre ouverture d’esprit à mener ce débat est totale. Ce texte est un appel à confronter analyses et hypothèses, à donner corps à des propositions, à affiner une visée et à se donner de la force. Les communistes et leur parti, pleinement conscients de leurs responsabilités et des urgences du moment, veulent ainsi faire oeuvre utile. Redonner des couleurs et du sens à l’envie de changer, ouvrir de nouveau les chemins de l’espoir pour l’émancipation humaine, voici l’esprit du chantier que nous vous proposons d’ouvrir ensemble ».

Le PCF conclut « La France en Commun » avec une poésie inatendue... « Et nous le faisons avec une furieuse envie de réussir » !

Je demanderai à Jacques Stéphen Alexis, assassiné en 1961 par les forces du dictateur haïtien François Duvalier de conclure pour moi mon modeste article « La France en Commun » dans « un monde en commun ».
Il ne l’a évidemment pas lu, mais il en incarne pourtant l’esprit bien mieux que moi avec son « réalisme merveilleux » qu’Aragon admirait tant.

Né en 1922 en Haïti, Jacques Stéphen Alexis, sa vie et son oeuvre, sont une inspiration pour beaucoup de Communistes, entre autres des camarades de la fédération du PCF 75 où il a milité.
Poète, romancier, médecin à l’Hopital Necker de Paris, communiste internationaliste à Fort-de-France, à Paris, à Moscou, à Pékin, il a donné sa vie pour son peuple et a toujours affirmé :

« Vous dites que le marxisme est dépassé.
Pourquoi l’est-il ?
Quel est ce corps de doctrine nouveau qui est en situation de
supplanter le marxisme et de remplir la fonction qu’il a joué et
joue dans la libération humaine ?
Connaissez-vous depuis l’existence historique de l’humanité une
conception du monde qui ait autant aidé les hommes à se libérer
effectivement ? ».

(http://fr.wikipedia.org/wiki/Jacques_St%C3%A9phen_Alexis)

Note du rédacteur. Le Marxisme est un outil extrêmement puissant et complexe. Sa courbe d’apprentissage est donc particulièrement longue et ardue. De plus, les voies de l’histoire sont souvent difficilement pénétrables. Enfin, comme le sait la sagesse du peuple, un mauvais ouvrier blâme toujours ses outils !

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  • (2002) Lenin (requiem), texte de B. Brecht, musique de H. Eisler

    Un film
    Sur une musique de Hans Eisler, le requiem Lenin, écrit sur commande du PCUS pour le 20ème anniversaire de la mort de Illytch, mais jamais joué en URSS... avec un texte de Bertold Brecht, et des images d’hier et aujourd’hui de ces luttes de classes qui font l’histoire encore et toujours...

  • (2009) Déclaration de Malakoff

    Le 21 mars 2009, 155 militants, de 29 départements réunis à Malakoff signataires du texte alternatif du 34ème congrès « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps ». lire la déclaration complète et les signataires

  • (2011) Communistes de cœur, de raison et de combat !

    La déclaration complète

    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

    Un peu plus d’un tiers des adhérents a participé à cette consultation, soit une participation en hausse par rapport aux précédents votes, dans un contexte de baisse des cotisants.
    ... lire la suite

  • (2016) 37eme congrès du PCF

    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).