Bolivie : la lutte des classes en cours.

, par  Jean Ortiz , popularité : 2%

La « Pacification », selon les journaux boliviens, tous anti-Morales, serait en marche. Sur le terrain, la situation est toujours tendue, violente et complexe. Des milliers de Boliviens de El Alto, et les communautés indiennes des hauts plateaux qui dominent La Paz, surtout Aymaras, font face à militaires et policiers. Certains crient « Militaires, oui ! Policiers, non ! ». Quelques manifestants tentent de négocier avec les militaires. La situation est particulièrement tendue à El Alto et à La Paz. A Cochabamba aussi. Au total, près d’une quinzaine de morts depuis le début parmi les partisans d’Evo Morales, pour ce que l’on sait. Ailleurs dans le pays, on trouve quelques barrages routiers, mais pas de vrai soulèvement populaire contre ce qu’il faut bien appeler un « golpe », un coup d’Etat, préparé par quelques oligarchies de province, sous la houlette de Camacho, de l’armée et de la police, qui ont basculé dans leur ensemble. Le sang va encore couler, mais les manifestants ne sont pas parvenus à créer un rapport de force qui leur permette de négocier, notamment comme le demande la foule, de se débarrasser de la présidente autoproclamée, Jeanine Añez, qui a tenu publiquement des propos racistes, anti Indigènes, anti Pachamama, anti wipala, et même anti « polleras ». Pour les femmes indigènes qui se réclament « femmes de polleras », cette jupe à nombreux étages de couleurs vives est beaucoup plus qu’un vêtement, c’est un marqueur identitaire. Toucher à la « pollera », c’est profaner des siècles de cultures indigènes, de traditions ancestrales.

La Bolivie « s’était égarée ». Elle serait, selon les « antimasistes », certes majoritairement indienne, mais malgré elle... comme un accident génétique de l’histoire. Sur ces hauts plateaux, arides, pauvres, les hommes et les femmes sont à l’image de « l’altiplano », gentils, secrets, tendres et doux à la fois, durs à la tâche. Et il n’y pousse que quelques patates, étalées devant les cahutes pour qu’elles gèlent et se conservent.

Ces êtres vivants, comme sont considérés ici à 4000 m et au-delà, le lac, les rares arbres, la cordillère, les paysans des communautés, tous sont aymaras ou quechuas depuis toujours. Avant Evo Morales, les enfants d’Indiens qui parvenaient à l’université espagnolisaient souvent leur nom pour éviter le racisme. Aujourd’hui ils sont fiers de leurs universités quechua et aymara comme ils sont fiers de l’emblème qui les symbolise : la wipala. Ce morceau de tissu composé de multiples petits carrés portant les 7 couleurs de la cosmogonie indigène représentent les 36 « nations » de la Bolivie devenue plurinationale avec Evo Morales et la nouvelle Constitution, et celles de toute la zone andine. La wipala, qui avec Evo Morales, a été élevée au rang de deuxième drapeau national, est pour la majorité des Indiens un drapeau aussi sacré que la Pachamama (« la terre mère »). Evo a accordé l’autonomie à ces acteurs, autrefois niés, des communautés indigènes.

C’est précisément ce drapeau que des militaires ont piétiné, conscients du sacrilège qu’ils commettaient. Les deux acteurs clef de ce « golpe » « à l’ancienne », sur le modèle de ceux des années 1970, sanglants, militarisés, sont des tenants du libéralisme, du fondamentalisme religieux blanc. Fernando Camacho et Jeanine Añez ont appelé les chrétiens à reconquérir leur hégémonie. A Santa Cruz, les habitants sont très majoritairement blancs, riches, et racistes. Camacho est l’homme de cette province de Santa Cruz. Camacho et Madame Jeanine, ont décrété la Pachamama persona non grata au Palais Quemado (présidentiel) de la Paz ; ils se sont écriés : maintenant, place à la Bible ! Et le gouvernement fantoche des 11 ministres cooptés par Madame Jeanine sont tous plus blancs que blancs (dans le plus mauvais goût trumpien).

Avant la révolution, les Indiens n’apparaissaient que comme toile de fond folklorique, pour faire, par exemple, de la pub touristique à la télé. Ce sont ces masses de damnés de la Terre qui votent Evo Morales et MAS (Mouvement vers le socialisme) depuis 13 ans, parce qu’avec ces derniers la misère a reculé de moitié, et qu’ils ont enfin conquis leur dignité. Ils avaient même pris la direction du pays, en alliance avec tous les « exploités », les Aymaras et les Quechuas s’exprimant au nom de l’humanité souffrante. Ces Indiens-là, lorsqu’ils descendent à La Paz, de El Alto (19 km de marche) ou des hauts plateaux, c’est pour y rester jusqu’au dénouement. Et y mourir s’il le faut. Sur les images qui nous parviennent de Bolivie, les affrontements sont particulièrement violents : La Paz, El Alto, Cochabamba... mais ailleurs dans le pays, la situation semble moins réactive.

Evo Morales avait obtenu (résultats non contestés) plus de 47% des suffrages lors du premier tour. Un score a faire pâlir Macron, qui a choisi de se taire. Le « monde libre » est libre de faire ce que bon lui semble, fût-ce s’asseoir sur des processus démocratiques, légitimes. Les médias « bien pensants » internationaux sont parvenus à créer une fiction de répulsion, à faire de Morales un dictateur chassé par son peuple. En réalité, les masistes sont parvenus à renouer le fil institutionnel, constitutionnel : ils ont réussi à siéger au Parlement, le MAS y dispose d’une majorité des 2/3, et à y élire une équipe de gouvernement légitime. Ces représentants du peuple revendiquaient leurs options socialistes lorsqu’ils ont prêté serment.

Au même moment, Madame Jeanine désignait une poignée de fantoches qui signaient leur investiture sur la Bible. Pour eux, la continuité constitutionnelle n’existe pas. Ils s’en torchent. De Mexico, Evo Morales réitère qu’aucune goutte de sang ne doit couler, alors que les témoignages de massacres, de viols, d’humiliations, surtout à El Alto, se multiplient. Les putschistes rêvent d’en finir avec l’Etat plurinational (reconnaissance de 36 « nations », et de 36 langues co-officielles).

Les appels à la grève générale, notamment de la COB (Centrale ouvrière de Bolivie), et de ses plus de 60 organisations affiliées, ne reçoivent pour l’heure qu’une réponse des plus politisés, même si les masistes et les communautés ont mis en place autour de La Paz un blocage en eau et aliments pour affaiblir les putschistes. Ces derniers ont prévu de nouvelles élections, sous leur contrôle évidemment, et sous celui de leur mentor Trump, en janvier prochain. La place Murillo est inaccessible, et les citoyens se réunissent en « cabildo » (sorte d’AG), afin de définir leurs revendications, leurs stratégies, etc. Pour le moment, la coordination de toutes les résistances n’est pas aisée. Des cortèges déterminés parcourent le centre de La Paz et quelques grandes avenues. Pour intimider le mouvement, faire diversion, et provoquer Cuba, les putschistes ont arrêté quatre médecins cubains qui participaient à l’aide médicale cubaine à la Bolivie, une opération médecine gratuite pour les plus démunis et tous les exclus de la santé, qui vient d’être supprimée par ces soi-disant démocrates. Quant à la responsable de cette aide, elle a été arrêtée, et pour l’heure a « disparu ». Le gouvernement cubain a ordonné le départ de tous ses coopérants et médecins. Une catastrophe de plus pour les communautés de base, pour tous ceux qui par exemple, grâce à l’Opération Miracle, ont retrouvé la vue. L’Alba vient d’être amputée d’un de ses principaux piliers. Les relations avec La Havane sont désormais liquidées.

Depuis son arrivée à Mexico, Evo Morales n’a cessé de mettre en garde contre toute dérive ethnique, et d’insister sur la nécessité de négocier. Il a souligné la vraie nature de cette crise majeure en cours : une lutte des classes.

Jean Ortiz

Voir en ligne : Sur le blog de Jean Ortiz du site de l’Huma

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