Aujourd’hui je ne siégerai pas à la CDU Lettre d’une militante sur la psychiatrie

, par  Sarah Gatignol , popularité : 5%

Un petit texte à diffuser sans modération, lu ce matin à la Commission Des Usagers (CDU) de Moisselles, que j’ai boycotté.

Bonjour à toutes et tous.

Aujourd’hui je ne siégerai pas à la CDU. Pourquoi ? Parce que depuis 3 semaines, les médecins de notre hôpital ont appelé au boycott des instances en commençant par la CME. Parce que notre hôpital est en grève du personnel soignant depuis le vendredi 4 octobre à minuit.

Pourquoi ? Parce que notre travail est en danger, cet hôpital est en danger. Nous ne cessons de tirer la sonnette d’alarme sur la précarisation de notre travail et donc de l’accueil de nos patients.

Depuis le 2 mai dernier, je suis devenue responsable de l’unité d’intra-hospitalier du pavillon d’Asnières. Fonction que j’ai mûrement réfléchie de prendre mais que j’ai choisi d’endosser parce que j’aime cet hôpital, j’aime mon équipe, j’aime soigner l’institution, j’aime soigner les patients les plus fragiles, ceux qui sont comme on dit en phase aiguë de la maladie. Lucien Bonnafe, grand psychiatre français - qui comptait parmi ceux qui ont créé le secteur - disait « on mesure le degré d’humanité d’une civilisation à comment elle traite ses fous... » et la déshumanisation de la psychiatrie est en marche.

L’état de dégradation des hôpitaux ne date pas d’hier. Mon parcours d’étudiante en médecine m’a amené rapidement à imaginer que je ne pourrai pas y travailler malgré un grand attachement au service public. J’ai eu la chance de rencontrer l’un des plus grands pédopsychiatre français, Pierre Delion qui m’a donnée le courage de reprendre le flambeau. Je vous renvoie à son livre : « Mon combat pour une psychiatrie humaine » édité il y a 3 ans.

Dans mon unité de soin, il manque à ce jour 6 postes de soignants, les arrêts maladies ne sont pas remplacés et nous travaillons à effectif minimum depuis des semaines. Le personnel est en arrêt maladie à tour de rôle par épuisement. Travailler à effectif minimum, cela signifie moins d’activités thérapeutiques, moins d’accompagnements, moins de Visite à Domicile. Tous les soins qui permettent d’accélérer vers l’ambulatoire - le fameux grand virage que nos tutelles nous demandent - ne sont donc pas possibles et les patients se voient donc hospitalisés plus longtemps faute de moyens humains. L’état de la psychiatrie française est déplorable, on compte de nombreux services dévitalisés où les patients errent ou restent sans activité des heures durant et où le seul traitement reçu se limite à la prescription médicamenteuse. Hors nous savons tous et quelque soit l’orientation des psychiatres que soigner la psychose ne peut se réduire à cela. Si c’était suffisant, les hôpitaux psychiatriques n’existeraient plus et seule le soin ambulatoire suffirait. La psychose demande une prise en charge collective et multidisciplinaire. Nous avons plus que jamais besoin de psychiatres, d’infirmiers, d’aide soignants, d’ASH, de psychologues, de psychomotriciens, d’ergothérapeutes, d’éducateurs spécialisés. La psychiatrie ne peut se réduire à une médecine vétérinaire telle qu’on nous le propose aujourd’hui. Le secteur est une réponse à la souffrance psychique pour que nous soyons au plus près du patient, que nous le connaissions lui ainsi que son histoire et sa famille, et que nous travaillons tous ensemble afin d’aider au mieux les patients et leurs proches.

Hier, j’ai travaillé 24h car j’étais de garde. J’ai donc assuré une continuité de soins médicaux. Appelée en urgence dans un pavillon pour une décompensation somatique d’une patiente, nous étions affairés à la transférer vers l’hôpital d’Eaubonne. Le patient qui était en chambre d’isolement a tenté de fuguer du service, il était visiblement angoissé et envahi par sa maladie. Beaucoup de nos patients sont en prise avec un vécu persécutif lorsqu’ils sont au plus mal. Il me dit « vous, je vous connais pas, je ne vous fait pas confiance ! ». On sait que la maladie peut pousser les patients à des passages à l’acte sur les êtres qu’ils aiment, leur famille et leur proche. Alors comment peuvent-ils s’apaiser auprès de soignants qui ne les connaissent pas. La fermeture de lit en psychiatrie ça signifie plus d’attente aux urgences avec du personnel non qualifié à l’écoute de la psychose, et donc plus de contentions sur des brancards.

Hier, j’ai dû prescrire des contentions. L’équipe et moi-même n’avions plus d’autres choix. Je m’efforce que ce soit le plus rare possible. Cet acte déchire quelque chose en moi et pourtant, ce n’est pas moi qui mets les membres dans les sangles. Et nous savons qu’on peut parfois trouver d’autres solutions, si on avait pu faire un pack en urgence, on aurait peut-être pu éviter ça, mais il faut du personnel, plus de personnel... Il était 8h du matin et pendant ce temps là, les autres patients attendaient de prendre leurs médicaments et leur petit déjeuner. Ils assistaient à cette scène de souffrance dans les couloirs du service. Nous n’étions pas assez pour s’occuper de tout le monde correctement.

Il paraît qu’il y a eu un "âge d’or de la psychiatrie", une époque où les chambres d’isolement et les contentions n’existaient plus et où tous les pavillons étaient ouverts. Les soignants partis à la retraite nous disent qu’ils n’aimeraient pas commencer leur carrière aujourd’hui en psychiatrie. Et pourtant je suis là et je continue à venir travailler et militer pour qu’un jour nous retrouvions une psychiatrie à visage humain.

Merci à tous
Bonne journée.

Sarah Gatignol

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