Pas de communisme sans internationalisme Un texte de Jean Kanapa de novembre 1977

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Au cours de mon séjour dans les Pyrénées-Atlantiques, le camarade Claude Roussie m’a procuré une brochure qu’il m’est impossible de laisser perdre. Il s’agit d’un texte du regretté Jean Kanapa sur "Le mouvement communiste international hier et aujourd’hui" édité en 1977. Il m’est paru fondamental de profiter de la proximité des prochaines rencontres internationalistes de Vénissieux pour le faire connaitre.

Ce document était destiné à l’école centrale du Parti, à une époque où les communistes considéraient encore que les révolutionnaires accumulaient de l’expérience et des connaissances qu’il était nécessaire et indispensable de transmettre au collectif intellectuel et militant du PCF. Seuls les six premiers chapitres de la brochure sont publiés ci-dessous ; ils sont relatifs à l’histoire internationale du mouvement communiste et à ses motivations. Il s’agit de la partie la plus riche en éléments indépendants du contexte historique, même s’il convient toujours de faire la part de l’essentiel. Les chapitres suivant constituent plutôt un développement sur les rapports entre les partis communistes européens de l’époque (rappelons-nous de la particularité de "l’Eurocommunisme" des années soixante-dix) et les rapports de type nouveau qui pourraient être instaurés entre partis communistes, chapitres très datés qui pourraient être publiés dans le cadre d’une autre discussion.

Pascal Brula


Préface

La conférence sur le mouvement communiste international présentée par Jean Kanapa en novembre 1977 à l’école centrale du Parti communiste constitue un document politique de première importance.

Le mouvement communiste international exerce après plus d’un demi-siècle une exceptionnelle influence sur les évènements mondiaux.

Ayant, depuis sa création, fait de la solidarité internationale des travailleurs, des forces progressistes et révolutionnaires, un des fondements de sa politique, le Parti communiste français a pris toute sa part de la vie et de l’activité de ce mouvement. Membre de l’Internationale communiste, puis du Bureau d’information, il a apporté une contribution active à toutes les conférences, réunions et initiatives visant à favoriser la réflexion et l’action communes des partis communistes.

Dans les dernières années et plus particulièrement en liaison avec son XXIIème Congrès, il a été conduit à s’exprimer sur les problèmes qui sont apparus dans le mouvement communiste, et à souligner de plus en plus fortement la nécessité d’une évolution de celui-ci qui prenne pleinement en compte l’évolution et les réalités de l’histoire et du monde.

Comme responsable de la Section de politique extérieure du Comité central du PCF, Jean Kanapa est particulièrement bien placé pour apprécier ces problèmes et formuler des propositions. Comme membre du Bureau politique, il a fait appel à la réflexion collective de la direction de son Parti.

Après avoir retracé les principales étapes de l’histoire du mouvement communiste, Jean Kanapa dégage de l’expérience et de la réflexion sur les conditions du progrès, ce qui pourrait être le contenu actuel de la solidarité internationaliste ainsi qu’un nouveau type de rapports entre partis communistes adaptés aux besoins d’aujourd’hui et de demain.

C’est-dire le profond intérêt de la conférence de Jean Kanapa en même temps que sa grande actualité.

Le Parti communiste français


Le mouvement communiste international hier et aujourd’hui

Nous vivons une époque où – chacun le constate – de grandes transformations modifient le visage du monde. Si l’on prend suffisamment de hauteur pour juger du cours des évènements qui se succèdent à un rythme heurté et suivent une courbe où les dents de scie sont nombreuses, le constat d’ensemble est sans équivoque : un grand processus révolutionnaire se déroule, qui voit progressivement l’émancipation des travailleurs, la démocratie, l’indépendance des peuples, le socialisme, la paix gagner du terrain sur les vieux systèmes d’exploitation, d’oppression et de guerre. Les forces qui participent à ce processus sont diverses, et plus nombreuses qu’il y a seulement un demi-siècle. Parmi elles, les partis communistes jouent un rôle d’avant-garde.

Les communistes ? Ils étaient une poignée en 1848, ils sont aujourd’hui dans le monde plus de 60 millions. Leur voix s’était élevée dans quelques pays d’Europe occidentale, elle retentit aujourd’hui dans le monde entier. Déjà plus d’un tiers de l’humanité s’est engagé sur la voie du socialisme. Et rien n’y a fait, ni le martèlement des mensonges ni la cruauté des répressions. Il existe aujourd’hui plus de 90 partis communistes, dont l’influence et les effectifs, à des rythmes divers, grandissent régulièrement. Pris ensemble, ils représentent un mouvement d’idées qui se révèle être le plus universel que l’histoire ait jamais connu et dont la force transformatrice est sans précédent – le mouvement communiste international.

Ce qui fonde l’existence du mouvement communiste

Ce qui donne naissance au mouvement communiste mondial et ce qui en fonde l’existence, c’est le socialisme scientifique et l’internationalisme qui le caractérise.

Il serait tout-à-fait faux, en effet, de considérer que l’internationalisme constituerait simplement un à-côté affectif du socialisme, l’expression d’une solidarité sentimentale. Il est beaucoup plus – une partie intégrante du socialisme scientifique.

Il repose sur la constatation faite par Marx et Engels que les ouvriers ont fondamentalement une même situation dans toutes les sociétés capitalistes et y subissent, quelles qu’en soient les formes, une même exploitation. Le développement de la division mondiale du travail accentue encore ce caractère universel de leur condition.

Plus cette division se développe, disait Marx avec une extraordinaire prescience, « et plus l’histoire se transforme en histoire mondiale. De sorte que, si l’on invente par exemple en Angleterre une machine qui, dans l’Inde et en Chine, enlève leur pain à des milliers de travailleurs et bouleverse toute la forme d’existence de ces empires, cette invention devient un fait de l’histoire universelle ».

La communauté de situation des travailleurs engendre une communauté d’intérêts face a un capitalisme qui constitue un système économique et social de caractère, lui aussi universel – et dont l’action se laisse de moins en moins arrêter par les frontières, au point de prendre des formes « multinationales » et « transnationales ». Au reste, il s’agit de plus que d’une communauté d’intérêts : la classe ouvrière a, partout, un même rôle historique à jouer – le rôle de force motrice, le rôle d’avant-garde dans la lutte pour la transformation de la société, pour la substitution du socialisme au capitalisme.

Dans le langage philosophique qui est le sien au début de sa réflexion, Marx résume cela en écrivant : « Le prolétariat ne peut donc exister qu’à l’échelle de l’histoire universelle, de même que le communisme, qui en est l’action, ne peut absolument pas se rencontrer autrement qu’en tant qu’existence historique universelle ».

Cette liaison objective entre les intérêts et les luttes des classes ouvrières de tous les pays crée les conditions de leur solidarité active. Mieux : elle appelle, elle réclame cette solidarité réciproque des classes ouvrières – plus généralement des travailleurs –, et à fortiori de leurs avant-gardes politiques, les partis communistes.

C’est pourquoi, au moment même où Marx et Engels donnent au socialisme des fondements scientifiques, ils confèrent à la dimension internationaliste de la lutte pour le socialisme une signification très concrète en mettant sur pied un réseau de « comités de correspondance communistes ». Ceux-ci établissent des contacts avec les chartistes en Angleterre, des sociétés communistes en Allemagne, des groupes parisiens et londoniens de la Ligue des Justes. Et c’est au Congrès de Londres en 1847, qui voit la Ligue des Justes devenir la Ligue des communistes, qu’il est décidé sur proposition de Marx de remplacer l’ancien mot d’ordre : « Tous les hommes sont frères » par un nouveau mot d’ordre : « Prolétaires de tous les pays, unissez-vous ! ». On voit la portée de ce changement : le nouveau mot d’ordre – que Marx et Engels feront figurer en conclusion du « Manifeste communiste » de 1848 – a un contenu de classe et il constitue un appel à la solidarité internationale.

Ainsi naît le mouvement communiste international. Il prendra, au cours de l’histoire, des formes diverses. Les grands traits de cette évolution peuvent aider à comprendre l’étape où se trouve aujourd’hui ce mouvement.

La Première Internationale

La fondation de l’Association internationale des travailleurs, le 28 septembre 1864 à Londres, répondait à la nécessité de matérialiser sur le plan de l’organisation la solidarité internationale des travailleurs révolutionnaires. Elle fut constituée « pour créer un point central de communication et de coopération entre les sociétés ouvrières des différents pays aspirant au même but, à savoir le concours mutuel, le progrès et le complet affranchissement de la classe ouvrière » (article premier de ses statuts).

De fait, l’action de cette Première Internationale et de son organe exécutif, le Conseil général, a marqué une étape décisive de l’histoire du mouvement ouvrier international. Elle ne s’est pas contentée de publier d’importantes Adresses aux travailleurs, qui ont joué un rôle important dans la formation d’une conscience révolutionnaire, sur des bases scientifiques, au sein du mouvement ouvrier européen et américain. Elle a manifesté aussi une solidarité agissante aux travailleurs en lutte des différents pays (ouvriers typographes de Leipzig, travailleurs d’Edimbourg et de Londres, mineurs de Charleroi, etc...). Et quand survient en 1871 l’insurrection parisienne qui donne naissance à la Commune, la Première Internationale organise aussitôt le soutien de toutes ses sections aux communards, s’efforce de faire parvenir à ceux-ci conseils et recommandations.

Elle interviendra aussi avec force, et d’un point de vue entièrement nouveau – le point de vue de la classe ouvrière –, dans les grandes questions internationales. C’est ainsi que « l’Adresse inaugurale » de l’Association internationale se terminait par un appel à la vigilance devant les « guerres de flibustiers » des classes dominantes et devant les « empiètements » auxquels celles-ci se livrent sur la liberté des peuples. Se prononçant pour la paix et l’indépendance des peuples, elle soulignait : « La lutte pour une telle politique étrangère fait partie de la lutte générale pour l’émancipation des classes travailleuses ». Marx voyait loin et sûr lorsque, dans une autre Adresse (aux travailleurs américains), il déclare : « C’est à nous qu’incombe la tâche glorieuse de prouver au monde que désormais la classe ouvrière n’entre plus sur la scène de l’histoire comme une troupe servile, mais comme une force autonome, consciente de ses responsabilités et capable de commander la paix là où ses maîtres prétendus crient à la guerre » ! Cette adresse est datée de 1869... Un siècle plus tard, la prévision de Marx reçoit une confirmation éclatante : la classe ouvrière, qui a établi le socialisme sur toute une partie du monde, a pris en main la cause de la paix mondiale.

D’après les propres mots de Marx, cette Première Internationale n’est « rien d’autre que le lien international » qui unit les travailleurs de tous les pays. Au-delà de l’organisation de la classe ouvrière des différents pays sous une forme statutaire commune, ce qui importe en effet pour Marx et Engels, c’est l’action unie de la classe ouvrière internationale. Marx le souligne : « L’action internationale des classes ouvrières ne dépend en aucune façon de l’existence de l’Association internationale des travailleurs. Celle-ci fut seulement la première tentative pour doter cette action d’un organe central... ».

La Première Internationale vécut douze ans. La chute de la Commune de Paris, la répression en Europe et les dommages causés par les durs affrontements en son sein entre le Conseil général animé par Marx et la minorité anarchiste conduite par Bakounine, conduisirent à sa dissolution en 1876. Son bilan n’en était pas moins éminemment positif : elle avait posé les fondements de la lutte de la classe ouvrière internationale pour le socialisme ; elle avait fait avancer les idées du socialisme scientifique dans le mouvement ouvrier ; elle avait formé dans une série de pays un noyau de cadres révolutionnaires attachés aux idées de Marx et Engels ; elle avait proclamé et organisé la solidarité internationale du prolétariat.

La Deuxième Internationale

Une autre étape allait commencer : la lutte pour la formation de partis ouvriers révolutionnaires de masse. Au cours de cette lutte, qui prit appui sur un essor du mouvement ouvrier en Europe et aux Etats-Unis, surgit en 1889 – à l’initiative du Parti ouvrier français de Jules Guesde et Paul Lafargue – la Deuxième Internationale.

Cette Deuxième Internationale joua dans les premiers temps un rôle utile dans la consolidation du mouvement socialiste. Après la mort d’Engels (en 1895) elle troqua cependant très vite l’esprit révolutionnaire pour l’opportunisme et la collaboration avec la bourgeoisie. C’est ainsi que, malgré la lutte que mènent en son sein des courants révolutionnaires (parmi lesquels celui qu’anime Lénine), la Deuxième Internationale justifie les politiques colonialistes et n’entreprend rien pour soutenir le mouvement ouvrier de masse contre la menace de guerre qui monte. Et quand celle-ci éclate, en 1914, la faillite de la Deuxième Internationale est consommée. Gangrénés par le chauvinisme, ses divers détachements prennent fait et cause pour leurs bourgeoisies respectives, aident celles-ci à lancer les uns contre les autres les ouvriers des différents pays dans la guerre impérialiste.

Comme on le sait, elle a aujourd’hui ressuscité, après bien des avatars, sous la forme de l’Internationale socialiste, à laquelle appartient le Parti socialiste de François Mitterrand. C’est une organisation fortement structurée, centralisée et dirigée d’une main pesante par le parti social-démocrate allemand de Helmut Schmidt et de Willy Brandt. C’est en son sein qu’a été constituée, entre autres, une sorte de filiale petite-européenne, l’Union des partis socialistes des neuf pays membres de la Communauté économique européenne, qui a adopté (en juin 1977) un projet de programme commun contredisant complètement les orientations du programme commun de la gauche française. Les liens existant entre les partis socialistes membres de cette Internationale sont à l’évidence étroits et contraignants. Le représentant du PS au dernier congrès du Parti social-démocrate allemand a pu parle en effet, à ce sujet, d’« engagements communs ».

L’Internationale communiste

Le succès de la révolution d’octobre 1917 appela la réflexion du mouvement ouvrier mondial sur une donnée capitale : décidément, pour vaincre le capital et s’engager sur la voie du socialisme, il fallait à la classe ouvrière un parti profondément différent des partis sociaux-démocrates, un parti révolutionnaire, fondant toute son action sur le socialisme scientifique dont Marx et Engels ont jeté les bases.

Après 1917, et à la faveur de la vague révolutionnaire qui déferla alors sur les pays capitalistes, des partis de ce type – des partis communistes – se constituèrent dans une série de pays, notamment en Hongrie, en Allemagne, en Pologne, en Finlande, en Autriche, en Argentine.

La solidarité de combat de ces partis révolutionnaires nouveaux va se réaliser bientôt – et pour un quart de siècle – sous la forme d’une liaison organique : la Troisième Internationale, l’Internationale communiste.

Lénine, avec le Parti bolchévik, en avait annoncé la nécessité dès novembre 1914, au lendemain de la désagrégation de la Deuxième Internationale, pour « sortir » en quelque sorte le mouvement ouvrier des marais de l’opportunisme. A son initiative, les représentants de huit partis et groupes communistes se réunissent en janvier 1919. Leur conférence appelle à la tenue d’un congrès constitutif – qui se déroule du 2 au 6 mars 1919 avec la participation de délégués venus de trente pays, y compris des États-Unis et de la Chine.

L’Internationale communiste, affirme son programme, « se considère comme la continuatrice historique de la Ligue des communistes et de la Première Internationale dirigées par Marx et comme l’héritière des meilleures traditions d’avant-guerre de la Deuxième Internationale. La Première Internationale jeta les bases doctrinales de la lutte internationale du prolétariat pour le socialisme. La Deuxième Internationale, dans sa meilleure époque, prépara le terrain à une large expansion du mouvement ouvrier parmi les masses ». Le mérite historique de la Troisième Internationale est d’avoir puissamment contribué à la constitution, à la maturation et au développement de partis communistes, authentiquement révolutionnaires, dans le monde entier. Son apparition, son existence même posaient à chaque parti socialiste, à chaque parti ouvrier une question décisive : allait-il y adhérer et se transformer en parti révolutionnaire ? On sait qu’en France le Parti socialiste – s’inscrivant de la sorte dans la droite ligne de l’expérience et des luttes des travailleurs de notre pays – répondit oui à cette question à une imposante majorité et se transforma en décembre 1920 en Parti communiste.

En 1918, les partis communistes sont au nombre de 10. Ils sont 34 en 1921, 46 en 1928, 61 en 1935. Leurs effectifs totaux passent de 1 million 680.000 en 1928 à 3 millions 140.000 en 1935, puis à 4 millions 202.000 en 1939. Cette progression – qui fait des partis communistes un facteur important de la vie internationale – passe par des batailles proprement héroïques contre la répression réactionnaire, par une transformation profonde du mouvement ouvrier et un développement sans précédent des luttes de classe.

Cela passe aussi par des erreurs. Il en est ainsi du mot d’ordre « classe contre classe » lancé au Vième congrès de l’Internationale communiste en 1928 – qui vise à appeler le mouvement ouvrier à l’intransigeance envers la bourgeoisie, mais qui conduit des partis communistes à négliger des forces sociales pouvant être gagnées au combat de la classe ouvrière. Il en est ainsi du qualificatif « social-fasciste » accolé à la social-démocratie – qui est faux du point de vue de la théorie politique et nocif, car il entrave la réalisation de l’indispensable alliance des socialistes et des communistes. Dans les deux cas (et dans d’autres), la préoccupation de l’Internationale est la même : les partis communistes doivent se tremper comme force autonome, combative, authentiquement révolutionnaire, brisant définitivement avec la collaboration de classe. Mais les conclusions politiques qu’elle tire de ce souci sont poussées à l’extrême, mécaniques, stérilisantes. La vie, la pratique des partis communistes les conduiront – et l’Internationale avec eux – à corriger pour une part ces erreurs au VIIème congrès en 1935.

Plus graves furent les erreurs staliniennes, que le dogmatisme et les pratiques répressives caractérisaient, et qui eurent également leurs répercussions sur les rapports entre partis. Certains partis communistes en souffrirent lourdement, tel le parti polonais qui se vit arbitrairement dissous.

Pour remplir sa tâche – aider à la formation dans le monde entier de partis révolutionnaires d’un type nouveau – l’Internationale communiste avait pris la forme d’une organisation centralisée, exerçant une fonction de direction. Cette direction était assumée par un centre. Bien que ce centre présentât un caractère formellement collectif, en fait le seul parti qui fut alors au pouvoir y jouait le rôle essentiel, prédominant. L’Internationale prenait des décisions qui avaient force d’obligations pour tous les partis membres, considérés comme des « détachements » de cette immense mouvement. Cela ne va pas sans poser des problèmes – qui se résument en fin de compte à un problème.

Déjà, le problème de l’indépendance…

Déjà à son époque, Marx, en même temps qu’il affirmait la nécessité d’une action internationale unie, formulait expressément le principe de l’autonomie de chaque mouvement ouvrier national. En même temps qu’il fondait l’Association internationale des travailleurs, il soulignait l’indépendance des organisations membres de l’Association. L’article 11 des statuts de la Première Internationale stipule : « Quoique unies par un lien fraternel de solidarité et de coopération, toutes les sociétés ouvrières adhérant à l’Association internationale conservent intacte leur organisation particulière ».

Plus : on peut dire que, déjà, l’idée d’un "modèle" – qu’il s’agisse des objectifs de lutte ou des méthodes d’action –, valable pour tous les partis, est totalement étrangère à Marx. Dans une interview au journal anglais "The World" en juillet 1871, il s’en explique très clairement : « Nos objectifs doivent être assez vastes pour inclure toutes les formes d’activité de la classe ouvrière. Si nous leur avions donné un caractère particulier, nous aurions dû les adapter aux besoins d’une seule section (de l’Internationale) de la classe ouvrière d’une seule nation. Mais comment pourrait-on amener tous les hommes à s’unir pour les intérêts de quelques-uns ? Si notre Association agissait ainsi, elle n’aurait plus le droit de prendre le nom d’Internationale. L’Association ne dicte pas une forme déterminée du mouvement politique, elle demande simplement que ce mouvement s’oriente vers un seul et même but final ». Lénine dira la même chose en 1908 : le mouvement révolutionnaire ne peut se dérouler partout « au même rythme et par les mêmes moyens… Chaque pays apporte ses caractéristiques originales et précieuses au courant commun ».

Il n’est cependant pas aisé de faire entrer cette idée dans la vie à une époque où la première expérience socialiste, l’expérience soviétique, devient – du seul fait de son existence – pour des millions de communistes, le socialisme, donc l’exemple à suivre. Cette circonstance, ainsi que la nécessité d’apporter la solidarité maximum à l’U.R.S.S. face à la menace mortelle que les puissances impérialistes, la réaction de tous les pays faisaient peser sur elle – ne portèrent pas à la recherche de voies nouvelles, originales, correspondant aux conditions spécifiques de chaque pays.

Lénine le constate d’ailleurs lui-même devant les délégués du IVème congrès de l’Internationale : « En 1921, dit-il, au IIIème congrès, nous avons voté une résolution sur la structure organique des partis communistes, ainsi que sur les méthodes et le contenu de leur travail. Texte excellent, mais essentiellement russe, ou presque, c’est-à-dire que tout y est tiré des conditions de vie russes. C’est là son bon, mais aussi son mauvais côté… Elle est trop russe. Non parce qu’elle a été écrite en russe – on l’a fort bien traduite dans toutes les langues – mais parce qu’elle est entièrement imprégnée de l’esprit russe. Et (…) même si quelque étranger, par exception, la comprenait, il ne pourrait pas l’appliquer… Cette résolution est trop russe ; elle traduit l’expérience de la Russie. Aussi est-elle tout-à-fait incompréhensible pour les étrangers ; ils ne peuvent se contenter de l’accrocher dans un coin, comme une icône, et de l’adorer. On n’arrivera à rien de cette façon !... ».

Voila le problème des problèmes, la contradiction à laquelle très vite se heurte l’Internationale (surtout à partir du moment où sa direction est affectée par les simplifications et l’autoritarisme de la politique stalinienne) : l’autonomie, l’indépendance, la capacité d’initiative de chaque parti communiste est une condition décisive de son développement et de ses succès. Une condition indispensable à la définition par lui d’une juste politique, répondant aux nécessités du combat des travailleurs dans son pays. On le vit bien en France, en 1934, lorsque le Parti communiste dut passer outre au véto de l’Internationale pour lancer le mot d’ordre de "Front populaire". La perception de cette exigence conduisit l’Internationale communiste à introduire, à partir de 1935, une certaine mesure de souplesse dans son fonctionnement. En 1937, le secrétaire général de l’Internationale communiste, Georges Dimitrov, déclare dans des termes très proches de ceux qu’employait Marx en 1871 : « Les partis doivent de plus en plus voler de leurs propres ailes et être capables de définir eux-mêmes, à n’importe quel moment, leur politique et leur tactique, ainsi que la direction opérationnelle. Et nous voulons que cet objectif soit définitivement atteint par toutes nos sections, par tous nos partis ». De fait, les choses évoluent dans cette direction. Mais plus lentement, sans doute, que Dimitrov ne l’envisageait alors. Peut-être aussi plus lentement qu’elles n’auraient dû. Les historiens en jugeront.

Toujours est-il que le 15 mai 1943, au milieu de la Deuxième Guerre mondiale, la Troisième Internationale est dissoute en tant que "centre dirigeant du mouvement ouvrier international", les partis communistes sont déclarés libérés des obligations découlant de ses statuts et de ses résolutions.

Les raisons de cette dissolution sont diverses. La première est que les partis communistes avaient grandi, ils étaient devenus majeurs, ils s’affirmaient désormais comme des facteurs décisifs de la vie nationale dans une série de pays. Les situations dans lesquelles ils menaient leur combat présentaient des différences profondes, nées des conditions nationales, des particularités de chaque pays. La lutte contre l’envahisseur nazi, pour la défense ou la libération de la patrie, donnait plus de force encore à cette donnée nationale du combat des partis communistes, qui prenait une part exemplaire à la lutte patriotique. Dans ces conditions, maintenir cette forme d’organisation centralisée qu’était la Troisième Internationale constituait désormais, comme le dit la décision de dissolution de l’Internationale, "une entrave au renforcement des partis ouvriers nationaux".

A cette raison s’ajoutaient sans aucun doute les impératifs politiques de cette phase de la Deuxième Guerre mondiale, c’est-à-dire d’une part la négociation des alliances entre les grandes puissances (U.R.S.S. – U.S.A. – Grande-Bretagne), d’autre part la nécessité de favoriser la participation de la classe ouvrière et de son parti aux coalitions démocratiques nationales en lutte contre l’hitlérisme.

La Troisième Internationale dissoute, la phase organique du mouvement communiste international s’achevait. Elle eut cependant un prolongement, ou plutôt une survivance.

Fin septembre 1947, en effet, une conférence réunit neuf partis communistes d’Europe (Bulgarie, France, Hongrie, Italie, Pologne, Roumanie, Tchécoslovaquie, Union soviétique, Yougoslavie). La conférence décida de créer un Bureau d’Information des partis communistes, destiné à « organiser l’échange d’expériences et, le cas échéant, à coordonner l’activité des partis communistes sur la base du consentement mutuel ».

Sans doute le Bureau d’information, constitué au début de la guerre froide, contribua-t-il dans une certaine mesure à l’effort de mise à jour politique et idéologique que la situation nouvelle créée par les résultats de la Deuxième Guerre mondiale appelait. Mais en même temps, il prolongeait la conception "centralisée" de l’Internationale communiste et prit des décisions qui attentaient au principe de l’indépendance des partis : il en fut ainsi, en 1949, d’une résolution qui constituait une condamnation politique injustifiable du Parti communiste de Yougoslavie. Et surtout, il faut dire que, durant ses neuf années d’existence, l’activité de ce Bureau fut marquée par la pratique et les conceptions du P.C.U.S., dirigé alors par Staline, qui se refusait de tirer les leçons de la dissolution de la Troisième Internationale et d’appliquer les recommandations formulées alors.

Le Bureau d’information (ou Kominform) fut dissous en avril 1956. Cette dissolution était une conséquence directe du XXème Congrès du P.C.U.S. Celui-ci, qui s’était tenu deux mois plus tôt, avait dénoncé les erreurs, souvent criminelles, qui avaient entaché l’œuvre accomplie par les communistes soviétiques. Une des causes de ces erreurs était l’absence d’une direction véritablement collective, la prise de décision unilatérale et autoritaire. Cela n’était pas allé sans se répercuter sur les rapports avec les autres partis communistes (et avec les autres pays socialistes) et sans porter sérieusement atteinte à leur indépendance, à leur égalité de droits. La condamnation que le XXème Congrès du P.C.U.S. effectua de ces fautes, marque le début d’une nouvelle étape dans le mouvement communiste mondial.

Il faut cependant dire à ce propos que toutes les leçons de ce passé ne furent pas tirées aussi rapidement et aussi complètement qu’il était nécessaire. Sans doute cela aurait-il été fait plus aisément si le P.C.U.S. avait systématiquement mis à jour les faits et entrepris une analyse vraiment fondamentale de leurs causes. Ce travail indispensable fut mené par lui de façon partielle et superficielle. Le "culte de la personnalité de Staline" devint l’explication unique et stéréotypée d’une pratique, voire d’une conception politique singulièrement plus complexe. Plus : au bout d’un certain temps, ce travail d’analyse et de recherche tourna court, et le P.C.U.S. considéra comme suspecte toute tentative de le poursuivre, de l’approfondir. Or, autant est justifiable le souci de ne pas remâcher sans cesse le passé – ce qui est un exercice stérile et peu mobilisateur -, autant on ne peut se garantir contre toute réédition (même partielle) des erreurs du passé sans procéder à leur analyse approfondie.

Le mouvement dans son ensemble a ainsi perdu du temps. Et la conscience prise par les partis de la nécessité de tirer pour eux-mêmes les leçons de ce passé a, dans ces conditions, été inégale. Ce qui conduit à des discussions, voire des heurts au sein du mouvement.

La phase des conférences internationales

A la dissolution du Bureau d’information, il existe un mouvement communiste international, bien vivant, puissant, dont l’influence augmente sans cesse dans les évènements mondiaux – mais ce mouvement n’est plus une organisation, il n’a plus de structures. Pendant une période qui s’étendra sur vingt ans, les partis communistes vont alors s’employer à définir – à chaque grande étape de l’évolution mondiale – des objectifs communs, une ligne générale commune. C’est la tâche que s’assignent les conférences internationales des partis communistes, et en particulier leurs conférences mondiales.

La première se tint en 1957 et réunit 64 partis, après avoir été précédée d’une Conférence des partis communistes de 12 pays socialistes. La seconde se tint en 1960 et réunit 81 partis. La troisième se tint en 1969 et réunit 67 partis, (les P.C. de Chine et d’Albanie n’y participèrent pas, non plus que le P.C. du Japon). Ces conférences portent sur les questions (analyse de la situation internationale, stratégie, objectifs communs) qui concernent l’ensemble des partis du monde.

En même temps, la diversité de leurs conditions de lutte fait qu’il peut se poser aux partis d’une région du monde déterminée des problèmes plus spécifiques. Ils tiennent alors des conférences régionales. De 1958 à 1976, celles-ci furent nombreuses.

Ce qui caractérisait ces conférences internationales, c’était la présence d’un nombre important de participants, l’adoption d’un document exhaustif, comportant tout à la fois une analyse portant sur de nombreuses questions et un programme d’action commune.

Dans les conditions du moment, ces conférences jouèrent pour l’essentiel un rôle positif : leur préparation permit une utile confrontation des expériences et des idées, et les discussions qui aboutirent à la rédaction de déclarations communes constituèrent un certain enrichissement du patrimoine théorique et politique des partis.

La Conférence de Berlin des P.C. de toute l’Europe, en juin 1976, a été la dernière en date de ces conférences. Au cours de l’intervention qu’il y prononça, Georges Marchais put déclarer que celles-ci « ne nous paraissent plus correspondre aux besoins de l’époque ». D’autres partis exprimèrent la même opinion. Celle-ci repose sur la constatation que, comme l’a également dit Georges Marchais à Berlin, « la période de l’histoire que nous vivons est marquée par des évolutions profondes. Il serait incompréhensible que le mouvement communiste international ait échappé à ces évolutions ».

La Conférence de Berlin a en effet présenté un double aspect.

Elle a manifesté une fois de plus la volonté des différents P.C. d’Europe qu’ils soient au pouvoir ou dans l’opposition, d’agir pour la paix, la détente, le désarmement, la coopération internationale. Montrant bien que les communistes sont toujours résolument à l’initiative dans ce domaine, elle a formulé toute une série de propositions, collectivement élaborées, dont la mise en œuvre permettrait une avancée substantielle de la détente et du désarmement. Elle a été à cet égard un acte politique important et les propositions qu’elle a faites se révèleront sans aucun doute fécondes.

En même temps, la Conférence de Berlin a mis en relief – par sa longue et difficile préparation, par le contenu des interventions qui y furent prononcées, et aussi par la dissemblance des interprétations que les partis en donnèrent après coup – trois données : l’existence d’une grande diversité de positions des P.C. d’Europe, l’affirmation de divergences sur des questions importantes, la nécessité d’une conception nouvelle des rapports entre partis.

Jean Kanapa

Ecole centrale du PCF de novembre 1977

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    La déclaration complète

    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

    Un peu plus d’un tiers des adhérents a participé à cette consultation, soit une participation en hausse par rapport aux précédents votes, dans un contexte de baisse des cotisants.
    ... lire la suite

  • (2016) 37eme congrès du PCF

    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).