Alstom : le dépeçage se confirme

, par  Laurent Santoire , popularité : 1%

L’allemand Siemens va mettre la main sur la branche ferroviaire d’Alstom, après que ce dernier ait déjà été dépouillé de son secteur Énergie au profit de General Electric. La « souveraineté européenne » vantée par Emmanuel Macron recouvre ainsi une succession d’abandons industriels et technologiques nationaux, dont Laurent Santoire, responsable CGT chez GE-Alstom, précisait les enjeux dans l’édition de Ruptures du 26 octobre. Compte tenu de l’actualité, nous publions ici désormais cette analyse.

Coup de tonnerre industriel : le 26 septembre, un communiqué du français Alstom et du géant allemand Siemens annonçait le « rapprochement » entre les deux firmes. En réalité, une prise de contrôle du premier par le géant d’outre-Rhin.

Déjà, après le rachat de sa branche énergie (fabrication de turbines) par le conglomérat américain General Electric (GE) en 2015, l’activité d’Alstom s’était réduite à sa branche ferroviaire.

Le groupe français, qui compta dans ses activités les Chantiers de l’Atlantique, était issu de la Compagnie générale d’électricité (CGE), ex-fleuron industriel et technologique jadis aussi présent dans les télécommunications via Alcatel (vendu au Finlandais Nokia en 2016).

Se profile donc un nouveau démantèlement d’une filière industrielle et technologique nationale

Se profile donc un nouveau démantèlement d’une filière industrielle et technologique nationale, au sein de laquelle avait été développé notamment l’emblématique TGV. Cependant, l’accord ne sera juridiquement effectif que d’ici douze à dix-huit mois.

Plus précisément, le projet prévoit la création d’une entreprise baptisée Siemens-Alstom qui regrouperait l’actuel Alstom (7,3 milliards de chiffre d’affaire, 10 milliards de commandes, 8.500 salariés en France, 3.000 en Allemagne) et la branche ferroviaire de Siemens (7,8 milliards de CA, soit 12.000 salariés outre-Rhin).

Siemens va souscrire à une augmentation de capital d’Alstom qui lui sera réservée, ce qui permettra au géant allemand de détenir 50% des actions de la nouvelle firme, et de faire siéger six administrateurs sur onze au Conseil d’administration.

Mais pour préserver les apparences, l’actuel PDG d’Alstom restera à la tête de l’entreprise pour quatre ans, et le siège central de celle-ci sera en France. Pendant cette même période, des « garanties » sont données en termes de maintien de l’emploi tant en France qu’en Allemagne – mais pas dans les pays tiers où le groupe est également implanté.

Le protocole prévoit également un versement de dividendes exceptionnels pour « consoler » les actionnaires d’Alstom : 8 euros par action, soit un manque à gagner pour la trésorerie de l’entreprise de 1,8 milliard. Pour le groupe Bouygues, actionnaire de référence d’Alstom avec 28,3% des parts, cela représente un pactole de 500 millions d’euros. Plusieurs banques d’affaires ont piloté étroitement l’opération, dont Rothschild pour Alstom.

L’opération a été supervisée au plus haut niveau : par l’Elysée et par la chancellerie allemande

Lors de la vente d’Alstom Énergie à GE en 2015, une clause de l’accord prévoyait la possibilité pour l’État français de racheter, à l’échéance d’octobre 2017, une partie des actions détenues par Bouygues et de reprendre ainsi une influence sur l’avenir du groupe français. Bercy n’a pas exercé cette option, ce qui donne implicitement carte blanche à Siemens. Ce renoncement aurait été demandé par Angela Merkel.

Car l’opération a été supervisée au plus haut niveau : par l’Élysée et par la chancellerie allemande. Son annonce a été rendue publique le jour même où Emmanuel Macron prononçait un discours solennel consacré à l’avenir de l’UE, et vantait en particulier l’objectif de « souveraineté européenne » en lieu et place d’une souveraineté nationale qui serait obsolète (lire notre éditorial).

Similitudes

Responsable CGT chez Alstom Power System (GE), Laurent Santoire relève les similitudes entre l’opération avec Siemens et avec General Electric, deux ans plus tôt. A commencer par l’habillage trompeur d’une « alliance entre égaux », alors qu’il s’agit avant tout de servir l’appétit des actionnaires au détriment tant de l’emploi que de la maîtrise industrielle et technologique nationale.

De même, le syndicaliste pointe aujourd’hui ce que valaient les « assurances » données à l’époque. La direction de la firme américaine avait promis de créer 1 000 emplois nets en France au sein de trois co-entreprises lancées en commun par GE et Alstom dans des domaines des turbines pour centrales nucléaires, des réseaux, ainsi que des turbines hydro-électriques. Or au 1er janvier 2017, relève Laurent Santoire, le solde est déjà de 400 emplois nets supprimés. Et pourrait bien s’alourdir, n’était-ce un tour de passe-passe : l’intégration des effectifs de certains sous-traitants.

Les actionnaires du géant américain, pourtant déjà largement profitable, exigent plus de rentabilité

Parmi les points « chauds » actuels figure en particulier la co-entreprise GE-Hydro (turbines pour l’hydro-électricité) dont le site historique de Grenoble est occupé par les salariés contre la menace de 350 licenciements (sur 800).

C’est que les actionnaires du géant américain, pourtant déjà largement profitable, exigent plus de rentabilité, ce qui passe par une vaste restructuration mondiale, dont les co-entreprises créées en 2015 pourraient faire les frais. GE a l’habitude de récupérer ce qui l’intéresse le plus : la maîtrise, les savoir-faire et les brevets (développés en partie grâce à des financements publics). Mais il ergote désormais sur le prix (pourtant fixé dans le contrat de 2015 : 2,5 milliards d’euros) auquel Alstom a la possibilité de lui revendre ses parts d’ici septembre 2018. Une possibilité que le protocole Siemens-Alstom a transformé en obligation, plaçant ainsi les salariés des co-entreprises en victimes collatérales à la merci de la direction américaine du groupe.

« Airbus du ferroviaire » ?

Or, explique le cégétiste, le ferroviaire comme les turbines constituent des filières industrielles nationales essentielles. D’autant que ce ne sont pas les projets d’ampleur qui manquent. La perspective d’équipement des futurs réseaux ferroviaires du « Grand Paris » en est un exemple.

Qu’en est-il, dans ces conditions, de l’« Airbus du ferroviaire » vanté par les promoteurs du projet ? Laurent Santoire conteste formellement cette présentation abusive, d’autant que l’actuel Airbus, rappelle-t-il, a tourné le dos à ce qui présida à sa naissance (fin des années 1960) : un projet industriel à l’initiative d’États souverains. L’esprit était de mener des coopérations, non pilotées par la rentabilité, s’appuyant sur des entreprises publiques – en France en tout cas. Un tel montage serait aujourd’hui interdit par la Commission européenne.

Pour Alstom ferroviaire, les partisans de l’absorption par Siemens mettent par ailleurs en avant l’argument de la concurrence chinoise : deux groupes de ce pays ont récemment fusionné pour former un mastodonte mondial (public, donc non soumis aux exigences de rentabilité, tout en bénéficiant d’un marché intérieur géant captif). Cette nouvelle donne imposerait des regroupements européens… En réalité, une telle assertion anticipe et accompagne un contexte où l’on accepte la libre circulation des marchandises et des capitaux, sans aucune autre règle que celle du libre échange mondial.

Pour Laurent Santoire, syndicaliste CGT, la priorité devrait être, aujourd’hui, de réintroduire l’État dans le jeu

A l’inverse, pour Laurent Santoire, la priorité devrait être, aujourd’hui, de réintroduire l’État dans le jeu. En particulier pour le secteur de l’énergie, ce dernier – et non GE – devrait racheter les actions qu’Alstom détient dans les co-entreprises ; et négocier en mettant en avant l’importance de la commande publique, décisive pour les filières concernées.

Mais cela nécessite de mobiliser les salariés, et, au-delà, de faire intervenir les citoyens dans ces débats cruciaux pour l’avenir du pays, conclut le syndicaliste.

Voir en ligne : Article du périodique Ruptures

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