La CGT : syndicalisme de lutte de classe et de masse (?)

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Partie II - Évidemment, la courte "histoire de la CGT" publiée précédemment et tirée du livre de Jean Magniadas (Le syndicalisme de classe, éditions sociales, 1987) s’arrête aux années 80, un quart de siècle s’étant écoulé depuis… Ce sera à notre génération d’écrire les évènements de ces deux dernières décennies. Mais d’ores et déjà, dans cet ouvrage qui ne date que d’hier (un peu plus de vingt ans…), l’auteur nous affirme que le caractère principal de la CGT est d’être un syndicat de lutte de classe et de masse, même s’il conclut, devant les attaques répétées que subissait alors la CGT, qu’assurer ce caractère relève "d’un combat incessant" et "qu’il n’y a jamais de résultats définitivement acquis". Au vu de ce qui est arrivé par la suite, il ne croyait pas si bien dire.

Dans cet ouvrage qui date de la fin des années 80, l’auteur nous montre qu’à cette époque, la direction de la CGT n’a pas encore revisité les fondamentaux qui ont constitué les bases du syndicat. Rappelons-nous que Louis Viannet prend la direction de la CGT en 1992, soit cinq ans après la parution de ce bouquin, qu’il prend ses distances d’avec le PCF en quittant le bureau politique en 1996, qu’en 1995, il pousse la CGT à quitter la FSM pour la faire adhérer en 1999 à la CES, date à laquelle Bernard Thibault deviendra secrétaire général. Ce qui est intéressant, c’est que Jean Magniadas insiste sur le rôle des dirigeants dans la politique pratiquée par le syndicat ; il relate notamment l’importance d’un homme comme Benoît Frachon pour faire de la CGT ce qu’elle est devenue. Mais il ne faut pas oublier qu’alors, le rapport de force interne était en faveur des révolutionnaires…

D’une manière générale, l’auteur nous décrit une CGT telle qu’elle était encore dans les années 80 et, compte tenu de son potentiel, telle qu’il est toujours possible qu’elle redevienne, à savoir forte d’un syndicalisme de classe et de masse, rassembleuse pour organiser la lutte contre le capitalisme et ouverte à la construction du socialisme.

PB


La CGT : syndicalisme de lutte de classe et de masse

Syndicalisme de classe, de masse, démocratique, à vocation unitaire, tels sont les principes sur lesquels la CGT fonde son action et qu’elle entend traduire dans ses pratiques. Ces principes se sont constitués au cours de son histoire, dont nous avons relaté les grandes étapes, et dans les grands mouvements sociaux qui l’ont accompagnée. Ces conceptions et ces pratiques sont l’œuvre des militants et des dirigeants de la CGT, de l’expérience, de la réflexion critique du mouvement syndical français sur son activité et ses combats. Certes, c’est le mouvement des masses qui modèle l’organisation syndicale, mais on ne saurait nier le rôle des dirigeants.

Le rôle des dirigeants

Parmi ces dirigeants, il y eut un homme d’une envergure exceptionnelle, Benoît Frachon, qui assuma à la CGTU, puis à la tête du courant de lutte de classe dans la CGT, enfin comme secrétaire général de 1945 à 1967 [1], les plus grandes responsabilités.

Sans céder à aucun culte, même rétrospectif, on peut dire que Benoît Frachon fut non seulement un très grand stratège des luttes syndicales, unissant une intelligence remarquable des conjonctures et des perspectives des luttes de classe à un sang-froid extraordinaire devant les situations les plus complexes et les plus difficiles. Son activité, l’autorité dont il disposait ont joué un rôle très important pour l’unité interne de la CGT. Il a permis à la CGT d’acquérir durablement un certain nombre de caractères essentiels au plan de ses conceptions et de ses pratiques [2] et de les manifester sur le terrain, traduisant ses positions de classe en les liant à un combat permanent pour construire une organisation de classe et de masse et en faire une donnée majeure du syndicalisme en France. Cela s’opposait dans une large mesure à certaines traditions négatives du syndicalisme français, longtemps dominé par la conception des minorités agissantes ou habitué à vivre avec des effectifs très faibles, capable d’agitation, mais sous-estimant l’organisation sans laquelle les travailleurs ne peuvent pas réellement mettre en œuvre leur force sociale.

Tenant pleinement compte des spécificités françaises, Benoît Frachon a joué un rôle éminent pour donner à la notion d’indépendance syndicale un contenu positif, dépassant les débats du syndicalisme français depuis sa naissance. Il s’est battu avec succès contre l’étroitesse, le sectarisme et pour l’unité syndicale. Il accordait une grande attention aux revendications immédiates, aux syndiqués et à leurs droits, à l’activité et à l’organisation syndicale à l’entreprise. C’est ce que montre, par exemple, l’attention vigilante qu’il portait aux délégués du personnel. Internationaliste convaincu, les relations avec les syndicats des autres pays occupèrent une grande place dans ses préoccupations. Il disposait dans le mouvement ouvrier international d’une autorité considérable.

Au-delà de l’activité personnelle de Benoît Frachon, il y a un collectif, celui des militants et des dirigeants qui, dans la CGTU, puis dans la CGT, se formèrent et accédèrent souvent jeunes à de grandes responsabilités [3] en 1936, puis dans l’après-guerre. Ce sont eux qui, malgré le lourd tribut payé à la lutte antifasciste et patriotique, ont incontestablement conduit à ancrer dans la CGT les caractères qu’elle revendique. Caractères qu’il ne suffisait pas de concevoir clairement, mais qu’il fallait faire passer dans les pratiques syndicales et qui permirent que la CGT se positionne concrètement dans le champ social en tant qu’organisation pour laquelle la lutte des classes est bien le trait fondamental des rapports de production capitalistes, et dont le rôle est d’organiser les luttes contre l’exploitation capitaliste sous les diverses formes qu’elle prend historiquement. En ce sens, la CGT se distingue fondamentalement des syndicats réformistes, car son action vise à permettre le développement des luttes, à construire à tout moment, quelles que soient les conjonctures, le rapport de force le plus favorable à la défense des travailleurs. Dans ce processus, la conscience de classe des syndiqués, des travailleurs, tend potentiellement à progresser.

Le pluralisme

Se prononçant pour la transformation de la société et l’instauration du socialisme, c’est-à-dire luttant pour l’abolition de l’exploitation, la CGT combat effectivement pour des réformes et des mesures qui s’inscrivent réellement dans cette perspective et affaiblissent les positions du capital et des monopoles qui en sont la forme dominante. Elle ne conçoit pas ces réformes comme des substituts aux luttes. Tout au contraire, elle sait que les réformes ne peuvent être efficaces sans l’appui d’un rapport de forces favorable aux travailleurs.

Sur le plan des idées comme des pratiques, la CGT s’oppose à la collaboration de classes. Elle la combat en tant que mystification idéologique et en tant que pratique assujettissante pour les travailleurs. Elle s’oppose à l’association capital/travail, quelles qu’en soient les formes, et combat, idéologiquement et pratiquement, les impasses du réformisme.

Pour la CGT, le contenu de classe et le caractère de masse du syndicat sont dialectiquement liés. Ce lien s’établit dans l’activité concrète du syndicat, essentiellement dans la lutte pour les intérêts des travailleurs et non simplement dans la représentation de leurs intérêts, qui, dès lors qu’elle n’est pas intégrée à la lutte et placée sous le contrôle démocratique des syndiqués et des travailleurs, ne peut aboutir qu’à des abandons ou à des échecs. La CGT cherche donc à grouper dans ses rangs les salariés, sans distinction d’opinion politique, philosophique ou religieuse, et telle est bien sa composition.

Au sein de la CGT militent des communistes, des socialistes, des militants de la JOC, de l’ACO, des prêtres ouvriers, des membres d’autres mouvements confessionnels, des travailleurs de toutes catégories, de l’OS à l’ingénieur, de diverses nationalités. C’est une caractéristique nouvelle dans l’histoire de la CGT, apparue dans les trente dernières années, que la présence de militants appartenant à des mouvements d’action catholique. Cette présence active et très positive. Il y a et il y a toujours eu des militants socialistes dans la CGT. Toutefois, rappelons que la SFIO combattit et même érigea en incompatibilité l’adhésion à la CGT et à la SFIO. De nombreux militants ne cédèrent pas à ces pressions, malgré les sanctions, et restèrent à la CGT. Parmi eux, Lucien Jayat, Jean Schaeffer qui furent membres de son bureau confédéral, d’autres encore.

Des hommes et des femmes, ne se réclamant pas d’une option politique ou d’une famille spirituelle précise, militent également activement dans les rangs de la CGT. Le syndicat n’est pas la simple juxtaposition d’adhérents ou de militants d’opinions politiques différentes. Ses militants, ses membres sont unis par des objectifs, des luttes, des pratiques communes et, par-delà leur diversité, adhèrent à de valeurs communes qui sont celles du syndicat et qui ne sauraient, bien entendu, conduire à l’unanimité sur toutes les questions. Chaque militant ou syndiqué a le droit de défendre librement son point de vue sur toutes les questions de la compétence du syndicat.

A tous les échelons, des responsabilités sont confiées à des militants communistes, le plus souvent par des décisions unanimes. C’est le respect de sa composition et du libre jeu de la démocratie syndicale. Conduisent-elles à la subordination au PCF, comme le prétend, inlassablement, la propagande du pouvoir, du patronat et des autres organisations syndicales ? Cette assertion revient à tenir pour nulle la présence des militants qui ne sont pas communistes, une fois que l’on ne peut plus nier leur existence.

Dans le débat sur les caractères de la CGT ouvert à l’occasion de la modification des statuts, André Bertheloot, alors secrétaire de la CGT, a démontré en son temps l’inconsistance des positions de ceux qui, à l’extérieur de la CGT, défendent cette thèse [4].

Le pluralisme de la composition de la CGT peut être mieux appréhendé à travers les questions posées par les sondages [5] à l’occasion des élections politiques. Sait-on qu’au premier tour de l’élection présidentielle de 1981, 57% des syndiqués de la CGT déclaraient voter pour G.Marchais, 22% pour F.Mitterrand, 3,5% pour d’autres candidats de gauche, 2% pour Brice Lalonde, 7% pour V.Giscard d’Estaing, 6% pour J.Chirac, 2,5% pour les autres candidats. Au premier tour des élections municipales de 1983, on note 56% pour les listes du PCF, 21% pour le PS-MRG, 15% pour le PSU, extrême gauche et 8% pour les autres formations.

La subordination de la CGT résulterait de l’identité de ses positions à celle du PCF. Curieux raisonnement. La CGT ne prétend pas au monopole de la lutte des classes et, par conséquent, des positions qui en découlent. C’est sur le fond que celles-ci doivent être appréciées et non par similitude avec celles de telle ou telle autre formation ; c’est au niveau de leur contenu que des convergences éventuelles sont explicables, sans recourir à la vieille rengaine de la « courroie de transmission ». Quant aux positions de la CGT, elles sont arrêtées à partir de son programme, dans ses congrès et instances statutaires démocratiquement élus. Elles sont l’expression de ses adhérents et comme on l’a vu, d’une expression pluraliste.

Une organisation unitaire

La CGT n’est ni communiste, ni socialiste, ni chrétienne. Elle est elle-même : un syndicat de classe groupant effectivement sur cette base des travailleurs ayant des opinions politiques différentes, un syndicat soucieux d’assurer son caractère de masse. Pour le concrétiser, la CGT s’efforce de prendre en compte, avec les intéressés eux-mêmes, les préoccupations des différentes catégories de salariés, à la fois pour ce qu’elles ont de général, mais aussi de particulier. Il lui faut aussi tenir compte des spécificités propres des différentes catégories sociales, qui naissent souvent des pratiques patronales de surexploitation.

Depuis les années cinquante, la CGT développe une activité importante en direction des femmes travailleuses qui a été efficace dans la défense de la condition des salariées, pour leur syndicalisation, et a permis l’accession de cadres féminins de grande valeur à tous les niveaux de responsabilités de la CGT. Place que ni les militants eux-mêmes ni les instances dirigeantes de la CGT ne considèrent comme encore véritablement suffisante.

L’UGIC (Union générale des ingénieurs et cadres) s’est transformée en mai 1965 en UGICT (Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens) avec la volonté de tenir compte de la place des techniciens et plus généralement de gagner au syndicalisme de classe ces catégories de salariés en expansion rapide. Sous l’impulsion créatrice de René Le Guen, qui en fut pendant une longue période le secrétaire général, l’organisation des cadres de la CGT a gagné une autorité certaine au sein même de la centrale, assure sa présence originale dans une catégorie sociale qui est elle-même un enjeu de la lutte de classe, et y agit pour concrétiser et développer l’influence de la CGT.

Toujours avec la préoccupation de s’adapter aux évolutions, en 1969 a été constituée l’Union confédérale des retraités (UCR), destinée à coordonner les activités des organisations groupant les anciens salariés. Des organisations syndicales de retraités existaient déjà dans le secteur public et nationalisé. Elles se sont créées dans le secteur privé où les retraites complémentaires se sont généralisées, afin d’assurer la défense d’une catégorie sociale qui groupe, selon le recensement de 1982, 7.436.020 personnes.

Le syndicalisme de classe est, lui-même, une organisation unitaire, en ce sens qu’il rassemble dans ses rangs des hommes et des femmes divers. Intimement lié au caractère de masse du syndicat, élément central de sa conception, le syndicalisme de classe s’est toujours prononcé pour l’unité, c’est-à-dire pour une organisation unique, réunissant sur une base volontaire l’ensemble des travailleurs. Cette conception a comme fondements les intérêts communs des travailleurs et la commune exploitation qui les oppose au patronat qui, à travers la constellation de ses organisations, assure son unité face aux travailleurs. La division syndicale est le produit de l’utilisation, à l’encontre des intérêts communs, des différences d’opinions politiques, de confessions, de statut social. L’unité syndicale depuis 1921 ne s’est réalisée que pendant huit ans, ce qui montre bien que les forces conservatrices et réformistes ont su exploiter les divergences idéologiques pour instituer et maintenir le pluralisme en cherchant à réduire l’audience du syndicalisme de classe et à affaiblir la puissance sociale des travailleurs.

La CGT ne porte ni la responsabilité des scissions, ni celle de la division actuelle. Si elle est pour le pluralisme politique, elle s’est toujours clairement prononcée pour l’unité syndicale qui correspond à une défense efficace des travailleurs. Les militants du syndicalisme de lutte de classe, quand ils étaient minoritaires, ont toujours accepté le libre jeu de la démocratie syndicale et ils savent que l’unité implique débats et même parfois affrontements idéologiques.

C’est comme palliatif à la division syndicale que s’est affirmée l’exigence de l’unité d’action face à un patronat uni pour exploiter les salariés, que celle-ci s’est effectivement réalisée à des niveaux divers et à plusieurs périodes, permettant quand elle était efficace, c’est-à-dire quand elle portait sur des revendications claires, mêmes limitées, correspondant aux intérêts des travailleurs, et débouchait sur l’action, d’améliorer les rapports de forces au profit des salariés et de produire des résultats.

Aujourd’hui, l’obstacle majeur à l’unité d’action, à des positions convergentes ou concomitantes et à fortiori à des accords entre centrales syndicales, réside dans les positions des organisations réformistes, dans leur soutien aux solutions de gestion de la crise, dans leur refus de l’action. La CGT n’accepte pas comme un fait définitif une situation où il n’y aurait pas moyen d’agir entre organisations différentes. Son activité tient compte de la situation concrète présente. Nous y reviendrons.

La lutte pour assurer le caractère de masse et de classe du syndicalisme, pour l’unité d’action des travailleurs est un combat incessant. Il n’y a jamais de résultats définitivement acquis.

Extrait de : Le syndicalisme de classe, Jean Magniadas, Éditions sociales, 1987

[1C’est en 1967 que Georges Séguy lui succédera au secrétariat général de la CGT, Benoît Frachon devenant alors président (1967-1975).

[2Benoît Frachon a écrit des mémoires de lutte d’un grand intérêt (1902-1939) publiés sous le titre Pour la CGT, Editions sociales, 1981. Il a aussi laissé des centaines d’articles qui reprennent ses interventions sur un grand nombre de questions. Au-delà des problèmes concrets qui y sont traités, on peut y lire une approche fondamentale et très riche, créatrice d’une conception du syndicat de classe et de masse et des pratiques qui lui sont liées. Ces articles choisis par Benoît Frachon lui-même ont été publiés en deux volumes sous le titre Au rythme des jours, Editions sociales, 1967

[3On aurait envie de citer des noms, beaucoup de noms. La liste serait longue mais incomplète, donc injuste. Nous y avons renoncé.

[4Voir H. Krasucki, Un syndicat moderne ? Oui !, Messidor/Editions sociales, 1987, pages 59-60.

[5René Mouriaux, Syndicalisme et politique, les Editions ouvrières, 1985, page 70.

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