Les communistes et l’Etat (5)

, par  Pascal Brula , popularité : 3%

Dans cet analyse remarquable, notre camarade Danielle Bleitrach nous rappelle en pleine période sarkozienne (juillet 2008), combien l’État n’est pas ce que l’on voudrait nous faire croire, c’est-à-dire une mise en œuvre de la volonté collective, mais bien un outil au service de la classe dominante pour faire régner l’ordre capitaliste. Danielle nous décortique les nouveautés de la période qui ne sont d’ailleurs qu’un prolongement des politiques antérieures, à savoir comment le capital s’organise pour mieux asseoir sa dictature. Sur ce sujet, on ne peut que se reporter sur notre site à cet édifiant témoignage de cette étudiante prise au piège d’un dispositif répressif innovant inventé par la politique ultra réactionnaire de l’époque.

Si Danielle utilise le terme de "néo-libéralisme", c’est pour mieux le critiquer et démontrer combien ce qui se passe à la tête de l’État en est bien l’inverse. Personnellement, je trouve que ce terme, comme tous ceux qui lui sont accolés, à savoir libéralisme, ultra-libéralisme, social-libéralisme, voire ordo-libéralisme, sont une pirouette de l’idéologie dominante qui a tout intérêt à nous éloigner de la réalité du capitalisme : le libéralisme n’existe pas sinon sous forme d’une doctrine philosophique idéaliste. Comme nos camarades l’analysaient dans les années 70 [1], le libéralisme n’est qu’une tarte à la crème. La réalité est que la grande bourgeoisie capitaliste tient d’une main de fer l’appareil d’État et s’en sert pour faire valoir ses intérêts de classe, aussi bien dans le domaine de la répression que dans celui de sa domination économique.

De ce fait, Danielle repositionne, ou en tous cas montre au mouvement communiste, les véritables forces qu’il a à affronter, et donc tout le chemin qui lui reste à accomplir, que ce soit en terme d’organisation, de théorie, de luttes, de capacité de rassemblement et autres, s’il veut retrouver toute sa crédibilité.

Pascal Brula


Sarkozy ce n’est pas le fascisme, c’est la dictature de la bourgeoisie. Peut-on se passer de la dictature du prolétariat ?

L’article 5 de la Constitution prévoit que le président de la République est chef des armées. Le nouveau livre blanc sur la Défense va plus loin : Sarkozy, qui regrette visiblement de ne plus être ministre de l’Intérieur, a adjoint à ce rôle de chef des armées, donc de la Défense, celui de grand coordonnateur de la Sécurité.

Le domaine réservé du président de la République n’est plus seulement en priorité la Défense et les Affaires étrangères. Avec la création du Conseil de sécurité nationale qui supprime la différence entre Défense et Sécurité, le chef des armées redevient premier flic de France. Nous avons une présidence d’exception et l’ennemi est intérieur autant qu’extérieur. Ceci devrait nous conduire à revisiter notre conception d’une stratégie révolutionnaire, à tout le moins, de mieux comprendre la nature de l’adversaire et à nous organiser en conséquence.

I- Retour à la pureté classique de la dictature de la bourgeoisie au stade néo-libéral

La Constitution française est sans doute une des plus présidentielles qui soit, il n’y a guère que la Mexicaine pour accorder au chef de l’État un tel poids. La France a toujours été le pays de la bureaucratie autour d’un pouvoir exécutif autoritaire, cela tient à l’aiguisement de la lutte des classes dans ce pays, à la nécessité permanente de la contenir. Cela tient également à l’histoire de la France, la manière dont a été détruit dans ce pays le féodalisme ; la domination de la bourgeoisie y a revêtu un caractère de « pureté classique qu’aucun autre pays n’a atteint en Europe ». C’est cette dictature de la bourgeoisie pour en finir avec l’ordre féodal que Marx dans Le 18 Brumaire de Louis Bonaparte (1852) décrit « ce pouvoir exécutif, avec son immense organisation bureaucratique et militaire, avec sa machine étatique complexe et artificielle, son armée de fonctionnaires d’un demi million d’hommes et son autre armée de cinq cent mille soldats, effroyable corps parasite qui recouvre comme d’une membrane le corps de la société française et en bouche tous les pores… ».

Le paradoxe de ce qu’on a appelé le néo-libéralisme, et qui n’est qu’un stade du capitalisme, celui de l’impérialisme avec sa mondialisation entièrement soumise aux transnationales financiarisée, c’est qu’il se présente volontiers comme un allégement de cette organisation bureaucratique, une remise en cause de l’État tentaculaire. En fait non seulement à ce stade l’État ne disparaît pas mais il se renforce, les fondements de l’ordre capitaliste étant plus que jamais menacés, il faut muscler l’appareil répressif, la machine d’État, la débarrasser de la "mauvaise" graisse accumulée dans les années du pacte social qu’il a bien fallu passer avec les classes populaires tant la peur de la contagion de l’Union Soviétique était forte. Un ministre social-démocrate a même parlé à propos de l’Éducation nationale dont il avait la charge de « dégraisser le mammouth ». Le gouvernement de Nicolas Sarkozy s’emploie effectivement à dégraisser toutes les fonctions qu’avait acquises durant les années de pacte social, l’État dit "providence", mais c’est pour mieux retrouver la pureté de l’État répressif, le restituer dans ses fonctions originelles, mais en tenant compte de la réalité d’aujourd’hui, celle justement de la mondialisation impérialiste et de l’aiguisement des contradictions qu’une telle mondialisation provoque.

II – L’ennemi est partout, du choc des civilisations aux émeutes urbaines en passant par les épidémies

Pour revenir à la réforme envisagée dans le livre blanc qui supprime la frontière entre défense et sécurité sous un exécutif autoritaire, notons tout de suite qu’elle prend tout son sens dans le contexte présenté par le Livre Blanc, celui d’une création d’une Défense européenne intégrée à l’OTAN. Si la Défense européenne indépendante avait été le but, avant d’annoncer cette nouveauté de la suppression de cette frontière entre Sécurité et Défense, il aurait fallu au minimum s’entendre avec les autres nations européennes pour voir si leur conception de la sécurité s’accommode avec la nôtre. Mais il est clair que cela n’est plus utile si la référence commune, admise par les gouvernements européens (sur 27, 20 d’entre eux sont membres de l’OTAN) est effectivement l’OTAN sous directive européenne.

Comme le notait Pascal Boniface en annonçant ce Livre Blanc : « Le cadre des relations France-OTAN a d’ores et déjà été clarifié. Tant le président que le ministre de la Défense ont affirmé assez explicitement leur acceptation de voir la France réintégrer l’OTAN en échange d’une européanisation de celle-ci. Reste à connaître la réponse de Washington ». Elle a été enthousiaste et G.W Bush s’est félicité de ce retour français, a accueilli avec enthousiasme l’idée d’une Défense européenne [2].

Pascal Boniface dans le même article, à propos de l’abandon de la doctrine de la dissuasion nucléaire française note que la Commission qui a été nommée par le Président pour rédiger le Livre Blanc de la Défense est composée de faucons néo-conservateurs : « Mais la composition de cette Commission, pour ce qui est des experts extérieurs, peut susciter sur ce point quelques inquiétudes. Elle est, sur le plan des idées stratégiques (où les clivages dépassent ceux des familles politiques), nettement moins diversifiée que celle mise en place par le ministère des affaires étrangères. L’horizon - étroit - va des atlantistes traditionnels aux partisans des thèses néoconservatrices les plus radicales. Des experts stratégiques pourtant proches de l’actuelle majorité politique, mais s’inscrivant plus dans la tradition gaullo-mitterrandiste, n’ont pas été retenus. Ceux qui l’ont été étaient favorables, ouvertement ou plus discrètement, pour ceux qui vivent de fonds publics, à la guerre d’Irak, même s’ils ont désormais sur ce point une mémoire défaillante. Nombre d’entre eux plaident aujourd’hui pour la fermeté, y compris par des moyens militaires, à l’égard de l’Iran. Ils étaient également pour la plupart, partisans du concept américain de riposte graduée (acceptant que les armes nucléaires soient considérées comme des armes de combat), opposé au concept français de dissuasion » [3].

Pour revenir à la réforme qui efface la différence entre Défense et Sécurité sous l’autorité d’un exécutif tout puissant, elle tire incontestablement son origine de l’analyse néoconservatrice qui n’ayant plus d’ennemi à la fin de la guerre froide s’en est fabriqué un, le « terrorisme ». Le 11 septembre 2001 étant une divine surprise qui leur permettait d’affirmer que nous avions changé d’époque, une grande bataille est désormais ouverte dans un monde globalisé et interdépendant, les menaces sont partout, il n’y a plus de frontières et plus de différence entre sécurité extérieure et intérieure. Pour défendre la sécurité intérieure la guerre préventive (y compris nucléaire) doit être menée et le « renseignement omniprésent », on ne peut plus raisonner en terme de Défense nationale, la sécurité s’étend à la planète, elle justifie toutes les opérations préventives et au plan intérieur, il faut protéger le territoire contre des agressions qui peuvent être de toute nature [4].

Si la notion fourre-tout de totalitarisme peut prendre un sens, elle est dans cette vision de l’individu, on n’ose plus parler de citoyen, menacé de toute part et dont la protection-surveillance a besoin de cet effroyable corps parasite qui recouvre comme d’une membrane le corps de la société française et en bouche tous les pores, au point de confondre le terrorisme et la catastrophe naturelle, le tout fonctionnant sur le modèle de l’épidémie, et la colère de la nature, l’épouvante devant une force non maîtrisable. La sécurité de l’État est présentée comme s’identifiant à celle d’un individu faible, isolé, menacé par des voyous face auxquels il faut organiser des actions préventives, les honnêtes gens contre les malfaisants, les lâches voleurs de sac de vieilles dames.

Qui ne voit la nature réelle de l’ennemi, celui que nos médias nous fabriquent jour après jour : d’abord la peuplade étrangère qui sous les ordres d’un tyran nous refuse l’accès à ses ressources naturelles, mais aussi le phénomène dit des « banlieues », voire les luttes revendicatives qui peuvent être criminalisées, l’amalgame est total entre les menaces à la sécurité de l’État (où “le citoyen” est redevenu l’individu isolé face à la dite menace « collective » et étrangère) et les luttes pour l’indépendance comme les luttes sociales. C’est la conception paranoïaque mais pas gratuite des néoconservateurs qui est à l’œuvre.

Soyons bien conscients du fait et c’est une caractéristique de la faiblesse du niveau des luttes, aucun de celles dont on fait l’amalgame dans le concept Défense-Sécurité, n’est en capacité de poser la question de l’État, de songer même à l’affronter. Qu’il s’agisse de la volonté de souveraineté des nations ou des luttes sociales (y compris les phénomènes dits des banlieues qui ne sont que des explosions), aucune de ces formes d’aiguisement des contradictions n’a la Nation, l’État français pour objectif. Ce qui est dénoncé sous la forme de mouvement, de refus, c’est tout au plus et ce d’une manière généralement inconsciente, l’action d’une classe sociale qui rend de plus en plus impossible les conditions d’existence de la majorité. On frôle la conscience d’une classe dictatoriale au plan intérieur comme impérialiste au plan extérieur. Mais on frôle seulement et c’est pour une bonne part la raison de l’absence d’organisation.

Donc s’agit-il chez le Président français comme chez les néo-conservateurs, de paranoïa ? Ce n’est pas sûr, il y a le sentiment effectivement d’être menacé dans sa domination, dans sa capacité d’exploitation, et plus les résultats sont catastrophiques, plus le monde paraît ingérable, plus la solution criminelle est la plus cohérente pour le capital.

On ne perçoit pas le contexte dans lequel s’inscrit cette modification des institutions si on l’abstrait de la crise qui est en train de déferler sur nous : sur les émeutes de la faim, auxquelles on répond en refusant la véritable réforme, celle qui en terminerait avec la destruction de l’agriculture des pays du sud. L’épuisement des ressources pétrolières qui devrait donner lieu à une concertation à l’échelle planétaire pour envisager ensemble une transition collective vers d’autres énergies, d’autres modes de consommations. Mais il n’en est rien, partout au lieu d’entamer le dialogue sur les solutions, on choisit la répression. Le parallélisme est troublant entre la politique internationale, les frappes préventives, la brutalité dans les banlieues, la criminalisation de l’immigration, le mépris des syndicats. Et on organise médiatiquement le rassemblement des “braves gens” contre la question sociale devenue délinquante… Le tout sur fond de spéculation, où les transnationales financiarisées s’approprient les ressources, et leurs actionnaires cherchent des valeurs refuges dans des biens raréfiés comme les matières premières ou l’alimentation. Face à ce grand bouleversement, cette impossibilité de vivre, l’Europe suit le modèle français ou encore italien, celui de la chasse aux pauvres.

III- Retrouver l’esprit de la dictature du prolétariat, sinon le terme...

Face à ce livre de la Défense et à deux autres événements intervenus dans la même courte période, on ne pouvait qu’être effrayé par la passivité de « l’opposition » française. Quand sort un livre blanc de ce type et qu’au même moment, l’Union Européenne tente de passer outre le vote irlandais, comme elle a manipulé nos propres votes et ceux des Hollandais, on peut s’étonner de la faiblesse des analyses et des réactions. Quand pour faire bonne mesure la même Europe vote la criminalisation de l’étranger, de l’immigrant, il y a de quoi réellement être effrayé. La nature même de ce à quoi nous sommes confrontés nous échappe et on se demande quelle stratégie peut naître d’une telle cécité. L’effacement du parti communiste, c’est-à-dire du parti posant la question d’une alternative politique a complètement bouleversé le débat. Tant qu’il a existé un parti communiste, tout le monde était plus moins forcé de faire de la politique, de poser les enjeux de classe et surtout la nature du pouvoir et de l’État.

Après la mise en évidence de mauvaise manière, c’est-à-dire sans analyse sur le fond, de ce qu’on a appelé le « stalinisme », le concept de « dictature du prolétariat » a été abandonné. Pourtant Marx et Lénine l’on dit à maintes reprises, la bourgeoisie peut même accepter l’idée de la lutte des classes, l’idée ou plutôt le concept parce que dans les faits, elle mène tous les jours cette lutte des classes, il n’est pas une réforme qu’elle concède sans avoir présent ses objectifs propres, et c’est ce qui fait sa force à l’inverse de nos vaguement humanistes que sont aujourd’hui les dirigeants politiques des partis de gauche et même communistes en France et dans quelques pays européens. Lénine disait : « Quiconque reconnaît uniquement la lutte des classes n’est pas pour autant un marxiste (…) Limiter le marxisme à la doctrine de la lutte des classes, c’est le tronquer, le déformer, le réduire à ce qui est acceptable pour la bourgeoisie. Celui-là seul est un marxiste qui étend la reconnaissance de la lutte des classes jusqu’à la reconnaissance de la dictature du prolétariat » [5].

Avec la dictature du prolétariat tend à disparaître chez le communiste, ou celui qui revendique encore cette appartenance on ne sait plus très bien sur quelle base, y compris la conscience de l’existence de la lutte des classes. Disparaît également toute analyse de l’État comme dictature d’une classe. Alors que les formes d’État bourgeois sont très variées et il faut les analyser pour comprendre le dispositif de l’adversaire, leur essence est toujours celle d’une dictature de la bourgeoisie. S’interroger sur le fait de savoir si le gouvernement de Sarkozy est fasciste est un faux problème, comme d’ailleurs feindre de s’effrayer sur le repoussoir Le Pen, la nature de l’État est celle d’une dictature de la bourgeoisie.

Nous avons été pendant de nombreuses années abusés par l’existence d’un camp socialiste et la présence de l’URSS. Je voudrais poser deux idées sans les développer : la première est que l’URSS et le camp socialiste sont restés soumis à la domination du capital, il n’y a pas eu deux mondes, l’un socialiste, l’autre capitaliste, il y a eu grâce à l’URSS un nouveau rapport de forces où le prolétariat a pu arracher des conquêtes sociales, vaincre le fascisme, commencer la décolonisation, mais l’URSS est restée comme l’ensemble du Tiers monde soumise en particulier au niveau international à la domination économique, politique de l’impérialisme qui a fini par l’emporter. Durant cette période sous le parapluie soviétique, grâce à l’effort surhumain de cette première expérience, d’autres ont pu se développer y compris les acquis sociaux-démocrates, le pacte social dans nos pays. Mais si les bolcheviques ont brisé l’État tsariste, ils n’ont pas pu laisser s’éteindre l’État socialiste puisqu’ils ont continué à exister sous domination impérialiste. La deuxième idée est que justement à cause de ce rapport de forces plus favorables, nous avons cru pouvoir transformer la nature de l’État sans avoir à le briser. Nous avons oublié la leçon que Marx tirait de la Commune de Paris : « la classe ouvrière ne peut pas se contenter de prendre la machine de l’État toute prête, et de la faire fonctionner pour son propre compte ». En perdant le sens de la nature de l’État non seulement nous avons perdu celui de la permanence de la lutte des classes, mais également celui d’un parti révolutionnaire seul apte à briser cet appareil et à rassembler dans cette œuvre la majorité d’un peuple.

On a vu surgir d’étranges théories qui niaient l’existence de l’État, de la Nation, et transformait la lutte des classes en lutte des multitudes, le pouvoir n’avait même plus à être pris.

Aujourd’hui, dans le stade du néo-libéralisme, l’erreur serait de croire qu’il y a destruction de l’État de la part du Capital ; il y a au contraire plus d’État, son essence dictatoriale s’affirme. Il y a un véritable rassemblement de l’état-major impérialiste autour de la défense de sa dictature dans un monde globalisé et interdépendant. L’État est d’abord indispensable pour se transformer lui-même, « dégraisser » sa socialisation, la prise en compte des solidarités, il mène ce que l’on a appelé sa « libéralisation ». Et il y a besoin de l’État pour les dépenses militaires comme pour les expéditions devenues de simple police tant les forces sont dissymétriques. Mais il y a besoin de l’État pour constituer un état-major supranational, qui tente de surmonter les contradictions impérialistes, les concurrences toujours plus aiguës dans un monde aux ressources raréfiées et pour imposer une conception de l’État répressif face à la menace d’un soulèvement généralisé.

Le fond de la conception de la dictature du prolétariat est que l’État bourgeois doit être brisé dans son essence de dictature de la bourgeoisie et ce grâce à la dictature de la majorité (le prolétariat) sur une minorité (la bourgeoisie), cette extinction n’aura pas lieu automatiquement, illusion qu’a pu entretenir l’existence du camp socialiste. Je ne regrette pas le terme tant il porte d’ambiguïté si l’on ignore la nature de la dictature antique à laquelle se référaient des gens qui connaissaient leurs classiques comme Marx.

Briser l’appareil d’État c’est le remplacement d’institutions par d’autres foncièrement différentes, par exemple l’armée permanente, de métier est supprimée, c’est l’élection et la révocabilité de tous les cadres, c’est aller de ce fait vers la transformation en quelque chose qui n’est plus tout à fait un État. C’est-à-dire pousser la démocratie jusqu’au bout. La démocratie n’est pas cette dictature de la bourgeoisie qui interdit de poser les enjeux qui ont trait à notre vie, qui nous interdit comme on l’a vu avec les votes référendaires sur l’Europe d’être pris en considération, la démocratie c’est la possibilité pour la majorité d’imposer à une minorité de possédants un autre type de politique. C’est être informé sur ce qui se met en place, par exemple ce concept qui mêle Sécurité et Défense et dont nous venons de voir contre qui, sa réalité est dirigée, et avoir la possibilité de repousser une telle conception.

Mais ce que démontre cet exemple est que justement aujourd’hui, la dictature de la bourgeoisie, son état-major se situent au niveau d’une globalisation interdépendante. Un autre des effets de la débâcle politique qui a suivi l’effondrement de l’URSS a été un repliement, une incapacité à penser le monde. Pourtant si nous devons opérer une critique de la manière dont a été menée « la dictature du prolétariat », elle ne saurait se passer d’une analyse du fait que la première expérience socialiste ait été celle d’une forteresse assiégée. Ce fait difficilement niable doit nous inviter à réfléchir sur les questions de la mondialisation telle qu’elle se présente aujourd’hui.

L’auteur dont les travaux me semblent aujourd’hui les plus intéressants pour comprendre cette situation à laquelle nous sommes confrontés est Samir Amin [6]. Il a pensé de longue date ces questions sans jamais oublier les dominations mondialisées, les rapports centre-périphérie. Il peut apporter beaucoup d’éléments de réflexion sur certains défis de notre époque, répondre à la géopolitique de la paranoïa à l’œuvre chez Sarkozy que l’on ne peut pas plus accuser d’être fasciste que les néo-conservateurs nord-américains, et qui pourtant mène une des politiques les plus réactionnaires et les plus dangereuses qui soient. Samir Amin peut aider à construire des politiques qui associent la démocratie citoyenne, le progrès social, l’entente entre peuples du sud et du nord, en ayant conscience que cela passe par l’anti-impérialisme et une bataille pour la souveraineté des nations.

En outre Samir Amin, et il n’est pas le seul, ne cesse de s’interroger sur ce qui effectivement est devenu la question centrale de notre époque : une certaine conscience collective embryonnaire est en train de naître y compris au niveau planétaire, la conscience que ce qui se joue c’est la défense de l’humanité, donc Samir Amin s’interroge sur « comment passer de la conscience collective des défis, à la construction d’agents sociaux actifs de la transformation ? ».

Pour moi l’un ne va pas sans l’autre ; c’est de la conscience collective de la nature des défis, par exemple celle que j’ai posé tout au long de ce texte sur la dictature du capital, est aussi la clé de l’organisation dont nous avons besoin. Ainsi quand Samir Amin propose de construire la socialisation par la démocratie, je suis tout à fait d’accord, puisque briser la dictature du capital, c’est ne pas accepter les institutions telles quelles sont, mais leur en substituer d’autres réellement démocratiques, la démocratie est l’autre définition de ce qu’on appelait la dictature du prolétariat. Simplement en évacuant le concept, on a évacué le contenu, à savoir que non seulement on ne pouvait pas se glisser dans les institutions telles qu’elles sont, mais bien l’idée beaucoup plus fondamentale qui est que jamais la bourgeoisie n’abandonne sans lutte ce pouvoir, jamais elle n’accepte même la transformation des institutions qui lui vont comme le gant à la main, et que partout y compris en Europe, en France elle est prête à aller jusqu’à l’assassinat de masse.

Si nous sommes d’accord avec le diagnostic et avec les objectifs, en ce qui me concerne je veux bien appeler la dictature du prolétariat, démocratie socialiste, mais je ne veux pas que l’abandon du thème soit le prélude comme il l’est aujourd’hui à une vision démobilisatrice et pour le moins ingénue de la tâche à accomplir. Comprendre ce que nous affrontons et le combat dans lequel nous nous engageons est la base d’une stratégie politique.

Quand on a perçu la nature de l’affrontement, on voit d’une autre manière les dispositions qui sont prises aujourd’hui par ceux qui nous gouvernent avec la complicité des médias qui font désormais partie de l’appareil d’État.

Danielle Bleitrach

Mercredi 2 juillet 2008

Les communistes et l’État (1)
Les communistes et l’État (2)
Les communistes et l’État (3)
Les communistes et l’État (4)

[1Jean Fabre, François Hincker, Lucien Sève : Les communistes et l’État, Ed. sociales, 1977, 250 p.

[2Il faudrait également noter quelques faits essentiels concernant ce Livre Blanc avec le rôle tout nouveau accordé aux renseignements, eux aussi directement liés au président de la République. Le premier est que le renseignement est le secteur où la coordination est le mieux réalisé à l’intérieur de l’OTAN, et le plus mal au niveau européen. Ce choix n’est donc pas sans renforcer la conception du président d’une défense européenne intégrée à l’OTAN. Le second fait à souligner est le type de renseignement choisi, comme cela a été reproché à la CIA, le terrain est sacrifié aux coûteux gadgets techniques. Cela va en général avec les orientations de suppression de 54.000 hommes et en revanche un investissement majeur dans les équipements militaires, ce qui satisfait bien sûr les marchands d’armes proches du président et de surcroît détenteurs des médias français.

[3Pascal Boniface, Le nécessaire débat sur le nucléaire, La Croix, 14 janvier 2008.

[4L’arsenal militaire pour lutter contre le terrorisme existe et a été rendu plus performant à partir de 1995 avec le plan Vigipirate, suite aux attentats du GIA algérien. Cette date de 1995 qui correspond non seulement à une série d’attentat mais à un autre livre blanc de la Défense en 1994, est déjà celui d’une inflexion de la vision de la dissuasion. Toute la politique de Nicolas Sarkozy peut être analysée comme à la fois une rupture mais aussi la poursuite d’infléchissements pris dans le cadre d’une Europe allant de plus en plus vers l’atlantisme et vers les grandes coalitions.

[5Lénine, L’État et la Révolution, œuvres complètes, tome 25, 1917, p, 445.

[6Samir Amin, Du capitalisme à la civilisation, la longue transition, Ed. Syllepse, mai 2008.

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    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

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    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).