"Ce que devrait être et ce que pourrait être une politique internationale de gauche française"
Rencontre étonnante organisée par le PCF avec Bertrand Badie, politologue Compte-rendu de Jean-Pierre Page

, par  Jean-Pierre Page , popularité : 1%

Les relations internationales du PCF ont organisé en Décembre une rencontre sur "Ce que devrait être et ce que pourrait être une politique internationale de gauche française…", introduite par Bertrand Badie, Professeur des Universités à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris. Le compte-rendu diffusé par Jean-Pierre Page est instructif sur les changements radicaux de la politique internationale du PCF...

Cette rencontre a été très informative et a donné lieu à un débat qui a permis de révéler et confirmer que le PCF n’a ni vision internationale ni stratégie, qu’il suit les idées et concepts qui sont dans l’air du temps, qu’il a rompu avec ce qu’ont été les principes et valeurs du combat antiimpérialiste !

Etaient présents une trentaine de personnes, représentant pour plus de la moitié d’associations ou groupes politiques de tendances assez diverses dont des représentants de la Maison de l’Eelam (en fait du « LLTE » (Tamil Eelam) et des fedayins du peuple (majoritaires) (Iran), deux organisations considérées comme dangereuses et violentes, liées par ailleurs aux intérêts géostratégiques occidentaux dans l’océan Indien et le Moyen Orient, ainsi que quelques rares membres du PCF.

1/ Intervention

L’intervenant a commencé par présenter en détail sa vision du monde actuel. Il considère que si la politique internationale semble ne pas intéresser la masse des citoyens français, c’est en fait parce qu’on ne lui parle jamais de façon soutenue de cette question lors des campagnes électorales ou dans les médias, mais que la mobilisation contre la menace imminente d’attaque contre l’Irak en 2003 avait mobilisé plus de monde en France comme à l’étranger que pour n’importe quelle question intérieure. Dans ce contexte, la gauche n’a jamais eu de politique internationale, ce qui s’explique par le fait que le Parti socialiste est historiquement divisé entre partisans de l’atlantisme et éléments critiques envers lui. La gauche, visiblement, se réduisant à ses yeux au seul PS et sociaux démocrates en Europe et dans le Monde. Il n’a aucun moment évoqué la politique internationale du PCF et encore moins du Front de gauche.

Il a aussi constaté que la politique française n’a pas attendu l’arrivée de Nicolas Sarkozy pour être modifiée dans un sens atlantiste et que ce tournant a commencé à s’opérer sous Chirac, dès 2004, puis en 2005 avec la réception d’Ariel Sharon à Paris et la politique de changement des cadres au Quai d’Orsay. Ce processus semble, selon l’auteur, général à la gauche partout dans le monde, à la seule exception notable de l’Amérique latine, en particulier grâce à la « consolidation » du « modèle brésilien ». !!Bertrand Badie ignore ici qu’il n’ y a pas de modèle en Amérique latine ! Pas plus Brésilien, que Cubain ou Vénézuélien, il y a des exemples d’une grande diversité qui contribuent à travers les expériences originales de chacun à favoriser une intégration régionale qui vise à se dégager définitivement de la tutelle étouffante et criminelle exercée par les Etats-Unis. Le Brésil à surtout développé ses relations sud/sud avec l’Afrique et l’Asie, tout comme l’Inde et la Chine d’ailleurs !

Trois points ont retenu l’attention de l’intervenant : les acteurs, les valeurs et les enjeux.

- Les Acteurs : Selon l’intervenant, il faut se concentrer désormais sur l’émancipation qui ne peut plus passer par le biais des « seuls Etats » mais désormais doit compter avec la participation des « acteurs sociaux », des « Forums sociaux » et des « ONG » qui permettent de penser que la communauté internationale désormais, « c’est 193 Etats + 7 milliards ». Ce qui passe par la mobilisation de ces sept milliards. C’est là un des objectifs de la réforme du système international qui vise à diminuer le rôle des Etats au bénéfice de ce que l’on nomme « la société civile » en contribuant à la mise en cause des principes d’indépendance et de souveraineté et donc du multilatéralisme ! Bertrand Badie reprend ainsi à son compte la nécessité de changer le système international et même de ré-écrire la « déclaration universelle des droits de l’homme » considéré par certains comme obsolète et anachronique !

- Les Valeurs : « Droits des peuples/égalité/paix »

— Droits des peuples : Selon Bertrand Badie il nécessite la réaffirmation du droit à la résistance à l’oppression de la part de peuples compris dans leur sens politique, c’est-à-dire, contraire à une compréhension du terme « peuple » sous un sens de religion, d’ethnie voire de « race ». Dans son affirmation politique, un peuple a droit à la résistance et se constitue lorsqu’il a un sentiment d’oppression. L’exemple des Palestiniens étant donné comme peuple constitué dans un contexte d’oppression et réclamant son droit à la sécurité alors même que c’est l’Etat qui l’opprime qui détourne en permanence en sa faveur le concept de « droit à la sécurité ».

— Egalité : Face à la mondialisation capitaliste, il faut promouvoir une « mondialisation de gauche » visant à éliminer les contrastes sociaux entre PIB par le biais d’une « intégration sociale internationale » et l’émergence qui est en train de se dérouler sous nos yeux de « la société civile internationale » en état d’utiliser dans son intérêt les instruments mondiaux tels que le PNUD, le PAM ou l’ONU. La mobilisation pouvant entre autre se faire par le biais d’une mobilisation contre l’humiliation.

— Paix : La promotion de la paix passe par un changement des institutions internationales, en particulier la remise en cause du droit de veto pour les cinq puissances qui en profitent à l’ONU. Cela devrait pouvoir mener au développement du multilatéralisme, en particulier par le biais des Etats émergents. Il faut dépasser l’Alliance qui continue à exister et qui est quelque chose qui est récent dans l’histoire. Auparavant, les puissances changeaient d’alliance au gré de leurs intérêts, mais le monde bipolaire d’après 1945 a figé les alliances dans une durabilité sans raison, qui a entraîné le fait que sa fin n’a pas abouti au démantèlement du système de l’OTAN. De fait, nous avons donc aujourd’hui un monde centré autour de l’OTAN et de plus en plus contrebalancé par l’émergence des puissances du BRICS.

- Les Enjeux :

Pour Bertrand Badie L’enjeu est donc de passer de cette forme de mondialisation autour d’un seul pôle à une « mondialisation inclusive » que même l’élargissement du G8 en G20 n’a pas modifié fondamentalement mais qui révèle que le système se sent affaibli et doit chercher à élargir sa base et sa légitimité en cooptant du nouveaux membres. L’enjeu est donc la promotion d’une mondialisation sociale, régulatrice, redistributive.

Il doit aussi s’opérer une modification de la « gouvernance mondiale » qui aujourd’hui fonctionne, de fait, sur un mode censitaire et devrait tendre vers un modèle démocratisé.

Il faut d’ailleurs rappeler que « l’absence de guerre » depuis 1945, ce qu’on a appelé « la guerre froide » voire la « coexistence pacifique », a en fait produit 36 millions de morts, soit plus que la Première Guerre mondiale. D’où la nécessité de repenser le concept de « guerre juste » par le biais d’une régulation multilatérale, comme semble le soutenir le Brésil. En ayant en tête les « biens communs de l’humanité » lui garantissant toutes les conditions nécessaires à la survie. En fait, il s’agit d’en arriver à une « cogestion mondiale ».

2/ Débat

Le débat s’est ensuite engagé avec l’intervention d’une représentante grecque qui a émis l’opinion qu’il fallait prendre en compte la donne religieuse pour comprendre l’état des mentalités. D’autres interventions ont repris plusieurs points de l’intervention, soulignant ses points jugés positifs. Jean-Pierre Page est ensuite longuement intervenu pour souligner d’abord que les relations internationales contrairement à ce que disait Badie étaient le reflet des rapports de forces dans le monde et que l’on pouvait le vérifier dans de nombreux domaines, en particulier dans le fonctionnement de l’ONU. Ensuite, JP Page a défini ce qu’on peut comprendre aujourd’hui par « gauche », puis pour rappeler que le monde actuel, surtout hors d’Europe, voit s’affirmer des formes nouvelles de gouvernement et de formations de rapprochements inter-étatiques, d’intégration régionale en Amérique latine mais pas seulement, citant l’exemple de l’Organisation de coopération de Shanghaï ou la récente rencontre de Phnom-Penh, qui a vu l’ensemble des pays de l’Asie orientale et du Pacifique conclure une politique de rapprochement économique et politique excluant les États-Unis. Contrairement a ce qu’affirme Badie de façon approximative, le fait nouveau c’est la tendance qui voit émerger des alliances anti-hégémoniques qui se nouent à travers ce que l’on constate dans le développement des relations Sud/Sud, le rôle nouveau du mouvement des Non alignés et de multiples formes de coopération politique et économique indépendantes, hors l’influence des pays occidentaux vassaux et des USA. Cela explique la nervosité de l’impérialisme US et de ses alliés et leur fuite en avant vers la guerre. Ce qui nécessite la défense de trois principes fondamentaux absents de l’intervention de Badie : l’indépendance, la souveraineté et la non ingérence. Car, dans les relations internationales telles qu’elles existent dans la réalité à l’heure actuelle, il faut poser la question de qui est le gendarme, et de qui décide qui sera le gendarme. Il n’y a qu’à faire l’expertise de ce qui s’est passé en Côte d’Ivoire, en Libye et, en conséquence, aujourd’hui au Mali et en Syrie. Face au « soft power » dont il a été question lors du débat, il faut rappeler que, à ses côtés cohabite le « hard power », il fait partie intégrante d’une conception et d’une vision de la diplomatie US, théorisée par Joseph Samuel Nye, Jr., celle du « smart power » global qui vise à garantir la suprématie des USA sur le reste du monde. Pour cela et comme l’a démontré Z. Brzezinski, il faut empêcher les alliances qui menacent l’hégémonie des USA, contenir et « roll back » la Russie, y compris même une Russie capitaliste, et la Chine. Bref, lorsqu’on parle de société civile internationale, il faut poser la question des financements des « représentations » de cette société civile, et donc des soit disant « ONG » qui sont toutes financées, pour la plupart, par les grandes puissances occidentales ou par les grandes corporations transnationales. Quant aux fonctionnaires de l’ONU, leur statut a été démantelé pour la plupart et désormais ce sont des employés en CDD payés par des entreprises privées ou par des grandes puissances occidentales. C’est ce que l’on appelle le financement par « les fonds volontaires » qui aujourd’hui représentent l’essentiel des missions des Nations Unies tout en échappant au contrôle de l’Assemblée Générale. Tout cela ne permet pas à ces institutions et organismes de mener des politiques réellement indépendantes et donc multilatérales.

Au sujet du droit de veto et de sa suppression, thème mis de l’avant par Badie,
L’idée semble juste et séduisante mais en même temps nous voyons bien que son
usage vis à vis de la crise en Syrie, et comme cela pourrait être le cas ailleurs, contribue à bloquer les initiatives de l’impérialisme à travers le veto de la Russie et de la Chine. Ce qui est important, ce n’est donc pas tant le droit de veto que le pouvoir de l’Assemblée générale qui, lui, devrait être renforcé et effectif, d’autant qu’Israel n’applique pas ses résolutions, comme les USA vis a vis de Cuba pour la levée du blocus criminel américain.

Cette intervention de JP Page a provoqué une discussion sur la question du « right to protect », en particulier de la part d’un représentant des fedayin iranien « majoritaires » soutenant que c’est le seul moyen d’empêcher des gouvernements de « s’attaquer à leur propre peuple », En contradiction avec la réalité, Badie estimant de son côté que, puisque les USA perdent depuis plus d’une décennie, toutes les guerres qu’ils entreprennent, leur force est amoindrie, ce qui permet l’émergence de cette société civile internationale qui peut considérer dès lors le concept de « right to protect » comme « intéressant », car désormais elle serait en état de le contrôler. Certes, si l’intervention en Libye a montré, « malgré le fait que la décision d’empêcher Kadhafi de tuer son propre peuple fut au départ justifiée », la résolution de l’ONU a été dévoyée. Ce qui montre la nécessité de « mieux contrôler » par « une régulation multilatérale » des Etats et de la « société civile internationale » ce type d’intervention. Un autre intervenant abondant dans son sens, déclarant que l’expérience qu’il avait vécu à Greenpeace l’avait immunisé contre les accusations d’être à la remorque de puissants intérêts sous prétexte qu’on obtient des financements provenant de telle ou telle puissante institution... Pour Bertrand Badie les concepts et principes : indépendance, souveraineté, non ingérence sont des idées qui ont 30 ans de retard !

Un autre intervenant a rappelé que la notion de « lutte des classes » pourrait être remise à l’ordre du jour pour mieux comprendre les tensions internationales. Badie a préféré évacuer ce sujet en cherchant à réduire ce concept de lutte de classes à une survivance des idées du passé ! Le débat s’est terminé avec l’intervention d’un citoyen ivoirien, lié au parti de Laurent Gbagbo, et qui a en détail décrit les méthodes d’intervention de l’impérialisme et de la France dans son pays, ancienne et réaménagées, avec les raisons qui ont expliqué pourquoi les puissances occidentales ont finalement opté en faveur d’Alassane Ouatara à cause de ses liens avec le FMI et la haute finance mondiale.

La soirée s’est terminée avec la prise de parole de Jacques Fath qui a souligné l’intérêt qu’il portait envers les opinions de Badie et la nécessité pour le PCF et le FDG de s’appuyer sur ces conceptions, de s’en inspirer pour aider au développement d’une réelle politique internationale de gauche en France.

Bertrand Badie est Professeur des Universités à l’Institut d’Etudes Politiques de Paris.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages éminents sur les relations internationales.

Dernier ouvrage paru :

"La Cassure", L’état du monde 2013, En co-direction avec Dominique Vidal

Une audition co-organisée par le Lieu d’Etudes sur le Mouvement des Idées et des Connaissances (LEM) et les Relations Internationales du PCF

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