Marius et Jeannette se lancent dans un pogrome à Marseille

, par  Danielle Bleitrach , popularité : 2%

Ce qui s’est passé à Marseille, nous a tous laissé sidérés, parce que l’acte lui-même porte un nom : c’est un pogrome. Je me suis dit en énonçant cela : qu’est-ce exactement et je suis allée voir dans l’Encyclopédie Universalis.

Qu’est-ce qu’un pogrome ?

"Terme russe désignant un assaut, avec pillage et meurtres, d’une partie de la population contre une autre, et entré dans le langage international pour caractériser un massacre de Juifs en Russie. Perpétrés entre 1881 et 1921, les pogromes furent si nombreux qu’une typologie a pu être établie à leur propos. Ils survenaient lors d’une crise politique ou économique et s’effectuaient grâce à la neutralité (parfois aussi grâce à l’appui discret) des autorités civiles et militaires.

Le première vague de pogromes eut lieu entre 1880 et 1884 : les principaux sont ceux d’Elisabethgrad, l’actuelle Kirovohrad (15 avr. 1881), de Kiev (26 avr.), d’Odessa (3-5 mai 1880), de Varsovie (déc. 1881-janv. 1882), de Balta (22 mars 1882). Partout l’assaut était donné par des employés et des ouvriers, rejoints par des paysans des alentours. Le gouvernement russe prit prétexte des pogromes pour limiter les droits économiques des Juifs et les expulser des villages. En pleine crise révolutionnaire, entre 1903 et 1906, la deuxième vague de pogromes fut marquée par ceux de Kichinev (6 avr. 1903), de Jitomir (mai 1905), de Bialystok (1er juill. 1906). La troisième vague, la plus féroce, fut consécutive à la guerre civile en Russie (1917-1921). L’Ukraine indépendante en fut le théâtre majeur : des bandes de paysans en lutte contre l’Armée rouge massacrèrent les Juifs, sous la conduite de leurs ataman et avec l’appui des troupes ukrainiennes et du Premier ministre Simon Petlioura, dans maintes villes, en particulier Proskourov (15 févr. 1919). En Russie même, l’Armée blanche de Denikine organisa plusieurs pogromes, notamment à Fastov (15 sept. 1919). La victoire de l’Armée rouge y mit fin."

L’histoire des quartiers nord, comment les communistes les ont conquis sur les fascistes

Il y a le contexte, celui d’une crise économique majeure. Il faut connaître les quartiers de Marseille où a eu lieu l’événement. Les quartiers nord, mais la partie de ces quartiers nord considérée pendant des années comme le fief du parti communiste, ceux que nous décrit le film de Guediguian, Marius et Jeannette. Aux dernières municipales, la mairie de secteur des quinzième et seizième arrondissements est passée au parti socialiste, il n’y eut même pas de bataille, les quartiers fiefs furent offerts au PS.

Dans ces quartiers qui jouxtaient le port, Billoux, le dirigeant communiste, dut opérer une reconquête dans les années trente sur les bandes fascistes de Sabiani. Les quais et les quartiers furent arrachés par la force et à travers des batailles rangées à cette emprise qui faisait régner la terreur. C’était une voyoucratie vivant de trafics et de complaisance avec un pouvoir municipal corrompu.

Lors de la conquête de Billoux, qui fait partie de l’histoire de l’antifascisme en France, la municipalité qui avait laissé Marseille aux mains de la voyoucratie fasciste était elle-même profondément corrompue. Socialistes comme le bon docteur Flaissière, les élus avaient laissé s’installer Spirito et Carbone et Sabinani lui-même, une sorte de Doriot local qui a terminé comme volontaire sur le Front russe. Toute cette racaille a fourni les contingents de la milice. Sous Henri Tasso autre maire socialiste (1929-1935), la corruption et le clientélisme avaient atteint un tel niveau que Marseille en a conservé aujourd’hui les marins pompiers. La ville avait laissé, entre autres, les pompiers municipaux dans un tel état que lors d’un incendie aux Nouvelles Galeries sur la Canebière (1938), il n’y avait plus de matériel pour y faire face. A la libération, il y eut Ferri-Pisani, encore un socialiste, le même type d’individu trempant dans le trafic de drogue.

Gaston Deferre le chassa mais ce fut pour mieux s’allier avec la droite et faire élire l’invraisemblable Carlini. Ce qui déboucha sur les événement de février 1947, des événements dits insurrectionnels. A la suite de l’augmentation du tarif des tramways et de la manifestation de protestation où un tramway fut renversé, des hommes furent arrêtés, c’était des ouvriers des ateliers du sud qui étaient des héros et avaient eux-mêmes libérés Marseille. Ils avaient réquisitionné des entreprises de collaborateurs, les géraient, inventaient les activités culturelles au sein de l’entreprise [1]. La foule alla au tribunal et les fit libérer et ensuite elle se répandit dans les boites de nuit du port pour virer la voyoucratie, en particulier Mémé Guérini, le gangster qui pendant la guerre représentait le PS dans la Résistance. Là dans une boite du dit Mémé, il y eut le seul mort de ces événements, un jeune ouvrier, Eugène Volland, tué par les gangsters dans la rue de la Tour.

Un système municipal d’alliance pour isoler les communistes

Ces événements [2] servirent de prétexte à Ramadier pour virer les communistes du gouvernement, en fait l’ordre était venu de la CIA, comme sur le port se répandaient les bandes d’Irwin Brown, tentant de créer FO et rapidement chassés par les dokers communistes et les ouvriers de la réparation navale.

Deferre avait anticipé et conçu une alliance avec la droite qui lui permit de prendre le pouvoir en héritant de ce système qui unissait la bourgeoisie marseillaise, le clientèlisme et la complaisance à l’égard des voyous. Aujourd’hui le système Guérini, du nom de l’élu du Conseil général mis en cause dans des trafics et menaces d’extorsion qui atteignaient tout le département des Bouches-du-Rhône, non seulement n’a pas été éradiqué mais continue à avoir pignon sur rue puisque l’élue ministre, Carlotta, est une protégée de Guerini. Les complaisances de Martine Aubry pour conserver les influences marseillaises au sein de son parti ont joué leur rôle. Résultat la droite a pris le pouvoir ; en fait elle l’a conservé parce que Deferre, pour gouverner Marseille contre les communistes, avait fait alliance avec la bourgeoisie marseillaise, très cléricale et de droite, qui avait ses élus au sein de la municipalité. Gaudin n’est pas seulement maire de Marseille, il a été depuis toujours l’adjoint à l’urbanisme de cette ville avec ce que cela suppose d’avantages et de clientélisme [3]. Les dernières élections municipales opposaient Guérini, l’élu mis en examen pour gangstérisme et Gaudin. Ces deux individus venus nus et crus à la politique payent désormais l’impôt sur les grandes fortunes sans avoir jamais fait autre chose que gérer la ville.

Pendant longtemps le 15ème et le 16ème arrondissement ont été délaissés par le dit urbanisme ; puisqu’ils votaient communiste, ils étaient laissés à l’abandon. Des années durant, il n’y a pas eu de tout-à-l’égout et il passait le matin une voiture chargée de ramasser les vases de nuit jusque dans les années 60 ; on en fit des quartiers rebuts où toute la misère du monde était déversée. Quand la crise de désindustrialisation toucha Marseille, que le port marchandise fut transformé, la situation se dégrada un peu plus… Des élus socialistes jouèrent à la fois sur la misère des cités et sur les bandes de trafiquants de drogue, les voyous qui y prospéraient, le clientélisme, les menus avantages associatifs, le saupoudrage, y compris avec l’aide du Conseil régional et conseil général socialiste. Le parti communiste avait détruit son organisation de base avec la mutation chère à Robert Hue, ces quartiers se sentaient abandonnés, y compris par les communistes qui jusque-là organisaient la solidarité et la lutte contre la misère. Les communistes étaient devenus des employés du Conseil régional ou général, ça causait et ils n’étaient plus au cœur du tissu social.

Guy Hermier avait succédé à Billoux. Et puis un jour la fédération du PCF offrit le fief au PS. Il suffit d’avoir connu les protagonistes Billoux, Hermier puis Dutoit pour comprendre comment la passation des pouvoirs s’est opéré et aux dépends de qui. Une partie de ces quartiers, en particulier du côté de l’Estaque au bord de la mer, ont conservé un charme fou et sont lorgnés par la spéculation immobilière ; on détruit le port en tant que lieu d’emploi et on attaque l’habitat. La cité où se passe les événements est en démolition ; dans une tour les habitants refusent de partir, comme le dit un journaliste de la Marseillaise sur place, il faut bien garder en tête une situation de "revanche". « Tous les habitants m’ont dit : nous on nous vire, et les Roms on ne les vire pas ».

Marseille a continué à se battre, du port aux employés de tramways, de Nestlé aux Fralib, la ville reste rebelle et le système s’abat sur eux, étouffe les luttes pour mieux faire de la publicité à la voyoucratie. Dans ces luttes, on voit mêlés l’enfant issu de l’immigration, celui issu d’autres immigrations, mais ils n’ont plus d’expression politique à la hauteur de leur résistance.

Dans les cités, il n’y a même plus l’écho de ces luttes, c’est le marasme, l’abandon, un sentiment d’injustice. Il n’en peuvent plus d’affronter une vie de merde, l’impossibilité de faire face à tout ce qui leur tombe dessus et en plus il y a là ces romanichels qui vivent dans les détritus, volent tout ce qui passe à leur portée… Personne pour les aider, un voisin qui recrute pour Marine Le Pen, la haine de ce gouvernement socialiste, tous pourris…

Marius et Jeannette sont devenus les acteurs d’un pogrome

Et c’est comme cela que Marius et Jeanette sont devenus hier des auteurs de pogrome… Épuisés par la misère, vivant dans une situation où l’insécurité règne, subissant tous les jours le spectacle des complicités entre les responsables politiques, les petits voyous et la police, tandis que défilent les hauts responsables de l’État au pas de course, ils ont choisi de faire justice eux-mêmes. Peut-être même un vague souvenir du temps où les communistes combattaient les gangsters et les fascistes, était dans la mémoire de ces quartiers. J’imagine comment cela s’est passé. A la porte de la Cité, il y a un bidonville, parce que c’est bien comme cela qu’il faut décrire les lieux où s’entassent les familles roms, cela accroît leur sentiment d’être eux-mêmes des rebuts abandonnés de tous, eux dont les enfants ne trouvent pas de travail et toujours menacés de les voir devenir des trafiquants. Depuis plusieurs semaines, Manuel Valls, le ministre socialiste, désigne les roms. Leur maire d’arrondissement est celle qui a demandé l’intervention de l’armée sur les quartiers qu’elle gère ou plutôt tente de gérer… Les élections municipales se préparent ; pas question de mécontenter personne et surtout pas ceux qui tiennent les cités, parfois à partir d’une entente entre l’imam et les voyous pour faire régner la charia et les trafics. Le soir même à la télé, il y a des sujets sur le fait que les roms trafiquent les enfants, les maltraitent pour en faire des mendiants et des voleurs. Dans la cité il y a des cambriolages.

Alors c’est le pogrome qui débute, il produit un état choc mais un peu partout des choses semblables se passent, bientôt comme jadis on va pouvoir établir des typologies, mais déjà on peut dire ce que l’Encyclopédia Universalis définit ainsi : "Ils survenaient lors d’une crise politique ou économique et s’effectuaient grâce à la neutralité (parfois aussi grâce à l’appui discret) des autorités civiles et militaires".

Voilà où nous en sommes ; il n’y a pas eu encore mort d’hommes, on se contente de chasser les gens et de brûler leur campement pour assainir… On peut toujours isoler les coupables de tels actes, les stigmatiser et il faut le faire, mais ils font partie d’un système. Nous sommes bien devant ce que les sociologues appellent un phénomène social total, on prend les faits, on les dévide comme une pelote et on voit peu à peu l’ensemble de la société, son histoire, son actualité, ses représentations autant que les rapports de classe surgir et c’est cela qui fait peur…

Danielle Bleitrach

Tiré de son blog

[1Le système Marseillais a longtemps consisté à envoyer les cités le plus loin possible dans l’espace urbain, ce qui permettait de viabiliser depuis le centre ville en faisant monter le foncier le long des voies. La bourgeoisie marseillaise et ses bastides y trouvaient leur compte…

[2Il ne furent pas les seuls, il y eut entre autres la grande grève de Renault, le mécontentement populaire face à la hausse des prix et surtout l’attitude des ministres communistes refusant de se montrer solidaires des guerres coloniales, à Madagascar mais surtout en Indochine. Billoux alors ministre refusant de se lever pour un hommage aux soldats morts en Indochine.

[3Danielle Bleitrach, Alain Chenu, Jean Lojkine, "Social démocratie et gestion municipale, l’exemple de Lille et Marseille", Editions sociales, 1984

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