Université d’automne du M’PEP – Bordeaux, 9 novembre 2014
Vème république et élection du président de la république au suffrage universel direct - Vers une VIème République ? Conférence d’Anicet Le Pors

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Je vous remercie de votre accueil et je veux vous exprimer ma satisfaction d’avoir inscrit la question institutionnelle à l’ordre du jour de votre Université d’automne. Il n’est pas toujours facile aujourd’hui de parler des institutions. Ou bien vous êtes rappelé à l’ordre pour aborder un tel sujet alors qu’il y en a de plus graves : le chômage, la précarité. Ou bien vous êtes entrainés dans des déclarations proclamatoires qui servent de diversion à une étude et une réflexion sérieuses nécessaires sur un sujet difficile.

Je comprends que l’on veuille aborder d’entrée les questions institutionnelles qui font aujourd’hui débat ou polémique, mais je ne pense pas qu’il s’agisse d’une bonne méthode, car toute réflexion sur les institution suppose qu’on la situe dans une histoire et qu’on veille à sa cohérence d’ensemble. Je ne manquerais pas bien sûr d’évoquer l’épuisement de la Vème République, la nocivité de l’élection du Président de la République au suffrage universel et, dans la foulée, l’hypothétique VIème Réplique.

I. La France, véritable laboratoire institutionnel

I.1. Une riche et longue histoire

Il n’y a pas de constitution sous l’Ancien Régime, seulement quelques textes fondamentaux concernant principalement le roi et des coutumes. Le roi détient son pouvoir « par la grâce de Dieu ». Mais l’affaiblissement du sentiment religieux, le discours des "philosophes" et l’aspiration croissante à plus de liberté et d’égalité font que le pouvoir d’État tend à se dissocier de la personne du monarque, à s’autonomiser. Philippe le Bel à la fin du XIIIème siècle installe le pape Clément V à Avignon et crée le Conseil d’État du Roi marquant ainsi une distinction entre affaires publiques et affaires privées. François 1er impose le français comme langue administrative contre le latin, langue du sacré, il met fin au monopole de l’Église en matière d’asile. Le pouvoir politique se sécularise.

Louis XIV commence son règne en proclamant « l’État c’est moi », mais au moment de mourir, après un règne de soixante-douze ans, il aurait déclaré « je meurs, mais il reste l’État ». Une deuxième rupture se produit donc entre la personne du Roi et l’État qui s’autonomise à son tour. Aussi, ne faut-il pas s’étonner que la première exigence des délégués aux États généraux qui se réunissent le 5 mai 1789 à Versailles soit l’élaboration d’une constitution écrite pour la France. Déjà Jean-Jacques Rousseau avait appelé à la conclusion d’un Contrat social en 1762 et il avait même rédigé lui-même deux projets de constitutions, l’une pour la Corse en 1768 et l’autre pour la Pologne en 1771 [1].

Tous, alors, ne mettent pas évidemment le même contenu à l’idée de constitution. Les conservateurs souhaitent une mise en ordre formelle des pouvoirs monarchiques. Les révolutionnaires veulent faire table rase de l’ordre existant. L’idée de reconnaissance et de séparation des pouvoirs de Montesquieu : exécutif, législatif, judiciaire s’impose et consacre finalement le rôle de l’État nouveau par le transfert de la souveraineté du Roi à la Nation. Alors – troisième rupture – une autre séparation s’opère simultanément : entre cet État, dépositaire de la volonté générale et la reconnaissance des droits de l’homme et du citoyen. Ce dernier, en conformité avec l’analyse de Jean-Jacques Rousseau est sujet du souverain – le Peuple – et autonome comme personne. La traduction de ce double mouvement sera l’existence durable, d’une part d’une constitution écrite, d’autre part d’une Déclaration des droits – ou d’un préambule – généralement placée en tête de la constitution. C‘est encore vrai aujourd’hui.

Depuis, la France est un véritable laboratoire institutionnel : quinze constitutions en deux cent vingt-trois ans. La première constitution est intervenue en 1791 et nous en sommes donc à la quinzième, soit une durée de vie moyenne d’environ quinze ans. Lorsque l’on parcourt la succession de ces constitutions, on peut dégager deux lignes de forces : l’une démocratique dont le meilleur exemple est la constitution de 24 juin 1793, dite aussi de l’An I, produite par la Convention ; l’autre autoritaire ou "césarienne", dont la constitution de Louis Napoléon Bonaparte du 14 janvier 1852 me semble l’exemple le plus caractéristique. L’histoire institutionnelle de la France peut être analysée par référence à ces deux expressions opposées. Afin de caractériser les deux modèles, je dirai quelques mots de chacun d’eux.

La Constitution de 1793 dans une longue déclaration des droits propose le bonheur comme finalité et donne la plus grande place à l’intervention du peuple. Anti-fédéraliste et antilibérale, elle a été souvent considérée comme référence d’un régime parlementaire. Les députés sont élus pour un an, le 1er mai. Les étrangers présents depuis au moins un an peuvent voter et sont éligibles (Thomas Peine, Anacharsis Cloots). Les citoyens participent à l’élaboration de la loi par leurs assemblées primaires. L’article 35 prévoit le droit à l’insurrection si le gouvernement viole les droits du peuple – « le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ». Dans la constitution est prévu le droit d’asile pour les combattants pour la liberté, refusé aux tyrans. Le gouvernement est constitué en dehors de l’Assemblée. La constitution fut réservée en attendant le retour de la paix, car il fallait un exécutif fort pour conduire la guerre. Finalement, elle ne fut jamais appliquée.

La Constitution de 1852, a été établie après le coup d’État du 2 décembre 1651 pour faire échec à l’expiration du mandat de Louis Napoléon Bonaparte qui devait s’achever en mai 1852 et n’était pas renouvelable. La constitution lui donne tous pouvoirs sur les autres organismes de l’appareil d’État pour un mandat de 10 ans. Un sénatus-consulte lui confèrera la dignité impériale le 7 novembre 1952 sans qu’il y ait besoin de modifier le dispositif institutionnel. Néanmoins on passera en 1860 de l’Empire autoritaire à l’Empire libéral sous la pression des milieux catholiques et des forces économiques.

Les deux lignes de forces marquent les diverses constitutions, mais dans des proportions variables. Ainsi la constitution de la IVème République se rattache à la première, la constitution de la Vème est un hybride plutôt dominé par l’esprit de la seconde. Leurs analyses comparatives permettent ainsi une réflexion synthétique sur le rôle de l’État et les questions institutionnelles que je m’efforcerai de situer dans le contexte actuel.

I.2. La Constitution de la IVème République

La constitution de la IVème République aura duré douze ans, la Vème en compte cinquante-cinq cette année, en deuxième position pour la longévité après la IIIème, soixante-cinq ans.

Histoire

Le régime de Vichy a supprimé la Constitution de la IIIème République du 25 février 1875 et s’est attaché à traduire en institutions sa conception de l’"ordre moral" dans la loi constitutionnelle du 10 juillet 1940, annonçant un projet de constitution du Maréchal Pétain qui ne sera jamais adoptée. Si le régime de Vichy trouvait la constitution de la IIIème République trop démocratique, les différents courants de la Résistance intérieure ou extérieure souhaitèrent très rapidement mettre en place des institutions fondées sur le peuple – dans une sorte de personnalisation à l’instar de Michelet. Le poids et l’organisation du parti communiste eurent pour effet de mettre en avant la référence à la constitution de 1793, sous forme d’un régime d’assemblée unique, élue à la proportionnelle intégrale et favorable au rôle des partis. Au plan économique, la Résistance avance une planification démocratique, des nationalisations et, au plan social, la sécurité sociale dans le cadre du programme du Conseil national de la Résistance. La situation est alors assez largement consensuelle sur cette base.

Dès 1942, le général de Gaulle admet une réforme institutionnelle profonde. Une ordonnance du 21 avril 1944, prise à Alger, prévoit une Assemblée nationale constituante. De Gaulle incline pour une dimension présidentielle sur le modèle des États-Unis.

Un premier référendum a lieu le 21 octobre 1945 pour répondre à deux questions, en même temps qu’était élue l’Assemblée constituante. 1/ reconnaissance de l’assemblée comme constituante. 2/ limitation de ses pouvoirs à sa fonction constituante pendant sept mois. La réponse fut oui-oui (de Gaulle, PS, MRP), contre oui-non (PCF) et non-oui (radicaux). Le PCF domine cependant l’assemblée (25 %) avec le MRP.

Aussitôt se développe une tension entre les partis, principalement de gauche, et de Gaulle est élu chef du gouvernement après maintes palabres. Il refuse de confier des ministères-clés aux communistes. Il démissionne le 20 janvier 1946. Félix Gouin, socialiste, lui succède ; Vincent Auriol est président de l’Assemblée. Finalement Pierre Cot fait adopter par l’Assemblée un projet au bout d’un vif conflit : MRP contre socialistes et communistes.

Ce projet institue un régime d’assemblée fortement marqué par le modèle de la Convention. Soumis au référendum, il est rejeté le 5 mai 1946 par 53 % des suffrages – c’est la première fois qu’un référendum rejette la proposition soumise au vote. La cause réside à la fois dans la crainte du régime d’assemblée et des communistes.

Une nouvelle assemblée constituante est élue. L’ordre d’importance est : MRP (28 %), communistes (26 %), socialistes (21 %). Le discours de Bayeux du général de Gaulle le 16 juin 1946, donne une esquisse d’une constitution avec un chef de l’État au-dessus des partis et doté de pouvoirs importants. La gauche n’en tint pas compte si elle prit soin de veiller à ce que n’intervienne pas un nouveau résultat négatif. Finalement, le projet fut adopté par référendum par 9 millions de oui, 8 de non, mais 6 d’abstentions et 1 de bulletins blancs. La constitution sera promulguée le 27 octobre 1946.

Contenu

Cette constitution est dans la filiation des constitutions révolutionnaires : 1789, 1793, 1795, 1848. Elle ne comporte pas de Déclaration des droits comme dans le projet de 1945, mais un Préambule toujours en vigueur retenant de nombreux droits : droit d’asile, droit au travail, accès à la formation, à la gestion des entreprises, de grève, nationalisations, égalité hommes-femmes, etc. On valide, par là, des mesures prises depuis la Libération. La constitution renvoie à la Déclaration des droits de 1789 et aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la république ».

Elle prévoit deux chambres : l’Assemblée nationale et le Conseil de la République. La première est élue à la proportionnelle [2], elle a l’initiative des révisions constitutionnelles et a le dernier mot en matière législative. Elle est à la source de la composition du gouvernement et, avec le Conseil de la République, élit le Président de la République. Celui-ci garde les pouvoirs de ses prédécesseurs. Il désigne le Président du Conseil, mais celui-ci doit être investi par l’Assemblée.

Des mécanismes sont créés pour assurer la stabilité : question de confiance et motion de censure des art. 49 et 50. Un gouvernement renversé peut dissoudre l’Assemblée.

Évolution

La IVème République doit faire face à de grandes difficultés : reconstruction, guerres d’Indochine et d’Algérie, décolonisation, instabilité gouvernementale, dénaturation de la représentation parlementaire par le système des apparentements – des partis apparentés avant un scrutin législatif se partagent tous les sièges si, ensemble, ils obtiennent la majorité des suffrages exprimés. Le gouvernement Guy Mollet ne s’impose pas. Une réforme constitutionnelle est envisagée, mais sa déclaration d’investiture devant l’Assemblée le 1er juin 1954 ne porte que sur des dispositions mineures. La situation se dégrade (intervention en Égypte, détournement de l’avion de Ben Bella…). Maurice Bourgès Maunoury et Félix Gaillard lui succéderont. Le 13 mai, émeute à Alger le jour de l’investiture de Pierre Pfimlin. Le Président de la République, René Coty, appelle le général de Gaulle comme président du Conseil et l’autorise à élaborer une nouvelle constitution.

Il y eut 25 gouvernements en 12 ans de durée de la constitution de la IVème République. Le professeur J-J. Chevallier a considéré que cette constitution était « rationnelle, mais n’était pas raisonnable ».

I.3. La Constitution de la Vème République

Histoire

La loi constitutionnelle du 3 juin 1958 fixe les cadres et les limites de la révision constitutionnelle (suffrage universel, séparation des pouvoirs, responsabilité du gouvernement devant le parlement, indépendance de la justice, etc.). Le projet devra être soumis au référendum.

Un avant-projet est rédigé par un petit comité à l’instar des constitutions autoritaires. De Gaulle veille à élargir le nombre des grands électeurs – anticipation de la réforme 1962 – et les pouvoirs du président, notamment en cas de crise – esprit de Bayeux de 1946. Michel Debré veille à "rationaliser" l’activité parlementaire. Le comité fait des propositions qui ne seront pas retenues. Le projet passe en Conseil des ministres le 4 septembre et est adopté le 28 septembre par référendum à 80% des voix. Seul le PCF ayant appelé à voter contre avec quelques personnalités (Mitterrand, Mendès France). La signification du vote est différente pour les territoires d’outre-mer qui se prononcent sur leur indépendance de la communauté qu’introduisait le texte (Guinée).

Contenu

La constitution commence par la souveraineté, mais ensuite l’ordre est changé par rapport à celui de la constitution de 1946 qui était : Parlement - Conseil économique et social - Président de la République - Gouvernement et qui devient : Président de la République - Gouvernement - Parlement. Elu pour 7 ans, le Président est rééligible. Il est élu par un large collège de grands électeurs, quelque 75.000. Il a les prérogatives de ses prédécesseurs, mais surtout il est doté de pouvoirs nouveaux portant notamment sur deux articles : l’art. 11 qui lui permet de recourir au référendum sur le fonctionnement des pouvoirs publics et les traités, l’art. 16 en cas de guerre ou de guerre civile, le recours à cet article est très encadré, mais cela lui confèrerait en ces circonstances un véritable pouvoir dictatorial.

Le Gouvernement est composé du Premier ministre – non le Président du conseil qui est le Président de la République. Le Président de la République nomme le Premier ministre et les ministres qui lui sont présentés par le Premier ministre. Le Gouvernement sollicite la confiance de l’Assemblée nationale. Le Président de la République ne peut ensuite révoquer le Premier ministre. Il y a incompatibilité pour les ministres entre la fonction et un mandat parlementaire. Le Gouvernement a des pouvoirs étendus (art. 20) : initiative des lois, nominations de hauts fonctionnaires, proposition de référendum, déclaration de l’état de siège, recours aux ordonnances, etc. Il dispose du pouvoir réglementaire (art. 34 et 37).

Le Parlement est constitué en deux chambres, composées de parlementaires élus sur des modes définis par des lois ordinaires. La rationalisation est effectuée par un président de l’Assemblée nationale élu pour la législature, le président du Sénat à chaque renouvellement. Ces présidents peuvent saisir le Conseil constitutionnel. Leur consultation est obligatoire dans certains cas. Ils ont donc des pouvoirs propres. Les pouvoirs du Parlement sont réduits par un champ législatif très circonscrit : adoption d’une loi sans vote si le Gouvernement pose une question de confiance et qu’il n’est pas renversé dans les vingt-quatre heures par une motion de censure ; le contrôle de constitutionnalité des lois est instauré ; la loi peut être adoptée par référendum. Les lois sont votées par les deux assemblées. En cas de désaccord, recours à une commission mixte paritaire et s’il n’y a pas accord, vote de l’Assemblée nationale sur son texte. Le rôle du Parlement change en cas de différence des majorités aux élections législatives et présidentielle (cohabitation).

Est créé un Conseil constitutionnel composé de neuf membres désignés par tiers par le Président de la République et les présidents des assemblées. Ses compétences sont élargies par rapport à celles du "comité constitutionnel" de la constitution de 1946. Il est le juge des recours sur les référendums, les élections du Président de la République et des parlementaires. Il est encore le juge de la qualification législative des textes. Il est consulté sur la mise en œuvre de l’article 16 et sur l’ "empêchement" du Président de la République.

Une Haute Cour est créée pour juger le Président de la République et les membres du Gouvernement – haute trahison, puis seulement manquement du Président ; création alors d’une Cour de justice pour juger les ministres pour faits commis dans l’exercice de leurs fonctions –. Un Conseil économique et social consultatif est créé.

Une procédure de révision de la constitution est mise en place sur la base de l’article 89 de la constitution : sur la base d’un texte voté dans les mêmes termes par l’Assemblée nationale et le Sénat suivi d’un référendum. Mais le Président de la République peut également soumettre un projet au Parlement réuni en Congrès ; le texte doit alors être adopté à la majorité des trois-cinquièmes.

Évolution

Depuis son instauration, la Constitution de la Vème République a été fréquemment modifiée : 5 fois de 1958 à 1991, 19 fois depuis, soit 24 fois au total (Annexe II). On n’évoquera ci-après que les plus importantes – quatre projets de lois constitutionnelles sont en instance de vote par le Parlement réuni en Congrès.

1962 : l’élection du Président de la République au suffrage universel direct.

Voulant passer outre l’opposition probable du Sénat, de Gaulle fait réviser la constitution en utilisant l’article 11. Opposition quasi-générale et constitution du cartel des "non". Néanmoins le prestige de de Gaulle, fait que le "oui" l’emporta avec plus de 62% des voix. Le Conseil constitutionnel se déclare incompétent. Nouvelle naissance de la Vème République.

Et le fait que le Conseil constitutionnel refuse de contrôler la constitutionnalité des lois adoptées par référendum car elles sont adoptées directement par le peuple, ont permis la mise en œuvre de cette réforme.

1969 : rejet par référendum du projet de réforme du Sénat et de l’organisation territoriale.

Le projet de révision de 1969 avait un double objet : une réorganisation territoriale renforçant le rôle des régions et la réforme du Sénat devenu plus socio-ptofessionnel avec suppression du Conseil économique et social. Désavoué, de Gaulle démissionne le 28 avril 1989. Comme en 1962, mais en sens inverse, l’effet plébiscitaire a été prédominant – 2ème rejet d’un référendum.

1974 : la réforme du Conseil Constitutionnel.

Le Conseil constitutionnel avait été pensé par Michel Debré dans le cadre d’un parlementarisme rationalisé (champ de l’art. 34, limitation du rôle des partis). La décision constitutionnelle n° 71-44 DC du 16 juillet 1971, Liberté d’association, a donné une nouvelle place au Conseil constitutionnel. Valéry Giscard d’Estaing, nouvellement élu Président de la République, souhaite élargir la saisine du Conseil Constitutionnel aux parlementaires – 60 députés et 60 sénateurs.

1992 : le traité de Maastricht. Cette révision avait pour but de rendre la Constitution compatible avec le traité sur l’Union européenne.

2000 : le quinquennat.

C’est la première révision constitutionnelle soumise au référendum en application de l’article 89 de la Constitution. Après 73% de "oui" le 24 septembre 2000, elle fut promulguée le 2 octobre. Son but était d’éviter les inconvénients de la cohabitation.

2003 : loi constitutionnelle relative à l’organisation décentralisée de la République.

Elle porte sur : l’organisation décentralisée de la République, la démocratie locale directe – référendum pouvant être décisionnel dans certains cas –, autonomie financière des collectivités territoriales, statut des collectivités d’outre-mer.

2005 : la charte de l’environnement.

La Constitution inclut dans son préambule, depuis le 1er mars 2005, une charte de l’environnement en 10 articles, à la demande du Président de la République.

2005 : rejet du traité sur la constitution de l’Union européenne

Le texte sera repoussé par référendum, mais le Gouvernement le fera adopter sous forme du traité de Lisbonne par le Parlement.

2008 : ratification du traité de Lisbonne.

En vue de la ratification ultérieure du Traité de Lisbonne, une révision du titre XV de la Constitution a été votée par le Congrès le 4 février 2008, par 560 voix contre 181. La loi constitutionnelle a été promulguée le jour même. Les modifications apportées à la Constitution formulent les transferts de souveraineté énumérés dans le traité de Lisbonne par un renvoi direct à ce texte.

2008 : Loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 sur la réforme des institutions.

Dans le prolongement des travaux du comité "Balladur", le Parlement réuni en Congrès a adopté le 21 juillet 2008 un projet de loi constitutionnelle qui crée ou modifie 47 articles de la Constitution (Annexe III). Le vote a été acquis avec 539 votes favorables, le seuil d’adoption étant de 538 votes.

Les modifications les plus importantes de la loi constitutionnelles du 23 juillet 2008 sont les suivantes : limitation à deux du nombre de mandats consécutifs du Président de la République ; possibilité pour un cinquième des membres du Parlement, soutenus par un dixième des électeurs inscrits, de demander la tenue d’un référendum sur l’un des sujets prévus dans l’article 11 ; le président de la République peut convoquer le Congrès du Parlement français pour faire une déclaration ; les parlementaires sont remplacés temporairement en cas d’acceptation par eux de fonctions gouvernementales ; la discussion des projets et propositions de loi ne porte plus devant la première assemblée saisie sur le texte présenté par le gouvernement, mais sur le texte adopté par la commission saisie, sauf pour les projets de révision constitutionnelle, les projets de loi de finances et les projets de loi de financement de la sécurité sociale ; les assemblées fixent maintenant elles-mêmes leur ordre du jour indépendamment du Gouvernement. Celui-ci conserve néanmoins certaines prérogatives importantes ; les justiciables ont désormais la possibilité, depuis mars 2010, de contester la constitutionnalité d’une mesure qui leur est opposée, créant ainsi la possibilité de révision constitutionnelle a posteriori (QPC) ; le Conseil économique et social devient le Conseil économique, social et environnemental ; le Défenseur des droits est créé ; les langues régionales appartiennent au patrimoine de la France.

Un projet gouvernemental visant à inscrire dans la Constitution des règles prévoyant un retour progressif à l’équilibre budgétaire a été adopté le 13 juillet 2011. Ce texte institue des lois-cadres d’équilibre des finances publiques prévoyant un rythme du retour à l’équilibre budgétaire sur au moins trois ans. La question fait aujourd’hui l’objet d’une concertation européenne.

Pour conclure sur la Vème République, on peut constater qu’elle n’est vraiment plus la même qu’aux origines. On peut distinguer trois phases : le "parlementarisme rationalisé" du début, gravement affecté en 1962 par l‘élection du Président de la République au suffrage universel ; puis au moment des cohabitations ce que le professeur Jean-Marie Denquin a appelé la "monarchie aléatoire" à laquelle Lionel Jospin et Jacques Chirac ont tenté de remédier en instaurant le quinquennat ; enfin, depuis 2007, ce que j’ai appelé "dérive bonapartiste", tandis que Robert Badinter parlait de "monocratie" et qu’Alain Duhamel écrivait "la marche consulaire", différentes expressions pour qualifier un régime autocratique qui prend d’ailleurs beaucoup de liberté avec les institutions. François Hollande semble s’être installé dans une "consécration tranquille".

II. Contexte et postures

Une constitution est la représentation juridique, mais aussi idéologique et politique que se fait une société de l’organisation des pouvoirs pour vivre ensemble. Elle devrait donc transcender les conjonctures et mettre principalement l’accent sur les principes fondamentaux et les règles essentielles. On sait qu’il n’en est rien. Pour autant, il est utile de disposer d’une référence : ce que seraient les institutions idéales pour faire le choix le plus réaliste et le plus judicieux des institutions possibles. D’où trois niveaux de réflexion : sur ce que serait une constitution exemplaire, ce que doit être une constitution souhaitable mais réaliste, sur les mesures ponctuelles à encourager car ont considère qu’elles vont dans le bon sens par référence aux modèles précédents.

II.1. La décomposition sociale

Nous nous posons aujourd’hui la question dans un contexte qui est celui d’une décomposition sociale profonde, de crise systémique. Les symptômes en sont multiples : désaffection politique marquée en particulier par la croissance des abstentions, montée du chômage et de la précarité, développement des jeux de hasard et des sectes, menaces contre l’écosystème mondial, crise aux dimensions multiples : financière, des matières premières, religieuse, etc.

Certaines causes de cette situation peuvent être identifiées : la référence problématique à l’État-nation avec désaffection dans les pays anciens, mais la multiplication de leur nombre et des réactions nationalistes ; la complexification et la dénaturation de la notion de classe sous l’effet du progrès technique, de la mondialisation capitaliste, de l’individualisation des statuts ; les bouleversements spatiaux marqués par l’urbanisation, le développements des voies de communication, l’émergence de nouvelles puissances économiques ; l’évolution rapide des mœurs principalement dans la formation des couples, le rôle de la famille, les relations sociales, la confrontation des cultures. Surtout, l’affaiblissement voire l’effondrement des grandes idéologies messianiques qui avaient prospéré au siècle dernier et structuré les débats politiques majeurs : la théorie néoclassique pour les libéraux de plus en plus éloignée de la représentation du réel s’est faite normative ; l’État-providence pour les socio-démocrates voit sa démarche redistributive asphyxiée dans la crise et la récession ; le marxisme, inspirateur du mouvement communiste ne peut plus être regardé comme le paradigme des forces du changement s’il garde certaines vertus explicatives et pédagogiques.

Ce moment historique de décomposition sociale est donc tout à fait singulier et doit être analysé en tant que tel, même si nous disposons à cet effet que des outils théoriques anciens. Il donne naissance à des expression significatives comme celle d’Edgar Morin qui parle de « métamorphose », de Pierre Nora qui évoque le « régime des identités », ou d’Alain Badiou qui s’interroge « Qu’appelle-t-on échouer ? » : j’ai moi-même eu recours depuis vingt ans à des formulations de ce type [3]. D’autres moments historiques ont présenté des caractéristiques de même incertitude : Alfred de Musset n’écrivait-il pas dans Confession d’un enfant du siècle en 1836 « On ne sait, à chaque pas qu’on fait, si l’on marche sur une semence ou sur un débris » .

La profondeur de la crise et la diversité de ses manifestations témoignent que nous sommes dans une période qui nous invite à sortir des schémas politiques qui ont prévalu au XXème siècle tout en tirant les enseignements de ce siècle "prométhéen". Les trente années qui ont suivi la seconde guerre mondiale ont été celles d’une croissance soutenue et d’une politique économique administrée. C’est l’époque d’une forte intervention publique, de la "planification à la française" regardée par de Gaulle comme une « ardente obligation ». À partir de la crise pétrolière, au tournant des années 1970, l’ultralibéralisme va se développer sur une nouvelle période d’une trentaine d’année avec comme caractéristiques : concurrence, dérégulation, privatisations, culte de la performance, développement des inégalités, prévalence du court terme, récusation de toute morale civique et déboucher sur la crise des années 2007-2008. À la suite de celle-ci on en appelle de toute part au "retour de l’État". Mais quel rôle de l’État dans quelles institutions ? Le sentiment que nous sommes dans une période de transition de civilisation donne lieu à des propositions institutionnelles variées.

II.2. Des solutions discutables

La banalisation sarkozyste

On a rappelé plus haut l’importance des modifications introduites par la loi constitutionnelles du 23 juillet 2008, votée à une voix de plus que la majorité requise.

Au-delà existait une stratégie plus générale. Les spécificités construites par l’histoire en plusieurs siècles sont apparues sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy comme des "anomalies" dans un pays expérimenté comme la France. Anomalies que ce service public occupant un quart de la population active – privatisations, déréglementations et "révolutions culturelle" appelée dans la fonction publique statutaire – ; anomalie que ce principe de laïcité expressément inscrit dans sa constitution (discours de Latran) ; anomalie que ce modèle d’intégration fondé sur le droit du sol (débat sur l’identité nationale) ; anomalie que cette réputation de "terre d’asile" (discours de Grenoble et alignement sur les directives européennes) ; anomalie que cette succession de quinze constitutions en deux siècles (présidentialisation accrue) ; anomalie que ce pays aux 36.000 communes (Acte III de décentralisation). Pour ceux qui nous gouvernaient alors il s’agissait de gommer ces singularités pour mettre l’État de ce pays aux normes de l’Union européenne. Comme l’a écrit le philosophe Marcel Gauchet : « Le programme initial du sarkozysme, c’est un programme de banalisation de la France » [4].

Sous le quinquennat précédent, cette déstructuration de la France est notamment recherchée par une double démarche de sens contraires. D’une part, une politique de décentralisation déstabilisatrice des collectivités publiques et nationales. D’autre part, une mondialisation qui s’exprime principalement sous la forme du mouvement des capitaux, mais sans se réduire pour autant à cet aspect. Cette situation pose le problème de l’avenir de l’État-nation, de la souveraineté nationale et populaire, de la responsabilité propre des citoyennes et des citoyens.

Le rapport Jospin et les conséquences tirées par François Hollande

Il ne semble pas que le pouvoir actuel soit en mesure de répondre à la nécessité d’une réforme institutionnelle profonde sur la base du rapport Jospin. Rappelons préalablement que l’on doit à l’ancien Premier ministre une vague de privatisations supérieure à celle réalisée par Alain Juppé, ainsi que la réforme du quinquennat accompagnée de l’inversion du calendrier faisant précéder les élections législatives des présidentielles.

Les mesures proposées par celui-ci ne modifient pas le caractère de la Vème République qui se trouve ainsi consacrée. L’élection du président de la République au suffrage universel est maintenue avec seulement le remplacement du parrainage des candidatures de 500 élus par 150.000 électeurs dans 50 départements, le scrutin majoritaire uninominal à deux tours des députés est inchangé sinon l’élection de 10 % des députés à la proportionnelle nationale. La composition du Sénat serait rééquilibrée au profit des départements et des régions avec plus d’élus à la proportionnelle. Le cumul des mandats serait réduit. Le chef de l’État pourrait être jugé au civil comme au pénal pour faits hors mandat, non dans l’exercice de ses fonctions.

De ces propositions pourtant modestes, François Hollande n’a retenu que quatre réformes présentées séparément pour ne pas risquer une invalidation parlementaire du tout : réforme du Conseil supérieur de la magistrature, inscription du dialogue social dans la constitution, incompatibilités applicables aux fonctions ministérielles et réforme de la composition du Conseil constitutionnel, responsabilité juridictionnelle du Président de la République et des membres du Gouvernement. On notera, en particulier, que n’ont pas été retenues les dispositions accordant le droit de vote aux étrangers non communautaires aux élections municipales, ni l’inscription dans la constitution des dispositions majeures de la loi de 1905 sur la séparation de l’Église et de l’État. Ces projets de lois constitutionnelles qui devaient être soumis au Congrès fin juillet restent pendants. Leur adoption porterait à vingt-huit le nombre de révisions de la constitution de la Vème République, ce qui conduit à s’interroger sur sa pérennité.

La seule annonce concrète de François Hollande au cours de la cérémonie du 55ème anniversaire de la constitution a été celle d’un projet de loi pour l’application de l’initiative populaire des lois, adoptée en 2008. Le Président de la République a, à cette occasion, confirmé expressément l’élection du Président de la République au suffrage universel en raison de l’attachement présumé des Français à cette élection. On est très loin du « Coup d’État permanent » de François Mitterrand qui, au demeurant, s’en était fort bien accommodé. Il semble que les mesures de caractère institutionnel comme le vote des étrangers ou l’inscription dans la constitution des principales dispositions de la loi de séparation des Églises et de l’État ne verront pas le jour sous l’actuel quinquennat.

Les réformes territoriales

Dans la matière institutionnelle on ne peut manquer d’évoquer les réformes territoriales.

Répondre à la question : où en est-on de la politique du gouvernement en matière de décentralisation sous le nom de l’Acte III n’est pas facile, puisque seule la loi qui porte sur les métropoles avec focalisation sur le Grand Paris a été promulguée en attendant deux autres lois. Durant sa campagne électorale, François Hollande avait mis l’accent sur la contractualisation. Le projet de mise au point à l’automne 2012 était très complexe, il a finalement été divisé en trois : métropoles et grandes villes, région chef de file économique, solidarités territoriales des communes et des départements. Se pose ainsi la question du champ à considérer, plusieurs lois étant concernées au delà de l’héritage Sarkozy : les trois projets de lois résultant du découpage, la loi sur les modes de scrutin, les lois de finances, les lois sur les fonctions publiques, etc.

Les premiers textes d’aménagement territorial datent de la fin du XIXème siècle : ils concernent le département et la commune, en les conservant sous la tutelle du préfet et des services de l’État. La déconcentration est préférée à la décentralisation. Il faut aussi évoquer le référendum du 28 avril 1969 qui portait sur la région et la réforme du Sénat et qui entraina la chute du général de Gaulle. On distingue sommairement les trois actes suivants :

  • Acte I : engagé par la loi Defferre du 2 mars 1982, il a institué : le contrôle a posteriori du préfet, le recours a postériori au tribunal administratif et à la chambre régionale des comptes, institué la région en collectivité territoriale, transféré l’exécutif du préfet au département, opéré un redéploiement des compétences et des ressources, prévu un statut de l’élu et des garanties aux agents publics des collectivités territoriales.
  • Acte II : constitué par la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l’organisation décentralisée de la République, dite loi Raffarin, elle a introduit : le référendum local pouvant être décisionnel, un droit de pétition élargi, l’autonomie financière des collectivités, l’expérimentation législative sous conditions, de nouveaux transferts.
  • Acte III : il a été initié par Nicolas Sarkozy (loi 16.12.2010). Il recherche une banalisation de l’aménagement du territoire français ; cette démarche avait sans doute eu une influence sur le changement de majorité au Sénat à l’automne 2012. François Hollande ne change pas l’appellation de l’entreprise : l’acte III.

Dans ces conditions la question se pose : continuité ou rupture ? Ces réformes ne manqueront pas d’avoir des conséquences importantes sur trois volets : structures et compétences, financements décentralisés et déconcentrés, statuts et réformes administratives.

La démarche initiale n’ayant pas été remise en cause, on rappellera le discours de Nicolas Sarkozy à Saint-Dizier dans lequel il déclarait préférer les « pôles et les réseaux » aux « frontières et aux circonscriptions ». Il évoquait, comme beaucoup d’autres, le "mille-feuille administratif". Or, seuls six niveaux sont significatifs. Trois sont politiques : la commune, le département et la nations. Trois sont à dominante économique : l’intercommunalité, la région et l’Europe. Or en démocratie le politique doit l’emporter sur l’économique.

Une VIème République ?

Face à la crise du politique et des institutions traduites par de nombreuses modifications, et à l’interrogation sur l’État, il importe de répliquer, mais comment ? L’idée la plus simple est d’opposer aux institutions actuelles une autre construction institutionnelle. C’est ce que, avec d’autres, j’avais proposé notamment à l’occasion du bicentenaire de la Révolution française sous forme d’un « projet constitutionnel » complet [5]. Celui-ci, une fois adopté, a été oublié. Je ne ferai plus cette proposition vingt-quatre ans plus tard, nous ne sommes plus dans la même situation.

Je ne suis pas partisan en effet d’une VIème République pour les raisons suivantes. D’abord, parce qu’il s’agit d’une facilité qui, le plus souvent, dispense d’une réponse sérieuse au fond. Réclamée d’Olivier Besancenot à Marine Le Pen en passant par Jean-Luc Mélenchon, Pierre Laurent et Cécile Dufflot, on espère qu’il ne s’agit pas de la même VIème République. Ensuite, parce que les projets présentés sont le plus souvent formulés de manière sommaire et peu cohérente. L’exemple le plus frappant de cette vanité confuse est le projet de VIème République dont Arnaud Montebourg a fait un fonds de commerce et qui, à l’examen, de contours en concessions, se révèle n’être rien d’autre qu’une Vème République-bis (Annexe V). Enfin, il existe une autre raison qui fait de la VIème République une revendication illusoire : aucune des cinq républiques qui ont marqué notre histoire récente n’est née d’une gestation spéculative.

La Convention déclare le 21 septembre 1792 : « La royauté est abolie en France » et un décret du 25 septembre proclame : « La République est une et indivisible » ; ainsi est née la première République parachevant la Révolution française.

La deuxième est issue des émeutes sanglantes de février 1848 accompagnées de l’abdication de Louis-Philippe et de Juin (3.000 morts et 5.000 blessés), ce qui aboutit à la constitution républicaine du 4 novembre 1848 ; elle sera, on le sait et l’on doit s’en souvenir, balayée par le coup d’État du 2 décembre 1851 et le référendum-plébiscite de Louis-Napoléon Bonaparte des 21 et 22 décembre.

La troisième émerge à une voix de majorité de la confrontation des monarchistes et des républicains cinq ans après la défaite de Sedan, moins de quatre ans après l’écrasement de la Commune de Paris.

La quatrième vient après la seconde guerre mondiale, de l’écrasement du nazisme et de la résistance, promulguée le 27 octobre 1946 comme nous l’avons vu.

La cinquième voit le jour par le référendum du 28 septembre 1958, portée par le putsch d’Alger dans un contexte de guerre coloniale.

S’il y a bien crise sociale aujourd’hui, qui oserait soutenir qu’elle s’exprime au niveau des évènements qui viennent d’être évoqués ? Jamais en France on a changé de république sans événement dramatique. Dans une société en décomposition sociale profonde, il manque encore … l’Évènement.

La même argumentation pourrait être opposée aux partisans d’une Constituante qui ne reposerait sur aucune base suffisamment consensuelle. Toutes les constituantes sont survenues après des évènements majeurs et sur les décombres de l’ordre précédent qui faisait consensus. Ce n’est pas la situation actuelle, et une telle proposition permet en réalité de ne rien dire du contenu. C’est encore une facilité.

En résumé, trois conditions sont nécessaires pour que puisse être envisagée une réforme fondamentale des institutions (sans qu’il soit besoin de numéroter République et constitution) : un événement majeur créant une "nouvelle donne", la récusation de l’ordre institutionnel antérieur, un projet de caractère consensuel.

III. De quelle démocratie institutionnelle avons-nous besoin ?

Ainsi, plutôt que d’élaborer un projet constitutionnel complet dont l’intérêt principal serait d’établir la cohérence des différents choix institutionnels effectués, il semble aujourd’hui plus opportun, et sans doute préalable de se prononcer sur certains de ces choix majeurs. J’en retiens six sur lesquels il faudrait réaliser un accord aussi large que celui qui avait été constaté lors de l’élaboration de la constitution de la IVème, voire de la Vème République.

III.1. La souveraineté

Jean-Jacques Rousseau s’efforçait de définir ainsi les citoyens dans le Contrat social : « À l’égard des sociétés, ils prennent collectivement le nom de Peuple, et s’appellent en particulier citoyens comme participant à l’autorité souveraine ». Il annonçait ainsi le transfert de la notion de souveraineté du monarque au peuple. La nation sera introduite par l’article 2 de la Déclaration des droits de 1789 : « Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la nation ». La constitution de 1793 ajoutera en son article 7 : « Le peuple souverain est l’universalité des citoyens français ». La constitution de la IVème République retiendra la notion de souveraineté nationale que l’on retrouve dans la constitution de la Vème République en son article 3 : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et la voie du référendum ».

La souveraineté est une en ce qu’elle légitime l’exercice du pouvoir politique et de ses instruments (création monétaire, État de droit, politiques publiques, relations internationales). Il est courant d’en distinguer deux aspects, la souveraineté nationale et la souveraineté populaire. La première ne prétend pas à la seule représentation des citoyens existants, mais veut aussi traduire les aspirations de la continuité des générations. La seconde tend à privilégier la démocratie directe par rapport à la démocratie représentative soutenue par la première. La souveraineté ne saurait être déléguée si certaines compétences peuvent l’être. C’est dans le contexte très particulier du lendemain de la deuxième guerre mondiale que le préambule de la constitution de 1946 a prévu que, sous réserve de réciprocité, « La France consent aux limitations de souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la paix. ». Restera constante, par ailleurs, la règle selon laquelle « Les traités ou accords régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois » (article 55 de la constitution).

La souveraineté ne saurait cependant être préservée par le seul respect formel des règles du droit positif. On a vu comment le Gouvernement a pu contourner le rejet par le peuple français du traité sur la constitution européenne en mai 2005, pour faire ratifier ensuite le traité de Lisbonne par le Parlement. Et puis la souveraineté, c’est aussi la maîtrise des bases économiques nationales.

III.2. La démocratie directe

Il y a un champ où l’action populaire peut s’exercer directement, sans intermédiaire, c’est celui de la démocratie dite directe. Il convient cependant de dire, avant d’évoquer cet espace, que l’intervention du peuple ne saurait faire l’objet d’une réglementation excessive. La démocratie directe, c’est d’abord le plein exercice des droits et des libertés existants. C’est aussi le fortuit, l’incodifiable, l’initiative, l’épopée, le talent. Il serait vain et quelque peu totalitaire de prétendre en tout point réglementer la vie, non seulement publique mais aussi privée. Pour autant, la démocratie directe ne saurait être purement spontanée, étrangère à toute forme de régulation institutionnelle. La souveraineté nationale et la souveraineté populaire doivent pouvoir être traduites partiellement dans des règles de droit, si celles qui existent n’épuisent pas le sujet.

Des progrès peuvent, en effet, être réalisés en la matière. On en donnera deux exemples. Le premier consisterait à accroître la portée du droit de pétition. Une question rédigée qui aurait réuni un certain pourcentage de signatures d’électeurs inscrits pourrait faire obligation à l’assemblée délibérante compétente pour connaître cette question, d’en débattre et de prendre position. Cette décision pourrait ensuite, en cas d’approbation, conduire à l’élaboration des règles administratives, réglementaires ou législatives correspondantes. Le rejet du texte devrait être motivé et le débat se poursuivrait éventuellement dans l’opinion publique – la réforme constitutionnelle du 23 juillet 2008 a amorcé le mouvement en ce sens. Le second exemple reviendrait, sous certaines conditions, à donner l’initiative des lois au peuple. Là encore un minimum de soutiens serait exigé sur une proposition de loi entièrement formulée. Après quoi le texte pourrait être inséré dans une procédure parlementaire et devenir une loi au terme du processus qui pourrait faire intervenir des instances déconcentrées ou décentralisées. Ce ne serait à vrai dire pas une véritable novation : la Constitution de l’An I, pourtant réputée jacobine, prévoyait déjà l’intervention des communes et des assemblées primaires des départements dans l’élaboration de la loi [6]. L’annonce faite par le Président de la République le 3 octobre au Conseil constitutionnel de faire élaborer rapidement les dispositions législatives permettant l’application d’une initiative populaire des lois prévue par la loi constitutionnelle du 23 juillet 2008, va dans le sens de ces propositions.

La démocratie participative, fréquemment présentée comme substitut ou complément de la démocratie directe et de la démocratie représentative n’a pas bénéficié jusqu’à présent d’une définition claire.

C’est la question du référendum qui constitue en matière de démocratie directe la question la plus délicate. En reconnaissant à tous les citoyens le droit de concourir personnellement à l’expression de la volonté générale et à la formation de la loi, la Déclaration des droits de 1789 en son article 6 ouvrait la voie aux consultations référendaires et à la mise en mouvement politique du peuple. Mais on a vite pressenti les dangers du référendum et les risques qu’il puisse faire courir à la démocratie dans les mains d’un pouvoir autoritaire relevant de la ligne de force césarienne évoquée plus haut. Olivier Duhamel le souligne : « le référendum peut être liberticide : les Bonaparte en ont apporté la preuve » [7]. La Constitution de 1793, on l’a vu, prévoyait que le peuple pouvait délibérer sur les lois proposées par le corps législatif. La Constitution de 1946 ne retenait le référendum qu’en matière constitutionnelle. La Constitution de 1958 le prévoit en deux dispositions : en matière d’organisation des pouvoirs publics, de réformes relatives à la politique économique ou sociale, de ratification des traités (Art. 11, dont le champ a été élargi en 1995) et en matière constitutionnelle (Art. 89). Par ailleurs, la loi du 6 février 1992 a institué un « référendum communal » ; il est de faible portée.

Bien que les référendums sur le traité de Maastricht en 1992 et celui sur le récent projet de « traité établissant une constitution pour l’Europe », mis en échec le 29 mai 2005, aient été l’occasion de débats importants, il reste que, depuis 1793, seulement 3 référendums sur 24 ont dit "non" à ceux qui les ont organisés (Annexe IV).

Le recours au référendum relève ainsi le plus souvent d’un pouvoir exécutif autoritaire à tendance plébiscitaire. Corrélativement, il dévoie le débat en le conduisant le plus souvent à s’écarter de la question posée – vote contre un homme ou une politique. Appelant une réponse binaire (oui ou non), il est peu approprié au traitement de questions complexes. Il doit donc être strictement limité aux matières constitutionnelles proprement dites.

On comprend mal que cette histoire ait été perdue de vue par les acteurs et actrices politiques actuels préconisant des référendums sur les sujets les plus divers.

III.3. La loi

Outre le référendum, le peuple exerce sa souveraineté par la médiation de ses représentants. L’article 6 de la Déclaration de 1789, qui fait partie du « bloc de constitutionnalité » actuel, proclame que la loi est l’expression de la volonté générale, tandis que l’article 34 de la constitution dispose que la loi est votée par le Parlement. En vertu du principe de séparation des pouvoirs et pour équilibrer les fonctions normatives de l’exécutif et du législatif, les articles 34 et 37 définissent les champs respectifs de la loi et du décret. Tel est du moins le schéma théorique car, dans la réalité, c’est le Gouvernement qui a largement l’initiative du travail législatif en fixant, pour l’essentiel, l’ordre du jour du Parlement et en réservant la plus grande place à ses projets, tandis que les textes d’origine parlementaire, les propositions de lois, sont réduites à la portion congrue. Une telle pratique n’est pas conforme aux principes affichés et le préjudice est d’autant plus important que la Constitution a été modifiée en 1992 par l’introduction d’un article 88-2 disposant notamment que : « la France consent aux transferts de compétences nécessaires à l’établissement de l’union économique et monétaire européenne… », ce qui se traduit par une entrée en force du droit européen en droit interne français et limite, en conséquence, les prérogatives du Parlement national. De plus, la montée en puissance du Conseil constitutionnel à partir de 1971 en a fait un organisme politique en forme juridictionnelle qui s’est doté, au fil du temps et par voie jurisprudentielle, d’un pouvoir constituant permanent en dehors de toute source de légitimité, même si on peut considérer qu’il n’en a pas abusé et qu’il a joué parfois un rôle positif en matière de défense des libertés publiques. La représentation est donc en crise, ce qui se traduit en particulier par une hausse générale des taux d’abstentions à toutes les élections, et notamment aux élections locales qui sont pourtant celles où le citoyen est le plus proche des lieux de pouvoir et qui devraient l’intéresser davantage.

La situation est encore aggravée par le fait que si l’article 20 de la Constitution prévoit bien que « Le Gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation », cela dépend de la concordance ou non des majorités présidentielle et législative. Lorsqu’il y a concordance, c’est le Président de la République qui est maître de l’exécutif ; dans le cas contraire, celui de la cohabitation, c’est le Premier ministre qui a l’essentiel des compétences, même si son but est de devenir, à son tour, président, avec une majorité conforme. Cette constitution, si souvent rapetassée au cours des vingt dernières années, ainsi qu’il a été dit, est donc, au surplus, de caractère aléatoire, ce qui est un non-sens constitutionnel et très malsain pour la démocratie. En effet, avant les élections présidentielles et législatives, on ne sait qui du Président de la République ou du Premier ministre détiendra finalement le pouvoir exécutif selon qu’il y aura, ou non, concordance des majorités. L’instauration du quinquennat en réduisant la probabilité de cohabitation a favorisé l’interventionnisme présidentiel. C’est donc le statut du Président de la République, aujourd’hui clé de voûte des institutions, qui est le point de départ de toute réforme institutionnelle conséquente.

Le choix du régime parlementaire aurait pour conséquence que le pouvoir exécutif appartiendrait, sous la direction du Premier ministre, au Gouvernement [8]. Responsable devant le Parlement, il déterminerait et conduirait effectivement la politique de la nation. La légitimité émanerait du corps législatif, élu selon un scrutin égal, c’est-à-dire se rapprochant le plus possible de la proportionnelle. Les arguments selon lesquels cela aurait pour conséquence de faire entrer le Front national au Parlement, ou bien que la priorité est la constitution d’une majorité forte plutôt que la fidèle représentation du peuple ne sauraient y faire obstacle. C’est au débat politique et non à la technique électorale de faire les majorités, de définir la voie à suivre et d’exprimer par la loi la volonté générale. Quant à la question de savoir s’il faut une assemblée parlementaire ou deux comme aujourd’hui, le professeur Dominique Rousseau considère que cela est fonction du degré de déconcentration et de décentralisation de l’organisation de la République : plus les collectivités territoriales ont un rôle important dans le fonctionnement des institutions, plus croît la justification d’une deuxième chambre qui les représente ; c’est aujourd’hui la raison d’être du Sénat.

III.4. L’exécutif

Le rejet de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct repose sur plusieurs raisons.

Premièrement, le caractère plébiscitaire de cette élection l’inscrit sur la ligne de forces césarienne ; les références historiques sont celles des deux Empires.

Deuxièmement, il ne saurait y avoir deux sources de légitimité concurrentes : celle du président et celle de la représentation nationale et populaire. Or, en France, pour des raisons historiques et par le jeu naturel des pouvoirs, la légitimité d’un président élu au suffrage universel l’emportera toujours sur celle que partagent plus d’un millier de parlementaires élus localement au scrutin majoritaire. Il faut donc choisir : le Parlement ou le Président. Comment soutenir qu’est conforme à la ligne de force traditionnelle des Lumières, cette délégation massive de souveraineté que représente l’élection du Président de la République au suffrage universel.

Troisièmement, la supériorité institutionnelle du Président élu, en fait le guide de la nation et dérive fatalement vers un pouvoir autocratique sur le base des pouvoirs considérables qui lui sont conférés par la constitution, notamment en situation de crise ou de guerre. Au surplus, la situation récente du précédent quinquennat a montré avec quelle désinvolture le Président pouvait user de la constitution pour s’arroger des prérogatives qui ne sont pas les siennes – celles de l’article 20, par exemple. La présidence actuelle n’est pas à l’abri de telles critiques – "punition" de Bachar el Assad. Il y a risque de développement d’actions au nom de la "raison d’État".

Quatrièmement, la conquête du pouvoir devient dans ces conditions, le principal objectif des formations politiques et non le service de l’intérêt général, a fortiori de la transformation sociale. Dès lors, les partis se transforment en machines électorales, le cas échéant subdivisées en "écuries" présidentielles, la communication prend le pas sur le débat et la réflexion, la politique devient spectacle, la bataille s’engage sur des critères de rassemblement superficiel et se gagne au centre.

Cinquièmement, cette élection confine ainsi au déni de démocratie et soumet le citoyen à la fatalité des contraintes extérieures, au conformisme opportuniste, à la pensée unique, à la résignation et à l’abaissement.

Dans une constitution démocratique, le Président de la République garderait néanmoins un rôle prestigieux : il représenterait la France vis-à-vis de l’étranger, il serait l’expression symbolique de l’unité et de l’indivisibilité de la République et le garant de la continuité des pouvoirs publics. Il ne serait plus élu au suffrage universel direct, mais soit par un collège de grands électeurs, soit par le Congrès du Parlement ; la durée de son mandat serait dès lors secondaire, la plus longue durée, sans possibilité de renouvellement, pouvant même correspondre à la plus grande banalisation. À cet égard, le mandat de sept ans non renouvelable est sans doute la solution la plus judicieuse dans la gamme des solutions possibles. L’argument selon lequel il faudrait tenir compte de l’idée que l’on se fait de la prétendue adhésion définitive du peuple français à l’élection du Président de la République au suffrage universel, n’est que l’expression d’une résignation politique, indigne de notre histoire.

III.5. L’État de droit

Face à ce schéma, certains évoqueront un retour au régime d’assemblée. On n’ignore rien des critiques qui sont adressées à ce régime sur la base, principalement, de l’expérience de la IVème République. En réalité, l’instabilité de la IVème République n’a pas été causée par un excès de démocratie, mais au contraire par les atteintes que les manœuvres des clans politiques lui ont portées. Aucune constitution ne peut être, seule, la solution des contradictions sociales. Mais à tout prendre, il faut préférer les institutions qui les révèlent à celles qui les dissimulent. Les contradictions apparaissant clairement, les conditions sont meilleures pour leur apporter une solution efficace. C’est aussi un appel à la responsabilité des élus qui doivent alors savoir constituer des majorités d’idées quand c’est nécessaire et faire preuve de courage politique en toute circonstance, plutôt que de se résigner à l’allégeance au chef qui caractérise le régime présidentiel.

Toute proposition institutionnelle doit veiller à s’inscrire dans une scrupuleuse cohérence de l’État de droit. On ne développera pas ici les conditions de la cohérence interne qui reposent essentiellement sur la séparation des pouvoirs et la hiérarchie des normes, sur l’équilibre délicat à établir entre le principe d’autonomie de gestion des collectivités territoriales et celui d’unité et d’indivisibilité de la République. Il conviendrait aussi de préciser les formes nouvelles de la dualité des ordres juridictionnels administratif et judiciaire, dualité souhaitable car relevant de la distinction public-privé, classique en France. Un contrôle de constitutionnalité est nécessaire. La souveraineté ne pouvant émaner que du peuple, c’est à lui ou à ses représentants qu’il revient en définitive d’assurer la conformité des lois à la Constitution ; sur les questions les plus importantes par le recours au référendum constituant en veillant à éviter toute dérive plébiscitaire ; sur des questions moins importantes par la recherche d’une compatibilité tant juridique que politique dans le cadre du Parlement puisque c’est lui qui vote la loi. Un Comité constitutionnel composé de représentants des différents groupes parlementaires auxquels s’adjoindraient des magistrats du Conseil d’État et de la Cour de cassation devrait être institué à cette fin. Il n’aurait pas le pouvoir d’empêcher la promulgation d’une loi non conforme à la Constitution, mais seulement d’identifier cette non-conformité en invitant le Parlement à la prendre en considération à l’occasion d’un nouvel examen qui conduirait soit à modifier la loi, soit à provoquer l’engagement d’une procédure de révision constitutionnelle [9].

Une réflexion sur les institutions nationales ne peut aujourd’hui faire l’économie d’une prise en compte des institutions supranationales, elle doit veiller à leur cohérence externe. C’est possible grâce au principe de subsidiarité introduit à l’article 5 du Traité sur l’Union européenne aux termes duquel : « Dans les domaines qui ne relèvent pas de sa compétence exclusive, l’Union n’intervient que si et dans la mesure où les objectifs de l’action envisagée ne peuvent pas être réalisés de manière suffisante par les États membres et peuvent donc, en raison des dimensions ou des effets de l’action envisagée, être mieux réalisés au niveau de l’Union ». Certes, cette formulation laisse une trop large place à l’appréciation de l’opportunité de l’intervention de l’Union et il n’y a pas lieu de faire une confiance aveugle aujourd’hui à l’appréciation de la Cour de justice de l’Union européenne. Une articulation des institutions nationales et transnationales doit cependant être recherchée sans aliénation de la souveraineté nationale. D’ailleurs, dès aujourd’hui, l’article 55 de la constitution ne dispose-t-il pas que : « Les traités régulièrement ratifiés ou approuvés ont, dès leur publication, une autorité supérieure à celle des lois, sous réserve, pour chaque accord ou traité, de son application par l’autre partie ».

III.6. L’État et le citoyen

Nous avons vu, que l’affirmation de l’autonomie de l’État s’était accompagnée de celle des droits de l’homme et du citoyen. On ne saurait en effet dissocier une réflexion sur le rôle de l’État et celle sur le contenu de la citoyenneté.

La vocation des institutions est aussi de concourir à la formation d’une citoyenneté finalisée par des valeurs fortes, à vocation universelle : service public, droit du sol, laïcité, responsabilité publique, dans la tradition républicaine française [10]. Pour autant, des dimensions supranationales peuvent être mises en perspective.

Une citoyenneté européenne a été décrétée par le traité de Maastricht et est explicitée dans les articles 20 et suivants du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, mais n’est qu’une citoyenneté de faible densité, de superposition, on a pu parler à son sujet d’objet politique non identifié.

On peut s’attacher également à l’enrichissement des prémices d’une citoyenneté mondiale par l’affirmation de valeurs universelles, l’émergence d’un monde commun dans le cadre d’une mondialisation qui n’est pas seulement celle du capital.

Cette ouverture sur le continent et sur le monde n’est pas pour autant contradictoire avec l’affirmation selon laquelle la nation est et demeure le niveau le plus pertinent d’articulation du particulier et de l’universel. C’est donc là que se situe pour l’essentiel notre responsabilité. Le temps doit être pris en compte dans l’esprit de ce que déclarait Ernest Renan dans son discours à la Sorbonne du 10 novembre 1882 intitulé "Qu’est-ce qu’une nation ?" : « Les nations ne sont pas quelque chose d’éternel. Elles ont commencé, elles finiront. La confédération européenne, probablement, les remplacera. Mais telle n’est pas la loi du siècle où nous vivons ».

Le changement de constitution ne peut intervenir que sur une base consensuelle suffisante et, jusqu’ici, ce changement a supposé des évènements historiques majeurs. Si l’on n’est que difficilement maître de ces derniers, en revanche il faut tenter de répondre majoritairement à quelques questions essentielles, suggérées par les développements qui précèdent, et notamment : Régime présidentiel ou régime parlementaire ? Dans quelle mesure des transferts de compétences, voire de souveraineté, peuvent-ils être consentis aux niveaux infra et supranationaux ? Quelles modalités de démocratie directe retenir, notamment en matière d’initiative populaire des lois ? Quelle est la place du référendum : champ, modalités ? Quel mode de scrutin retenir ? Une ou deux assemblées parlementaires ? Faut-il maintenir l’élection du Président de la République au suffrage universel, sinon selon quelles modalités ? Comment progresser sur la voie d’une citoyenneté européenne, voire mondiale.

Anicet Le Pors, le 9 novembre 2014
Tiré de son blog

[1Tricentenaire de sa naissance le 28 juin 2012.

[2Une loi électorale sur les "apparentements" permettra d’introduire un effet majoritaire à partir de 1951, minorant la représentation parlementaire du PCF et du RPF.

[3A. Badiou, L’hypothèse communiste, Lignes, 2009. Dans le même esprit voir aussi : A. Le Pors, Pendant la mue le serpent est aveugle, Albin Michel, 1993 et Éloge de l’échec, Éditions Le Temps des Cerises, 1999.

[4Marcel Gauchet, Retombées politiques de la crise, Le Débat, septembre-octobre 2009.

[5Projet constitutionnel du PCF et Rapport d’Anicet Le Pors, l’Humanité, 18 décembre 1989.

[6« Art. 58. - Le projet est imprimé et envoyé à toutes les communes de la République, sous ce titre : loi proposée.

Art. 59. - Quarante jour après l’envoi de la loi proposée, si, dans la moitié des départements, plus un, le dixième des assemblées primaires de chacun d’eux, régulièrement formées, n’a pas réclamé, le projet est accepté et devient loi. »

[7O. Duhamel, Droit constitutionnel et politique, Seuil, 1993, p. 116.

[8A. Le Pors, On fait clairement le choix du régime parlementaire, l’Humanité, 10 octobre 2005.

[9A. Le Pors, L’enjeu du contrôle de constitutionnalité, l’Humanité, 8 avril 2006.

[10A. Le Pors, La citoyenneté, PUF, coll. Que sais-je ?, 2002 (3° éd.).

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