Une société qui ne respecte plus ses aînés, qui sacrifie ses enfants est une société sans fondation ni perspective !

, par  Michèle Picard , popularité : 3%

Intervention de Michèle Picard, maire de Vénissieux, le mardi 20 mai 2014 au tribunal administratif de Lyon, lors de l’audience en référé, engagée par le préfet contre les arrêtés interdisant les expulsions locatives, les coupures d’eau, d’énergies et les saisies mobilières sur la commune.

Monsieur le Président,

Avant mon propos, je souhaiterais porter à votre connaissance les faits suivants. Le 4 avril, j’ai pris trois arrêtés interdisant sur ma commune, les expulsions locatives, les saisies mobilières et les coupures d’énergies. Or, le 24 avril, bien qu’exécutoires de plein droit car non contestés par le Préfet du Rhône, ces arrêtés n’ont pas été respectés et une expulsion a eu lieu. Je rappelle qu’un arrêté municipal est un acte administratif concret et réfléchi qui ne peut être pris à la légère, voire ignoré. En agissant ainsi, le préfet remet en cause le principe même de la libre administration des collectivités, il préjuge également de votre décision.

J’en reviens à mon propos :

Le 1er février 1954, l’Abbé Pierre se révoltait et lançait un appel que la presse qualifiera « d’insurrection de la bonté ». Ce texte commençait ainsi : « Mes amis, au secours… Une femme vient de mourir gelée, cette nuit à trois heures, sur le trottoir du boulevard Sébastopol, serrant sur elle le papier par lequel, avant hier, on l’avait expulsée… ».

Un texte coup de poing contre l’indifférence, un combat d’hier, dans une France sortant péniblement de l’après-guerre. Un combat d’aujourd’hui face à une crise du logement aussi scandaleuse qu’injustifiable.

60 ans plus tard, où en sommes-nous ?

Peut-être pas au même stade, mais en tout cas dans le même état, un état de crise permanent et inqualifiable.

  • 8,7 millions de personnes vivent en dessous du seuil de pauvreté : 14,3 % de la population,
  • Le chômage atteint les 11 % : un taux inégalé depuis 50 ans !
  • 1 Français sur 6 est touché par la crise du logement,
  • 4 millions de ménages sont en situation de précarité énergétique,
  • 6 millions de personnes sont victimes d’insécurité alimentaire.

Pour 2013, les acteurs de terrain dénoncent d’ores et déjà des situations sans précédent.

Selon le Baromètre de l’Action Sociale : 77 % des CCAS ont enregistré une augmentation des aides financières en 2013, principalement pour le paiement du loyer et de l’énergie.

Julien Lauprètre, président du Secours Populaire Français, témoigne d’un « raz de marée de la misère, de la pauvreté et de l’exclusion arrivé à sa plus haute vague depuis la création du Secours Populaire en 1945 ! ».

Vénissieux, comme toutes les villes populaires, est directement impactée :

  • Le chômage atteint 20 % : 40 % dans certains quartiers de la ville,
  • En 2011 : 31 % de la population vivait en dessous du seuil de pauvreté (Étude Compas 2013 / Observatoire des Inégalités) : + du double de la moyenne nationale,
  • Le revenu médian des ménages vénissians les plus pauvres est évalué à 732 euros : la population vénissiane est ainsi la plus défavorisée de la région Rhône-Alpes.
  • En 2009 : près de 57 % des foyers vénissians étaient non imposables sur le revenu contre 41 % dans le département,
  • En 2013 : 13.632 personnes ont sollicité le service social de la ville, toutes demandes confondues : + 5,93 % en 1 an,
  • En 2013 : 370 ménages ont fait l’objet d’une mesure de maintien minimal d’énergie. 66 foyers sont sous la menace d’une coupure d’électricité.

La crise actuelle n’épargne personne. Les jeunes, les femmes, les familles monoparentales, les chômeurs, les travailleurs pauvres... Des milliers de personnes sont obligées de faire des choix : se chauffer ou se soigner, se loger ou se nourrir. Des hommes, des femmes qui ne vivent plus, mais survivent avec, au quotidien la même angoisse : celle de sombrer dans la précarité. Un désespoir qui mène à l’irréparable. Le 18 mars dernier à Rambouillet : une femme tente de s’immoler par le feu sur son lieu de travail. Son fils venait de la prévenir qu’un huissier allait saisir ses biens.

Chaque année, j’axe mon argumentaire sous un angle différent afin de démontrer les conséquences terribles de la précarité. L’an dernier, j’avais alerté sur les effets de la pauvreté chez l’enfant, comparables à ceux de la guerre.

Aujourd’hui, j’évoquerai les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes âgées. Une volonté délibérée de ma part, vous en comprendrez la raison au fil de mon argumentaire :

  • Plus d’1 million de retraités ont des revenus inférieurs au seuil de pauvreté.
  • 55 % des ménages touchés par la précarité énergétique ont + de 60 ans.
  • En 10 ans, le taux de surendettement des + de 50 ans a progressé de 10 %.

Témoignage : « Avec nos petites retraites, nous n’arrivons plus à boucler nos fins de mois. Nous réduisons nos soins, la nourriture, l’habillement, les sorties sont devenues un super luxe... » Simon.

Des personnes âgées fragilisées, confrontées à la précarité, à l’isolement, qui n’ont plus accès aux soins. Selon une enquête réalisée en décembre 2013, 2 retraités sur 10 déclarent avoir déjà renoncé à se soigner : dans 50 % des cas, les soins dentaires sont écartés, suivis des équipements optiques (35%) et de la consultation d’un médecin spécialiste (31 %).

Témoignage : « J’ai commencé à travailler à l’âge de 16 ans et je ne me suis jamais arrêtée… Aujourd’hui, j’ai une retraite de 877 euros et mes revenus ne me donnent pas droit à la CMU… Ma retraite complémentaire disparaît presque entièrement en agios. J’ai peur de l’augmentation de mon loyer et du coût de la vie en général. Je suis désespérée de toujours devoir de l’argent, même en me privant… J’ai toujours travaillé, sans rien demander à personne et maintenant je ne peux plus subvenir à mes besoins. Le matin je n’ai plus envie de me lever et de continuer... » Raymonde 62 ans.

Avec les réformes des retraites successives, la situation des retraités n’a cessé de se dégrader : en 10 ans, leur pouvoir d’achat a chuté de 10 à 20 %.

Et le pire est devant nous !

Avec la décote des pensions, la rupture des parcours professionnels, l’impossibilité d’atteindre les annuités nécessaires pour une pension complète, la paupérisation de nos aînés s’accélère dangereusement.

Des personnes âgées confrontées elles aussi au mal logement :
dans son rapport 2014, la Fondation Abbé Pierre souligne ces chiffres effroyables : + de 400.000 personnes n’ont pas les moyens financiers d’accéder à un logement, parmi elles, 50.000 ont + de 60 ans.

Une société qui ne respecte plus ses aînés, qui sacrifie ses enfants est une société sans fondation ni perspective !

Dans le même temps, les expulsions continuent

  • En 10 ans : les décisions judiciaires d’expulsion pour impayés de loyers ont augmenté de 40 % et les concours de la force publique ont doublé.
  • Cette année 146.000 familles seraient menacées d’expulsions locatives.

A Vénissieux en 2013 :
- Les situations d’expulsion ont augmenté de 32 % en 1 an, les effets d’une crise endémique dont on mesure aujourd’hui les conséquences.
- Tous les voyants sont au rouge :

  • 251 assignations au tribunal (19 % de + qu’en 2012)
  • 104 demandes de concours à la force publique (+ 73 % en 1 an)
  • 53 programmations (soit une hausse de 32,5 %)
  • 21 familles sont parties avant l’expulsion (soit 24 % de +), par peur, par pression.
    - 11 expulsions ont été effectuées avec le concours de la force publique, des chiffres restés stables grâce au travail considérable des services de la ville et des partenaires sociaux.

Pour la première année, les + de 59 ans ont représenté 20 % des situations d’expulsions. Des situations financières souvent liées à la prise en charge d’enfants majeurs (eux mêmes en difficulté financière).

L’an dernier, notre ville, ses habitants, ont été placés face à l’horreur.
Le 25 avril 2013, une vénissiane de 72 ans s’est pendue dans son logement, brisée par la menace d’une expulsion mise en exécution le matin même. La spirale de l’exclusion a fait une nouvelle victime, plaçant le maire que je suis et l’ensemble des vénissians sous le coup de l’émotion, de la colère et de l’indignation.

Imagine-t-on un seul instant, ce que cette femme a enduré pour en venir à commettre un tel acte !
Imagine-t-on ce que représente, pour une personne âgée, la perte de son logement : un lieu de sécurité, de repères et de souvenirs, un lieu de vie !
Peut-on mesurer la détresse, l’isolement, ce sentiment insupportable que tout est perdu, qu’il n’y a plus aucun avenir possible.

Cette situation est inacceptable ! Cette dame était suivie par le Conseil général, une mise sous tutelle avait été demandée. Elle était donc reconnue fragile et vulnérable, et pourtant, on n’a pas hésité à utiliser les forces de l’ordre pour l’expulser de son logement.

  • Comment peut-on exécuter une décision de justice sans connaître la situation des personnes ? Ce drame doit interpeller l’ensemble des pouvoirs publics, car il souligne le manque de concertation, le non partage d’informations, entre les différents acteurs sociaux.
  • Comment dans ces conditions protéger nos populations et atteindre ces personnes isolées ? Il est urgent de travailler autrement pour que de tels actes ne se reproduisent plus !

Je refuse que ce drame soit un fait divers parmi tant d’autres, médiatisé un jour et oublié le lendemain ! Car nous, nous n’avons rien oublié !

En tant que Maire, je n’ai cessé d’alerter les pouvoirs publics sur les conséquences dramatiques que peuvent engendrer les expulsions. Déjà en 2011, une vénissiane avait menacé de se défenestrer lors de son expulsion. Cette réalité sociale, je la décris inlassablement depuis 5 ans, au travers de mes arrêtés. Les faits me donnent malheureusement raison !

Combien de drames faudra-t-il encore pour prendre conscience de la progression de l’exclusion dans notre pays et de ses conséquences terribles ?

Oui, en France, au 21ème siècle l’exclusion tue :

  • Ce sont 453 personnes mortes dans la rue au cours de l’année 2013, dans l’indifférence générale, 102 depuis le début de l’année !
  • Ce sont des soins que l’on reporte, faute d’argent, des repas que l’on saute...
  • Voilà l’atroce réalité de la détresse humaine et du désespoir !
    Si je suis ici aujourd’hui, c’est pour dénoncer cette sinistre réalité, indigne du pays des droits de l’homme !

Les maires sont en première ligne :

  • Cette détresse sociale, nous la connaissons, nous la côtoyons. Nous sommes sur tous les fronts, les mains dans le cambouis !
  • Pompiers de service, c’est nous que l’on appelle en priorité quand les choses tournent mal : s’il n’y a pas là trouble à l’ordre public que faut-il de plus ? Que l’on nous donne les moyens d’assurer la sécurité et la tranquillité de nos habitants !

Pourquoi ces arrêtés ?

- Un cri d’alarme :

  • Pour interpeller les pouvoirs publics : car il n’est pas acceptable, il n’est pas tolérable que des hommes, des femmes, poussés à bout par une situation dramatique, en viennent à mettre fin à leurs jours.
  • Pour dénoncer les expulsions : des pratiques indignes qui, sur le fond, ne règlent rien.
  • Pour prévenir les accidents dus aux moyens de substitution de chauffage et d’électricité.

- Un acte de désobéissance civique nécessaire face à l’urgence sociale et à l’exclusion.
- Un combat contre l’intolérable, pour une prise de conscience collective
- Un acte de résistance, un acte responsable pour le droit à une vie digne.

Aujourd’hui, nos populations n’ont plus accès aux droits les plus fondamentaux et vitaux (logement, emploi, santé, éducation) : si ce ne ce sont pas les maires, élus de la République, qui dénoncent cela, qui le fera ?

L’État ne remplit plus ses missions régaliennes. Il n’assume plus son rôle de solidarité nationale. Il se désengage du logement social :

  • Baisse de l’aide à la pierre et des APL,
  • Racket sur le 1 % logement : 0,45 % aujourd’hui,
  • Loi DALO non appliquée : sur 160.000 familles reconnues prioritaires en France, 54.000 attendent toujours d’être relogées,
  • Loi SRU non respectée : en 2012, 76 % des communes n’ont pas atteint leurs objectifs.

Malgré le vote de la loi ALUR et la soi-disant garantie universelle du risque locatif, malgré le vote de la loi Brottes d’avril 2013 à l’encontre des coupures d’énergie, des dizaines de milliers de familles sont toujours menacées d’expulsions locatives et près de 600.000, de coupures d’énergies. Dans les faits, rien ne change !

Face à l’urgence sociale, l’État doit être un véritable partenaire des collectivités pour trouver des solutions justes et dignes. La lutte contre la pauvreté doit être une priorité nationale, une urgence nationale.

En 2014 comme en 1954, la pauvreté et l’exclusion doivent être combattues. Je terminerai par ces mots de l’Abbé Pierre : « Ce n’est pas aux hommes de s’écraser devant la loi. C’est à la loi de se changer pour répondre aux droits de l’homme ».

Michèle Picard, maire de Vénissieux

Le 20 mai 2014

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