Socialisme et marché, en général et à la mode chinoise (II) Deuxième partie et conclusion : L’économie de marché socialiste en Chine

, par  Jean-Claude Delaunay , popularité : 1%

L’économie de marché socialiste en Chine

D’abord, quelle formulation retenir pour caractériser l’économie chinoise : « économie de marché socialiste » ou « économie socialiste de marché » ? La discussion a lieu, mais je ne lui ai pas accordé d’attention dans mon livre. Je m’y suis efforcé de n’utiliser qu’une même expression du concept et j’ai choisi de parler d’économie de marché socialiste. C’est la traduction de l’expression chinoise : 社会主义市场经济 (shehui zhuyi shichang jingji). Elle indique, à juste titre selon moi, que le marché d’une économie socialiste n’est pas le même que celui d’une économie capitaliste, ce que ne fait pas l’expression « économie socialiste de marché ». Ce qui compte, selon moi, dans une société engagée dans la voie du socialisme, est que son économie soit dotée d’un marché socialiste. Qu’est-ce donc qu’un marché socialiste ?

Je crois que cette différence, explicitée grâce à l’exemple de la Chine, est le point important de ce texte. Sur de nombreux aspects, détails et dates, je renvoie au bouquin que j’ai publié en 2018 sur l’économie chinoise contemporaine.

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Cette partie contient 2 sous parties.

La 1ère vise à décrire à très grands traits le marché chinois actuel, tel qu’il fut engendré par la politique de Réforme et d’Ouverture. J’y note la multiplication des contradictions ayant surgi lors de la plongée du socialisme chinois dans le marché.

Dans la 2ème sous-partie, je défends l’idée selon laquelle l’économie chinoise, parce qu’elle fonctionne selon le principe de la dictature démocratique du peuple, est susceptible d’une part d’orienter le fonctionnement du marché tout en recevant, s’il y a lieu, des entreprises capitalistes, même en grand nombre. Cette tolérance, en raison de la rupture avec le capitalisme introduite par la dictature démocratique du peuple, n’implique donc aucunement l’implantation du mode de production capitaliste dans cette économie. Elle suppose cependant une vigilance particulière.

1) - L’économie de marché socialiste, un changement radical et tumultueux de la société chinoise

Certains critiques de la Chine socialiste actuelle semblent ignorer combien notre époque est différente de celle que durent affronter les bolcheviques des années 1930. Cette différence est double.

Elle tient d’abord à ce que les économies capitalistes traversent aujourd’hui une crise économique, politique, morale, idéologique profonde. Elle tient ensuite à ce que l’impérialisme s’est affaibli par rapport à qu’il était un siècle auparavant. Les contradictions inter-impérialistes sont donc de plus en plus fortes. La marge de manœuvre des pays socialistes ou des pays souhaitant se développer de manière indépendante s’est accrue d’autant.

C’est l’intelligence de Deng Xiaoping d’avoir eu, au début des années 1980, l’intuition claire de cette évolution radicale. Il a compris qu’une voie différente de celle suivie par Mao Zedong, lequel, malgré certaines différences, s’était placé dans le prolongement de Staline, était non seulement nécessaire mais possible. Voici les principaux traits de cette stratégie de développement et ses implications marchandes.

  • L’agriculture n’a plus été conçue comme devant financer le développement industriel mais comme devant nourrir la population. Les surplus agricoles ont été marchandisés. L’objectif de l’autosuffisance, très difficile à satisfaire en Chine n’a pas été abandonné, mais il a été relâché. Les importations devraient permettre de combler les insuffisances de l’agriculture chinoise.
  • Le développement de l’industrie chinoise n’a plus été conçu comme devant résulter de la production-consommation intérieure mais de l’extraversion du travail chinois. Il s’est agi de vendre ce travail, excédentaire en Chine et de faible coût, aux pays riches, qui de leur côté, en raison de la crise de leur régime, ouvraient leurs économies à la libre circulation des marchandises et des capitaux.
  • Pour accélérer le processus d’accumulation primitive, les dirigeants de la Chine n’ont pas emprunté sur le marché financier mondial (comme l’ont fait malencontreusement d’autres pays socialistes d’Europe). Ils ont ouvert des zones franches. En utilisant ce système, ils ont pris place dans le marché mondial du Capital. Ce faisant, ils ont créé de l’emploi intérieur et laissé aux capitalistes étrangers la responsabilité économique de leurs investissements.
  • L’appel fait aux capitaux étrangers, et l’adhésion à l’OMC en 2001, pour développer l’industrie chinoise a eu plusieurs conséquences, lesquelles, à leur tour, ont stimulé la marchandisation de l’économie chinoise. La première fut le vaste mouvement de migration intérieure de la population rurale vers la Côte Est de la Chine, et ses effets sur la création d’un marché intérieur de la force de travail.
  • La deuxième conséquence fut la stimulation qui s’en suivit de la formation d’un Capital privé chinois. Cette stimulation fut réalisée en deux temps. Il y eut d’abord la création quasi spontanée des « Entreprises de Canton et de Village », entreprises plus connues par leur désignation anglaise, « Town and Village Enterprises » (TVE). Il y eut ensuite, la venue en Chine des Capitaux des chinois d’Outre-Mer. Cette double poussée du Capital proprement chinois a servi de transition vers l’acceptation en Chine, de « la propriété non publique » du Capital aux côtés de la propriété publique.
  • La troisième conséquence fut la constitution, grâce à ces entreprises privées chinoises et à leurs commanditaires, souvent américains ou japonais, d’un matelas de dollars US. Il constitue, pour le pouvoir central, une assurance contre les chocs monétaires mondiaux et un moyen d’achat des équipements nécessaires au développement économique intérieur.

Les dirigeants de la Chine ont donc choisi de développer leur pays de façon quasiment orthogonale de ce qu’avait fait Staline 50 ans plus tôt. Le recours au marché, principalement au marché mondial dominé par les multinationales capitalistes, fut à l’origine du développement économique chinois. Mais ce dernier entraîna l’apparition simultanée de gigantesques contradictions, géographiques, sociales, économiques, politiques.

Dans la période antérieure, les contradictions en Chine n’étaient pas moins fortes. Cela dit, la faiblesse relative du développement avait pour contrepartie une certaine égalité des situations individuelles, dans un contexte rural plutôt stable. En sorte qu’elles apparaissaient comme contradictions entre les Chinois d’un côté, et le reste du monde développé, de l’autre côté.

Après 1995, la société chinoise s’est développée à toute allure. Les Chinois en ont supporté le choc. D’importants dommages ont été causés. C’est ainsi que la main-d’œuvre migrante a été surexploitée, l’environnement saccagé, la paysannerie parfois fortement et violemment mise à contribution. Les structures médicales de protection qui existaient du temps de Mao Zedong ont volé en éclat. Le développement économique a eu lieu mais il a entraîné l’apparition de fortes inégalités entre les individus et les familles. Les contradictions propres à l’économie chinoise sont apparues comme contradictions internes à la Chine. Nombre d’observateurs de ce pays se sont alors demandés : « C’est ça, le socialisme ? ».

Certes, en son tout début, le socialisme chinois de la Réforme et de l’Ouverture a revêtu une forme tumultueuse et rude. Parce qu’il est une transition, le socialisme est un apprentissage et celui-ci, en Chine, fut douloureux. Toutefois, malgré sa brutalité, cette phase a réellement ouvert la voie du socialisme dans ce pays. Car dès le début des années 1980, ses dirigeants ont engagé le contrôle strict de sa démographie, une condition nécessaire de son développement. Ils ont également donné des gages politiques importants à la paysannerie (le contrat SHR de 1984, la Nouvelle Ruralité Socialiste de 2005) et mis un terme définitif à la longue liste des famines qui, depuis plusieurs milliers d’années, avaient ponctué l’histoire de la Chine.

Cette phase, qui fut productive pour le socialisme, mais néanmoins désordonnée, a été close en 2014, avec le lancement de « La Nouvelle Normalité » (développement du marché intérieur, intensification du progrès technique, soutien à l’innovation, engagement résolu contre la corruption, à commencer par celle affectant le PCC à son plus haut niveau).

Pour quelles raisons, sur quels fondements, les dirigeants chinois ont-ils pu se lancer à l’aveuglette dans l’économie de marché socialiste, puis furent capables de tirer les leçons de cette première expérience et cela tout en avançant dans la voie du socialisme ?

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2) - Les points d’appui du socialisme en Chine

Le socialisme en Chine dispose de 4 points d’appui majeurs : A) Un État fort, B) Un secteur industriel et bancaire public déterminant, C) Une idéologie unificatrice puissante, D) La dictature démocratique du peuple.

Je vais indiquer comment, selon moi, ces points d’appui contribuent à la consolidation du socialisme en Chine.

A) Un Etat fort

La Chine moderne est l’héritière de la Chine impériale, laquelle a reposé, pendant 3.000 ans et peut-être davantage sur une organisation particulière, dont Marx esquissa les premiers traits à l’aide du concept de « mode de production asiatique ». Dans le cas de la Chine, ce concept a surtout le rôle d’une référence approchée. J’ai, dans l’introduction de mon livre, indiqué son importance pour comprendre tant la formation sociale asiatique aux caractéristiques chinoises du passé que la formation sociale socialiste aux caractéristiques chinoises du présent.

Le pouvoir impérial n’était pas une structure unique et arbitraire de pouvoir. D’une part, en raison de l’ampleur de la Chine, même ancienne, le pouvoir central avait organisé l’espace politique à l’aide de provinces. D’autre part, au pouvoir impérial relativement fort, car organisateur de l’armée et des infrastructures attenantes (routes, murailles, digues, canaux, stocks de grains, administration, droits de propriété sur le sol), faisait face la multitude des communautés villageoises. Chacun de ces pôles de la société chinoise ancienne disposait d’un pouvoir religieux spécifique.

D’un côté, l’Empereur était le fils du Ciel, dont il était censé détenir le mandat. Il disposait d’une liaison téléphonique particulière avec les puissance d’en Haut. D’un autre côté, les communautés villageoises avaient en charge le culte des ancêtres. Le système était certes fortement biaisé et asymétrique. Il n’en était pas moins dual. Sans céder aux facilités du culturalisme sociologique, on peut dire qu’on retrouve aujourd’hui, dans l’organisation de la société chinoise moderne, des traces bien précises de cette histoire ancienne. Cela dit, le pouvoir de la Chine moderne est autre chose que la continuation de son pouvoir impérial et de sa structure mandarinale, même s’il en reprend certains traits.

Le pouvoir impérial faisait face à une société rurale morcelée tant par sa structure sociale asiatique que par le grand nombre de ses groupes ethniques. Au plan économique, il était en mesure de centraliser la rente foncière. Il construisit au cours du temps une Chine culturelle, une Chine militaire et administrée mais rien qui ressemblât à une Nation économique chinoise. Aujourd’hui, cet héritage, même s’il a été repris, est adossé à deux méga-structures unifiantes, celle du Parti communiste chinois et celle de l’Assemblée nationale populaire. L’État chinois a donc acquis de nouvelles caractéristiques, de profondeur, de rétroaction et d’étendue par rapport au passé impérial. Il est en mesure d’unifier la Chine et d’en faire une Nation économique. Il la socialise économiquement et politiquement. Il crée la Société chinoise.

Le marché socialiste contribue à ce processus d’unification, en généralisant la loi de la valeur des marchandises dans tout l’espace chinois, et, dans la plupart des cas, l’État moderne arrive à le contrôler rapidement.

B) Un secteur industriel et bancaire public déterminant

Une différence essentielle entre le marché capitaliste et le marché socialiste est que, dans ce dernier, un certain nombre d’entreprises relèvent de la propriété publique. Ces entreprises ne sont pas n’importe lesquelles. Ce sont des entreprises produisant les armements ainsi que tous les produits et services, y compris monétaires et financiers, considérés comme stratégiques pour l’indépendance et le développement économique national. En Chine, la définition de ce sous-ensemble a commencé avec Zhou Rongji, en 1999, alors qu’il était Premier Ministre et que, en liaison avec Jiang Zemin, il était en charge d’appliquer la politique de Réforme et d’Ouverture (15ème Congrès du PCC). Comme l’indiquent ces repères chronologiques, les dirigeants de la Chine, même au cours de ces années expérimentales et tumultueuses de lancement de la nouvelle politique marchande, n’ont pas perdu le fil de leur orientation socialiste. En nombre d’emplois, le secteur public industriel chinois représente aujourd’hui environ 20% de l’emploi total, peut-être un peu moins. La tendance est à sa réduction. Après 2003 et la formation de la « State-Owned Assets Supervision and Administration Commission » ou SASAC, ces entreprises ont été de plus en plus rationalisées et concentrées. Ce sont de très grosses entreprises, fortement capitalistiques. Elles constituent un point d’appui éminent du socialisme chinois. Pour l’étude de ces différents aspects, je renvoie au chapitre 5 de mon livre sur la Chine.

C) Une idéologie unificatrice puissante

Il ne suffit pas qu’un État soit fort et rôdé techniquement dans l’élaboration comme dans l’application des décisions de portée générale pour que la politique qu’il autorise soit socialiste. Le groupe social dirigeant de cet État ou de ses entreprises publiques doit être animé par un ensemble de croyances qui soient porteuses de cette finalité.

Dans le cas de la Chine cette idéologie combine intimement le sentiment national et la conviction socialiste. Le mouvement du 4 mai 1919, issu de la protestation, chez un certain nombre d’intellectuels chinois, contre la cession au Japon, par les Alliés de la première guerre mondiale, de territoires chinois, marque les débuts, dans ce pays, d’une prise de conscience nationale et patriotique dont les dirigeants actuels de la Chine sont les héritiers.

Ces dirigeants ont reçu en héritage l’idéologie de la lutte pour l’indépendance nationale, glorieusement menée par Mao Zedong et l’Armée rouge, contre les envahisseurs japonais. Cette lutte a reposé sur la simultanéité d’un combat pour l’indépendance et d’un combat révolutionnaire.

La conviction socialiste, qui prolonge la conviction nationale, est nourrie par la lecture de Lénine et de ce qu’en ont transmis les écrits de Mao Zedong. Les dirigeants actuels de la Chine sont peu familiers des théories économiques de Marx et connaissent surtout ce dernier par l’intermédiaire de Lénine, qui leur a appris à se situer dans le champ des puissances impérialistes mondiales. L’actuel président de la Chine, Xi Jinping, attache cependant une importance particulière au marxisme.

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D) La dictature démocratique du peuple

C’est l’élément commun, malgré les différences d’époque, au socialisme soviétique et au socialisme chinois. La dictature démocratique du peuple est la clé de voûte politique de l’ensemble précédemment décrit, en même temps que l’affirmation d’une rupture radicale, au plan politique, avec le système socio-économique antérieur. Elle se définit par une exigence (mettre un terme au mode de production capitaliste), par une volonté (faire s’exprimer et satisfaire les besoins populaires), par les institutions correspondantes.

La dictature démocratique du peuple, qui est le propre du socialisme, ne peut s’exercer que sur la base de la rupture avec le mode de production capitaliste ou avec le mode de production précédent. Pour simplifier la discussion qui suit, je vais m’en tenir au seul mode de production capitaliste comme mode précédent. Rompre avec lui est une condition nécessaire du socialisme. Il n’est pas possible de dépasser le capitalisme sans se séparer de lui absolument.

Je pense que l’interprétation selon laquelle le régime actuel de la Chine serait un keynésianisme de gauche soutenu par une volonté socialisante est une grossière erreur d’analyse, dans la mesure où ce pays fonctionne selon le principe de la dictature démocratique du peuple.

La dictature démocratique du peuple est une forme politique devant permettre que l’économie soit orientée, de façon continue et durable, par la satisfaction des besoins populaires et que soit, par exemple, instaurée une société de moyenne aisance, que la pauvreté soit combattue ménage par ménage, que la corruption des gens d’en haut comme celle des autres soit anéantie sans relâche jusqu’à sa disparition, que l’illettrisme en soit banni, que les régions les plus reculées bénéficient des routes, du chemin de fer, des écoles, des hôpitaux et de la sécurité sociale, comme les régions riches, et ainsi de suite.

Nous avons fait, en France, l’expérience d’une sorte de keynésianisme de gauche, après 1945. Ce que cette époque indique, pour notre réflexion d’aujourd’hui, est que si le système capitaliste, en tant que système, n’est pas éradiqué dès le départ de la société, si la démocratie bourgeoise subsiste, si les puissances capitalistes sont toujours présentes tant au plan économique que politique, le peuple subira assez rapidement d’une part, au plan économique, la suraccumulation capitaliste que cette présence engendre inévitablement et d’autre part, au plan politique, la contre-révolution sociale et politique qui en est la suite nécessaire. La bourgeoisie est toujours prête à la mettre en œuvre contre le peuple. Il n’y a pas de socialisme sans rupture radicale avec le capitalisme.

Prétendre que la Chine incarne un keynésianisme de gauche et que son keynésianisme de gauche pourrait être un modèle pour la France ou pour l’Union européenne peut faire plaisir à quelques sociaux-démocrates à la recherche d’une nouvelle virginité politique. Mais cela revient à vouloir enflammer l’imagination populaire avec des sottises politiques. Très peu pour moi. De la Chine, je préfère prendre ce qu’elle peut donner, et ce qu’elle donne, à savoir l’exemplarité de ce que ses dirigeants nomment la dictature démocratique du peuple.

Mais alors, faut-il tout en modifier du système que le socialisme vise à remplacer ? Sinon, quels sont les éléments constitutifs du mode capitaliste de production devant être absolument anéantis (abolis) pour que l’on puisse parler de rupture avec lui ? Existe-t-il des seuils significatifs de rupture, n’impliquant pas un changement complet des situations, et si oui, dans quels domaines ?

JPEGPour répondre à ces questions que le concept de marché socialiste conduit à poser, je vais d’abord rappeler qu’un mode de production ne se définit pas seulement par une structure économique. Un mode de production est l’articulation d’une structure économique, d’une structure politique et d’une structure idéologique ou culturelle. S’attaquer au capitalisme suppose non seulement de s’attaquer à son économie, mais suppose également de s’attaquer à la démocratie bourgeoise, qui en est le complément politique, ainsi qu’aux idées et idéologies qui l’animent.

Les conclusions relatives à ce point sont les suivantes : le socialisme doit rompre avec le mode de production capitaliste (MPC) sous trois conditions, qui sont autant d’éléments de définition de la dictature démocratique du peuple :

  • La structure politique du MPC est abolie immédiatement. La démocratie bourgeoise est remplacée par la dictature du prolétariat en combinaison avec la démocratie populaire ;
  • La structure économique du MPC est mise sous contrôle populaire, total ou partiel, par expropriation immédiate pure et simple pour la part stratégique de la production, du commerce et du financement, et par soumission des entreprises capitalistes restantes aux instances politiques socialistes. On rejoint ici ce qui a été dit précédemment du point d’appui pour le socialisme que constitue l’existence d’un secteur public déterminant, et d’un secteur privé sous surveillance, qui n’a plus droit à faire de la politique en tant que tel. Sous ces réserves, l’existence d’un secteur privé n’ayant plus de pouvoir politique et dont les orientations et actions seraient contrôlées est compatible avec le socialisme pendant un temps qui peut être long au regard de la vie humaine.
  • L’idéologie du mode de production capitalistes en est critiquée et remplacée, tant dans les appareils d’information que dans ceux contribuant à l’éducation et à la culture. La propriété économique que la bourgeoisie exerce sur les moyens d’information est abolie. Cela dit, intervenir dans ce domaine est un travail général et de longue haleine, en raison de la nature particulière de cette "chose" que sont les idées et leur mode de diffusion dans la population.

Il n’est pas question d’interdire à des opposants au régime socialiste de s’exprimer, car, comme le disait un auteur connu, sans la liberté de blâmer, il n’est point d’éloge flatteur. Il s’agit de faire en sorte que ces opposants ne bénéficient pas du soutien économique spécifique, énorme, dont ils bénéficient aujourd’hui. Il s’agirait en quelque sorte de laïciser l’information et la culture comme cela fut fait autrefois pour la religion. La démocratie populaire finance les bâtiments et les technologies. A chacun de nourrir en lui et avec autrui les idées de son choix.

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Éléments de Conclusion

J’ai développé dans ce texte 2 points particuliers : 1) le rapport général entre socialisme et marché, 2) le modèle chinois contemporain de ce rapport. Mes conclusions les plus globales sont les suivantes. Le socialisme devrait entretenir avec le marché une liaison de long terme. Il convient cependant de distinguer entre le marché capitaliste et le marché socialiste. La liaison marchande selon moi conforme au socialisme est celle qu’il devrait entretenir avec le marché socialiste. Voici, de manière plus détaillée, l’énoncé de ces conclusions.

A) L’expérience soviétique des années 1918-1953, relativement au rôle du marché dans le développement socialiste s’est déroulée dans le contexte d’une agressivité maximale de la part de l’impérialisme capitaliste. Le marché a été mis de côté. Cette orientation fut techniquement efficace mais eut des conséquences politiques désastreuses. Après la mort de Staline, le rôle du marché n’a pas été repensé correctement, alors que le contexte impérialiste était différent de celui auquel Staline avait été confronté. L’importance et la profondeur de la crise en développement du capitalisme, dès cette époque, ont été sous-estimées, que ce soit par les communistes de l’Union soviétique ou par ceux de pays comme la France.

B) Une juste critique des déviations caractéristiques de la période stalinienne n’ayant pas abouti, les pratiques antérieures en Union soviétique ont été poursuivies, aux éliminations physiques près. Les économies de l’URSS et des périphériques d’Europe centrale ont stagné dans l’immobilisme. Le socialisme de référence soviétique n’a pas tenu le choc de l’affrontement militaire avec l’impérialisme, certes affaibli mais néanmoins puissant.

C) Mao Zedong et ses camarades ont cru apporter une rectification adaptée au socialisme stalinien en prétendant aller plus vite et plus loin, en direction du communisme, sans se soucier de reprendre la réflexion là où Lénine l’avait laissée, en 1921. Cette tentative a échoué. Il est ressorti de son échec que les structures essentielles de l’expérience stalinienne n’étaient plus valides.

D) Mais pour en changer vraiment, il a fallu une longue méditation. Celle-ci a d’abord duré 20 ans environ, de 1960 à 1980, Mao étant décédé en 1976. Cette période fut suivie par les révoltes urbaines de la fin des années 1980 et après 15 ans d’hésitations et de luttes intérieures, de 1980 à 1995, ces dirigeants ont abouti à la formulation définitive d’une nouvelle voie pour le socialisme et le développement économique : le socialisme de marché socialiste.

E) Les masses populaires chinoises, même si elles ne connaissent pas la Bible, sont comme l’apôtre Jacques. Sauf circonstances exceptionnelles (la défense de la patrie), elles ne croient que ce qu’elles voient et touchent. Il ne leur suffit pas de parler du socialisme. Elles ont besoin de le vivre et d’en vivre. Les dirigeants de la Chine ont compris cela et se sont lancés dans l’aventure du nouveau socialisme, considérant qu’ils n’avaient pas d’autre choix que celui de l’innovation sociale. Ils ont produit le concept et la pratique du marché socialiste.

F) Ce qui apparaît aujourd’hui est que, au début, pendant les années 1995-2010, l’expérience en fut rude et tumultueuse. Le marché (les marchés) se sont développés à toute vitesse ainsi que les contradictions afférentes. Mais après la crise mondiale de 2007 et ses effets sur la Chine, les dirigeants de ce pays ont mieux mesuré leurs insuffisances et leurs obligations. Ils sont capables aujourd’hui, prenant appui sur ce qu’ils appellent « la nouvelle normalité », de promouvoir 2 grands objectifs : 1) une situation de moyenne aisance pour tous les Chinois, 2) l’abolition concrète définitive de la pauvreté dans leur pays, ce qui signifie prioritairement l’abolition de la pauvreté rurale. Simultanément, ils perfectionnent leurs services collectifs et la Chine est le premier pays industriel dans le monde. Je fais abstraction ici de leurs objectifs internationaux.

G) Quels sont donc les leviers du socialisme chinois ? Est-ce le marché ? Est-ce le capitalisme ? Est-ce le capitalisme d’État ? La réponse que j’ai apportée dans ce texte est, en résumé, la suivante : le principal levier du développement économique chinois est le marché socialiste. Mais le marché socialiste n’est pas le marché capitaliste. Il existe entre les deux une différence de nature et pas seulement de degré.

H) Le marché socialiste, en Chine, prend appui sur : 1) un État fort, légué par l’histoire, et aujourd’hui adossé au Parti communiste chinois ainsi qu’aux institutions politiques nationales de la Chine, 2) un secteur public industriel et de services rendant possible le contrôle du fonctionnement de l’ensemble, 3) une idéologie nationale et populaire dont les dirigeants chinois sont les vecteurs, 4) la dictature démocratique du peuple, qui est la clé de voûte de l’ensemble.

I) Ces 4 points d’appui définissent et structurent le marché socialiste de la Chine contemporaine. La crise profonde et durable que traversent, de nos jours, les systèmes du capitalisme et de l’impérialisme, permet de comprendre que, sur ces 4 points d’appui, la Chine démocratique et populaire ait pu introduire des entreprises capitalistes dans son fonctionnement sans tolérer l’implantation du mode de production capitaliste et la formation d’une classe capitaliste. Ces entreprises contribuent au développement économique du pays. Celles et ceux qui les possèdent et les dirigent récoltent du profit, mais la politique de la Chine leur échappe. Elles ont droit à l’existence mais elles n’ont pas droit à la parole.

Jean-Claude Delaunay
Le 11 février 2019

Suite de la 1ère partie

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