6,7,8 Juillet. Rencontres de Marseille
Quelles luttes de classes pour le changement ?

, par  pam , popularité : 1%

Si la conscience de l’injustice et de la violence du capitalisme n’a jamais été aussi forte, en France notamment, si progresse même l’idée que ce système est à bout de souffle et mortifère pour la civilisation humaine, le niveau des luttes sociales et la conscience des conditions d’un véritable changement de société semblent plus faibles que jamais, bien trop faibles pour porter une perspective politique crédible. Deux questions à poser autour de nous et dont nous connaissons tous la réponse majoritaire : Le capitalisme est-il bon pour vous ? Le capitalisme peut-il être battu ? Cela conduit sur de nombreuses questions à un enchevêtrement d’idées dominantes parfois contradictoires qui rendent très difficile de rassembler sur une ligne politique de rupture. Euro, rassemblement populaire ou union de la gauche, parti communiste ou Front de Gauche, souveraineté nationale ou union européenne… Sur chacune de ces questions, il y a des analyses pertinentes, mais chacune des alternatives peut porter des illusions sur les conditions d’une rupture révolutionnaire. Une sortie de l’Euro peut être réactionnaire et nationaliste, une affirmation du parti révolutionnaire peut être sectaire et gauchiste, une ligne de rassemblement populaire peut perdre son contenu de classe dans un républicanisme conservateur.

Le KKE évoquait les fausses alternatives dans lesquelles les questions de classes sont effacées. Or c’est bien l’analyse des luttes de classe concrètes qui fournit les critères pour prendre position dans tous ces débats d’idées, non pas d’une manière théorique sur chaque sujet (l’Euro est-il ou peut-il être bon ou mauvais pour les peuples), mais de manière concrète (à qui a servi l’Euro dans les luttes de classe, et à qui servirait-il en cas de rupture politique ?). De fait, c’est la perception des luttes de classe qui conditionne la conscience des conditions de sortie du capitalisme. C’est ce que doit aider un programme politique portant une perspective socialiste, ancrée dans les réalités de ces luttes de classe dont les communistes savent qu’elles ne prennent pas fin avec le changement politique mais au contraire sont au cœur des processus de construction du socialisme lui-même.

Tout discours « de gauche », le plus souvent électoral, construit sur des « promesses » plus ou moins argumentées par des considérations théoriques sur les possibilités ou les limites économiques, quelles que soient la valeur des arguments, reste déconnecté de cette conscience « inconsciente » des luttes de classe comme moteur de l’histoire.

Si le programme partagé évoquait le principe d’une constituante, de droits d’opposition des salariés au service de la « révolution citoyenne », il est connu d’abord pour l’augmentation du SMIC à 1700€, la limitation à 20 de l’échelle des salaires, la création d’emplois publics… propositions que la majorité des travailleurs soutiennent sans que cela ne guide leur vote [1]. Pourquoi ?

Il y a des raisons proprement politiques avec notamment le vote utile pour virer Sarkozy. Mais si malgré la présence médiatique remarquable de Mélenchon, les intentions de vote ont chuté au moment critique pour revenir à un niveau insuffisant, il parait difficile de l’expliquer uniquement pas la bataille médiatique. Il faut comprendre pourquoi les travailleurs ne PENSENT PAS POSSIBLE qu’une majorité de gauche avec une composante « radicale » forte puisse prendre de telles décisions, et s’il y a évidemment encore une dimension politique, notamment de confiance des travailleurs ou plutôt de méfiance envers la gauche au gouvernement, on ne peut pas éviter de poser la question au fonds ; quel modèle de société connu et porté par les travailleurs permet de rendre crédible un réel renversement économique avec une forte progression des salaires et de l’emploi ?

On peut poser la question autrement, mais c’est en fait la même du point de vue des luttes de classe, une politique de gauche dans le capitalisme est-elle possible avec des vrais gains pour les travailleurs ? Le congrès de Tours affirme la nécessité de la révolution pour arracher le pouvoir au capital comme condition d’un processus de rupture. Ce n’est pas une question théorique, mais concerne les luttes de classes qui sont et seront nécessaires pour toute rupture qui ne peut que se situer dans le capitalisme, même si c’est pour en sortir à terme.

Pouvons-nous apprendre sur ce point des expériences aussi diverses que la double monnaie à Cuba, la NEP ou les 4 modernisations chinoises. Ce n’est pas une question d’historien, bien au contraire. A quelles luttes de classes serions-nous confrontés en France en cas de changement politique réel ?

Quelques exemples simples :

- On augmente les salaires, on règlemente strictement la précarité, on donne un salaire étudiant… le prix du Mac Do explose, plus que l’augmentation des salaires… ou Mac Do est en faillite… et organise des manifestations massives avec le support de NRJ et Fun Radio, de groupes facebook… que fait-on ? On fait un MacDo public ?

- On renationalise le secteur de l’énergie, avec la transparence nécessaire des coûts contre les financements spéculatifs du photovoltaïque, la dérèglementation permise par les compteurs Linky. Les entreprises privées des énergies renouvelables, les écologistes, tout un monde associatif qui vit autour des subventions des collectivités locales manifeste et fait alliance avec la droite ? On cède ? On envoie les chars ?

- On donne des droits à tous les travailleurs, y compris dans les services à la personne, on développe un vrai service public du 3ème et du 4ème âge, et on supprime toute aide au développement de ce qu’on peut appeler une nouvelle domesticité avec les aides à la personne individualisées. Mais on se retrouve avec des milliers de cadres, couches moyennes qui protestent contre ces mesures, et les milliers de travailleurs souvent des travailleuses qui vivent de ces emplois en lien direct et humain avec les bénéficiaires en sont solidaires…

- Comment évaluer le coût acceptable de la fonction publique qui permettent à la fois de répondre au défi de l’action contre la grande pauvreté et la fracture sociale et de dégager les investissements et emplois industriels nécessaires ? Comment gérer une grève de fonctionnaires qui demanderaient une augmentation de salaires plus forte que ce que permet le développement économique réel ?

Qui peut dire ce que la « gauche » ferait dans de telles situations ? Qui peut dire comment un gouvernement de rupture ferait face à de tels conflits, aussi forts que celui de l’école privée en 1983 et comment pourrait-il ne pas faire ce que la gauche qui n’était pas encore plurielle a fait sur ce dossier de l’école ?

Plus profondément, qui paie les salaires et les dépenses publiques ? Le capital nous vole chaque année 10% du PIB par rapport à 1980. L’augmentation massive des salaires sur la base d’un SMIC à 1700€ net et d’une hiérarchie de 1 à 20 correspond en masse à ces 10% [2], mais il faut aussi créer massivement des emplois publics, augmenter massivement les investissements publics dans l’école, la santé, la justice, l’énergie… Marx dans "Salaires, Prix, Profits" argumente de manière précise sur le lien entre augmentation massive des salaires et déplacement des investissements qui doivent laisser tomber les productions de luxe au profit des productions pour tous… Mais qui décide des investissements ?

Oublions la dette issue du passé, on refuse de payer, donc on dénonce. Reste qu’il faut savoir comment financer un déficit futur qui semble donc indispensable. Beaucoup nous disent "sortons la dette de la soumission aux marchés financiers, donnons l’exclusivité de la création monétaire à la banque centrale, et le problème de la dette est réglé [3]. Donc on sort de l’Euro et la nouvelle banque centrale publique crée de la monnaie.

Sauf que l’essentiel de notre consommation doit être achetée, et que les fournisseurs, même de Chine ou du Maghreb, voudront être payés en Euro ou Dollar. La question de la monnaie n’est pas une question théorique mais une question très pratique directement liée à notre capacité de production. Si nous produisons assez pour échanger dans les réalités du capitalisme mondial, c’est possible. Cuba démontre qu’il est possible de tenir, dans la vérité du pouvoir d’achat que la productivité du pays lui permet, que le socialisme dans un seul pays est possible, un socialisme dont les communistes cubains analysent les contradictions sociales à leur dernier congrès qui propose une nouvelle révolution dans la révolution.

Si en France, il est indispensable de répondre aux immenses besoins sociaux des 10 millions de travailleurs pauvres, il faut s’interroger si la transformation révolutionnaire est possible sans décider collectivement de réduire la consommation totale au profit d’un niveau d’investissement et d’un effort de travail considérable. Nous ne pouvons dans la situation des forces productives en France faire croire que tout le monde peut avoir un écran plat géant connecté sur Internet, un frigo américain rempli, une chaudière à bois et des panneaux photovoltaïques pour être énergétiquement autonome, une voiture moderne et écologique… Il ne s’agit pas du tout du concept de décroissance [4], comme nécessité pour sauver la planète ou même pour sortir du capitalisme, puisqu’il s’agit bien de développer la production !

La France de Giscard face aux premières phases de la crise a investi 100M€ dans le nucléaire, 80M€ dans les Télécom (Minitel), 30M€ dans le TGV... accompagnant la politique de rigueur symbolisée par Raymond Barre. Notez que c’est presque deux fois le plan de croissance « gagné » par Hollande pour toute l’Europe. De fait, cette réponse capitaliste à la crise portait principalement sur le système de production national, et c’est Mitterrand qui en 83 fait le choix de la soumission à l’Allemagne, en préservant le nucléaire...

Il suffit de comparer le programme partagé et le texte du 6ème congrès du PCC pour mesurer l’écart entre un programme idéologique et un programme d’action. Donc, le socialisme, c’est quoi au concret pour les gens ? Tout le monde constate le développement économique inégal et spécialisé qui a détruit de larges forces productives en France tout en développant des secteurs très productif et mondialisé. Comment reconstruirons-nous les outils essentiels pour répondre à nos propres besoins de développements ? Sommes-nous capables d’un appel de Thorez qui en 47 appelait les mineurs à l’effort de production ? Pouvons-nous mettre un travail digne, solidaire, collectif, qualifié au premier plan de notre projet de société, avec ses contraintes et efforts nécessaires d’efficacité individuelle et collective, et maitriser le niveau de consommation acceptable dans ce capitalisme du désir dont les moyens de peser sur les comportements individuels sont énormes ?

Un programme communiste de gouvernement doit affirmer le plus concrètement possible ce que serait un socialisme du XXIième siècle, en termes de projets scientifiques et techniques, urbains, environnementaux, et les conditions de mobilisation des travailleurs pour un nouveau type de développement, c’est-à-dire de nouveaux rapports sociaux au travail.

pam

[1Dans le cadre de cet article, je ne reviens pas sur l’évaluation du succès ou non du Front de Gauche aux élections. En tout cas, le niveau global du vote de gauche critique du parti socialiste, s’est affaibli depuis 1995 malgré les coups portés et l’apparente progression des idées anticapitalistes.

[2Avec un salaire moyen porté de 2100 à 2550€ en brut pour 30 millions d’actifs, avec un SMIC à 1700€ net, avec une évolution comparable du salaire moyen, on arrive à 85% du PIB...

[3Salim Lamrani "La dette est née en 1973"

[4Dont j’ai proposé une critique marxiste précédemment

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    Sur une musique de Hans Eisler, le requiem Lenin, écrit sur commande du PCUS pour le 20ème anniversaire de la mort de Illytch, mais jamais joué en URSS... avec un texte de Bertold Brecht, et des images d’hier et aujourd’hui de ces luttes de classes qui font l’histoire encore et toujours...

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