Permanence et transformations de l’impérialisme idéologique A propos de "Qui mène la danse ?" de Frances Stonor Saunders (2003)

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Je me félicite du travail effectué par notre ami Comaguer. Ce livre que je lui ai prêté et qui est une bible pour moi est introuvable, il n’est pas réédité et parait-il s’achète à prix d’or, je ne le vend pas, mais quand Comaguer m’a dit qu’il allait en faire un compte-rendu, je n’ai pas hésité : il faut absolument le faire connaitre en attendant une ré-édition en français qui ne vient pas. La description minutieuse, qui s’appuie sur un travail d’archives et dont un certain nombre de résultats sont présentés ici, laisse subodorer le travail accompli aujourd’hui sur des gens dont certains ne cachent même plus leurs allégeances, mais dont l’Humanité semble avoir à cœur d’assurer la promotion, donne toute sa véracité à l’affirmation de Comaguer sur sa conclusion, à savoir que la CIA a gagné la guerre en France et que, pour cela, il a fallu en passer non seulement par la social-démocratie, mais aussi par le PCF, l’affaiblir, le soumettre au précédent et peut-être plus. L’histoire jugera quels "Gitton" (nom du secrétaire à l’organisation avant la guerre dont on découvrit qu’il était un agent de la police française et qui fut exécuté par la résistance) ont pu agir ainsi avec une telle impunité parce que l’on avait fait du PCF ce qu’il est. J’ignore en effet qui agit par ralliement à cette organisation et qui innocemment les conforte, mais l’histoire et ses archives nous le révèleront. (note de Danielle Bleitrach)

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En 1999 l’historienne britannique Frances Stonor Saunders (FSS) publie un ouvrage intitulé « Who play the piper » qui dévoile et démontre le rôle central de la CIA sur le front idéologique de la guerre froide. Le livre sera traduit dans de nombreux pays et publié en France en 2003 par les éditions Denoël sous le titre « Qui mène la danse ? » et sous-titré très explicitement : « La CIA et la guerre froide culturelle ».

Le livre apporte la démonstration qu’il y a bien eu un front idéologique et donc qu’il n’y avait pas selon l’imagerie en vigueur d’un côté la lourde propagande soviétique répandue à l’extérieur par le Kominform et de l’autre la fraicheur sincère des démocrates occidentaux libéraux. Le cœur de cette bataille et son principal objectif à ses débuts était d’éviter le ralliement ou au moins le soutien des intellectuels de gauche au communisme. Pour les intellectuels et les partis de droite à commencer par les divers avatars nationaux de la démocratie chrétienne, le problème ne se posait évidemment pas. Avec le recul du temps on peut affirmer que cette bataille a été gagnée.

La précédente, livrée dés 1945/1946 pour faire éclater la Fédération Syndicale Mondiale à vocation universelle et organiser mondialement par une série de scissions nationales le syndicalisme anticommuniste, était déjà un exercice de manipulation de haute volée, ce qui est attesté par le rôle central dans les deux opérations d’Irving Brown comme stratège et généreux distributeur de fonds publics étasuniens.

Ce livre de FSS est une véritable enquête qu’elle a menée en historienne en consultant de nombreuses archives étasuniennes et britanniques et en y ajoutant les témoignages recueillis dans les années 90 auprès de certains acteurs et d’officiels qui à défaut d’y avoir été directement impliques avaient eu à en connaitre. L’opération ainsi décrite se déroule de 1947 à 1966/1967 avec un période de pointe au moment de la guerre de Corée et un lent déclin bien antérieur à la fin de la guerre froide mais produit par le retrait progressif de la CIA et de ses financements et par le transfert à diverses fondations (dont les fondations Fairfield et Ford) de ce type d’activité (une sorte de sous-traitance ou de filialisation). Elle s’inscrit donc dans le domaine des actions clandestines (covert actions) conduites dans les milieux intellectuels et artistiques.

La CIA entame cette action qui sera concrétisée en 1949 par la création par ses agents et avec ses financements du « Congrès pour la liberté de la culture » dont le siège est fixé à Paris et qui va rapidement essaimer dans une trentaine de pays d’Europe. Son principal objectif est de rassembler et de soutenir des intellectuels qui au sortir de la guerre pourraient, à l’image de larges secteurs des opinions publiques des pays de l’Europe occidentale, avoir des sympathies pour l’URSS dont la contribution à la défaite des nazis a été décisive, ce que nul n’ignore dans ces années d’immédiat après guerre, mais qui a depuis été largement occulté par la machine propagandiste occidentale capitaliste.

Le choix de Paris comme siège s’explique par le fait que la France est avec l’Italie le pays d’Europe occidentale où la présence communiste est la plus forte et où il faut consolider sur le terrain idéologique les 2 premiers succès de la guerre froide : l’éviction des ministres communistes du gouvernement et la création d’un syndicat anticommuniste : Force Ouvrière.

Les agents de la CIA qui s’installent à Paris vont s’employer à recruter des intellectuels et des artistes non communistes et à financer les outils qui leur permettront d’étendre leur influence :
- revues, colloques, conférence et l’argent nécessaire pour leurs invitations, leurs voyages… Parmi les grands noms ainsi recrutés en Europe citons entre autres Raymond Aron, Arthur Koestler, Bertrand Russell, Karl Jaspers, Manès Sperber, Ignazio Silone, Denis de Rougemont, Karl Polanyi pour n’en citer que quelques uns. Leur niveau d’engagement individuel est variable
- certains seront actifs dans toute la période, d’autres ne participeront qu’à quelques initiatives.

Mais écrivains et philosophes ne sont pas seuls sollicités. Le compositeur Nicolas Nabokov, cousin de l’écrivain Dimitri Nabokov sera d’ailleurs le grand organisateur de l’activité musicale du Congrès : soutien à des tournées du Boston Symphony Orchestra du New York City Ballet, promotion des compositeurs amis : Stravinsky, Léonard Bernstein. Dernier aspect de l’activité du Congrès : la promotion de l’art abstrait à opposer au « réalisme socialiste » favorisé à l’Est. Le principal bénéficiaire et le plus connu de ces artistes promotionnés est Jackson Pollock. (Voir plus de détails dans l’annexe1) Une place particulière doit être attribuée à Georges Orwell qui est probablement le nom aujourd’hui le plus connu de cette pléiade d’écrivains.

Georges Orwell fils d’un administrateur colonial, formé lui-même au métier du renseignement dans la police britannique en Birmanie, est assez anticommuniste pour avoir, après la guerre, fourni de lui-même aux services de renseignement britanniques les listes d’intellectuels communistes britanniques qu’il avait établies. Il sera évidemment pressenti pour prendre part à cette grande campagne idéologique. Il mourra avant le démarrage des activités officielles du Congres mais ses œuvres en particulier « 1984 et la Ferme des animaux » seront, avec l’accord de sa veuve, largement utilisées et répandues. (Lire en annexe un extrait du livre le concernant).

Ironie de l’histoire : les pratiques actuelles de l’impérialisme exacerbées depuis la disparition de l’URSS sont parfaitement explicitées dans la description furieusement antisoviétique d’Orwell dans 1984 (écrit en 1948) « la paix c’est la guerre » (ex parmi beaucoup d’autres : Obama Prix Nobel de la Paix en début de mandat), « le mensonge c’est la vérité » (ex parmi beaucoup d’autres : les armes de destruction massives de Saddam Hussein).

Le lancement officiel du Congrès a lieu à Berlin ouest en Avril 1950, lieu emblématique de la guerre froide juste après la crise de 1949 (blocus de Berlin) à l’invitation du bourgmestre Willy Brandt très favorable à l’action du Congrès. Cette cérémonie a été précédée par une sorte de sabotage d’une réunion organisée en Mars 1949 à New York dans le prestigieux Waldorf Astoria. Il s’agissait d’une initiative soviétique destinée à contrer la guerre froide anticommuniste lancée par Truman deux ans plus tôt et à montrer que l’URSS voulait la paix. Pour l’URSS qui n’avait pas encore la bombe atomique et se sentait menacée, les initiatives de ce type étaient ces années là de toute première importance. Des intellectuels étasuniens connus comme Arthur Miler et Norman Mailer qui sans être communistes ne considéraient pas l’URSS comme une menace y participaient. Mais les Etats-Unis ne supportaient pas que pareille initiative se déroule sur leur sol et dans le plus prestigieux des hôtels newyorkais avaient décidé de la saboter. (Voir ci-après l’extrait du livre concernant cette conférence)

La CIA naissante faisait ainsi ses premiers pas dans la guerre idéologique bien qu’elle ne fut pas compétente pour intervenir sur le territoire des Etats-Unis (la sécurité intérieure revient au FBI). Les intellectuels étasuniens participant à ce sabotage comme Mary Mac Carthy étaient rassemblés dans une association dénommée « Américains pour la liberté de la culture » qui poursuivra ses activités après la dissolution du « Congrès pour la liberté de la culture ». Cette action est considérée par le gouvernement étasunien comme une urgence à mener en parallèle avec la création de l’OTAN (1949 également) pour installer le rideau de fer dans les esprits. L’OTAN elle-même se livrera à de grossières opérations de manipulation de l’opinion internationale pour soutenir des actions d’agression contraires à la Charte des Nations Unies comme les 77 jours de bombardement de la Serbie en 1999.

Si la CIA est à ses tous débuts si performante, c’est qu’elle a dans son patrimoine initial un trésor nazi : l’héritage Gehlen. Reinhardt Gehlen a été responsable des services de renseignement du Reich dans tous les pays envahis et occupés par l’armée nazie sur le front oriental. Voyant venir la défaite, il met à l’abri une énorme quantité de documents et une fois fait prisonnier par l’armée étasunienne, il les lui remet en échange de l’impunité. Un des principaux criminels de guerre échappera ainsi au Tribunal de Nuremberg et après un séjour d’un an aux Etats-Unis où il sera le formateur de la CIA naissante, il rentrera en Allemagne (de l’Ouest) pour y prendre aussitôt la direction des services de renseignement de la RFA nouvellement créés.

La contribution de Gehlen et donc de l’OSS nazie au démarrage de la CIA est énorme : d’une part des méthodes de travail éprouvées pour le contrôle de la population dans tous les pays de l’Est envahis et occupés par l’armée nazie, d’autre part la plupart des documents qu’il a microfilmés et cachés dans les semaines précédant la chute du Reich. Parmi ces documents microfilmés se trouvaient l’ensemble des fichiers de militants communistes ou antifascistes rassemblés dans tous les pays occupés par le Reich. Gehlen avait aussi gardé le contact dans ces pays avec des collabos qui dans les démocraties populaires seront réactivés et deviendront des agents de la CIA déjà bien implantés. Ils joueront par exemple un rôle important dans la crise hongroise de 1956.

Cependant cette intervention directe mais souterraine de la CIA dans les activités du Congrès dans la guerre idéologique finira par être découverte et donnera lieu à d’intenses polémiques publiques des deux côtés de l’Atlantique. La crise a lieu en 1965/1966 dans un contexte politique bien différent. La guerre froide n’est pas finie mais l’URSS a réussi à établir la parité nucléaire avec les USA, équilibre attesté par la sortie de la crise des missiles à Cuba, et les Etats-Unis sortis du Mac Carthysme et de son anticommunisme virulent sont confrontés à une grave crise politique interne : oppositions à la guerre du Vietnam, crise des droits civiques qui mettent à mal le manichéisme simpliste des années d’immédiat après guerre : le socialisme soviétique c’est le Mal, la démocratie capitaliste étasunienne c’est le Bien. Dès lors, des intellectuels engagés dans l’opération, tout en restant critiques de l’URSS, sont bien obligés de reconnaître que l’occident a les mains sales, que la CIA en particulier qui s’est beaucoup développée depuis sa création n’hésite pas à organiser des coups d’Etat à renverser des gouvernements étrangers. Ils sont obligés de prendre leurs distances. Donc la main de la CIA dans le Congres va être dévoilée au grand jour. L’attitude de ceux qui ont participé aux actions du Congres sera variable : certains joueront l’étonnement, d’autres avoueront qu’ils s’en doutaient, d’autres reconnaîtront plus tard qu’ils savaient mais que la fin justifiait les moyens.

Le livre de FSS dont la lecture est haletante comme celle d’un roman d’espionnage est aujourd’hui épuisé. Une réédition assortie d’une nouvelle préface de l’auteure et sous un nouveau titre « The cultural cold war » (« La guerre froide culturelle ») a été publiée en Angleterre en 2013 mais n’a pas été traduite en français. Une recension très complète de cette nouvelle version a été publiée en Amérique Latine et traduite en français (traduction jointe). FSS a poursuivi sa carrière comme productrice d’émissions historiques télévisées mais n’a pas écrit d’autres livres aussi retentissants que celui-ci.

Reste à examiner l’évolution des guerres culturelles depuis cet après guerre.

Ce qui ressort, c’est dès l’origine, l’imbrication de la CIA elle-même et des Fondations, celles-ci relayant les initiatives du « centre », les couvrant pour les naïfs, distribuant des bourses à des étudiants qui s’intéressent à des sujets sensibles et apportent pour un coût modique des connaissances sur tous les aspects de la vie sociale et politique dont « le centre » est avide.

Mais le système propagandiste capitaliste condamné à une certaine discrétion par la guerre et la défaite au Vietnam a franchi un nouveau pas avec la création en 1983 par Reagan de la NED (National Endowment for Democracy / Engagement national pour la démocratie). L’annonce publique de cette création ne doit rien au hasard. Elle fut faite par Ronald Reagan devant le parlement britannique le 8 Juin 1983 à l’invitation de Margaret Thatcher comme une sorte de rappel du discours de Fulton (discours de Churchill du 5 Mars 1946 lançant la guerre froide). La crise vietnamienne surmontée, l’URSS enlisée en Afghanistan, le tiers monde démoli par la crise de la dette, l’Amérique latine sous les bottes militaires, la contre révolution reaganienne était lancée. La NED permet en fait de sanctuariser la CIA dont le budget est voté chaque année par le Congrès US et donc soumis en droit à un certain contrôle parlementaire, de la soustraire à la curiosité publique, de lui laisser la responsabilité des actions dures et sales (assassinats, trafic d’armes, formation de groupes armés, de snipers…) souvent en prise directe avec la Maison Blanche maîtresse des Forces spéciales, et d’externaliser grâce à la NED la propagande idéologique et culturelle, bref de séparer dans le langage à la mode le soft du hard de la domination impérialiste.

L’objectif est de vendre sur le marché idéologique international l’emballage démocratique de la promotion des intérêts économiques capitalistes dominants, c’est-à-dire la fausse équation Marché capitaliste = Démocratie. Autant dire, et l’expérience historique l’a montré, qu’une décision démocratique prise par le gouvernement légal d’un pays étranger qui contrevient aux intérêts du grand capital étasunien fait perdre à ce pays le statut de Démocratie et l’expose à une mise à l’index par le QG capitaliste qui prend de multiples formes : boycotts, embargos, gel des avoirs à l’étranger, une vaste panoplie allant aujourd’hui jusqu’à la cyberguerre sous toutes ses formes. A ce titre la guerre contre le Venezuela bolivarien est emblématique.

L’appareil d’Etat conserve lui la maîtrise du pouvoir dur : appareil sécuritaire, services de renseignement et armée, l’action militaire restant l’ultime recours. Cette analyse a été longuement développée par William Blum (1933-2018) écrivain et journaliste étasunien dans son livre « Killing hope » 2003 (traduction française : « Les guerres scélérates », Ed Parangon 2004).

Depuis cette date cette action militaire s’est elle-même diversifiée et a pour objectif : zéro mort étasunien, quelques morts de mercenaires et le maximum de morts militaires et surtout civils chez l’adversaire. L’engagement au sol massif en Irak n’a pas été renouvelé et l’empire privilégie deux types d’action : le bombardement assorti de la recherche de l’instauration d’une zone de non survol par l’armée du pays souverain attaqué (revendication obtenue en Libye par la résolution du Conseil de Sécurité qui fut violée ensuite par les bombardements de l’OTAN et refusée par la Syrie) et l‘intervention de plus en plus massive des forces spéciales qui instaurent la guerre permanente universelle et non déclarée.

La NED institution non étatique, officiellement simple fondation privée, reçoit une dotation annuelle du Département d’Etat (fonds de l’USAID) donc à l’intérieur d’une enveloppe votée par le Congrès mais peut recevoir de l’argent de diverses fondations ou entreprises. Elle est dirigée par un Conseil d’administration comportant aujourd’hui 26 membres, panaché de démocrates et de républicains. Elle est en fait, en application de la Directive 77 signée par Reagan en janvier 1983, sous le contrôle du Conseil National de sécurité qui siège à la Maison Blanche. Son indépendance n’est donc que de façade. Cependant pour bien sceller la séparation avec la CIA, aucun agent de celle-ci ne doit siéger dans son Conseil d’administration d’une vingtaine de personnes où se retrouvent par contre en nombre, anciens ambassadeurs, anciens représentants des Etats-Unis à l’ONU, des anticastristes acharnés et last but not least l’idéologue de la domination impériale éternelle : Francis Fukuyama. La NED distribue directement des aides à des ONG étrangères sélectionnées et dispose en outre de quatre relais pour assurer des missions spécifiques dans leur domaine particulier, deux sont politiques, un pour le parti républicain International Republicain Institute (IRI), un pour le parti démocrate National Democratic Institute for International Affairs, deux sont économiques, l’un côté syndical, le Free Trade Unions Institute, l’autre côté patronal, Centre for International Private Enterprise, fondé par la Chambre de commerce américaine.

Ainsi le Free Trade Unions Institute, département spécialisé de l’AFL CIO que les connaisseurs du syndicalisme étasunien considèrent comme un service très fermé, sans liens avec le reste de l’appareil syndical national, peut intervenir pour aider à mettre en place une structure syndicale collaborationniste dans un établissement étranger d’une multinationale US confrontée à un conflit social, ou dans un pays où la confédération syndicale existante n’est pas sous contrôle ou pire est adhérente à l’actuelle FSM.

Pas étonnant non plus qu’avec de tels moyens (ceux de l’IRI) le fameux sénateur Mac Cain ait pu parcourir la planète entière pour aider et conseiller des mouvements politiques soutenus pas les Etats-Unis, de la Georgie à l’Ukraine, du Kirghizstan à la Libye, et récemment encore dans les zones djihadistes du nord-est de la Syrie, dans un pays où les Etats-Unis n’avaient plus d’ambassadeur. Dans ce cas Mac Cain faisait le travail. Du Congrès pour la liberté de la culture aux multiples activités de la NED, on assiste donc à la sophistication et à la diversification des méthodes de propagande idéologique et culturelle impériale, ce qui veut dire qu’il n’est nul besoin de se focaliser sur la seule CIA et que les Etats-Unis ont mis au point et perfectionnent sans cesse, en particulier par leur maîtrise des NTIC (nouvelles technologies de l’information et de la communication), un appareil d’hégémonie culturelle mondiale où le cinéma hollywoodien a eu dès l’origine une place importante.

Le talon d’Achille de ce dispositif est cependant de plus en plus visible car l’équivalence Marché Libre et Démocratie, est de moins en moins recevable. L’expérience concrète a démontré partout qu’il n’y a aucun lien entre la défense des intérêts d’Exxon, de Lockheed, d’Apple ou de Goldman Sachs et la démocratie. Quand les intérêts du Marché Libre et de ses bénéficiaires capitalistes sont défendus par des bases militaires dans plus d’une centaine de pays et des forces spéciales en opération partout, quand l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, le bras armé de l’empire, intervient en Afrique en Asie et maintenant en Amérique du Sud par l’entremise de la Colombie, quand le pays de la libre entreprise est le pays du monde qui a la plus grande population carcérale, le taux le plus élevé de crimes de sang et où les campagnes électorales dont le coût ne cesse d’augmenter, nécessitent des sommes telles que l’argent, en particulier celui du complexe militaro-industriel, est in fine le véritable arbitre des choix électoraux. Une vraie démocratie en Amérique signifierait la fin de l’impérialisme et serait la clé de la paix mondiale.


Annexe 1

La guerre froide culturelle : les intellectuels au service de la CIA
Par Ernesto Carmona (traduction Françoise Lopez)
22 mars 2015

Les 600 pages de « La CIA et la Guerre Froide Culturelle » de Frances Stonor Saunders, rapportent les millions d’efforts des Etats-Unis pour s’imposer sur la culture et sur l’art du camp socialiste.

Saunders caractérise la Guerre Froide comme la lutte pour le contrôle des esprits dans les blocs politiques – socialisme contre capitalisme – qui se sont affrontés jusqu’à la fin des années 80. L’efficacité du lavage de cerveau mis en place par la CIA expliquerait la soumission européenne d’aujourd’hui à la politique impériale de George W. Bush. « … Et la vérité vous rendra libres (Juan 8:32) » dit-on sur les murs de la CIA à Langley, Virginia. Cependant, l’agence a élevé le mensonge au niveau d’un idéal philosophique. Elle a forgé la doctrine du "mensonge nécessaire", mis les dollars et a amené la rhétorique sur les thèmes de la "liberté" et de la "culture". Ce prêche libertaire a inondé l’Europe et l’Amérique Latine tandis que les Etats-Unis appliquaient encore l’apartheid et expérimentaient des médicaments de "contrôle mental" sur des patients psychiatriques. Dans ces années-là, le FBI conduisit à la chaise électrique Ethel et Julius Rosenberg, lors d’un procès truqué tandis que le maccarthysme ruinait la vie de milliers de citoyens accusés d’être pro communistes. La CIA soutenait que l’Union Soviétique persécutait les artistes et les intellectuels dissidents, juste quand aux Etats-Unis la même chose se passait sous l’empire de la délation et de la chasse aux sorcières. Le passé qu’a abordé l’auteur est pratiquement identique au présent. Sauf que maintenant, le "communisme" est remplacé par le "terrorisme".

Le « Congrès pour la Liberté de la Culture » (CLC) a été l’instrument central de l’opération idéologique de la CIA, constitué comme une organisation située à Paris avec le soutien des services de renseignement français et britanniques. Washington "a payé la musique"… sans faire attention aux dépenses. Parmi les crimes et les coups d’Etat, la CIA s’est donné le temps de fonctionner aussi comme ministère de la Culture.

La revue Encounter – Rencontre – fut le "cuirassé enseigne" de cette opération. Ou mieux, le transatlantique de luxe du Congrès nord-américain parce qu’elle a payé des voyages, des hôtels, des bourses, des articles, des éditions, des concerts et des expositions. Peu d’artistes et d’intellectuels ont résisté à apparaître dans les 50 revues "culturelles" de la CIA et du CLC, à publier leurs livres avec de grands tirages, à ce que leurs morceaux de musique soient exécutés par l’Orchestre Symphonique de Boston ou que leurs œuvres soient montrées dans des expositions itinérantes du Musée d’Art Moderne de New York. La CIA a dupé ou a utilisé sciemment les intellectuels européens et latino-américains pendant plus de 20 ans. Quand The New York Times dévoila le pot au rose, en mai 1967, tous ont dit : « Je ne savais pas ». Encounter fit naufrage, lentement, cette même année, comme le Titanic mais… en 1996, elle fut remise à flot en Espagne sous le nom d’Encuentro. Sauf Jean-Paul Sartre, Albert Camus et quelques autres, l’Europe pensante est tombée dans les rets de la façade culturelle de la CIA, ourdie par l’agent Michael Josselson. Les intellectuels se montrèrent disposés à avaler le discours de « liberté culturelle » et à repousser tout ce qui sentait l’Union Soviétique. L’ "anarchiste" anglais George Orwell, qui fit office de militant actif recrutant des intellectuels qui hésitaient à intégrer cette mafia, mérite une mention spéciale dans ce livre.

Depuis le philosophe pacifiste britannique Bertrand Russell à l’idéologue démocrate chrétien Jacques Maritain, les esprits les plus brillants du Vieux Monde se sont mis au service des Etats-Unis. La croisade culturelle fut financée avec des parties secrètes du Plan Marshall et de l’argent blanchi par la CIA à travers une douzaine de fondations étasuniennes. Bertrand Russell présida la toile d’araignée du CLC international. Il démissionna quatre fois jusqu’à ce qu’en 1956, il s’éloigne pour toujours. Le centre, à Paris, eut aussi des succursales dans d’autres pays d’Europe, d’Amérique Latine et en Inde, en plus de l’American Committee for Cultural Freedom, qui fut dissout à New York en 1957 après de grandes luttes internes entre "durs" et "doux".

Le CLC accueillit comme directeurs, membres actifs ou sympathisants Igor Stravinsky, Benedetto Croce, T.S. Elliot, Karl Jaspers, André Malraux, Ignacio Silone, Jean Cocteau, Isaiah Berlin, Ezra Pound, Claude Debussy, Laurence Oliver, Salvador de Madariaga et beaucoup d’autres. Le leader du CLC au Chili fut Jaime Castillo Velasco, idéologue de la DC et courageux défenseur des droits de l’homme pendant la dictature. Quand le CLC s’est constitué à Berlin, en 1950, la CIA a payé les frais de 200 délégués et de 4.000 assistants reçus par le maire Ernest Reuter, un ex communiste qui avait connu Lénine. Entre autres, accoururent Arthur Koestler, Arthur Schlesinger Jr. (ensuite conseiller de J.F. Kennedy), Sydney Hook (ex membre de la gauche radicale), James T. Farrel, Tennessee Williams, l’acteur Robert Montgomery, David Lilienthal (chef de la Commission de l’Energie Atomique des Etats-Unis), Sol Levitas (éditeur de New Leader), George Schuyler (éditeur du Pittsburg Courier) et le journaliste noir Max Yergan. La présence de "gens de couleur" arrêtait les critiques européennes sur la ségrégation raciale. Y ont aussi participé :

– les britanniques : Hugh Trevor-Roper (qui resta critique et dès le début suspecta l’ingérence de la CIA), Julian Amery, A.J. Ayer, Herbert Read, Harold Davis, Christopher Hollis, Peter de Mendelssohn.

– les Français : Malraux, Jules Romain, Raymond Aron, David Rousset, Rémy Roure, André Philip, Claude Mauriac et George Altman.

– les Italiens : Ignacio Silone, Guido Piovene, Altiero Spinelli, Franco Lombardi, Muzzio Mazzochi et Bonaventura Tecchi.

Au festival Berliner Festwochen, organisé en 1964 par le maire de Berlín, Willy Brand, le CLC a financé la participation de Günther Grass, Jorge Luis Borges, Langston Hughes, Roger Caillois, Woly Soyinka, Cleant Brooks, Robie Macauley, Robert Penn, Warren James Merrill, John Thompson, Ted Hughes, Herbert Read, Peter Russel, Stephen Spender, Pierre Emmanuel, Derek Walcott et beaucoup d’autres parmi lesquels Keith Botsford, chargé de la CIA-CLC pour l’Amérique Latine.

La Fondation Fairfield fut la principale couverture de la CIA pour couvrir les frais. Dans la rubrique « Voyages et études », il y eut une multitude de bénéficiaires, parmi lesquels Mary McCarthy, le peintre chilien Víctor Sánchez Orgaz, le poète Derek Walcott, Patricia Blake, Margerita Buber-Neumann, Lionel Trilling et Alfred Sherman, collaborateur de The Spectator.

Les leaders du Comité Americain furent Hook, Irving Kristol – ensuite fervent partisan de Reagan – et Sol Stein, un trio d’ex membres de la gauche. Parmi les "doux" ont figuré Schlesinger, Koestler, Reinhold Niebuhr, Henry Luce, patron de Time-Life, James T. Farrel, Richard Rovere, de The New Yorker, Norman Thomas, ex président du Parti Socialiste et 6 fois candidat à la Maison Blanche et Phillip Rahv, directeur de Partisan Review.

Le CLC préférait des intellectuels de gauche non communistes ou, au moins, anticommunistes modérés comme Bertrand Russell. Mais à New York se sont imposés les "durs" comme Lionel et Diana Trilling, et les relations sionistes de Jason Epstein, James Burnham, Arnold Beichmann, Peter Viereck, Clement Greenberg, Elliot Cohen, directeur de Commentary, et les membres de la gauche Mark Rothko et Adolph Gottlieb. Peu d’écrivains et d’artistes n’ont pas écouté les appels du CLC, parmi eux Arthur Miller, Norman Mailer, Erskine Caldwell, Upton Sinclair, Howard Fast, Ben Shahn, Ad Reinhart, Paul Robeson, George Padmore et John Steinbeck, qui à succombé, à la fin de sa vie, en soutenant la guerre au Vietnam.

La CIA a payé la musique

Les Etats-Unis ont estimé que la musique muselle l’esprit et la sensibilité plus rapidement que d’autres arts. C’est pourquoi le lavage de cerveaux a commencé avec de grands concerts organisés par l’agent Nicolas Nabokov, un compositeur russe médiocre et raté – cousin de l’auteur de Lolita – qui a organisé des concerts et des festivals en recrutant des musiciens allemands sans être gêné par leur passé nazi. Bien payés, l’Orchestre Symphonique de Boston et la soprano noire Leontine Pryce ont joué. Yehudi Menuhin, son maître roumain Georges Enesco et les deux ex nazis Herbert Von Karajan et Wilhelm Furtwängler ont reçu des bourses et de l’argent.

Après son premier festival musical de 1951, Nabokov a obtenu des œuvres ou des actions de Stravinsky, Aaron Copland, Samuel Barber, du New York City Ballet, de l’orchestre Symphonique de Boston, de James T. Farell, W.H. Auden, Gertrude Stein, Virgil Thompson, Allen Tate, Glenway Westcott, la participation du Musée d’Art Moderne de New York et de beaucoup d’autres. Eux non plus n’ont pas refusé leur collaboration : Cocteau, Malraux, De Madariaga, Oliver, William Walton, Benjamin Britten, la Opera de Viena, l’Opéra de Covent Garden, la Troupe Balanchine, Czeslaw Milosz, Ignacio Silone, Denis de Rougemont et Guido Piovene. L’ensemble de 70 artistes noirs de l’opéra Porgy and Bess a été à l’affiche pendant presque 10 ans. Ont également joué Dizzy Gillespie, Marian Anderson, William Walfield et de nombreux artistes sélectionnés par un comité secret de représentations culturelles en coordination avec le Département d’Etat.

La promotion du livre et de la lecture

La CIA n’a pas détruit les livres. Elle a publié des millions d’exemplaires en plus de lancer derrière le « rideau de fer » des milliers de bibles. « Les livres sont différents de tous les autres moyens de propagande – a écrit un des chefs de l’Equipe d’Actions Secrètes de la CIA – essentiellement parce qu’un seul livre peut changer de manière significative les idées et l’attitude du lecteur jusqu’à un degré qui n’est pas comparable à l’effet des autres moyens, c’est pourquoi la publication de livres est l’arme de propagande stratégique (à longue portée) la plus importante ». « Faire que soient publiés et distribués des livres à l’étranger sans qu’apparaisse l’influence des Etats-Unis en subventionnant secrètement les publications étrangères ou les libraires » fut l’un des objectifs de la CIA. « Faire que soient publiés des livres qui ne soient "contaminés" par aucun lien public avec le gouvernement des Etats-Unis, en particulier si la situation de l’auteur est "délicate" ».

L’œuvre de T.S. Elliot, « Les Quatre quatuors », a été lancée comme du riz sur les pays socialistes alors que « la Terre Vaine » est reproduite encore et encore. Il y eut des versions cinématographiques des livres de George Orwell et on a réédité « Retour d’Union Soviétique » et « Le Zéro et l’Infini » et le « Livre Blanc de la révolution bulgare » de Melvin Lasky, un ex marxiste qui a maraudé dans le Kominform, la contrepartie soviétique du CLC. En fin de compte, les soviétiques n’ont rien fait de plus que répondre à ce que faisait la CIA.

Ont également été publiés des ouvrages de : Herbert Lüthy, Patricia Blake, Max Hayward, Leopoldo Labedz, Bertrand de Jouvenel, Nicolo Tucci, Luigi Berzini, Boris Pasternak, Nicolas Machiavel, André Gide, Louis Fischer, Richard Wright, et… Anton Tchekhov, traduit et publié par la Tchekhov Publishing Co., une maison d’édition secrètement subventionnée. La CIA a aussi publié des agents faisant partie de ses rangs comme John Hunt, James Michener et William Buckley, à qui l’agence commanda « d’aider un autre intellectuel, le marxiste péruvien Eudocio Ravines, à terminer son livre influent "El camino de Yenán" ». Les éditions de la CIA-CLC éditèrent aussi « La nouvelle classe » de Milovan Djilas, une étude sur la nomenklatura et d’autres textes "significatifs" édités par Frederick A. Prager Inc. Les "intellectuels eux-mêmes" publiaient des articles dans tous les médias influencés ou contrôlés par la CIA.

Compagnons de route

La CIA appelait « compagnons de route » les amis des communistes mais aussi a recruté les siens pour la CLC, de préférence des intellectuels progressistes bien vaccinés contre le virus du communisme. William Donovan, un des fondateurs de la CIA, se lia d’amitié en Europe avec Antoine de Saint-Exupéry et Ernest Hemingway. Hemingway, cependant, ne s’intéressa jamais au CLC et a fini par être espionné par le FBI pendant 25 ans jusqu’à sa mort, en 1961. Quand le Prix Nobel fut hospitalisé dans une clinique sous un faux nom pour soigner une dépression qui le conduisit au suicide, Edgard J. Hoover le sut. Hanna Arendt, ex amie du philosophe allemand Martin Heidegger – qui ne s’entendait pas mal avec les nazis – et son amie intime, Mary McCarthy, furent des compagnes de route notoires.

Se sont également impliqués, ont participé ou ont bénéficié (de ses largesses), d’autres notables comme Alberto Moravia, qui a assisté à un événement "culturel" organisé par Nabokov en 1960 sur l’île vénitienne de San Giorgio, avec John Dos Passos, Julian Huxley, Mircea Eliade, Thornton Wilder, Guido Piovene, Herbert Read, Lionel Trilling, Robert Pen Warren, Stephen Spender, Isak Dinesen, Naum Gabo, Martha Graham, Robert Lowell, Robert Richman, Franco Venturi, Iris Murdoch, Daniel Bell, Armand Gaspard, Anthony Hartley, Richard Hoggart et l’ Indien Jaya Praksash Narayan, parmi beaucoup d’autres. La Fondation Ford fut l’organisation qui blanchit le plus d’argent pour les activités "culturelles", bien que la CIA ait aussi mis en place ses propres couvertures sûres comme la Fondation Farfield dont le « bâton blanc » fut “Junkie” Fleischmann, un millionnaire folklorique qui finit par se croire "mécène" aux dépends de l’argent d’autrui. Ont également été utilisés les fondations et/ou les fonds Andrew Hamilton, Bacon, Beacon, Borden Trust, Carnegie, Colt, Chase Manhattan, Edsel, Florence, Gotham, Hobby, Hoblitzelle, Kentfield, Josephine and Winfield Baird, J.M. Kaplan, Lucious N. Littauer, M.D. Anderson, Michigan, Rockefeller, Ronthelyn Charibable Trust, Shelter Rock, Price, etc.

L’argent a circulé dans un enchevêtrement de sociétés culturelles dans les conseils desquelles revenaient les noms de directeurs de fonds, de fondations, de banques et même d’agents de la CIA. L’agence devint maître dans l’art de l’évasion fiscale pour ses "donations" secrètes et rendit difficiles les investigations que fit dans les années 60 la congressiste Wright Patman et le sénateur Frank Church dans les années 80.

Les revues

Les revues financées par le CLC-CIA ont donné du travail à une multitude de collaborateurs médiocres et inconnus. Le plan était de « faire naviguer en première classe des figures de seconde » en compagnie d’intellectuels importants qui savaient ou non pour qui ils travaillaient. L’agence de presse Forum World Features et les radios Europa Libre et Liberty ont employé une multitude de journalistes et d’intellectuels. La première revue fut Der Monat, fondée à Berlín en 1949 comme « pont idéologique » avec les écrivains européens, dirigée par Lasky qui faisait partie du trio qui créa ces réseaux (avec Nabokov et Joselsson).

Encounter parvint à être la plus importante, aussi dirigée par Lasky, grand censeur des articles critiques envers les Etats-Unis écrits par des auteurs qui, de bonne foi, croyaient faire « du journalisme libre d’opinion ». Preuves a été fondée à Paris en 1951 pour s’opposer à la revue Les Temps Modernes de Sartre et Simone de Beauvoir. Paris Review apparut en 1953, animée par George Plimpton et l’agent de la CIA Peter Matthiessen. Là, travaillait Frances Fitzgerald, la fille du chef de la CIA chargé de planifier l’assassinat de Fidel Castro.

En Italie apparurent Liberta della Cultura et Tiempo Presente (1956), animées par Silone et Nicola Chiaromonte, un défi à Nuovi Argumenti (1954), d’Alberto Moravia. Nuova Italia, dirigée par Michael Goodwin, a seule reçu des subventions. Otro grupo, dans lequel était aussi Silone, a aussi animé à Londres Censorship (1964-67), qui, en 1972, réapparut comme Index on Censorship, financée cette fois par la Fondation Ford. Le périodique de gauche français Franc-Tireur reçut des subventions du CLC ainsi que Le Figaro Littéraire. En arabe apparut Hiwar, en 1962. Transition, en Uganda, 1968, Quadrant en Australie – existe toujours – , Quest en Inde, 1955, et Jiyu au Japón. Il y en eut 4 autres qui firent partie de ce vaste écheveau : Forum, National Review, Science and Freedom et Soviet Survey.

Aux Etats-Unis, il y eut des publications propres et d’autres subventionnées par l’achat d’exemplaires que la CIA-CLC distribuait en Europe et dans le reste du monde : Partizan Review, Daedalus, Hudson, Kenyon, Poetry, Sewanee et The Journal of the History of Ideas. La CIA amenait les plumes de Koestler, Chiaromonte, Mary McCarthy, Alfred Kazin et d’autres pour le compte de l’American Committee. New Leader, à la charge de Levitas, recevait des subventions de Times Inc. en échange « d’informations sur les tactiques et les personnalités du communisme dans le monde entier ».

Un livre à fin ouverte

Cuadernos fut lancé à Paris en 1953 pour pénétrer le monde intellectuel de l’Amérique Latine. Son premier directeur fut Julian Gorkin, dramaturge et romancier espagnol, cofondateur, en 1921, du Parti Communiste de Valence (Espagne) et ex activiste du Cominform. Après que Cuba ait popularisé la revue Casa de las Américas, Cuadernos devint dans les années 60 Mundo Nuevo, sous la conduite de l’Uruguayen Emir Rodríguez Monegal. Les grands de la littérature régionale, comme l’Argentin Julio Cortázar, refusèrent de publier dans ses pages.

Le CLC n’existe plus mais la CIA n’a pas abandonné sa mission.

En 1996, est lancée à Madrid la revue Encuentro, dirigée par le Cubain Jesús Díaz, avec un financement de la Fondation Ford et du Fonds National pour la Démocratie, « une organisation privée sans but lucratif » créée en 1983 « pour promouvoir la démocratie à travers le monde ». Elle finance aussi au Venezuela les organisations patronales qui conspirent contre le gouvernement d’Hugo Chavez.
« Il y a toujours la possibilité qu’un livre de fiction projette une certaine lumière sur les choses qui auparavant ont été racontées comme des faits » écrivait Hemingway dans le prologue de « Paris était une fête ». Saunders a fait le contraire : elle a relaté des faits véridiques pour démonter une fiction qui concerne aussi le présent. Une fois de plus, la réalité dépasse la fiction. Comme le sale jeu n’est pas terminé, l’histoire a une fin ouverte.

L’Espagnol Javier Ortiz se pose une question inévitable : « Quels seront les professionnels espagnols de la communication qui travaillaient pour la CIA ? Je ne parle pas des gens qui l’ont fait sans en avoir conscience – de ceux-là, il peut y en avoir des tonnes – mais de ceux qui le font en pleine connaissance de cause parce qu’ils sont sur la liste du personnel ». Les doutes d’Ortiz sont valables sur toute la planète et pour toutes les professions liées à la culture.

***
Annexes : extraits du livre de Frances Stonor Saunders

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