Entretien avec Salah Adli, secrétaire-général du Parti communiste égyptien
« On est entré dans la seconde phase de la révolution » Entretien réalisé par « Nameh Mardom », organe central du Comité central du Parti communiste d’Iran (Tudeh)

, par  communistes , popularité : 2%

Je voudrais tout d’abord adresser mes salutations au Parti Tudeh et lui souhaiter tout notre succès dans sa lutte. Je voudrais également saluer le journal « Nameh Mardom » pour me donner l’occasion de jeter la lumière sur les événements historiques qui se déroulent en Egypte.

Q1 – Dans sa dernière déclaration (le 3 juillet), le Parti communiste d’Égypte fait référence à des manifestations de masse qui ont intégré diverses classes et couches de la société. Quelles sont les classes et les couches de la société égyptienne qui se sont mobilisées lors de la seconde vague de la révolution du 30 juin ?

Salah Adly :
Depuis le début de la révolution du 25 janvier 2011, le mouvement de protestation n’a pas fléchi, et on a continué à assister à des manifestations de plusieurs millions de personnes, autrement dit, l’état d’éveil révolutionnaire des masses a toujours été là, tantôt s’apaisant tantôt s’embrasant. Les manifestations et les grèves des travailleurs sont également montées en puissance. Après le succès de Morsi et avec les Frères musulmans au pouvoir, les masses ont découvert leur nature autoritaire, fasciste, leur parti-pris pour les intérêts des fractions les plus réactionnaires et parasitaires du capitalisme, et leur incapacité à gérer un État de la taille de l’Égypte. Par ailleurs, leur trahison des intérêts de la patrie et leur prédisposition à agir comme un grand intermédiaire voué à préserver les intérêts de l’Amérique et d’Israël dans la région est apparue au grand jour. Ils ont conclu la trêve à Gaza et donné à l’Amérique et à Israël ce que même le régime clientéliste de Moubarak n’avait osé donner. Leur projet communautaire et obscurantiste, hostile à la démocratie, à la science, à la culture et à la tolérance, est devenu manifeste. Plus important, les masses ont découvert le caractère fallacieux de leur usage de slogans religieux pour masquer leurs plans au service du projet du « Grand Moyen-Orient » et du « chaos créateur ».

Ainsi, le nombre de protestations sociales (grèves, sit-ins, manifestations et piquets) a atteint le chiffre de 7 400 – de l’aveu même de Morsi – l’an dernier. Le taux de chômage a atteint 32%, la plupart des chômeurs disposant pourtant de qualifications moyennes ou élevées. La dette extérieure a grimpé de 34 à 45 milliards de $. La dette intérieure a augmenté de 365 milliards de livres égyptiennes au cours du règne de Morsi. La part de personnes vivant en-dessous du seuil de pauvreté dépasse les 50% de la population. Pour résumer, la plupart des classes et couches de la société – et ses forces libérales, nationalistes et de gauche, tout comme les mouvements de jeunesse, la plupart sur des orientations de gauche et nationalistes, à quoi s’ajoutent les principales institutions étatiques, en particulier l’armée, la justice, les médias et la police – ont senti qu’il y avait un grand danger à ce que les Frères musulmans restent au pouvoir, avec leur quête ardente de la monopolisation du pouvoir et leur volonté d’exclure quiconque n’est pas avec eux, tous ceux qui ne sont pas leurs alliés, avec ces groupes terroristes qui utilisent la religion comme d’un masque.

Même des fractions importantes de la moyenne et grande bourgeoisie égyptienne dans les secteurs du tourisme, de l’industrie, du commerce, de l’agriculture et du bâtiment se sont senties menacées dans leurs intérêts par le règne des Frères musulmans qui créaient une atmosphère de chaos, d’insécurité et d’instabilité.

Le mouvement « Tamarud » (rébellion) est parvenu à rassembler 22 millions de signature pour le retrait de la confiance accordée à Morsi et l’appel à des élections présidentielles anticipées. Tous les partis, tous les syndicats et organisations ont participé à la collecte de signatures, et la campagne s’est diffusée à nos rues, nos usines, nos écoles et universités, et aux villages de tous les gouvernorats d’Égypte. La grande portée de cette campagne est qu’elle a été en mesure d’impliquer activement les citoyens égyptiens dans le mouvement révolutionnaire pour faire tomber le pouvoir des Frères musulmans. Elle a également rétabli le caractère pacifique et démocratique de l’action révolutionnaire, et formé la base d’une remise en cause du voile sacré de fausse légitimité du bulletin de vote comme seul critère de légitimité, et de validité d’un système démocratique. L’appel à une collecte de signatures s’est accompagné d’un appel à des manifestations dans toutes les places d’Égypte le 30 juin, comme un test majeur de la crédibilité de cette campagne, et comme une base pour la légitimité révolutionnaire des masses à faire chuter ce régime fasciste et déjouer le projet d’un État religieux.

La réaction des masses égyptiennes a été extraordinaire, et ce furent les plus grandes manifestations de l’histoire de l’Égypte, si ce n’est de l’histoire du monde. On a pu le vérifier par « Google earth ». Plus de 27 millions de manifestants sont sorties dans les rues en même temps dans tous les gouvernorats d’Égypte, représentant diverses classes, couches de la société égyptienne, face à des manifestations qui ne dépassaient pas 200 000 personnes du côté des Frères musulmans et de leurs alliés sur une petite place du Caire. Donc, on avait d’un côté le peuple égyptien, de l’autre les Frères musulmans et leurs alliés, isolés. C’est la réalité du tableau. C’est la réalité sur laquelle toute évaluation de la société ou toute analyse politique scientifique doit se baser.

Nous pensons que ce qui s’est passé le 30 juin est une seconde vague de la révolution égyptienne, plus forte et plus profonde que la première en 2011. Elle est là pour corriger la voie suivie par la révolution et la reprendre aux forces religieuses extrémistes qui conspirent pour voler la révolution et surfer sur la vague pour atteindre leurs objectifs fascistes et réactionnaires, et répondre aussi aux projets de l’impérialisme mondial.

Q2 – Quel est le degré de participation des travailleurs, des ouvriers dans ces manifestations ? Pourquoi les travailleurs participent-ils à la lutte contre l’Islam politique pour les droits démocratiques ?

Salah Adly : les slogans fondamentaux de la révolution de Janvier étaient : pain – liberté – justice sociale – dignité. C’est un lien essentiel de la révolution national démocratique, et qui est survenu après une longue phase historique qui a commencé dans les années 70, avec la domination du grand capital dépendant et un cycle de recul, d’arriération et de tyrannie. Durant cette période, les forces réactionnaires, en collaboration avec l’impérialisme mondial et la réaction arabe, sont parvenues à renforcer un climat qui a permis au courant de l’Islam politique – en particulier les Frères musulmans – de se développer. Les forces de la gauche ont été affaiblies, les travailleurs déplacés et les grandes industries liquidées portant un coup à toute potentialité de réaliser un développement harmonieux.

En fait, les travailleurs étaient impliqués dans la plupart des protestations qui ont monté à partir de 2006 et ont participé à toutes les manifestations populaires, comme une partie du peuple, et non organisés sur une base de classe. Cela est dû à l’absence de fortes organisations syndicales, elle-même héritage d’une tyrannie et d’une répression gouvernementale cherchant à contrôler les syndicats. C’est aussi le résultat de grandes transformations, dans la période précédente, dans la structure de classe et la composition de la classe ouvrière dans plusieurs secteurs. Elle se trouve désormais dans les PME contrôlés par le secteur privé, où les travailleurs ne peuvent pas former de syndicats. La classe ouvrière n’est pas apparue de façon claire en tant que classe dans la révolution. Par manque d’unité réelle entre les forces de gauche et par sa faiblesse dans la phase précédente pour de nombreuses raisons, que nous ne pouvons mentionner ici faute de temps, le mouvement ouvrier n’a pas émergé de façon efficace ni influente, par rapport à l’ampleur de sa participation et les grands sacrifices consentis dans la révolution.

Il est important de spécifier que les travailleurs du secteur public ont découvert que les pratiques et les attitudes des Frères musulmans ne diffèrent pas des orientations du régime de Moubarak, elles sont même pires. Les Frères musulmans ont mis en œuvre les mêmes politiques, la poursuite du programme de privatisation et la libéralisation des prix, ils n’ont pas augmenté le salaire minimum alors que c’était une des premières exigences de la révolution. Ils ont même réduit les impôts pour les patrons, continué la privatisation des services et refusé de mettre en place un programme d’assutance-santé. Ils ont insisté pour brader et hypothéquer le patrimoine public égyptien et ses institutions à travers le projet de « bons islamiques » qu’ils se sont empressés de faire adopter à la Choura (la chambre haute du parlement) contrôlée par les Frères musulmans. Leur position la plus dangereuse fut leur refus d’accepter la loi qui garantissait la liberté syndicale, dont ils avaient pourtant convenu avec toutes les forces politiques et courants syndicaux avant la révolution, et ils ont remplacé les hommes de Moubarak, dans le Syndicat général des travailleurs égyptiens contrôlé par l’État, par leurs propres hommes. Voilà la base sociale et démocratique qui explique le choix réalisé par la classe ouvrière pour la révolution contre le pouvoir des Frères musulmans et des forces de l’Islam politique, en plus d’autres raisons que j’ai déjà mentionné.

Ceux qui imaginent que les travailleurs ne se sont révoltés qu’en raison de lutte de clans ou que pour des raisons économiques se trompent. Les travailleurs sont très conscients des dangers que porte le projet des extrémistes religieux et leurs pratiques fascistes dans tous les domaines, démocratique, politique, économique, social et national.

Q3 – Dans vos communiqués, le PC d’Égypte caractérise les événements actuels comme une révolution … Quelles sont la nature, les tâches et les revendications immédiates portées par la révolution ?

Salah Adly : Oui, ce qui se passe en ce moment est une révolution. Pour être précis, c’est la seconde grande vague de la révolution de janvier 2011, puisque sa première vague a été interrompue, confisquée par les Frères musulmans en dépit du fait qu’ils n’y ont pas participé, n’ont pas appelé à la révolution ni ne l’ont faite. C’est une révolution démocratique avec une orientation clairement sociale et patriotique. Elle continue, et des couches sociales ainsi que des forces politiques très diverses (libéraux, nationalistes et forces de gauche) y ont participé. Avec la poursuite du mouvement révolutionnaire, la vérité s’est révélée sur les diverses positions, et les parti-pris de ces forces et leur volonté de continuer sur la voie de la révolution se dévoilent.

Les premières tâches démocratiques de la révolution sont de promulguer une nouvelle constitution civile démocratique qui mettent l’accent sur les droits de l’Homme, les droits des femmes et les droits économiques et sociaux des travailleurs, et qui n’entrave pas le droit du peuple à choisir son système politique et économique à l’avenir, en fonction du rapport de forces. Ainsi l’objectif de faire tomber cette Constitution communautaire, réactionnaire et déformée, plutôt que de l’amender, est un objectif fondamental pour les forces démocratiques et progressistes, à l’heure actuelle.

Une des tâches de la révolution démocratique est aussi de garantir la liberté de former des syndicats, partis politiques et associations sans ingérence gouvernementale, en rejetant la formation de partis politiques sur une base religieuse et communautaire, la pleine égalité entre hommes et femmes en droits comme en devoirs, l’égalité devant la loi et la criminalisation des discriminations, religieuses ou autres.

Parmi les tâches sociales : il y a l’élaboration d’un vaste plan de développement social reposant sur le soutien aux secteurs productifs avec la nécessité d’une répartition équitable des richesses produits au profit des pauvres et des travailleurs, en répondant à quelques exigences sociales immédiates. La priorité numéro un, c’est la mise en place d’un salaire minimum et maximum et de le fixer sur l’évolution des prix, annuler la dette des petits paysans, revoir le budget pour donner plus d’argent à la santé et à l’éducation, la construction de logements pour les personnes à bas revenus, augmenter les taxes sur les riches, reprendre possession des grandes entreprises qui ont été privatisées et lutter contre la corruption.

Les tâches nationales sont : s’opposer à la dépendance envers les États-Unis, refuser de succomber à l’hégémonie sioniste, revoir l’accord de Camp David, rétablir le rôle national de l’Égypte à l’échelle arabe, africaine, régionale et internationale, et approfondir les relations avec les pays et les peuples du Tiers-monde.

Q4 – Est-ce que les événements actuels en Egypte signifient le rejet par les Égyptiens de l’ « Islam politique » ou seulement le rejet des « Frères musulmans » ?

Salah Adly : Les Frères Musulmans sont l’organisation la plus efficace et la plus influente de toutes celles que compte l’Islam politique. Toutes les autres organisations, y compris les groupes djihadistes et salafistes, étaient des alliés des Frères musulmans et sont sortis dans la dernière bataille pour défendre leur régime car ils savent que leur défaite signifierait un revers cuisant pour le projet communautaire islamiste qui est soutenu par l’administration américaine comme une alternative à l’effondrement des régimes autoritaires. Seul le parti salafiste Al-Nour a été exclu de l’alliance lors de la dernière bataille pour des considérations liées à ses relations avec l’Arabie saoudite, bien que nous sachions qu’il s’agit d’un parti réactionnaire et communautaire, opposé aux droits de l’Homme et à ceux des femmes et des minorités, y compris des autres sectes islamistes. C’était manifeste quand ils incitaient les gens à commettre des crimes, à tuer les Chiites et à traîner leurs corps dans le massacre horrible qui s’est produit dans un village le mois dernier.

Nous croyons que la bataille n’est pas terminée, et on a besoin d’une lutte politique, sociale et culturelle pour écraser la résistance et changer le climat général de ces dernières décennies.

Mais ce sur quoi nous aimerions attirer votre attention, c’est que ce qui se produit en Égypte actuellement n’est pas seulement un affrontement entre les Frères musulmans et leurs alliés de la droite religieuse, et l’appareil de sécurité de l’État. Ils se retrouvent confrontés à l’ensemble du peuple égyptien, toute religion et courants confondus, ainsi qu’à l’ensemble des institutions étatiques, y compris la justice, les médias et la culture. Dans les quartiers et dans les villages, les Frères musulmans se retrouvent face aux masses égyptiennes, ayant perdu le soutien de larges couches de la population au cours des deux dernières années. Mais l’armée et les forces de sécurité auront un rôle important à jouer dans leur affrontement contre les milices terroristes armées.

En bref, nous voyons que ce qui s’est passé constitue un revers majeur pour les desseins de la droite religieuse en général, et pas seulement pour le projet des Frères musulmans. Cela aura des implications majeures pour la région, dans la période à venir.

Q5- Quelle est votre opinion sur les arguments selon lesquels le renvoi de Morsi n’est pas démocratique car il a été élu légalement et qu’une nouvelle constitution a été ratifiée par référendum. Morsi a-t-il été renversé par l’armée égyptienne ?

Salah Adly : Ceux qui ont viré Morsi, ce sont les 22 millions de citoyens égyptiens qui ont signé un document contenant leur signature, leur nom, leur numéro de carte d’identité et le nom de leur province, écrits à la main plutôt que sur Internet, dans un référendum inédit qui a culminé dans une « grande sortie » sur toutes les places et dans toutes les rues du pays, avec 27 millions de manifestants le 30 juin, pour quatre jours consécutifs. C’est Morsi qui a lui-même perdu toute légitimité lorsqu’il a publié sa déclaration constitutionnelle dictatoriale en novembre 2011. C’est Morsi qui a piétiné les droits de l’Homme lorsque ses partisans terroristes ont assiégé la Cour constitutionnelle, quand ses milices ont torturé des manifestants devant le palais présidentiel al-Ittihadyah Palace comme le montre l’enquête menée par le bureau du procureur, et quand ses hommes ont tué des manifestants devant le QG du Parti de la Justice et de la liberté (la branche politique des Frères musulmans) sous les ordres explicites du leader du groupe et de son bras droit, comme les tueurs l’ont admis devant le procureur. C’est Morsi qui a renié ses promesses lorsqu’il avait annoncé qu’il amenderait la constitution et formerait un gouvernement de coalition. Lui et son groupe se sont soumis avec zèle aux conditions du Fonds monétaire international, et ont aussi déclaré le Djihad contre la Syrie, lors d’une conférence de forces djihadistes terroristes, sans en faire référence ni à l’armée ni au Conseil de défense national.

Par conséquent, toutes les forces politiques et tous les partis, même les Salafistes du parti Al-Nour, qui ont quitté le navire avant qu’il ne coule, ont soutenu l’idée d’élections présidentielles anticipées. Cet appel n’est pas un coup d’État contre la démocratie, au contraire, il émane du cœur de la démocratie populaire quand tout président trahit ses engagements envers le peuple et le programme sur lequel le peuple l’a élu.

Limiter la cause de la démocratie juste au « bulletin de vote » est un détournement total de l’essence de la démocratie et un rejet explicite du droit des peuples à se révolte contre leurs dirigeants autocratiques et les régimes fascistes qui instrumentalisent la région pour masquer leur nature réactionnaire et leur orientation capitaliste et de droite.

La défense de Morsi par les Etats-unis et les États capitalistes occidentaux, le fait de réduire la question à un « coup militaire » contre une « légitimité constitutionnelle » est une position formelle qui cache le fait que l’impérialisme mondial est terrifié par les révolutions populaires et leur incapacité à dépasser les frontières étroites de la démocratie bourgeoise qui dans le fond ne représente que la forme optimale de défense des intérêts des grands monopoles et de leurs agents locaux, dans le contrôle de la destinée des peuples du Tiers-monde.

Ce qui s’est passé n’est aucunement un coup militaire, mais plutôt un coup révolutionnaire du peuple égyptien pour se débarrasser d’un régime fasciste. Ce que l’armée a fait, c’est exécuter la volonté du peuple et le protéger des complots des Frères musulmans et de leurs alliés terroristes armés qui veulent attiser les conflits communautaires et les guerres civiles, diviser l’armée égyptienne et détruire les institutions de l’État égyptien afin de servir les intérêts de l’impérialisme et du sionisme dans la région.

A quel genre de coup militaire assiste-t-on lorsque des dizaines de millions de personnes se trouvent dans les rues ?!! Quel genre de coup militaire quand le responsable de la Cour constitutionnelle a déjà pris le pouvoir, ce qui était demandé par le Front de salut, qui comprend toutes les forces d’opposition dans leur diversité et par le mouvement de jeunesse « Tamarud », et ce qui avait été adopté par les masses égyptiennes ?! Quel genre de coup militaire quand un gouvernement est constitué de civils compétents sera formé et aura pleins-pouvoirs pendant une période transitoire qui n’excédera pas un an et se conclura par la promulgation d’une constitution civile démocratique, et des élections présidentielles et législatives que tout le monde voulait ? Quel genre de coup militaire autorise le droit à des manifestations pacifiques, même de ses opposants, et n’impose pas un état d’urgence ? La déclaration d’Al-Sisi, chef de l’armée égyptienne, dans laquelle il affirme que la feuille de route pour la phase de transition, n’a été annoncée qu’après un dialogue et un consensus avec les représentants du peuple égyptien, y compris la jeunesse du mouvement « Tamarud » (Rébellion), les représentants du Front de salut, le cheikh d’Al-Azhar, le pape copte et un représentant des femmes. Le peuple égyptien a fêté sur les places, dans les quartiers, les villages cette grande victoire pour le peuple égyptien et la coopération de l’armée à ses aspirations.

Nous devons, comme nous l’enseigne le marxisme, analyser la situation concrète et ne pas limiter notre vision à des préjugés rigides ou à des formules toutes prêtes. N’est-il pas intéressant de noter que les médias occidentaux ont fermé les yeux face à tout cela, refusant de voir la réalité et insistant à décrire ce qui se passait comme un coup militaire ?!

Néanmoins, nous tenons à rester vigilant dans la phase qui s’annonce, pour s’assurer que le rôle de l’Armée dans cette phase se limite à la protection du peuple et de la sécurité nationale égyptienne, qu’elle respecte ses promesses de ne pas s’ingérer directement dans les affaires politiques, pour enfin s’assurer que le peuple reste dans la rue pour gagner la mise en œuvre de leurs revendications dans la phase de transition.

Q6 – Quelle est votre analyse de la position des États-Unis sur les événements en Égypte ?

Salah Adly : Les Etats-unis ont été pris par surprise par la révolution de janvier 2011, mais ils avaient préparé des solutions de rechange en Égypte avant, lorsqu’ils ont senti que le régime de Moubarak commençait à être usé. Ils sont donc intervenus directement après sa chute pour former une alliance entre l’ancien Conseil militaire et les Frères musulmans pour remettre le pouvoir aux Frères musulmans après avoir promis de servir les intérêts des États-Unis, de garantir la sécurité d’Israël et de poursuivre une politique économique néo-libérale, contraire aux intérêts des masses populaires.

Mais les États-Unis ont découvert, après un certain temps, toute l’étendue de l’incapacité des Frères musulmans à gérer le pays, leur déficit en personnes compétentes et leur alliance persistante avec les groupes djihadistes plutôt qu’avec les forces libérales et plutôt que d’unir les gros capitalistes dans un système stable basé sur la remise du pouvoir entre les mains de cette classe, tout en préservant les intérêts américains. Les États-Unis tenaient dans le même temps à préserver les intérêts et les privilèges de l’armée afin de se garantir leur loyauté.

Mais les États-Unis étaient dans le même temps effrayés de la poursuite de cette situation révolutionnaire en Égypte, de la montée des protestations ainsi que du rejet populaire du pouvoir des Frères musulmans. Ils ont aussi fait pression sur les Frères musulmans pour mener à bien les réformes, et ont aussi fait pression sur les forces de l’opposition libérale, en particulier celles représentant les intérêts du grand capital dans les partis Wafd, le Parti des Égyptiens libres et le Parti de la constitution pour qu’elles précipitent les élections législatives, mettent fin à leur alliance avec les forces de gauche et rejettent les orientations révolutionnaires des mouvements de jeunesse qui croient que les objectifs de la révolution et la chute du régime des Frères musulmans ne peuvent être atteints que par une grande révolution populaire, et boycottent les élections.

Quand « Tamarud » (Rébellion) et son idée géniale d’ôter toute légitimité à Morsi ont réussi, cela a placé tout le monde devant un dilemme, quand de vastes couches de la population ainsi qu’une bonne partie des forces politiques y ont répondu. Cela a mis un terme aux hésitations des forces politiques, elles se sont ralliées à l’option populaire de renverser Morsi et d’organiser des élections présidentielles anticipées. Cette revendication a fait monter l’appel au renversement du régime des Frères musulmans, à la modification de la Constitution et à un changement de cap dans la révolution, avec une nouvelle légitimité révolutionnaire et une nouvelle phase transitoire sur des bases acceptables.

Les Frères musulmans, les Américains, l’armée, et mêmes les forces de l’opposition politique et la jeunesse, n’imaginaient pas que la riposte populaire atteindrait une telle ampleur qu’elle forcerait tout le monde à accomplir la volonté populaire.

Nous savons que les États-Unis ont exercé des pressions de façon flagrante sur les chefs de l’armée et les forces politiques libérales pour qu’on ne renverse pas Morsi et qu’il puisse continuer à mettre en œuvre les grosses réformes. Mais c’était trop tard, tout le monde avait compris que le peuple avait parlé et que l’alternative serait l’escalade de la guerre civile, du terrorisme et des conflits communautaires, ouvrant la porte à une intervention étrangère.

Arrivés à ce point critique qui a conduit au renversement de Morsi, l’intervention de l’armée s’est déroulée dans des conditions qui servaient les objectifs de la révolution, dans cette phase.

Il est intéressant de noter que c’est la première fois que l’armée égyptienne a désobéi à des ordres américains, ayant réalisé les grands dangers auxquels elle s’exposait, ainsi que toute la nation, si elle refusait de soutenir la révolution.

Les forces démocratiques et nationales réalisent que les leaders de l’armée ont des intérêts et des privilèges qu’ils veulent conserver, et qu’ils veulent avoir un rôle dans le système de pouvoir sans ingérence politique directe. Nous croyons qu’il faut le prendre en compte à cette étape, en insistant sur la nécessité de corriger graduellement ces choses dans la phase suivante.

Nous nous attendons à ce que les États-Unis, dans la situation actuelle, fomente des complots pour attiser les conflits, l’instabilité et soutiennent ces groupes qui veulent installer le chaos afin de réaliser ces projets de « chaos créateur », de faire de l’Égypte un autre Irak. C’est ce qui s’est passé et qui a été exposé au grand jours lors de la conspiration du 5 juillet. Ce complot a été qualifié par la jeunesse d’ « agression tripartite : États-Unis, Israël et Frères musulmans » contre le peuple d’Égypte. Ce plan visait à faire capoter la révolution, remettre Morsi, semer le chaos et la terreur par des manifestations qui auraient occupé les places de la Libération en utilisant des armes et le terrorisme, en lançant une campagne de rumeurs et une guerre de désinformation sans précédent en Egypte afin de créer des divisions entre le peuple et l’armée, et au sein de l’armée, et de comploter avec des groupes djihadistes au Sinai afin de le déclarer région libérée en collusion avec Israël et les groupes islamiques à Gaza.

L’Égypte a vécu des heures critiques après le discours de terrorisme et d’intimidation prononcé par le leader du groupe fasciste, des Frères musulmans, à ses partisans sur la place Rabi’a al-Adawiyya à Nasr City, au Caire. Ce fut le signal de départ d’un grand complot contre la volonté populaire. CNN comme BBC arabe ont joué un rôle dangereux dans ce complot. Mais le peuple et l’armée ont été capables de déjouer cette intrigue et le rôle honteux joué par l’Amérique. La trahison du peuple et de la patrie par les Frères musulmans a encore une fois pu être constaté. Ce fut un coup majeur porté aux desseins de l’impérialisme, surtout américain, dans la région, une réaffirmation du triomphe de la révolution et de la volonté du peuple sur les forces de la contre-révolution.

Q7 – Comment jugez-vous le nouveau président par intérim, Adly Mansour, et que doit-il faire maintenant ?

Salah Adly : C’est un juge reconnu pour son intégrité et sa compétence, il n’a pas exprimé de préférences politiques ni adopté certains parti-pris. Le discours qu’il a fait après avoir prêté serment et pris son poste de président par intérim pendant la phase de transition était un bon discours, positif. Il a insisté sur le fait que c’était le « peuple seul » qui l’avait autorisé à prendre cette place, et que les pouvoirs qui lui étaient conférés étaient honorifiques, mais que la véritable autorité résidait dans le premier ministre qui sera choisi par consensus parmi les forces nationales et la jeunesse, et qui sera chargé de mettre en place les missions convenues par les forces nationales, démocratiques et sociales. La priorité numéro un pour le gouvernement sera d’arrêter l’effondrement économique, répondre aux revendications imminentes des travailleurs et garantir la sécurité.

Nous ressentons la nécessité à ce que continue à se manifester une pression populaire dans les rues, ce qu’a confirmé le discours d’Al-Sisi, protégeant le droit à la manifestation pacifique. Cela garantit qu’il n’y aura pas de déviation de ce qui a été convenu, que l’armée n’interviendra pas sauf dans les limites convenues pour assurer le succès de cette difficile phase transitoire.

Q8 - Quels sont les principaux défis que rencontre votre parti, en particulier par rapport aux autres forces politiques et à la création d’une alliance unifiée ?

Salah Adly : Le principal défi reste d’unir les forces de gauche pour affronter les grandes tâches qui nous incombent dans la période. Les plus importantes sont :

- 1 – S’assurer de la réalisation des objectifs et des tâches de la phase transitoire ;
- 2 – Obtenir un consensus sur un seul candidat des forces nationales et démocratiques pour mener la bataille des élections présidentielles ;
- 3 – Former un front des forces de gauche, des nassériens, du mouvement de jeunesse et des organisations syndicales ; préparer des listes communes pour les prochaines élections législatives et locales ; exercer des pressions pour s’assurer qu’il n’y aura pas de retrait de l’objectif de changement de cap de la révolution, dans la phase transitoire ;
- 4 – Chercher à renforcer et développer la structure de notre parti, renouveler le parti avec du sang frais et développer son programme afin qu’il puisse faire face aux grands défis auxquels il est confronté.

Voir en ligne : Traduction JC pour http://solidarite-internationale-pcf.over-blog.net/

Sites favoris Tous les sites

3 sites référencés dans ce secteur

Brèves Toutes les brèves

Navigation

Annonces

  • (2002) Lenin (requiem), texte de B. Brecht, musique de H. Eisler

    Un film
    Sur une musique de Hans Eisler, le requiem Lenin, écrit sur commande du PCUS pour le 20ème anniversaire de la mort de Illytch, mais jamais joué en URSS... avec un texte de Bertold Brecht, et des images d’hier et aujourd’hui de ces luttes de classes qui font l’histoire encore et toujours...

  • (2009) Déclaration de Malakoff

    Le 21 mars 2009, 155 militants, de 29 départements réunis à Malakoff signataires du texte alternatif du 34ème congrès « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps ». lire la déclaration complète et les signataires

  • (2011) Communistes de cœur, de raison et de combat !

    La déclaration complète

    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

    Un peu plus d’un tiers des adhérents a participé à cette consultation, soit une participation en hausse par rapport aux précédents votes, dans un contexte de baisse des cotisants.
    ... lire la suite

  • (2016) 37eme congrès du PCF

    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).