"Nuit debout" cherche sa stratégie Reportage de Hervé Kempf (Reporterre)

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Les échanges au cœur de ces "Nuits debout" sont utiles à faire connaitre, pour trouver réellement le chemin des convergences, ce qui suppose de prendre chaque mobilisation comme un moment du mouvement général, une contribution, avec sa propre histoire, ses limites, ses débats, et sa propre évolution... Les luttes ouvrières n’ont pas le temps de passer la nuit debout, elles vivent de dures journées d’action, mais elles buttent aussi sur les fractures sociales et la difficulté d’unir le peuple dans sa diversité. Bien sûr, le plus urgent est de construire des liens avec les quartiers populaires, avec les plus pauvres et précaires, et le témoignage de Guillaume Sayon sur une réaction populaire contre une expulsion est tout aussi important que les "Nuits debout", mais le lien avec les couches urbaines, les étudiants et les intellectuels est tout aussi nécessaire...

Et quand on voit la difficulté d’organiser une manifestation sérieuse, capable de résister au cycle ancien des provocations et des répressions, personne n’a de leçon à donner aux autres ! Un syndicaliste CGT intervient dans ce débat pour dire « Il faut impulser dans les syndicats la dynamique de "Nuit debout" », il a raison dans la mesure où toute mobilisation doit aider, dynamiser les autres, mais chaque mouvement ne peut que puiser ses forces dans ses racines, son ancrage au travail, dans le quartier...

Et tous se retrouvent avec cette question décisive que pointe François Ruffin interrogeant Todd « Mais dans ce mouvement, il y a comme un refus de l’organisation » ... la réponse est terrible de lucidité et se conclut sur Lénine...

C’est le drame de cette jeunesse : c’est nous, en pire. Les soixante-huitards ont découvert les joies de l’individualisme, mais ils avaient derrière eux, dans leur famille, une solide formation dans des collectifs : le Parti communiste, l’Eglise, les syndicats. Là, ces générations sont nées individualistes, ce sont des soixante-huitards au carré, quasiment ontologiques. Il n’y a même pas le souvenir de ces collectifs forts. Et la volonté de ne pas s’organiser est presque élevée au rang de religion.
Mais c’est terrible parce que s’ils savaient, s’ils savaient à quel point les mecs en face d’eux, les patrons, l’Etat, le Parti socialiste, les banques sont organisés. Ce sont des machines. Et moi qui suis plutôt modéré, keynésien, pour un capitalisme apprivoisé, je me souviens de la leçon de Lénine : « Pas de révolution sans organisation » !

Oui, plus que jamais, "Que faire ?"... et si peu des "Nuits debout" y pensent, la réponse est en fait connue... un parti communiste !

"Nuit debout" cherche sa stratégie

Stratégie, organisation, plan de bataille : "Nuit debout" en manquerait, selon certains de ses initiateurs. Mais l’organisation centralisée est-elle compatible avec l’aspiration démocratique du mouvement ? Une soirée agitée en a discuté mercredi 20 avril. Et des actions vont se poursuivre à Paris et ailleurs, avant le 1er Mai et un possible blocage du siège du Medef le 3 mai.

Les mouvements apparemment désordonnés qui se déroulent depuis trois semaines sur la place de la République à Paris et dans bien d’autres endroits en France suffisent-ils à faire reculer le gouvernement et le patronat sur l’objectif initial de "Nuit debout", l’abandon du projet de loi sur le travail, dite loi El Khomri ? Des initiateurs du mouvement, François Ruffin et des membres de Convergence des luttes, ne le pensent pas. Et ils ont organisé mercredi 20 avril à la Bourse du travail, à Paris, une réunion publique sur le thème « l’étape d’après ».

Mercredi soir, cinq cent personnes se serrent sur les bancs de bois de la salle Ambroise Croizat. La Fanfare invisible ouvre la réunion, qu’introduit Arthur, un de ceux qui ont imaginé "Nuit debout" : « C’est le moment de réfléchir à notre stratégie. On a occupé. Qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »

Il est temps de réfléchir à notre stratégie

François Ruffin prend la parole : « Depuis trois semaines, il se passe des choses émouvantes. On respire un peu mieux, il se passe enfin quelque chose. Mais on n’avait pas prévu l’étape d’après le 31 mars. Il faut un plan de bataille ». Ruffin craint que le mouvement devienne ’stagnant’. « Il faut se tourner vers l’extérieur. J’ai un coup à proposer : un très gros Premier Mai, une manifestation qui se finirait à République, un meeting commun avec les syndicats. Il faut leur tendre la main. Le pouvoir voudrait que "Nuit debout" et les syndicats se tournent le dos. Il faut revenir sur la fracture de Mai 68. »

François Ruffin : « Je propose un très gros Premier Mai »

Une série d’intervenants — programmés par les organisateurs de la soirée — s’enchaîne. Fabrice Lallement est syndicaliste CGT, à la Fédération métallurgie, à Grenoble : « Il y a un soutien de la CGT à "Nuit debout", mais pas d’implication. Les militants se disent que l’énergie de "Nuit debout" sert à faire vivre le lien et la démocratie, mais ne se dépense pas sur l’action revendicative ». Il évoque aussi la réalité syndicale : « Il n’y a pas de grève générale sans étincelle forte. Il faut soigner les stigmates du mouvement de 2010 sur les retraites ». Celui-ci avait vu une très forte mobilisation dans tout le pays, qui n’avait pas fait plier le gouvernement. « Il y a un manque d’engagement politique et de culture politique dans les entreprises. Un problème, c’est le niveau bas du taux de syndicalisation et l’âge élevé — plus de cinquante ans — des syndiqués. Mais il faut impulser dans les syndicats la dynamique de "Nuit debout" qui fait du bien ».

Fabrice Lallement : « Il faut impulser dans les syndicats la dynamique de Nuit debout »

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Serge Halimi, directeur du Monde diplomatique, rappelle les mots de Slavoj Zizec à propos du mouvement Occupy aux États-Unis en 2011 : « Ne tombez pas amoureux de vous-mêmes ». « Occupy, dit-il, n’a pas su marquer la différence entre activisme et occupation ». Il juge qu’« il faut choisir un petit nombre de priorités et construire le combat autour d’elles » : la loi El Khomri, et les traités de libre-échange. « Le combat contre ces traités commerciaux est un objectif de "Nuit debout". Il permet une large convergence des luttes ».

Serge Halimi : « Objectif : les traités de libre-échange »

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Almamy Kanouté se présente non « pas comme un porte-parole de la banlieue, mais un de ses haut-parleurs ». « Ce qui m’intéresse, c’est les actions. On ne peut pas monter à Paris pour écouter les gens parler ». Il évoque l’action du 11 avril, « quand les CRS empêchaient la sono d’arriver, et que les gens sur place avaient entouré les forces de l’ordre », contraignant celles-ci à laisser passer la sono. « Ce genre d’action va interpeller les gens qui n’ont pas l’habitude de quitter leur territoire. Si on réussit à faire la fusion entre Paris et la banlieue, ils vont trembler ». Ils ? « Les cols blancs, notre ennemi commun ».

Almamy Kanouté : « On ne peut pas monter à Paris pour écouter les gens parler »

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Renaud Lambert, journaliste au Monde diplomatique, relate ce qui s’était passé avec le mouvement des Indignés, en Espagne, en 2011 : faute de stratégie et d’organisation, selon lui, « le mouvement s’est tari, l’Espagne n’a pas changé ». Leçon à tirer pour aujourd’hui : « Il ne faut pas laisser le mouvement "Nuit debout" s’éclater entre l’introspection stérile et la multiplication infinie des revendications ». Il parle d’organisation et de discipline.

Des syndicalistes — Gabriel, de Sud Rail, un membre de la CGT de Paris — évoquent des actions projetées dans les raffineries — un blocage le 28 avril est possible — dans les hôpitaux, la Poste, le port du Havre, les lycées. « Aujourd’hui, il manque des forces pour augmenter le rapport de forces. Comment augmenter le nombre de grèves dans les entreprises ? ».

Frédéric Lordon revient sur l’épisode d’Alain Finkielkraut, qui a dû quitter la place de la République, refoulé par plusieurs personnes, samedi soir 16 avril, après avoir écouté pendant une heure l’Assemblée générale. « La chefferie éditocratique veut pousser le mouvement dans le sens du citoyennisme intransitif, qui débat pour débattre sans décider rien ». Mais « le pays est ravagé par deux violences : la violence du capital, et la violence identitaire raciste, dont Finkielkraut est le premier propagateur ». Pour Lordon, « nous ne sommes pas ici pour faire une animation citoyenne "all inclusive" [incluant toutes les opinions], mais pour faire de la politique. Nous ne sommes pas amis avec tout le monde ». L’économiste estime qu’« il faut mettre des grains de sable partout, faire dérailler le cours normal des choses ».

Frédéric Lordon : « Faire dérailler le cours normal des choses »

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François Ruffin conclut : « On aimerait sortir d’ici avec quelque chose de concret à proposer à l’AG de Nuit debout et à d’autres secteurs. Un Premier Mai qui tente la jonction entre syndicats et Nuit debout. »

Télécharger l’appel pour le Premier Mai

Appel pour le Premier mai

Les prises de parole non programmées s’enchaînent alors, et peu à peu, la confusion s’installe. Dans le brouhaha, un débat émerge : faut-il opposer le spontanéisme de "Nuit debout" et l’organisation que voudraient François Ruffin et les intellectuels du Monde diplomatique ? La question avait déjà nourri une soirée, plus calme, au même endroit.

Une femme prend la parole : « Sur la place [de la République], il y a deux mouvements, mais ils ne sont pas antagonistes : la gauche révolutionnaire et les inclusivistes, concentrés sur la conquête de la souveraineté populaire. » Elle est huée et certains essayent de l’empêcher de parler. « Qu’on arrête de se mépriser ! demande-t-elle. Si les syndicats échouent, c’est parce qu’ils ont renoncé à l’éducation populaire, ce qu’essaie de faire la place. »

On est ensuite à deux doigts de s’écharper pour la prise du micro, les paroles s’enchaînent, Jean-Baptiste Eyraud, de Droit au logement, a la voix qui porte, il propose la conciliation : « Le Premier Mai, êtes-vous d’accord ? Est-ce qu’on fait d’autres actions, comme celles qui ont été proposées, d’ici là ? Est-ce qu’ensuite, le 3 mai, on bloque le Medef ? » Puis la discussion n’est plus vraiment audible, tout le monde discute, des gens commencent à partir.

Mon voisin me dit qu’il est syndicaliste CGT. Il connait Reporterre, « Je suis même donateur » — merci, on en a toujours besoin. « La grève générale, en 1936, elle n’a pas été décidée par les syndicats, mais elle est partie de la base, dans les usines, dit-il. Mais aujourd’hui, dans les entreprises, les gens n’ont pas la pêche, ils ont perdu trop de batailles, et puis ils sont serrés financièrement. »

La salle se vide, on discute dehors. Thomas Coutrot, porte-parole d’Attac, regrette de ne pas avoir pu parler. « Il y a ceux qui veulent pousser les syndicats, et ceux qui pensent qu’il faut développer des actions autonomes des syndicats avec l’énergie du mouvement. "Nuit debout" ne va pas suppléer les faiblesses des syndicats. »

En fait, de nombreuses actions ont lieu régulièrement, indépendamment de l’AG de la place de la République : occupations d’agences bancaires, actions de "Droit au logement", blocage de fast-food, actions contre l’exploitation du pétrole, interruption de la conférence de presse du Festival de Cannes par les intermittents du spectacle...

Le 3 mai, Attac propose : « On bloccupe le Medef avec une assemblée populaire permanente pour les nouveaux droits du travail. »

Appel à bloquer le Medef le 3 mai et ensuite

Sur la place de la République, la nuit est tombée depuis longtemps, la foule est nombreuse. Un orchestre symphonique achève dans l’enthousiasme de jouer la Symphonie du Nouveau Monde.

Voir en ligne : Sur le site Reporterre

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