Le 8 mars est passé. Exit la journée de la femme ?

, par  Gilbert Remond , popularité : 2%

Le 8 mars est passé. Exit la journée de la femme ? Son retour chaque année excite toujours autant les personnels qui dominent l’opinion et travaillent le contenu de nos représentations. Tout le monde s’y met, tout le monde partage cette idée qui ne dure que le temps d’une révolution, celle faite par la terre sur elle-même. Comme le dit la comptine, les marionnettes de l’information nous donnent la morale du jour qui fait trois petits tours et puis s’en va. Le lendemain tout reprend sa place. Les femmes meurent toujours autant sous les coups de leurs maris propriétaires-chef-de-famille, leurs salaires restent inférieurs de vingt à vingt-cinq pour cent en dessous de ceux de leurs collègues masculins, bref la planète continue à tourner selon son axe sexiste.

Julia Kristeva qui était l’invité du comité de rédaction de l’humanité de ce week-end dernier, expliquait qu’avant de venir en France elle vivait dans un pays communiste où le 8 mars était célébré bien avant qu’il ne soit déclaré journée de la femme en Europe. La question de l’égalité homme femme, comme l’expliquait Alexandra Kollontai, dont j’ai précédemment diffusé un texte, y était envisagée comme une revendication politique surgit de la vie même, où l’homme n’était pas vécu comme l’ennemie de la femme ou son oppresseur, mais comme son camarade de lutte pour un avenir meilleur. Leur lutte commune s’inscrivait dans l’histoire du prolétariat en mouvement pour sa libération. L’une ne pouvait se distinguer de l’autre.

Or si cette lutte ne peux se réduire à une journée, elle ne peut non plus se concevoir comme celle d’un sexe contre l’autre. Le féminisme, comme l’écologie ne peuvent faire l’impasse sur la luttes des classe. C’est ce point que soutient ici Nicole-Edith Thévenin, qui postule que le féminisme rejoint la pensée marxiste, parce qu’il ne peut se dissocier, des luttes pour une émancipation totale.

Nicole-Edith Thévenin qui est maître de conférence en science politique à Paris 8 est aussi psychanalyste. Elle a animé au début des années 80 le courant féministe au sein du PCF et publié plusieurs ouvrage dont le dernier "Le prince et l’hypocrite" revient longuement sur les rapports qu’elle entrevoie entre Marx et Freud, tout deux mettant, selon elle, l’accent sur les antagonisme et les contradictions qui travaillent le lien social.

En effet comme elle nous l’explique "à l’unité supposée du sujet, qui culmine dans une idéologie de la maîtrise du moi et de la rationalisation des comportements sociaux, répond la théorie freudienne, comme celle de Marx, qui est sous le rapport de la conflictualité et de l’hétérogénéité. Conflictualité de classes pour Marx, conflictualité des processus primaires et secondaire, du principe de plaisir et du principe de réalité, et des instances de l’appareil psychique, conflictualité des pulsions de vie et des pulsions de mort, pour Freud".

La difficulté entre homme est femme, je veux dire la vraie nature de la conflictualité se trouve non pas entre homme et femme, mais dans le sujet, tout comme elle est dans les rapports sociaux dont il est le reflet. La question politique est inscrite au cœur de la psyché et "nous sommes tenu comme nous le demande Freud, non pas de nous soumettre, mais de lutter pour changer le cours nécessaire du monde, sachant que la nécessite de cet antagonisme ne saurait prendre fin, qu’elle conditionne tout aussi bien les formes du désir et de l’amour".

Il s’agirait selon elle, d’affirmer "l’égalité et la liberté de chacun non pas dans un état final de réconciliation, mais dans un mouvement sans cesse relancé d’un travail psychique et d’une pratique politique pour s’émanciper des formes changeantes de la domination, de l’oppression et de l’exploitation, toujours prêtes à renaître au-delà même du capitalisme". Mais cela suppose d’abord d’avoir aboli le capitalisme et donc la question de la propriété privée des grands moyens de production et d’échange.

Or pour l’heure, ainsi qu’elle l’écrit dans son introduction, "depuis la crise du mouvement ouvrier, l’effondrement de l’URSS et des pays socialistes, la chute du mur de Berlin, le triomphe du capitalisme libéral et financier, on proclame que la démocratie a triomphé (mais laquelle), que la question de la rupture révolutionnaire ne se pose plus et que c’est la fin des idéologies". A gauche on se contente de psalmodier autour de l’appel a "la transformation sociale" dans la peur d’avoir à être trop radical.

Chacun subit les contrainte du discours dominant consensuel autour de la sécurité, de la propriété et de la liberté d’entreprendre qui stigmatise la violence au profit de la seule violence légitimée au nom de l’état, au nom des groupes économiques, en un mot au nom de l’intérêt d’une classe au pouvoir. Violence dont nous intériorisons les interdits, les mises aux pas, car chacun tente d’abord de sauvegarder sa tranquillité et ses zones de pouvoir mais aussi, pour le plus grand nombre, le minimum vital.

Dans son article "Éduquer après Auschwitz" et s’appuyant sur le malaise dans la civilisation de Freud, Adorno écrit  : "On parle d’une menace de rechute dans la barbarie  ; mais la barbarie persiste tant que durent les conditions qui favorisent cette rechute. C’est là qu’est toute l’horreur. La pression sociale continue de peser, même si la misère reste invisible. Elle pousse les hommes à l’indicible, qui prit à Auschwitz des dimensions historiques et mondiales. Une telle pression d’une "universalité dominante" anéantit le particulier et l’individuel. Les hommes y perdent leur identité et leur capacité de résistance. D’où la possibilité inscrite dans les démocraties elles-mêmes d’une résurgence de la Barbarie qui n’a jamais disparu, mais se continue et se file, d’une manière invisible mais réelle, dans les conditions de la domination et de l’exploitation".

Il existe selon elle une illusion étatique et démocratique qu’il faut lever. Le mouvement féministe comme le mouvement ouvrier, se sont laissé intégrer dans les institutions oubliant de penser la contradiction qui en résultait. Leurs luttes ont permis des avancées mais le maintient des structures qui modèlent le champ politique et social et donc de la subjectivité a permis au système capitaliste qui a intégré dans sa reproduction la structure patriarcale de revenir sur les droits et les acquis de la période précédente dès que le rapport des force lui est redevenu favorable.

En effet la psychanalyse, comme les travaux de Michel Foucault nous apprennent que tout sujet est divisé entre son désir de se libérer et un désir inconscient d’être assujetti a un pouvoir structurel. Il faut donc, nous explique Nicole-Edith Thévenin, dépasser cette duperie de soi. Il faut sortir de la fausse alternative qui nous engage à la résistance, car ne vouloir que résister "c’est fatiguant et sans lendemain", cette attitude contribue à reproduire "un statut quo, qui verrouillant toute dialectique du mouvement, tout surgissement de la parole, toute subversion, détruit la question du sens au profit d’un pouvoir qui va alors s’employer à activer rivalités et guerre". La psychanalyse qui par son objet ouvre la parole du sujet, ne se sépare pas nous, dit-elle, "d’une prise de position dans le champ politique, intégrant en elle-même la question politique".

En effet pour que l’histoire ne soit pas une éternelle répétition, il faut sortir du cycle malheureux de la défense des acquis, et de la revendication narcissique d’une reconnaissance pour devenir une force de conquête, faire le bon en avant qui assurera la rupture. "C’est cette "immobilité"rageuse, servile, de la société et des intellectuels, qui ne trouve pas suffisamment de ressources psychiques et politiques pour ouvrir la voie à une révolution propre, que Marx dénonce dans sa critique du droit hégélien, s’agissant de l’Allemagne prussienne défendant un statut quo politique mortifère" (cette Allemagne représentait pour Marx le fonctionnement tendanciel de tout État).

Oui, comme nous l’explique Nicole-Edith Thévenin, dans son entretien, le marxisme est la seule théorisation qui s’entête à montrer comment fonctionne un appareil d’état et qui explique que pour s’en libérer il faut le détruire. Or nous savons aussi que "le malaise dans la civilisation vient de ce que nous laissons faire ce qui nous écrase, dans le soupçon que nous pourrions faire autrement. La haine, la rancœur, l’envie, toutes passions tristes dénoncées par Spinoza, signalent cet impossible à poser un acte (dans ce qu’un acte a de radical, prenant les choses à la racine) à intégrer la question de la mort qui nous libérerait de son emprise totalitaire en nous portant à nous opposer et à lutter".

Alexandra Kollontai disait dans son article de 1909 "Les bases sociales de la question féminine" que "le problème familial est aussi complexe que la vie elle-même. Notre système social est incapable de le résoudre". Nicole-Edith Thévenin, après s’être appuyée sur le constat que le système capitaliste avait incorporé dans sa reproduction la structure patriarcale, affirme qu’on ne peut se libérer du capitalisme sans se libérer du patriarcat. Bien des déclarations ont été faite dernièrement qui sortent de cette problématique pour ne s’en prendre qu’à la seule structure patriarcale, signe de l’illusion démocratique juridico-étatique dans laquelle sont tombés mouvements et forces progressistes depuis l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981. Je pense qu’il serait plus juste de renverser la proposition, et d’affirmer qu’on ne peut se libérer du patriarcat sans se libérer du capitalisme.

Gilbert Rémond

Voir en ligne : Le féminisme rejoint 
la pensée marxiste. Article de Nicole-Edith Thévenin publié dans l’humanite :

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