Mélenchon : l’euro et l’outrance. Par Jacques Sapir (29 mars 2013)

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Jean-Luc Mélenchon, au lendemain du Congrès du Parti de Gauche, et de la mauvaise polémique lancée contre lui à la suite de ses déclarations sur le Ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, a accordé une interview à « Direct Matin ». Il y précise un certain nombre de choses, et en particulier prend position sur l’Euro à la suite de l’accord trouvé sur Chypre. Force est de constater que ses déclarations, derrière des effets de manche, ne vont pas dans le bon sens et ne peuvent qu’accroître la confusion qui règne dans une partie de la gauche sur la monnaie unique.

Une attitude mensongère

Reprenons donc ses propos :

« Lors de notre congrès, on a vu naître un débat sur l’euro. Le doute est là. Mais si nous renonçons à l’euro, on entre dans le plan de Merkel qui veut expulser l’Europe du Sud après l’avoir détruite. Il faut de la fermeté dans nos décisions en rappelant, qu’en Europe, aucune décision ne peut être prise sans la France... Nous ne sommes pas à la ramasse, nous sommes la deuxième économie du continent. Nous disposons de moyens d’action si nous avons le courage politique. »

Passons rapidement sur la rodomontade sur laquelle se conclut cette citation. L’allusion à un plan de l’Allemagne, et de Mme Merkel, visant à une « expulsion » des pays de l’Europe du Sud de l’Euro est un contresens complet sur la position réelle adoptée outre-Rhin. L’Allemagne, on le sait, est le pays qui tire, et de loin, les plus gros avantages de la zone Euro. Cette dernière explique environ 3% du PIB annuel de ce pays. Comment un pays qui profite autant d’une zone monétaire voudrait-elle en expulser d’autres ? Il faudrait alors en déduire que les dirigeant allemands sont masochistes. La réalité est bien plus simple. L’Allemagne est prise dans la contradiction suivante : elle profite largement de la zone Euro, qui empêche les autres pays de réajuster leur compétitivité par rapport à elle, mais elle ne veut pas faire les sacrifices qu’imposerait un réel fédéralisme budgétaire au niveau de la zone Euro. Le coût de ce fédéralisme a été calculé [1]. Pour assurer la simple survie des quatre pays de l’Europe du Sud, et permettre à leurs économies de se mettre au niveau de l’Allemagne, il faudrait dépenser 257,7 milliards d’Euros par an. L’Allemagne supporterait, quant à elle, très probablement 90% du financement de cette somme, soit entre 220 et 232 milliards d’euros par an soit entre 8% et 9% de son PIB. Elle devrait maintenir cette contribution pour une période d’au moins 8 à 10 ans. D’autres estimations font apparaître des montants qui sont même plus élevés [2]. On comprend, alors, le refus intransigeant des dirigeants allemands d’accepter quoi qui pourrait engager leur pays dans la voie d’une union de transferts.

Et ce refus est d’ailleurs justifié. Du fait de sa démographie, l’Allemagne ne peut pas se permettre une telle ponction sur sa richesse. Ces faits sont connus, qu’il s’agisse de ce que tire l’Allemagne de la zone Euro ou de ce qu’elle devrait contribuer pour la faire fonctionner, et Jean-Luc Mélenchon ne peut les ignorer. La position de l’Allemagne est donc de chercher à conserver les avantages que la zone Euro a pour elle mais en n’en payant pas le prix. On appelle cela en théorie des jeux et en économie une stratégie de « passager clandestin ». C’est pourquoi elle a adopté cette politique qui consiste à faire payer chaque pays en crise pour son plan de sauvetage, ce dont on a eu un exemple encore avec le cas chypriote, et elle justifie cette politique par des commentaires toujours plus désobligeants pour les habitants de l’Europe du Sud. Prétendre ainsi publiquement qu’il y aurait un « plan secret » de l’Allemagne visant à l’expulsion des pays de l’Europe du Sud n’est pas simplement une contre-vérité factuelle. C’est un mensonge politique dont il faut chercher les racines.

Les racines du mensonge

Pourquoi prétendre donc qu’il existe un « plan de Mme Merkel » en réalité inexistant (du moins sous cette forme et avec ce contenu) ? Essentiellement pour cristalliser une opinion française, aujourd’hui plutôt anti-allemande (et non sans quelques bonnes raisons) et présenter une position qui revient en fait à accepter les conditions de l’Allemagne comme constituant une résistance à cette dernière. Par une présentation d’un plan imaginaire, Jean-Luc Mélenchon peut ainsi se draper dans une posture avantageuse qui masque une position largement incohérente. Il propose tout une série de mesures qui sont strictement incompatibles avec l’existence même d’une monnaie unique. C’est aussi très clair dans le livre de Jacques Généreux, Nous on peut. Il est évident que si des mesures de réquisition de la Banque de France étaient mises en œuvre, la France serait immédiatement confrontée à un « blocus » monétaire de la BCE. En deux ou trois semaines la logique de la crise ainsi créée aboutirait à faire exploser la zone Euro. C’est d’ailleurs notre intérêt [3], ainsi que celui de pays comme l’Italie, l’Espagne et le Portugal.

Source : Jacques Sapir, “L’impact d’une sortie de l’Euro sur l’économie française”, billet publié sur le Carnet Russeurope le 05/03/2013, Évaluation de la réduction du chômage à partir des données de la DARES et du Ministère du Redressement Productif.

Il serait ainsi bien plus intéressant de dire d’emblée que, oui, la zone Euro nous étrangle (ainsi que les autres pays de l’Europe du Sud [4]), que, oui, une dévaluation serait un moyen bien moins coûteux de rétablir notre compétitivité, et que, oui, nous avons intérêt à ce que la zone Euro, dans sa forme actuelle, disparaisse.

On pourrait ajouter que, dans la lutte des classes qui oppose aujourd’hui les financiers (au sens le plus général) aux producteurs, l’Euro constitue un point de verrouillage qui garantit la pérennité des politiques de financiarisation de l’économie. Provoquer l’éclatement de l’Euro c’est aussi remettre en cause ce verrouillage, et pouvoir alors penser à nouveau une économie qui ne soit plus sous l’emprise de la finance. Mais, et c’est un grand « mais », il faudrait pour cela dire adieu, au moins temporairement au rêve fédéraliste. Et c’est bien ce qui fait blocage pour Jean-Luc Mélenchon. Il est à ce point terrorisé qu’on le prenne pour un autre que lui-même qu’il s’empêtre dans ses propres contradictions, allant ainsi un jour jusqu’à dire qu’entre la souveraineté populaire et la souveraineté de l’Euro il choisit la première, et un autre, faisant cette interview réellement calamiteuse.

Une erreur stratégique et tactique

La position de Jean-Luc Mélenchon, et hélas à travers lui celle du Parti de Gauche, est ainsi une double erreur, à la fois stratégique et tactique.

C’est une erreur stratégique à deux niveaux. D’une part parce qu’elle désarme les Français dans la lutte contre l’austérité et la politique de dévaluation interne que mène actuellement le gouvernement avec l’appui du MEDEF. À chaque fois que l’on avance que cette politique est un désastre annoncé, on nous répond qu’elle est nécessaire compte tenu de nos « engagements européens », c’est-à-dire de l’Euro. D’autre part parce que le discours de Jean-Luc Mélenchon ne voit pas que le plus grand danger aujourd’hui en Europe vient justement de l’existence de l’Euro qui pousse les pays à s’affronter, pour l’instant indirectement dans des surenchères de politiques de dévaluation interne et demain plus directement en se déchirant et en déchirant l’Europe. Il faut dire ici que ce que nous reprochons à l’Allemagne n’est pas de suivre une politique patrimoniale, qui est nécessaire à sa démographie, mais de l’imposer aux autres et en particulier à la France par le biais de l’Euro. En fait, sous le masque d’un « internationalisme » de façade, la politique de Jean-Luc Mélenchon va faire le lit des pires replis nationalistes.

C’est une erreur tactique ensuite. Elle rend inaudible le Front de Gauche et en son sein le Parti de Gauche. Elle le condamne à végéter électoralement. Elle pousse alors à une surenchère, soit verbale (comme à propos de Moscovici, même si sur le fond les propos étaient entièrement justifiés) soit politique qui est une impasse. Il y a à gauche un débat qui s’est amorcé sur l’Euro, et qui touche à la fois le Parti Socialiste, où les doutes se font jour dans certains secteurs, mais encore la gauche « hors-parti » (on le voit dans un mouvement comme le M’PEP) et aussi le Front de Gauche. Ce débat dépasse par ailleurs largement ce que l’on nomme la gauche. Si le Parti de Gauche et Jean-Luc Mélenchon avaient adopté une attitude cohérente sur la question de l’Euro en proposant des voies de sortie qui ne soient pas purement propagandistes et en proposant des formes de maintien d’une coordination minimale entre les nations, une fois dissoute la zone Euro, ils auraient gagné une crédibilité importante qui leur permettrait d’être l’un des pôles de recomposition de la vie politique française. Faute de l’avoir fait, ils se condamnent à n’être que les spectateurs de cette crise au lieu d’en être les acteurs. Il faut à cet égard méditer sur l’élection législative partielle de l’Oise qui a vu la candidate du Front National arriver à plus de 48%. On estime que plus de 40% des votes des électeurs du Parti Socialiste se sont reportés sur elle. C’est une leçon dont il convient de se souvenir.

Tiré de Russeurope, le carnet de Jacques Sapir, directeur de recherches à l’École des hautes études en sciences sociales, article du 29 mars 2013.

[1Jacques Sapir, “Le coût du fédéralisme dans la zone Euro”, billet publié sur le Carnet Russeurope le 10/11/2012, URL : http://russeurope.hypotheses.org/453

[2Patrick Artus, « La solidarité avec les autres pays de la zone euro est-elle incompatible avec la stratégie fondamentale de l’Allemagne : rester compétitive au niveau mondial ? La réponse est oui », NATIXIS, Flash-Économie, n°508, 17 juillet 2012.

[3Jacques Sapir, “L’impact d’une sortie de l’Euro sur l’économie française”, billet publié sur le Carnet Russeurope le 05/03/2013, URL : http://russeurope.hypotheses.org/987

[4Et l’on pourra se reporter aux graphiques de Jacques Sapir, Quelques commentaires sur le rapport du FMIWorld Economic Report”, octobre 2012, note publiée sur le Carnet RussEurope, le 9 octobre 2012, http://russeurope.hypotheses.org/253

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