Mauritanie : hypocrisie autour de l’esclavage Par Abdou Sarr

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À la quasi-indifférence de la communauté internationale et des médias, 20% des Mauritaniens seraient encore réduits à l’état d’esclavage. Le pays compterait le plus d’esclaves au monde, même si la loi criminalise cet acte. Décryptage d’une injustice et du combat de l’IRA mené par le charismatique Biram Ould Dah Ould Abeid.

Mauritanie : hypocrisie autour de l’esclavage

« L’esclavage existe bien en Mauritanie ». Par ces mots, exprimés durant la Convention en mai 2012, Messaoud Ould Boulkheir, président du Parlement, répondait à tous les Mauritaniens qui réfutaient l’existence d’un tel phénomène sur leurs terres. Des travaux réalisés par les associations mauritaniennes de défense des Droits de l’Homme ont affirmé la réalité de l’esclavage.

Dernier en date à l’interdire, la Mauritanie a aboli cette pratique esclavagiste en 1981. Depuis 2007, la loi considère l’esclavage comme un crime passible de 10 ans de prison. Auparavant, un décret colonial français de 1905 le réprimait aussi, mais aucune sanction n’avait encore été appliquée par la République islamique de Mauritanie. Les pouvoirs politique, judiciaire et religieux ainsi que certains milieux intellectuels se voilent la face en niant l’existence de l’esclavage. Pour Messaoud Ould Boulkheir, président de l’Assemblée nationale, occulter l’esclavage, c’est « nuire à son éradication ». Dans les faits, cette stratégie de l’autruche joue clairement en faveur des esclavagistes pouvant, en toute impunité, exploiter une partie des citoyens de l’ex-colonie.

Une culture esclavagiste

La Mauritanie est composée de Maures blancs, d’origine arabo-berbère dite « beydane », et noirs, appelés Haratines, et de Négro-Mauritaniens issus des ethnies Peul, Soninké ou Wolof. Le mot « haratine » provient de l’hassanya, dialecte de la région utilisant des bribes d’arabe. Cette correspondance linguistique indique que ces derniers descendent d’affranchis de l’esclavage arabo-berbère. Un affranchissement de façade, puisqu’en réalité, l’assujettissement des Haratines est bel et bien réel.

La société maure ne fait pas de différence entre l’esclave et l’affranchi. Un proverbe mauritanien exprime parfaitement cette idée : « La différence entre un esclave et un affranchi est comme la distance qui existe entre le bas de la queue d’une vache debout et la terre. Lorsque la queue de la vache est longue, elle touche terre ». La différence est donc minime.

L’émancipation des Haratines bouleverserait la société et aurait pour conséquence de redistribuer les cartes. L’influence des beydanes en pâtirait grandement d’un point de vue politique. Les maîtres dictent systématiquement des consignes de vote.

Lutte pour le respect des Droits de l’Homme

Le président de l’Initiative de résurgence pour le mouvement abolitionniste (IRA), Biram Ould Dah Ould Abeih, a récemment été récompensé par l’Irlande pour la défense des Droits de l’Homme en danger. Il déclare que les Haratines représentent « plus de 50% de la population » mauritanienne. Néanmoins, aucune étude n’a attesté avec certitude les pourcentages sur l’esclavage en Mauritanie. Ces évaluations permettent surtout de se faire une idée plus concrète de l’importance de la population haratine.

En 2009, Paris accueillait au Grand Palais une conférence sur le thème « L’esclavage en terre d’Islam : pourquoi les maîtres mauritaniens n’affranchissent-ils pas leurs esclaves ? ». Yahya Ould Brahim, ancien esclave, racontait son effroyable parcours : « Je suis esclave depuis ma naissance. J’ai été séparé de mes parents, de mon frère et de ma sœur. Je travaillais dur pour mon maître, sans rétribution et toute la journée. Quand celui-ci me battait, il me disait de ne pas crier, car ça pouvait gêner les voisins ».

Expliquant les relations entre les esclaves et les maîtres, il témoigne d’une voix emprunte de colère, qu’un esclavage traditionnel persiste dans son pays sous trois formes : « Domestique, par laquelle l’esclave est attaché au maître durant toute sa vie, sans contact avec sa famille d’origine. Ensuite, sexuelle, permettant au maître d’avoir un droit de cuissage sur toutes les femmes travaillant pour lui. Enfin, agricole, les esclaves étant chargés des travaux les plus durs, des tâches considérées comme les plus avilissantes par le groupe dominant arabo-berbère ».

Islam responsable ou interprétation fausse et opportuniste ?

La République islamique de Mauritanie place le Coran et les traditions prophétiques en source principale du droit. Dans un pays où la très grande majorité de la population se dit musulmane pratiquante, les textes sacrés vont forcément être évoqués dans un tel débat.

L’IRA et les associations combattant l’esclavage, comme S.O.S. Esclaves, accusent les esclavagistes de se fonder sur l’interprétation et les livres de juristes musulmans du Moyen-âge pour légitimer l’esclavage. Ils jugent que ces ouvrages sont justement contraires au message coranique. Biram, le leader charismatique de l’IRA, parfois comparé à Mandela et sa lutte contre l’apartheid, a procédé d’ailleurs à l’autodafé de plusieurs de ces livres qu’il appelle des « codes esclavagistes ». L’exégèse d’un des textes carbonisés, « l’abrégé de Khalil », traite l’esclave « d’animal parlant ».

La destruction des livres par le feu a créé l’émoi en Mauritanie. Certains détracteurs de l’IRA ont accusé l’association d’apostasie ou de blasphème. Argument fallacieux, si l’on tient compte du fait que les ouvrages n’ont aucun caractère sacré pour les musulmans. Conscients de la polémique qu’aurait pu engendrer un tel acte, les pyromanes littéraires ont pris soin de retirer toutes les pages contenant des versets du Coran. Cela n’a pas empêché Biram d’aller faire un tour en prison en compagnie d’Abidine Ould Maatala, Issa Ould Alioune et Yacoub Diarra pour atteinte aux valeurs culturelles de la Mauritanie. Cette association n’est pourtant pas reconnue officiellement par l’État mauritanien.

Mohamed Yahya Ould Ciré constate que l’interdiction de la pratique esclavagiste n’a pas été clairement admise par l’Islam même si des pites « ont été formulées pour inciter à l’affranchissement ». Par ailleurs, Malek Chebel, anthropologue des religions et philosophe algérien, prend la contrepartie en estimant que « c’est avant tout la structure féodale de la société mauritanienne qui entretient cette pratique. On ne peut pas faire de généralité. L’Islam n’est pas en faveur de l’esclavage, c’est une interprétation erronée qui en fait un instrument de domination ». La question reste donc entière.

Auteur du livre Esclavage en terre d’Islam, Malek Chebel affirme que « le Coran n’a jamais été très explicite » vis-à-vis de l’esclavage et ne mentionne pas « l’interdiction formelle » de cette pratique. Conséquence, la société est caractérisée par une « culture esclavagiste à l’ombre de la mosquée ».

L’État complice ?

Les autorités ont dissimulé le message contenu dans les livres soit « un code d’esclavage […] en total décalage avec l’esprit d’humanisme et de justice dont regorgent le Coran et la Sunna (NDLR La tradition prophétique) », selon Biram Ould Dah Ould Abeih. Ce dernier répond, à ceux qui voudraient « l’excommunier », qu’il est simplement un « musulman croyant et pratiquant », mais qu’il critique l’esclavage « comme tant de devanciers philosophes, scientifiques, artistes, voyageurs, chroniqueurs et jurisconsultes qui ont su concilier la religion avec l’exigence universelle d’équité ».

Pour impulser le changement et accorder plus d’égalité à une partie de la population mauritanienne, une nouvelle formation politique a vu le jour, fin avril avec en son sein le Parti radical pour une Action globale (RAG). Ambitieux, ce parti veut amorcer une révolution. Selon eux, la scène politique est « une vieille quincaillerie » et le RAG vient pour « combler le vide » juridique.

Voir en ligne : Abdou Sarr sur le journal international

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