Mais où est la gauche ?

, par  Guillaume Sayon , popularité : 1%

La France se réconcilie enfin avec sa tradition, la lutte des classes. Il aura fallu ce projet abject de casse méthodique du code du travail pour que le sursaut populaire puisse enfin éclore. Projet de loi travail non pas piloté à Paris mais dans les arcanes obscures de l’Union Européenne. Il ne s’agit pas d’un simple détail à souligner au détour d’une virgule. Le rouleau compresseur libéral européen parachève son travail jusqu’à disparition totale de la moindre entrave à la concurrence libre et non faussée. Le drapeau bleu étoilé pourra bien voler gracieusement dans le ciel au rythme de l’hymne à la joie, il devient urgent, vital même, de détruire cet outil d’asservissement populaire.

Toutes celles et ceux qui défilent sur les plateaux télé ou dans les studios d’enregistrement des matinales radiophoniques pour nous vendre leurs discours malhonnêtes sur leur prétendue capacité à changer les choses mieux que les autres, nous prennent pour une masse d’imbéciles dépourvus de toute forme de rationalité. Quiconque ne dira pas clairement que le point numéro un de son programme sera le retrait de la France de cette usine à gaz européenne nous prendra pour des idiots. Les règles absurdes, rigides, dogmatiques inscrites dans le marbre des traités ont anéanti la moindre forme de souveraineté. Nous ne sommes plus maîtres de rien dans ce bon pays de France. Pas de possibilité de développer des outils de régulation, encore moins de lancer des plans ambitieux d’investissements publics. Alors, j’entends les voix mollassonnes de ceux qui crient à la réorientation de la construction européenne. Il faut sauver l’Europe comme il fallait sauver le soldat Ryan. Si on émet l’hypothèse farfelue que par un effet de cascade, de nouvelles majorités de gauche prennent la main à Bruxelles, pensez-vous que l’Allemagne hésitera à déguerpir. L’Europe est allemande. Désolé pour ceux qui en sont restés au chapitre du traité de Paris. La France n’est pas le pendant de l’Allemagne. La France marche au pas avec les voisins méditerranéens. C’est un fait. Concevoir le contraire relève de l’idéalisme infantile ou de la mauvaise foi assumée.

Cela me permet d’en venir au véritable propos que je voulais aborder dans ce billet. La France est orpheline. La France n’a plus de gauche. Preuve en est les événements récents. Il aura fallu la mobilisation exemplaire de la jeunesse dans les universités et les lycées pour bousculer les organisations syndicales traditionnelles. Alors que ces dernières tergiversaient et pondaient un communiqué commun bien fade appelant à quelques aménagements cosmétiques, les jeunes organisaient la journée du 9 mars où plus de 500.000 personnes se sont mobilisées partout en France avec un mot d’ordre clair : le retrait pur et simple du projet de loi. Mais les partis de gauche méritent aussi leur catéchisme. Ce mouvement d’occupation des places inspirés de Podemos, "Nuit debout", est là aussi symptomatique d’une absence préoccupante de la gauche dans le débat public. La nature a horreur du vide et ce mouvement presque spontané nous met tous au pied du mur. Il suffit de voir le malaise des uns et des autres par rapport à ces péripéties pour le mesurer. Personne n’ose se positionner. Tout le monde semble totalement largué. Nous sommes clairement dans une crise de représentation. C’est une sorte d’effet de pourrissement qui emporte tout sur son passage. La République est pourrissante, le parti socialiste, la gauche globalement… Cela donne le sentiment d’un tunnel qui fait la jonction entre deux mondes, entre deux temps. Cela n’est pas sans faire écho à la formule célèbre de Gramsci.

Pour illustrer mon propos, je ne peux que vivement vous encourager à lire la brillante tribune de Lordon parue il y a quelques jours dans les colonnes du Monde Diplomatique intitulée Pour la République sociale. Je ne peux d’ailleurs m’empêcher ici de vous en livrer quelques succulents passages. Comme celui-ci sur la primaire : « on ne peut pas exclure en effet que les protagonistes de la "primaire à gauche" soient convaincus de produire une innovation politique radicale, alors qu’ils bafouillent la langue morte de la Vème République. Le comble de l’engluement, c’est bien sûr de ne plus être capable de penser au-delà du monde où l’on est englué. Présidentialisation forcenée, partis spectraux, campagnes lunaires, vote utile, voilà la prison mentale que les initiateurs de la "primaire à gauche" prennent pour la Grande Évasion. Et pour conduire à quoi ? La fusion de la contribution sociale généralisée (CSG) et de l’impôt sur le revenu ? Un programme en faveur de l’isolation des logements ? Une forte déclaration sur la "réorientation de l’Europe" ? ». Mais sans doute le passage le plus intéressant est celui-ci : « La seule chose dont nous pouvons être sûrs, c’est qu’aucune alternative réelle ne peut naître du jeu ordinaire des institutions de la Vème République et des organisations qui y flottent entre deux eaux le ventre à l’air. Cet ordre finissant, il va falloir lui passer sur le corps. Comme l’ont abondamment montré tous les mouvements de place et d’occupation, la réappropriation politique et les parlementarismes actuels sont dans un rapport d’antinomie radicale : la première n’a de chance que par la déposition des seconds, institutions dont il est désormais établi qu’elles sont faites pour que surtout rien n’arrive — ce "rien" auquel la "primaire de gauche" est si passionnément vouée. ». Je souscris totalement à ses propos. Ils démontrent l’obsolescence des schémas théoriques et tactiques de cette gauche agonisante.

Le peuple français a cette fascinante capacité lorsqu’il se soulève à emporter avec lui les peuples voisins, eux aussi victimes de l’ignominie, du népotisme, de tout ce qu’on veut mais surtout des logiques du capital, de la propriété privée des moyens de production. Comme beaucoup, je regarde avec intérêt ce mouvement nuit debout qui gagne des villes belges, italiennes, espagnoles… Je garde néanmoins une nécessaire lucidité sur cette expérience. Les places semblent peuplées par une jeunesse à fort capital culturel essentiellement. Les travailleurs n’y sont encore que peu nombreux. Qui-plus-est en bon léniniste que je suis, je crois en les vertus de l’organisation. Des mouvements comme ceux-là peuvent vite devenir des impasses s’ils ne s’organisent pas concrètement. C’est la leçon qu’a fini par tirer Iglesias avec les indignés en Espagne. Le PCF devrait donc être en train d’écrire un programme politique pour créer cet impérieux prolongement organisationnel, pour qu’il puisse être débattu, qu’il devienne un repère. Un vrai programme de rupture, un programme politique qui place en son cœur la question de la propriété, de la nation et donc de sa constitution, de l’Europe et de l’évidente rupture qu’il faut consommer avec cette dernière. La question de la paix évidemment avec un préalable : quitter l’OTAN. Un programme qui se nourrit de ce bouillonnement social, qui propose des mots et des concepts, une feuille de route afin de donner du corps à cet élan insurrectionnel. Mais non, Pierre Laurent annonce qu’il va rencontrer Montebourg dans le cadre du processus de la primaire. Misère, vous avez dit misère…

G.S.

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  • (2002) Lenin (requiem), texte de B. Brecht, musique de H. Eisler

    Un film
    Sur une musique de Hans Eisler, le requiem Lenin, écrit sur commande du PCUS pour le 20ème anniversaire de la mort de Illytch, mais jamais joué en URSS... avec un texte de Bertold Brecht, et des images d’hier et aujourd’hui de ces luttes de classes qui font l’histoire encore et toujours...

  • (2009) Déclaration de Malakoff

    Le 21 mars 2009, 155 militants, de 29 départements réunis à Malakoff signataires du texte alternatif du 34ème congrès « Faire vivre et renforcer le PCF, une exigence de notre temps ». lire la déclaration complète et les signataires

  • (2011) Communistes de cœur, de raison et de combat !

    La déclaration complète

    Les résultats de la consultation des 16, 17 et 18 juin sont maintenant connus. Les enjeux sont importants et il nous faut donc les examiner pour en tirer les enseignements qui nous seront utiles pour l’avenir.

    Un peu plus d’un tiers des adhérents a participé à cette consultation, soit une participation en hausse par rapport aux précédents votes, dans un contexte de baisse des cotisants.
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    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).