Les squats, la jungle et les luttes de classe Quelle position communiste ?

, par  pam , popularité : 2%

La jungle... Cette zone de non droit aux portes de Calais et de l’Angleterre est un terrible révélateur de ce qu’est notre société, cette France et son "modèle social", cette Union Européenne qu’on nous a vendu depuis des décennies comme un espace de paix éternelle, cette mondialisation qui devait apporter le développement pour tous ?... une jungle !

La dénomination n’est pas innocente. La jungle, comme une barbarie face à la civilisation occidentale, comme une situation de "nature", de l’homme livré à lui-même.. [1] Mais elle a le mérite de dire la violence subie par ceux qui y survivent, et elle pose avec force la question de ce qui a conduit et de ce qui a permis que se développe une telle zone inhumaine dans la 6ème puissance économique de la planète.

Quelle réponse immédiate peuvent porter les communistes : quelle revendication, quel objectif de lutte, pour qui et avec qui ? La première réaction de solidarité, de soutien aux plus démunis, se mêle de colère contre ceux qui ont provoqué cette fuite des migrants, contre les passeurs qui leur font payer des sommes astronomiques pour les amener dans cette jungle, contre ceux qui les exploitent en développant les pires trafics qu’on peut imaginer. Et elle butte sur une contradiction ; agir pour les réfugiés, mais contre les causes de leur fuite. L’image de cet enfant mort sur une plage est bouleversante, elle est médiatisée d’ailleurs pour cette raison, mais la compassion est ambiguë si elle ne porte pas la colère devant ceux qui ont provoqué son exode !

Les communistes du Nord développent des actions de solidarité avec les migrants, apportent des couvertures et des téléphones mobiles, et dénoncent la politique européenne et les guerres. Mais cette bataille se heurte au caractère insupportable de cette jungle pour tous, migrants et habitants. Résister à la guerre de tous contre tous, c’est refuser la guerre dans le peuple que le capitalisme mondialisé organise en permanence.

On ne peut parler du quart-monde sans parler du tiers-monde comme de ceux qui sont considérés "du monde", donc, mais qui sont les pauvres et les couches populaires qui subissent aussi la crise. On ne peut parler de ce que vivent les réfugiés en ignorant ce que vivent les riverains, on ne peut parler de ce que vivent les sans-papiers surexploités sans parler de ceux qui vivent la concurrence contre leur travail... Un ouvrier de Vénissieux expliquait que son patron avait annoncé l’arrivée de travailleurs détachés répartis en binôme avec un autre, le justifiant car cela lui coutait moins cher et qu’ils travailleraient plus. Les ouvriers on refusé. Ils sentaient que c’était un moyen de division pour les exploiter plus, car ils ont tous autour d’eux des jeunes au chômage, parce qu’ils sont déjà mal payés, et comprennent que cela fera encore une pression à la baisse des salaires...

La question principale que les communistes doivent se poser est finalement simple. Quelle revendication, quelle action pousse à unir les migrants et les travailleurs riverains ?

C’est une question devenue centrale dans la vie politique Française, car la jungle de Calais est le point le plus aigu d’une situation qui se généralise, le développement des bidonvilles, de la très grande pauvreté, de la très grande précarité, notamment liés aux migrations forcées dans la mondialisation capitaliste, les guerres impérialistes, mais aussi liés à la paupérisation massive de populations de toutes origines.

Les communistes ont une riche expérience dans les actions de solidarité avec les sans-papiers. Ils savent ce qui divise et ce qui unit.
- Ce qui divise est de ne pas faire le lien entre les migrants et la défense des droits de tous, la dénonciation des guerres. Car cela permet l’instrumentalisation des drames par des mouvements divers comme les "no border". Parfois, certains tentent même d’impliquer les syndicats ou des villes communistes, au mieux pour espérer avoir un meilleur appui qu’ailleurs, au pire, pour tenter de les déstabiliser. C’est ce qui s’était produit à la bourse du travail de Paris occupé pour faire pression sur la CGT, ou dans un centre social de Vénissieux où des associations avaient installé un squat, qui mettait en cause les activités sociales pour les familles du quartier, pour dire au maire "et maintenant, vous faites quoi ?". La jungle a commencé avec un maire communiste à Calais, battu en 2014, et c’est en réponse au maire de droite que l’état sort les grands moyens.
- Ce qui unit au contraire, c’est par exemple la grève des travailleurs sans papiers qui pose la question des droits pour tous, porte la défense des sans-papiers au plus haut, leur fait reconnaitre les mêmes droits que les autres, tout en défendant aussi tous les travailleurs. Car chacun sent bien que si son collègue peut être surexploité, ça ne peut que pousser le patron à tenter d’exploiter encore plus les autres...

Toute l’expérience militante montre l’importance de toujours situer une revendication particulière dans une revendication plus large qui la généralise dans la perspective du changement de société pour tous ; droit au travail, droit au logement, droit au salaire, droit à la protection sociale. Car dans l’entreprise comme dans le quartier, dans l’école comme dans le squat, les revendications immédiates sont le plus souvent marquées par l’idéologie dominante, intégrant la concurrence avec d’autres. Ainsi des parents d’élèves occupant un collège vont comparer leur dotation horaire avec les collèges voisins et demandent l’équité parce-qu’ils ont le sentiment d’avoir moins que les autres. Ainsi, une restructuration industrielle peut conduire à opposer les salariés de deux sites mis en concurrence. Ainsi, la revendication d’un migrant est d’abord marquée par cette "subjectivité du désir d’occident" qu’évoque Alain Badiou, désir d’occident au cœur de l’incroyable énergie de ces réfugiés bravant les passeurs, les trafiquants et les polices, mais désir d’occident qui conduit à accepter le travail sans droits, le non respect des règles devenant ainsi l’outil de la régression sociale.

Tout est toujours fait pour opposer les catégories, les situations, et c’est le rôle historique non pas du sentiment raciste, de la peur des autres, mais du racisme politique, de l’usage politique des craintes, des peurs, des préjugés, pour diviser, opposer, créer si besoin les affrontements qui interdiront toute lutte d’ampleur, donc toute lutte victorieuse. Le fascisme est bien sûr l’outil politique pour imposer cet affrontement dans le peuple et repose à la fois sur la guerre idéologique et politique, celle que le FN dédiabolisé et médiatique mène, et sur les groupuscules qui utiliseront la violence pour pousser et durcir les oppositions, et tenteront de faire reculer les solidarités dans l’agression contre les militants, comme les groupes néonazis l’ont fait à Calais.

C’est dans ce cadre qu’une position communiste doit être recherchée
- au plan général, dans la dénonciation des guerres impérialistes, de l’Union européenne de la guerre de tous contre tous, de la libre surexploitation des travailleurs détachés et des migrants économiques
- et dans chaque situation concrète, jungle, squat, sans-papier, SDF... pour mettre en avant des revendications qui affirment les droits des migrants, non pas comme une catégorie à part, mais comme une part du peuple réclamant ses droits, les droits de tous !

Sur le premier point, il n’y a plus guère que la direction nationale du PCF pour continuer à défendre l’Europe sociale et à rester en demi-teinte dans la dénonciation des guerres de l’OTAN, et donc dans la solidarité avec ceux qui lui résistent, quelques soient nos désaccords politiques avec eux, Hezbollah, Syrie, Russie, Chine... Une position communiste claire repose sur la résistance des peuples aux guerres impérialistes et l’OTAN, et à la mondialisation capitaliste et ses institutions FMI et U.E., et donc sur l’internationalisme qui prend toujours position par rapport à l’enjeu principal de l’affrontement, faire reculer partout l’impérialisme dominant, et combattre d’abord notre propre bourgeoisie impérialiste.

Sur le deuxième point, il faut prendre en compte toutes les expériences militantes pour les faire converger vers une lisibilité de l’action communiste pour unir le peuple. Bien sûr avec tous ceux qui agissent au concret dans l’action avec les plus démunis, en construisant des revendications qui font le lien avec d’autres, qui montrent au concret que les prolétaires dans toutes leurs situations doivent s’unir, mais aussi en lien avec l’expérience des villes dirigées par les communistes qui sont confrontées aux contradictions bien concrètes entre des intérêts qui apparaissent dans un premier temps comme opposés.

De ce point de vue, aucun communiste, aucun militant ne peut justifier les bidonvilles ! La seule revendication possible est la fin de tous les bidonvilles par l’affirmation du droit au logement. Ce n’est pas du tout une revendication utopiste qui renverrait la solution à plus tard en laissant les migrants dans la jungle. Au contraire, c’est une revendication immédiate qui peut être satisfaite avec des mesures finalement relativement limitées et acceptables dans le système actuel. Doubler le nombre de places de réfugiés et demandeurs d’asile, quitte à installer des centres d’hébergements provisoires, utiliser le le parc social dans les zones non tendues, comme on le fait déjà pour le plan grand froid...

Et une telle bataille permettrait justement d’éclairer le rôle de chacun et donc d’éviter que les élus locaux de droite se cachent derrière l’état pour justifier leur refus de solidarité, tout en valorisant les élus progressistes qui accompagnent une politique d’état en permettant au plan du foncier ou des attributions, des hébergements de migrants.
- La ville de Vénissieux par exemple a été en 2014-2015 une des rares villes répondant à la demande du préfet d’installation d’un hébergement d’urgence du plan grand froid, hébergement provisoire, mais qui illustre ce qui peut être fait. Elle accompagne le relogement de familles roms dans le parc social...
- Mais quand le préfet installe un centre d’hébergement de réfugiés à St-Genis les Ollières, c’est la levée de bouclier des élus de droite contre le projet...

D’un côté, la recherche de solutions concrètes et dignes pour les plus pauvres, et de l’autre l’opposition entre les plus pauvres et les autres...

Bien sûr, aucune solution locale ne pourra tenir dans la durée si les causes profondes des migrations forcées et des précarités ne se réduisent pas. Toute bataille contre l’indignité des jungles et des squats doit porter le refus des guerres, des interventions occidentales pour imposer des gouvernements alliés, de la guerre énergétique des pipelines et autres gazoducs qui expliquent la géostratégie de tant de peuples meurtris.

On peut ainsi résumer une position communiste qui porterait concrètement l’exigence de droits pour tous, loin de ce droit idéaliste du "je m’installe ou je veux dans les conditions que je veux...", droit qui va bien aux bourgeois touristes, mais qui pour la plupart des réfugiés, conduit aux bidonvilles.
- l’urgence absolue de faire cesser les guerres, et donc de cesser de vendre des armes, et de condamner les pays qui choisissent de porter la guerre chez d’autres.
- l ’urgence de faire reculer la concurrence libre et non faussée et d’imposer des relations internationales de coopérations au service du développement.
- un vrai statut du migrant qui lui ouvre de vrais droits, au logement, à l’apprentissage du Français, à une formation professionnelle, pour lui permettre de trouver un parcours de vie qui serait enfin libéré de l’exil forcé et pourrait donc se traduire par le retour volontaire au pays, dans des conditions personnelles de succès.
- un plan de développement de l’hébergement d’urgence au niveau des besoins, avec un accompagnement social des familles qui permettent de contractualiser leur devenir.

La déclaration de très nombreux partis communistes et ouvriers est claire. Dommage que la direction du PCF engoncée dans son soutien au PGE de l’Union Européenne ne puisse la signer.

Autrement dit, bien loin de l’immigration organisée de Mme Merkel à la demande du patronat allemand, bien loi des camps de réfugiés du HCR qui attendent la fin des guerres, il s’agit d’affirmer un rôle de la France avec les réfugiés pour mettre en cause ce qui les a chassés de chez eux, leur permettre de sortir de l’exil forcé en les aidant à acquérir les moyens de choisir leur vie. Il s’agit de considérer les réfugiés comme une partie de la solution, de leur permettre de prendre conscience que leur avenir n’est pas nécessairement dans l’eldorado de la concurrence libre et non faussée. Il s’agit de construire leur capacité d’être une force politique progressiste, lien entre leur pays et le monde, un atout pour sortir de la domination occidentale, et de la "subjectivité du désir d’occident".

[1la première rédaction était ambiguë... "comme un retour à une barbarie d’avant la civilisation occidentale, comme une situation de "nature", de ce que serait l’homme livré à lui-même..."

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