Les Etats-Unis ont-ils un rôle dans le naufrage d’Haïti ?

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Faut-il s’acharner à blâmer la marionnette qui agit sans remonter à la main qui l’active et au cerveau qui commande cette main ? Haïti, la première République noire du monde est un pays de profonde misère et d’instabilité récurrente qui jouxte le pays le plus riche de la planète. Le simple bon sens peut-il nous laisser croire d’une entière neutralité des Etats-Unis dans la politique d’un Etat dans son giron ?

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En 2010, suite au séisme qui a saccagé Haïti et fait plus de 250 000 morts, l’ancien président américain, William Jefferson Clinton (Bill Clinton), fit un aveu surprenant devant la Commission des affaires étrangères du sénat américain. Dans une déclaration teintée de grande sensiblerie, il endossa la responsabilité de ce que des millions d’Haïtiens meurent de faim aujourd’hui, pour avoir forcé l’État haïtien à adopter des mesures de dérégulations commerciales dévastatrices pour l’économie du pays.

« Cette décision a peut être été profitable à quelques agriculteurs de l’Arkansas, mais elle n’a pas marché, admit-il. Ce fut une erreur. J’ai du vivre tous les jours avec ce remords de la baisse de la capacité de production de riz capable de nourrir le peuple haïtien. Tout cela, à cause de ce que j’ai fait. »

Bill Clinton est le président américain sous l’administration duquel la deuxième occupation américaine d’Haïti s’était renforcée en 1994 avec l’intervention de 22 000 marines après que les États-Unis, sur demande de l’ancien président Jean Bertrand Aristide, imposa l’embargo dévastateur qui décima la classe moyenne et accéléra la paupérisation des masses. Curieusement, un an après le séisme dévastateur de 2010, le président Michel Martelly décora Bill Clinton de la médaille la plus prestigieuse de l’Etat haïtien.

On comprend plus tard le sens de cette distinction, lorsque le site arabe Al Jazeera révéla que l’agence américaine USAID finança l’élection de Martelly en 2010. D’ailleurs, en Haïti, on cernait fort mal l’intérêt de la cheffe de la diplomatie américaine d’alors, Hilary Clinton, qui a fait personnellement le voyage pour décider de l’issue du scrutin. L’actuel président du Conseil électoral provisoire, juge du CEP qui organisa les élections de 2010, Pierre Louis Opont, a d’ailleurs confirmé qu’effectivement les résultats proclamés en 2011 n’ont pas été ceux du conseil électoral. Ne s’agit-il pas d’un retour d’ascenseur, lorsque l’un des deux contrats miniers accordé par Haïti depuis plus de 50 ans, bénéficie à la compagnie du frère de Hilary Clinton ?

Une tradition d’ingérence

Il faut rappeler que la USAID n’est pas à son premier coup d’essai dans l’exercice de l’ingérence en Haïti. Le journal Le Monde diplomatique révèle par exemple, que l’agence a dépensé 36 millions de dollars pour que l’ancien fonctionnaire de la Banque Mondiale, Marc Bazin, remporte les élections de 1991 au détriment du populaire leader des masses d’alors, Jean Bertrand Aristide.

La USAID est l’agence de « développement » omniprésente en Haïti qui multiplie pas mal les incohérences. Parmi les plus flagrantes, on peut mentionner ses investissements importants dans la filière agricole. Alors qu’Haïti est aujourd’hui le troisième consommateur mondial du riz des Etats-Unis, la USAID a investi en 2013 des dizaines de millions de dollars dans le développement du riz haïtien.

L’objectif réel n’a pas été de promouvoir véritablement la relance de cette filière, puisque depuis 1989 le Congrès américain avait voté le Bumper’s Amendment. Cette loi interdit l’État américain d’investir dans un pays où il intervient, dans le développement de produits susceptibles de rivaliser les produits américains. Un technicien haïtien a bien démontré les absurdités techniques d’un tel investissement. Et effectivement, le projet WINNER pour la filière du riz a bien tourné au fiasco.

L’économie d’Haïti a toujours reposé essentiellement sur l’agriculture et les USA sont actuellement le premier fournisseur du marché en produits agricoles. Comment logiquement, les États-Unis peuvent-ils promouvoir des filières qui risquent de concurrencer leurs propres produits sur le marché haïtien ?

Les conséquences désastreuses du Bumper’s Amendment sur le modèle de coopération d’Haïti avec les États-Unis ont porté l’ONG Oxfam a requérir en vain un assouplissement du Bumper’s Amendment en faveur d’Haïti.

Des gouvernements antidémocratiques made in America

Les États-Unis ont appuyé la dictature des Duvalier -l’une des plus brutales de l’histoire- qui occupa le pouvoir en Haïti pendant 29 ans. Après la chute des Duvalier en 1986, ils mis en place et supporté une succession de régimes anarcho-populistes corrompus et rétrogrades.

C’est dans cet optique qu’ils ont hissé Michel Martelly au pouvoir, un chanteur qui faisait l’apologie de l’indécence, pour humilier davantage la société haïtienne. Jamais l’establishment américain accepterait une Myley Cirus ou un Snoop Dogg siéger à la Maison Blanche pour présider le destin de millions d’américains. Pourtant, c’est leur homologue que les États-Unis choisissent d’installer président de la République d’Haïti. (Regarder la vidéo)

Cette politique d’humiliation a aujourd’hui affaibli Haïti à un niveau qui dépasse l’imagination. Jamais Haïti n’a été aussi pauvre de toute son histoire et l’ingérence des États-Unis dans sa politique s’accentue parallèlement à cette descente.

Il n’existe pratiquement aucune institution viable en Haïti et l’État n’est qu’une fiction. Le système éducatif totalement démantelé, n’arrive à fournir les compétences nécessaires pour surmonter ce drame alors que plus de 80% des diplômés haïtiens vivent à l’étranger.

La jeunesse -statistiquement majoritaire- est aux abois. Sans repères, elle est gagnée par la dépravation, la corruption et la prostitution. Pour elle, aucune lueur n’est encore visible au bout du tunnel. Et ça va durer encore longtemps. Gobée par l’acculturation et arrimée aux dérives d’un ordre économique mondial délétère (consumérisme, acculturation, distraction par les médias, etc.), elle se révèle incapable de cerner le fond du problème afin de saisir les véritables enjeux

Un pays vidé de sa substance

Il faut côtoyer de près la misère pour avoir réellement une idée de ses mécanismes de déshumanisation. La pauvreté comporte cet aspect cynique, de forcer ses victimes à acclamer leurs bourreaux tels des libérateurs. C’est peut-être ce qui explique cette frénésie des Haïtiens à fuir leur pays, à destination des États-Unis, pour jouir de leur morceau du rêve américain.

Aujourd’hui, tout laisse croire que le consulat des États-Unis en Haïti est l’une des entreprises des plus performantes, tellement les Haïtiens se pressent devant ses comptoirs pour le fameux sésame qui les autorisera à poser le pied sur la grande terre des opportunités.

Ils sont tous les jours ouvrables, des centaines à s’aligner devant l’ambassade des États-Unis, payant chacun 160 dollars le rendez-vous pour se voir massivement refuser un visa. Certains des plus fortunés qui le décrochent, partent le plus souvent pour ne jamais revenir dans un pays ou chaque seconde de vie est une raison de plus pour partir à l’étranger.

Les États-Unis adorent ce jeu, puisqu’une bonne partie de la diaspora haïtienne qui soutient l’économie du pays à travers les transferts d’argent réside actuellement chez lui.

Ceci constitue un puissant levier politique qu’il dispose pour forcer certains dirigeants « récalcitrants » d’adopter toutes mesures qui doivent satisfaire ses ambitions. C’est ainsi, dans la moindre manifestation de souveraineté de la part de certains Haïtiens, la menace principale de l’ambassade des États-Unis consiste en la révocation d’un visa ou le blocage d’un certificat de résidence sur le sol américain.

Aujourd’hui, il n’y a que l’Haïtien qui n’est pas encore né qui ignore que l’ambassade des États-Unis est « LE POUVOIR » en Haïti. Les câbles de Wikileaks révèlent que l’ambassadeur américain fit d’énormes pressions sur le président haïtien, René Préval, en 2009, pour empêcher l’ajustement du salaire minimum. Alors qu’aux États-Unis un ouvrier américain gagnait 58 dollars par jours, les USA refusait que le salaire d’un ouvrier Haïtien passe de 21 à 61 centimes l’heure. (Regardez la vidéo)

Dès qu’il revient d’indexer ces impostures, les médias, les organisations de la société civile et les politiques font carrément profil bas, puisque le dollar américain assure leur fonctionnement.

Fort de tout ceci, quel euphémisme utiliser pour exprimer que la nation la plus puissante du monde fragilise la stabilité et la démocratie en Haïti, sans être taxé d’antiaméricanisme ?

L’ancien président vénézuélien, Hugo Chavez, dans une lecture d’un billet de Fidel Castro, affirma avec sa verve habituelle que Haïti est un pur produit de l’impérialisme américain. Ce discours aura plus tard l’écho d’un ambassadeur de l’Organisation des États Américains (OEA), Ricardo Seintenfus qui avança dans une interview que « le plus grand malheur d’Haïti, c’est sa grande proximité avec les États-Unis ». Pour le professeur américain Bill Quigley, les États-Unis doivent des milliards de dollars à Haïti parce que depuis qu’elle [Haïti] a brisé le joug de l’esclavage, les États-Unis l’ont considéré comme une vieille plantation.

« Les États-Unis n’ont pas d’amis ni d’ennemis permanents, mais seulement ses intérêts » Henry Kissinger 

Comment le pays le plus pauvre de l’hémisphère peut-il résister à la nation la plus puissante qui est l’instigateur principal de ses dysfonctionnements ? Les États-Unis c’est quand même un territoire plus de 330 fois plus vaste et une économie dont le PIB est environ 200 fois supérieur à celui d’Haïti. La fortune de son citoyen le plus riche vaut neuf fois le PIB d’Haïti.

Ceux qui ne connaissent point les réalités des pays pauvres s’empressent de conclure que la grande pauvreté et la corruption ne sont que des produits découlant de l’irresponsabilité des indigènes qui refusent d’organiser leurs propres pays. La critique est aisée, surtout lorsque ceux qui l’avancent ignorent le mode opératoire de l’impérialisme, et sont formatés par les instruments idéologiques de ceux à qui profitent cette critique. Et c’est précisément le cas des États-Unis dont l’influence culturelle et la domination médiatique sont sans égal dans le monde.

D’aucuns comprendront l’impossibilité pour une communauté dont le souci premier est la survie à travers l’émigration, de disposer de suffisamment de cohésion pour s’organiser et répondre de manière articulée à certaines formes d’oppression. En plus de démanteler la cohésion sociale, la misère provoque l’absence de personne ressources, ce qui constitue l’une des principales causes d’incapacité d’organisation et de prises de décisions collectives. Plus de 80 % des haïtiens diplômés vivent à l’étranger selon une étude de la Banque mondiale. De plus, l’oligarchie et bonne partie de l’élite intellectuelle sont traditionnellement les principaux éléments contre les intérêts d’Haïti. Ce qui reste en Haïti, principalement sa jeunesse, n’est qu’un produit dérivé d’un système de destruction soigneusement programmée. Gobée par l’acculturation américaine et arrimée aux dérives d’un ordre économique mondial délétère (consumérisme, acculturation, distraction par les médias, etc.), elle se révèle incapable de cerner le fond du problème afin de saisir les véritables enjeux.

L’Histoire absoudra

Un jour la puissance des États-Unis connaitra certainement son terme. Les historiens se mettront à questionner le cynisme de cette superpuissance qui côtoya sans gêne dans son giron l’un des pays des plus misérables de la planète.

Ils iront dans les annales de l’histoire et verront que Haïti devint la première République noire du monde en combattant l’armée la plus puissante du monde en 1803. Les États-Unis l’ont mis soixante ans en quarantaine avant de reconnaître son indépendance.

Par la suite, cette superpuissance occupa ce petit territoire pendant 19 ans de 1915 a 1934. Elle a soutenu l’une des dictatures des plus féroces pendant 29 ans, réoccupa le territoire en 1994 et imposa un embargo qui dévasta son économie.

Cette puissance fut le rempart le plus sûr des régimes anarcho-populistes et antidémocratiques qui démantelèrent les institutions d’Haïti pendant longtemps. Ils découvriront que ce pays a appauvri sa paysannerie en la forçant à tuer ses cochons créoles pour importer celui des USA.

Ils verront aussi qu’une portion du territoire haïtien, l’ile de la Navase, est confisquée par les États-Unis et interdite d’entrée aux citoyens haïtiens.

Les historiens questionneront surtout ce cynisme par le fait que ce pays dont ses héros épaulèrent les nordistes dans la bataille de Savannah, n’a pas bénéficie d’aucun ménagement des américains pour aider son peuple à évoluer.

Ce qu’ils ne manqueront pas de souligner, c’est surtout cette froide indifférence du premier président noir des États-Unis envers la première République noire du monde.

Voir en ligne : Sur le site ayibopost.com

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