Le réseau ferroviaire français à l’agonie Article sur un rapport de l’Ecole Polytechnique de Lausanne, publié par Agora-Vox

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L’état catastrophique du réseau ferroviaire français a donné lieu à plusieurs articles ces dernières semaines ainsi qu’à un rapport de la Cour des comptes. Un précédent rapport, paru en 2005, établi par l’École polytechnique de Lausanne avait déjà diagnostiqué cette situation catastrophique. En prenant appui sur ce rapport, cet article, a pour objet de faire un état des lieux et de proposer des solutions.

Données physiques et économiques du réseau ferroviaire français

Le réseau ferroviaire français est pour l’essentiel la propriété de Réseau ferré de France qui en assure l’exploitation et la maintenance (maîtrise d’ouvrage).

Le réseau ferroviaire français a une longueur d’environ 29.500 km. Il est constitué de lignes à grande vitesse (LGV) et de lignes classiques à double voie ou voie unique, électrifiées ou non. Ces lignes sont classées selon leur niveau de trafic selon un barème fixé par l’Union internationale des chemins de fer (UIC), dont l’échelle est graduée de 1 (lignes les plus fréquentées) à 9 pour les moins utilisées.

Le tableau ci-dessous permet de comparer le linéaire de voie pour les principales classe de trafic, et la part de trafic réel sur ces lignes.

Classe Linéaire de voie simple ou double Ratio d’utilisation par rapport au trafic total
UIC 1 à 4 (réseau principal) 8.900 km (30 %) 78 %
UIC 5 et 6 (réseau secondaire) 7.000 km (24 %) 16 %
UIC 7 à 9 (réseau secondaire) 13.600 km (46 %) 6 %

Ainsi 78 % du trafic total se fait sur 30 % du réseau (le réseau principal), alors que les 70 % restant n’en absorbent que 22 %, dont 46 % seulement 6 % !

On constate donc une distorsion troublante mettant en évidence la sous-utilisation de près de la moitié du réseau ferré français.

Ces lignes du réseau secondaire ont en général la typologie suivante : voie unique non électrifiée, dotée d’un système de signalisation hors d’âge, voyant passer quotidiennement deux ou trois allers-retours d’autorails et éventuellement quelques convois de fret. Les autorails, assurant des services omnibus, desservent des petites bourgades (de moins de 3 000 habitants), voire des gares ou haltes isolées en pleine campagne, et permettent de relier entre elles des préfectures ou sous-préfectures.

Constat alarmant

Ce réseau est à l’agonie. Ces lignes sont maintenues a minima et n’ont pas bénéficié d’investissement depuis des décennies.

Or, depuis une dizaine d’années, les Conseils régionaux ont lourdement investi dans l’acquisition de matériel neuf (autorails et automotrices) afin de renforcer l’offre des services des Transports express régionaux. Cette politique a eu pour effet une augmentation spectaculaire de la fréquentation de ces services jusque-là délaissés parce que ringardisés par le TGV et l’automobile.

Mais cette relance du transport régional va vraisemblablement se trouver dans l’impasse dans les cinq à dix ans à venir. Aujourd’hui, sur des portions de lignes de plus en plus conséquentes, des autorails flambants neufs se voient limités à 30 km/h voire 10 km/h !

Comment sortir de cette gestion schizophrène de nos chemins de fer ?

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La gare de l’Hôpital du Gros-Bois dans le Doubs - Située sur la ligne Besançon-Morteau, elle est représentative de ce réseau secondaire à l’agonie.

Les trois scenarii de l’Ecole polytechnique de Lausanne

Le rapport fait l’état des lieux actuel (en fait l’état de 2004) de la politique de maintenance du réseau ferroviaire.

Réseau ferré de France (RFF) en charge de la gestion de l’infrastructure dépense chaque année environ 2,5 milliards d’euros pour maintenir l’ensemble du réseau. L’argent va bien entendu pour l’essentiel au réseau principal (30 % de la longueur). Le rapport de l’EPL démontre que le réseau UIC 7 à 9 (46 % du linéaire) n’a bénéficié de pratiquement aucun renouvellement de voie depuis 1988 !

D’après le rapport, d’ici 2015, si l’on reste dans l’état actuel, il faudra fermer près de 50 % du réseau (ce qui n’impacterait que 6 à 10 % du trafic).

Trois scenarii sont alors proposés pour sortir de cette situation.

Scénario A : maintien du niveau actuel des dépenses d’entretien et de renouvellement.

C’est le scénario aujourd’hui retenu par RFF, donc par l’Etat. Ce scénario qui voit s’éroder la valeur constante du budget alloué à l’entretien devrait conduire à voir la disparition du réseau secondaire (60 % des lignes) à court terme (d’ici 2025).

On pourrait la qualifier de solution "d’euthanasie lente" du réseau ferroviaire.

Cette solution est calculée sur la base de 2,5 milliards d’euros de 2004 annuels (en euros constants, le « pouvoir d’achat » de ce montant diminue chaque année).

Scénario B : maintien du réseau dans son état actuel

Ce scénario évalue le coût annuel qu’il faudrait allouer à l’entretien pour maintenir le réseau dans son état actuel. Cette solution, qui limite notablement les dépenses supplémentaires, ne fait cependant que reporter la question cruciale de la modernisation (renouvellement des voies et des systèmes de signalisation), qui interviendra à moyen ou long terme. Par ailleurs, le budget à allouer sera en augmentation constante, notamment à l’horizon 2020, du fait de l’absence de rénovation intégrale.

On pourrait qualifier cette solution de "maintien sous perfusion".

Cette solution nécessite d’augmenter de 500 millions d’euros constants (2004) le budget de la maintenance et renouvellement, soit le passer à 3,0 milliards d’euros constants.

Scénario C : remise à niveau

C’est le scénario préconisé par le rapport de l’université de Lausanne, mais aussi celui qui a le coût le plus élevé : renouveler les installations. Cette rénovation aurait l’avantage, du fait des gains de productivité, de réduire les coûts d’exploitation, pour des performances améliorées.

Cette solution nécessite d’augmenter de 950 millions d’euros constants (2004) le budget de la maintenance et du renouvellement jusqu’en 2015 (soit 3,450 milliards d’euros, qui pourraient être ensuite ramenés à 3,1 milliards après 2015).

Synthèse

Il va de soi que le scénario B n’est pas économiquement intéressant puisque, malgré un coût élevé, il ne va pas au bout de la démarche de modernisation et ne fait que reporter le problème aux générations futures. Il présente néanmoins le risque majeur de se voir préféré par des politiques soucieux de leur avenir à court terme.

Restent les scénarii A et C.

En ces temps difficiles de restrictions budgétaires, le scénario C dans son intégralité semble bien difficile à justifier. En effet, remettre à niveau des lignes dont on sait qu’elles n’atteindront jamais un trafic substantiel n’est pas justifié économiquement (le rapport ne parle déjà que des lignes voyant un trafic supérieur à 20 trains/jour).

De nombreuses dessertes voyageurs sont déjà assurées par des autocars (partiellement ou intégralement).

Toutefois, certaines lignes ont un potentiel de développement, notamment à proximité des agglomérations et il serait dommage de ne pas profiter de ces infrastructures pour offrir des alternatives économiquement viables au transport routier.

Ce que nous sommes en droit d’attendre des pouvoirs publics et du gestionnaire de l’infrastructure ferroviaire

L’adoption d’une politique énergique et radicale d’aménagement du territoire et de restructuration du réseau ferroviaire français :

1) définir une cartographie du réseau d’intérêt national, en identifiant les axes frets et voyageurs qu’il convient de maintenir pour la cohésion des territoires (on l’appellera réseau N) ;

2) définir pour chaque région une cartographie les lignes ou tronçons de ligne ayant un réel potentiel de développement, avec justifications démographiques. Accompagner ce travail d’identification par une réglementation stricte quant à l’implantation des lotissements, parcs d’activité, centres commerciaux, qui doit se faire impérativement à proximité des ces axes. On appellera dans la suite la somme de ces réseaux régionaux le réseau R ;

3) allouer au réseau N et au réseau R le budget d’entretien prévu au scénario C, soit le budget maximal d’entretien pour une mise à niveau complète ;

4) fermer dans les plus brefs délais (afin d’éviter l’affectation inutile de ressources budgétaires), les infrastructures ne faisant pas partie du réseau N ou R, avec substitution (voire refonte) des dessertes voyageurs par autocar, en articulation avec les réseaux N et R. Appelons ce réseau désaffecté le réseau Z. Il conviendra de s’assurer, à la fois pour RFF et la SNCF que la perte de chiffre d’affaires occasionnée par ces fermetures n’affecte pas de manière significative le résultat du reste du réseau (en effet, le chiffre d’affaires de ce réseau absorbe des frais fixes et des amortissements, qui se répercuteront alors ailleurs).

Cette stratégie, certes radicale, nécessite tout de même une augmentation de budget qui ne peut avoir que deux sources :

- hausse des recettes d’exploitation

et/ou

- subvention d’Etat annuelle.

Dans un premier temps, il semble que la subvention d’Etat devrait prendre l’essentiel de cette augmentation de budget. Dans le temps, en misant sur une croissance du trafic, les recettes d’exploitation pourraient se substituer progressivement à la subvention d’Etat.

Cependant, comme indiqué plus haut, les restrictions budgétaires ne laissent pas beaucoup de marges de manœuvre. Sur les 950 millions d’euros annuels supplémentaires qu’il faudrait pour une remise à niveau complète des infrastructures existantes d’ici 2015, supposons que l’Etat n’en alloue que 300 millions (ce qui serait honorable).

En première approche, cela signifie la fermeture d’environ 7.000 km du réseau dit "secondaire" soit un peu plus près la moitié des lignes classées UIC 5 à 9 (24 % du réseau total) et son transfert intégral sur route. Ce réseau Z devra faire l’objet d’études particulières, pour déterminer les lignes "de réserve" qui devront faire l’objet d’un entretien minimal et celle dont l’abandon définitif est à prévoir.

Avec ce sacrifice, 13.600 km de lignes à moyen et faible trafic seraient a contrario complètement renouvelées et modernisées avec des perspectives de développement.

Dans un contexte budgétaire complexe, auquel s’ajoute la dette inexpurgeable contractée par la SNCF puis RFF dans les années 70-80 pour la construction du TGV, cette solution est plus qu’acceptable. Elle s’inscrit en effet dans une démarche de développement pragmatique.

Mais annoncer la fermeture de 7.000 km de lignes, même si ces dernières ne voient passer chaque jour que quelques autorails et quelques dizaines de voyageurs, est une tâche difficile. Seul un plan énergique tel que celui décrit dans cet article peut convaincre nos concitoyens de cette nécessité.

C’est la responsabilité du Premier ministre et du ministre de l’Ecologie, mais c’est aussi celle des élus locaux qui auront à trancher sur les dessertes voyageurs à sacrifier (en fait à reporter sur route) dans leur région.

Article lu sur Agora-Vox, "le média citoyen"

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