Le mouvement révolutionnaire et les lois du mouvement historique

, par  Gilles Questiaux , popularité : 2%

Pour le capitalisme, dans l’histoire, « le mouvement est tout, le but n’est rien ». Mais l’expérience historique semble bien prouver qu’en l’absence d’un but, tout mouvement progressif cesse, voire même que le char de l’histoire se met à dévaler la pente à reculons.

L’histoire est donc orientée vers un but. Sinon elle n’est que ce « récit plein de bruit et fureur, raconté par un fou, à l’intention des idiots ».

Le matérialisme historique trace sa route à travers les siècles de l’histoire humaine et la décrit à grandes enjambées. Marx, dans l’Introduction de 1859 à la Critique de l’Économie Politique, à lire ici : Marx et Engels dans le Manifeste du Parti Communiste (1847), Staline, dans Matérialisme Historique et Matérialisme Dialectique (1937) ou Gramsci, dans les Cahiers de Prison, par exemple au cahier N°16 article 26, à chaque fois par le moyen de textes brefs et clairs ; on essaiera ici de faire de même.

L’histoire de l’humanité est très courte et la préhistoire en représente 99% : un ou deux millions d’années depuis les premières ébauches d’outil par un être qui n’est pas encore humain par son apparence, 400.000 ans depuis l’utilisation du feu qui le singularise dans le monde animal et le propulse en haut de la chaine alimentaire, comme prédateur sans prédateur, mais 100.000 ans d’existence au plus pour l’espèce humaine dans sa forme actuelle, l’homo sapiens-sapiens. En analysant l’ADN et l’ARN humains, les généticiens auraient pu faire remonter tous les membres de l’espèce à seulement quatre individus de sexe féminin qui auraient vécu il y a 75.000 ans. Dans sa plus longue extension temporelle, l’humanité n’a existé que pendant 0,05 % de la durée d’une planète de 4,9 milliards d’années et 0,02% de celle d’un univers de 13,5 milliard d’années d’âge.

Mais l’histoire proprement dite est bien plus courte encore : elle se met en place soudainement comme temporalité irréversible avec l’invention de l’agriculture, quand l’espèce humaine sort de la soumission à la nature en étant capable, par l’organisation sociale, de produire ses aliments, et non simplement de les recueillir dans le milieu ambiant. Cette réserve alimentaire conservée sur l’année, étendue bientôt à d’autres ressources, est aussi l’invention de la richesse, épargnée et cumulée, et le début d’une modification cataclysmale, en termes de vitesse relative, du milieu naturel. Car dix mille ans ne sont à l’échelle du temps géologique qu’un instant. 8.000 ans sont passés depuis l’invention de l’agriculture, 5.000 depuis l’invention de l’écriture, 2.500 ans depuis le commencement grec de la pensée rationnelle qui sépare la science et l’histoire du mythe, 574 ans depuis le premier livre imprimé, 250 ans au plus depuis la révolution industrielle, 110 ans depuis le premier avion, 69 ans depuis la bombe atomique, 45 ans depuis la mise au point du réseau Internet. Les choses se précipitent et il y a incontestablement une accélération de l’histoire humaine, et une direction au devenir historique. Le sens de l’histoire, qui est clairement lisible a posteriori, il n’y a aucune raison qu’il commence à s’égarer maintenant, après avoir poursuivi sa tendance de progrès pendant tant de siècles, et il n’y a donc aucune raison de supposer qu’à partir de maintenant c’est la fin de l’histoire, mais ce n’est pas indifférent que cette fin ait été proclamée partout à son de trompe au moment de la destruction de l’URSS, il y a quelques vingt ans. Cette tendance incontestable vers un progrès multiforme de l’humanité est en soi une énigme. La pensée dominante non seulement ne donne pas d’hypothèse sur la solution de cette énigme mais interdit même de la formuler, ou alors seulement sous forme de mièvrerie métaphysique, de l’ordre des sophismes théologiques et de la pacotille New Age. Non qu’il soit désagréable de bavarder de métaphysique, mais contrairement aux apparences il s’agit ici d’une question urgente et pratique de toute première importance.

Cette direction de l’histoire se voit dans les faits les plus évident : l’humanité est toujours plus nombreuse, plus instruite, échappe toujours davantage à la nature et à ses fléaux. Si l’homme individuel est reconduit après une vie plus longue que celle de ses ancêtres devant le déclin de l’âge et la mort, son espèce échappe à ce cycle (quitte à accumuler des menaces globales à court terme, qui ne sauraient être résolues sans davantage encore de progrès). Le plus misérable des habitants de la terre dispose potentiellement de richesses dont ni Louis XIV ni Napoléon n’auraient pu rêver, et manipule des objets techniques qu’ils n’auraient même pas pu imaginer. L’humanité, envisagée à l’échelle séculaire, est aussi de plus en plus démocratique dans divers aspect de la chose et maitrise des champs de plus en plus divers. Le recours direct à la violence est de plus en plus illégitime. L’esclavage disparait. L’arbitraire recule. Aucun doute n’est possible : le progrès existe. Mais il ne vient pas tout seul : la recherche de nouveaux moyens techniques est animée par l’effort conscient et opiniâtre, bien que parfois exprimé dans un langage métaphysique issu du passé, d’améliorer la condition humaine en commençant par sa base matérielle. Et lorsque cet effort conscient cesse les régressions sont brutales et terrifiantes.

Le matérialisme historique a déterminé la succession dans l’histoire de quatre modes de production, chacun étant à chaque fois supérieur au précédent, en quantité et en qualité : communisme primitif (dont le nom n’est plus très pertinent au vu des progrès de l’anthropologie, mais qui montre au moins l’absence de la marchandise et de l’État à ce stade), correspondant à peu près au néolithique. Puis : le mode de production esclavagiste (Antiquité classique), le mode de production féodal (Moyen Âge européen et japonais), et le mode de production capitaliste pour l’époque contemporaine ; l’époque moderne de 1.400 à 1.750 environ correspond à peu près à une transition progressive entre les deux derniers modes de production ; c’est aussi le moment du décollage européen des techniques simples, de la science rationnelle, de la technologie militaire, et de l’administration d’État qui prépare la révolution technologique et industrielle, qui commence vers 1.750 en Angleterre, une révolution continue, et qui continue toujours. Le mode de production capitaliste peut lui même être subdivisé : capitalisme libéral, impérialiste, monopoliste (avec des anticipations de socialisme), néo-impérialiste. Chaque nouveau mode de production provoque simultanément une amélioration de la production générale, de la production par tête, une extension démographique considérable, mais aussi un renforcement de l’exploitation, et de son corrélat idéologique et moral (et mental), l’aliénation. L’exploitation est toujours plus intense, et elle est aussi toujours mieux dissimulée par l’idéologie dominante, au point de devenir invisible à première vue dans les rapports sociaux, l’œil nu, dépourvu de la théorie critique, ne pouvant ou ne voulant plus la voir dans le salariat, rapport d’exploitation maquillé en transaction équitable. Exploitation invisible sans doute à l’intellect, mais durement ressentie par le corps (si l’intellect n’en fait pas partie). Enfin on peut remarquer que des innovations d’un mode de production développent toutes leurs potentialités dans le mode de production suivant : ainsi la monnaie et la marchandise, apparues dans l’antiquité, le salariat et la société par action, apparus à l’époque féodale, caractérisent le fonctionnement du capitalisme pleinement développé. Il est douteux que ces institutions de la société humaine toujours plus complexe, qui sont aussi des instruments de la production et des échanges disparaissent dans le mode de production suivant. Elles continueront d’exister au sein du mode de production socialiste, avec un rôle différent.

A cette suite orientée qu’il n’est pas sérieux de mettre en doute, il faudrait ajouter un mode de production asiatique, ou hydraulique, qui serait en fait mieux nommé « impérial » par l’importance essentielle que joue l’administration de l’État, confondue avec la religion officielle, ainsi dès l’Antiquité en Égypte au Pérou ou en Chine, pour organiser économie et écologie dans le but de protéger et de nourrir une population très abondante pour l’époque. Ce mode de production vient se greffer à divers moments du développement historique comme une branche divergente sur le tronc commun, et souvent comme une impasse et une stabilisation de l’histoire. Il présente parfois des anticipations étranges du socialisme, dans ses moins bons cotés, comme celui de la tendance à la stagnation, ou en tout cas d’un « État providence » avant la lettre. Le mode de production impérial n’est pas la seule vicissitude rencontrée par le progrès dans sa marche en avant. On peut aussi noter parfois des régressions vers des formes caractéristiques d’un mode de production antérieur (ainsi la réintroduction de l’esclavage dans le mode de production féodal à l’époque moderne, dans les colonies et du servage en Europe de l’est). Mais le mode de production dit « asiatique » se caractérise aussi par une volonté politico-religieuse de stabilisation et de fin de l’histoire qui est comme celle qui pointe son nez aujourd’hui. En cela la dénomination impérial lui convient mieux ; il est lié à la fondation des grands monothéismes, dont les appareils cléricaux ou les bras séculiers ont aussi cette volonté d’arrêter le développement du temps. Et aujourd’hui une grande énergie est investie dans la réactivation de ces monothéismes, en commençant par les plus vigoureux, les plus récents, et les moins amendables).

Le temps n’est cyclique qu’avant l’histoire, mais les empires veulent le « recycler », ou parfois le transformer en temps d’attente de l’apocalypse. La réaction antisocialiste et antidémocratique du XIXème siècle, plus radicalement encore imagine de renvoyer l’humanité aux origines barbares, au bon vieux temps de la brute blonde du Nord. C’est aussi le mythe de l’éternel retour nietzschéen qui cherche à escamoter l’histoire et qui passe par profit et pertes l’humanité entière, sacrifiée au nom de l’esthétique. Malgré ces tentatives de la ralentir, de l’égarer, de la perdre, l’humanité progresse inexorablement vers un but, et l’enjeu de la lutte des classes dans la conscience, qui s’exprime par la polémique philosophique, est la détermination de ce but.

Avec un air de sobriété, science et morale sous le capitalisme s’abstiennent d’en parler, et présentent ce renoncement prématuré comme une forme de sagesse et de modestie méthodologique. En fait, elles sont gênées et s’en détournent volontairement. La question du but commence alors à encombrer l’inconscient et à produire des symptômes. Le mouvement de l’histoire est devenue l’éléphant dans le couloir ! Mais l’évoquer seulement, ce serait retourner à la métaphysique, et celle-ci est rangée par la culture scolaire et universitaire du coté des forces obscures. Et il faudrait reconnaître alors qu’il y a bien une philosophie contemporaine, et une science qui en parlent, que c’est la philosophie du matérialisme dialectique, et la conception scientifique de l’histoire, celle du matérialisme historique. Si vous voulez entendre parler du but du mouvement historique dans le langage de la science rationnelle, c’est à elles qu’il faut vous adresser, et non aux monothéismes qui ressassent les compromis historiques des empires du passé avec leurs clercs sur le dos de leurs peuples. Le communisme est le seul but collectif universel réconciliant l’individu avec l’espèce et résolvant la contradiction entre le progrès catastrophique des bâtisseurs de ruines et la stagnation impériale des gestionnaires de tombes, le seul horizon qui soit, où l’humanité elle-même, réunifiée, non plus divisée en classes, non plus asservie au capital, décidera librement de ce qu’elle entreprendra ; décidera s’il faut changer, détruire ou conserver, s’il faudra faire du neuf ou garder l’ancien. Elle ne se pliera ni au conservatisme systématique des réactionnaires et des nostalgiques des ordres d’antan, ni au mouvement perpétuel du capital à la recherche insatiable du profit. Elle décidera rationnellement de ses besoins, de ses effectifs, etc. ; et entreprendra la longue lutte pour sa survie multimillénaire, en s’engageant sur la voie tracée par Gagarine à l’expansion dans le Cosmos, consciente et en possession et maitrise de la nature, mais consciente aussi d’être en danger durable d’être détruite par son propre élan.

Le socialisme est bel et bien le mode de production appelé à succéder au capitalisme, à la suite d’une longue période de transition. Mais on pourrait aussi bien l’appeler le mode de production de la conscience pratique, de la praxis, qui doit réunir les conditions du communisme. Et il ne s’agit pas d’organiser la distribution passive de biens aliénants inventés auparavant sous le capitalisme, et recopiés ensuite pour des siècles pour en jouir dans un paradis vite périmé. Seul le communisme qui décide de la création et de la production des biens peut permettre à l’humanité de réaliser ses buts, de prendre conscience de là où elle va de toute manière, mais où elle ne parviendra pas sans retard si elle n’en prend pas conscience. Où elle ne parviendra pas si le capitalisme pourrissant la détruit avant.

Et la conscience actuelle de la direction déterminée du mouvement historique est une arme puissante pour rassembler les exploités vers le renversement de l’ordre social, le passage de la préhistoire déterminée par l’économie à l’histoire consciente qui est son dépassement rationnel. La certitude d’aller vers le mode de production socialiste, et le communisme, compris comme société politique intégralement démocratique, est la certitude de la victoire finale qui se répand peu à peu dans les masses, et qui est une des conditions qui détermine cette victoire. Le futur n’est pas écrit dans un texte sacré, il est écrit dans les aspirations millénaires des peuples à la liberté, à l’abolition des classes, à la maîtrise du progrès technique mis à son service et non plus au service profit et de la guerre, et à l’abondance matérielle consciemment produite et gérée dans toutes ses conséquences. Et si ces aspirations ne sont pas comblées, il n’y aura tout simplement de futur pour personne. Socialisme ou barbarie, disait Rosa Luxembourg ? Non, socialisme ou anéantissement à brève échéance.

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