Laïcité : Arrêtons de nous rejeter la patate chaude

, par  André Gerin , popularité : 1%

L’UMP tente un nouveau hold-up sur la laïcité avec la convention nationale qu’elle organise le mardi 5 avril sur ce thème. Une fois encore, elle joue avec les allumettes.

Ainsi nous a-t-elle annoncé d’abord un débat à son initiative sur l’Islam, puis l’intitulé fut retoqué. Il s’agit maintenant de la laïcité.

Je me souviens avoir été confronté au même type d’OPA quand la mission d’information parlementaire que je présidais réfléchissait sur la pratique du port du voile intégral dans le pluralisme des formations représentées à l’Assemblée nationale. Jean-François Copé s’était essayé à capter et à dévoyer ce travail sérieux conduit par les députés.

S’en est suivie la calamiteuse initiative sur l’identité nationale dont le fiasco fut patent.

En réalité, l’UMP est engagée dans une cavalcade effrénée avec le Front national qui lui siphonne les suffrages conquis en 2007 et avec lequel il croit bon d’être en compétition pour sauver le soldat Sarkozy. En s’aventurant dans les marécages idéologiques du FN, le Président de la République n’a fait que légitimer la stratégie de la famille Le Pen et l’UMP est prise à son propre piège.

La course à l’échalote, dans les années trente, consistait à forcer quelqu’un à courir en le tenant par le col et le fond du pantalon. Le compétiteur courait donc sous la contrainte. C’est exactement ce que fait Jean-François Copé et c’est Marine Le Pen qui le tient.

Le plus préoccupant dans cette confrontation puérile et dérisoire, c’est qu’elle prend pour thème l’un des fondements de la République. La laïcité constitue le pilier de notre vivre ensemble. C’est sur cette base que des personnes différentes, aux croyances et aux convictions diverses, peuvent se trouver dans le même espace et le même temps au lieu de s’enfermer dans leur particularisme et nourrir ainsi des prétextes à affronter ceux d’à côté ou d’en face.

Dans ces conditions, engager un débat qui, au lieu de rassembler, va montrer du doigt telle ou telle partie de la population, en l’occurrence les musulmans, dessert la laïcité, la République, le vivre ensemble.

Les musulmans ont leurs intégristes – et ils ne sont pas les seuls - qui veulent en découdre avec la République. Ce sont ces derniers qu’il faut combattre et nous avons besoin des premiers, qui sont majoritaires, pour y parvenir.

Alors, plutôt que de stigmatiser la deuxième religion de France et d’Europe, nous avons l’impérieux besoin de l’associer à l’exigence de laïcité, qui permette à ses fidèles de pratiquer leur foi en toute liberté, comme les autres religions.

Pour cela, n’ayons pas peur d’avoir un regard critique sur tout ce qui a pu écorner, à des moments divers, le principe de laïcité.

Rappelons d’abord que la loi de 1905, qui en est l’un des fondements, est née dans la douleur.

Il fallait affronter cet héritage judéo-chrétien qui, durant 14 siècles, avait imposé des règles et sa vision du monde jusqu’au plus profond de la vie sociale. Le roi était de droit divin. L’Eglise avait en charge l’état civil, l’éducation, la police des mœurs et de l’esprit. Bref, tout était sous contrôle religieux.

Cette imprégnation a laissé des traces et le combat de la laïcité a connu des rebonds et des revers. Nous avons assisté, sous la Présidence de François Mitterrand, à des reculs essentiels sur cette question pour contenter la droite et déjà se servir du Front national.

Songeons seulement à la tentative avortée d’un grand service public unifié de l’éducation nationale portée par Alain Savary en 1984 ou à rebours des intentions du projet Balladur-Bayrou, en 1994 (loi Falloux), de mettre sur le même plan institutionnel école laïque et école privée. Et là, il ne s’agissait pas de l’Islam mais bien, pour autant, d’une entorse concrète à la loi de 1905.

Dans le premier cas, la laïcité a dû marquer le pas ; dans l’autre, elle est passée très près d’une régression et d’une remise en cause. La question est toujours latente. Il suffit de considérer cette proposition de loi de 2009 visant à contraindre les communes à financer, dans certains cas, les frais de fonctionnement des écoles privées confessionnelles.

La gauche a raison de dénoncer ce président et cette UMP qui jouent aux apprentis sorciers mais pour autant, elle ne saurait en aucun cas se débarrasser d’une question majeure.

L’affaire du port du voile islamique au collège de Creil en 1989 a marqué une intrusion agressive du religieux dans la sphère publique.

Disons-le clairement : le ministère Jospin a joué la défausse. Saisi, le Conseil d’État renverra vers les chefs d’établissements scolaires le soin d’apprécier s’il s’agit d’actes d’affichages religieux manifestes, de pression et de prosélytisme.

Il en résultera tout d’abord, aux termes de l’avis de ce même Conseil d’État, que « le port par les élèves de signes par lesquels ils entendent manifester leur appartenance à une religion n’est pas par lui-même incompatible avec le principe de laïcité, dans la mesure où il constitue l’exercice de la liberté d’expression et de manifestation des croyances religieuses ».

Je fais mienne cette appréciation de Gilles Kepel, qui date d’octobre 1994, selon laquelle « si l’on veut conserver la possibilité pour les jeunes d’un accès à l’universel, il me semble difficile d’accepter que puissent se manifester les signes d’un repli communautaire dans l’espace public de l’école ».

En effet, l’acceptation du communautarisme dans les lieux où, par excellence, l’égalité est la règle, laquelle égalité est d’autant plus violée que le voile établit une différence entre les sexes.

Il faudra pourtant attendre la commission Stasi en 2003 et la loi sur l’interdiction du port de signes religieux ostensibles à l’école en mars 2004.

Qui peut ne pas voir que ces tergiversations, ces atermoiements ont laissé des traces ?

Il est évident qu’il s’agissait là d’un premier test à l’égard de la République sur sa capacité à résister à la tentative d’envahissement religieux et communautariste.

Là déjà, la religion – en l’occurrence l’Islam – est instrumentalisée à des fins politiques. Le voile constitue non seulement une volonté de singularisation mais souvent de défiance, à un moment où à l’échelle internationale, le religieux peut apparaître comme un recours, un moyen de résistance et, ici, en France, comme un vecteur d’identité, de reconnaissance quand la société tend à vous refuser l’un et l’autre. Dès lors que les jeunes se sentent rejetés, ils se replient sur ce qui leur apparaît le plus proche, le plus susceptible de leur faire une place. La cécité de l’État à l’égard de cette situation est d’autant plus grave qu’elle touche principalement des quartiers paupérisés qui deviennent du même coup, des lieux privilégiés d’exploitation pour les mafias, les trafiquants de drogues et les intégristes.

C’est pourquoi il est urgent de dresser le bilan de ces 20 dernières années, de tous les accommodements, les arrangements, qui ont été consentis face à cette offensive : les heures d’ouverture spécifiques pour les femmes dans les piscines en négation du principe de mixité, les commerces communautaires, l’exclusivité de produits hallal et, bien sûr, le port du voile intégral.

Dans ces conditions et face à cette dérive, la transmission de la culture républicaine est mise à mal et avec elle la capacité à intégrer des populations.

Il nous faut reprendre, de ce point de vue, les préconisations du rapport Stasi, de la mission d’information sur le voile intégral et, plus récemment encore, du haut comité à l’intégration.

Il est grand temps de prendre conscience des dérives communautaristes dans certains territoires de notre pays, cette emprise dangereuse qui remet en cause les institutions de la République. Je pense, en particulier, à toutes les pressions qui sont exercées sur les enfants, en matière vestimentaire, sur les adolescentes pour les exonérer du sport-piscine, sur les jeunes filles menacées de mariage arrangé ou forcé, sans parler de la vie d’enfer menée à des jeunes femmes mineures, si elles se rendent au planning familial, si elles ont des rapports amoureux avec des non-musulmans. Et je ne parle pas de celles et de ceux qui voudraient changer de religion car cela leur est interdit.

Nous ne pouvons fermer les yeux sur le fait que dans certains territoires de notre pays, la loi de la charia se trouve imposée dans la contrainte et sur fond d’ignorance, d’obscurantisme, d’enfermement et d’endoctrinement. Des témoignages d’enseignants ont pu montrer que des jeunes adolescents de 14 - 15 ans en viennent à contester le prof d’histoire, de géographie ou de sciences naturelles.

Les mêmes questions continuent de se poser, sous diverses formes, dans les hôpitaux publics, les universités, les services d’état-civil, les crèches, comme vient de le montrer l’affaire Baby Loup, et dans les entreprises où se font jour des revendications communautaristes et religieuses.

La loi de 1905 a posé des principes fondamentaux sur lesquels il nous faut revenir. Les choix spirituels appartiennent à chaque citoyen. En aucun cas, ils ne sauraient s’imposer dans l’organisation sociale et la conduite de la société. La vigilance à cet égard doit être permanente tant il est vrai que la tentation est forte, lorsque l’on a une certaine vision du monde, de l’imposer à tous. Cela ne vaut pas que pour la France. L’enjeu est géopolitique.

C’est pourquoi nous n’avons plus besoin de débat et de palabres aux relents politiciens et pré-électoraux. Il faut que les partis politiques, de gauche et de droite, assument leurs responsabilités et disent clairement à l’ensemble de la population que l’Islam, deuxième religion de France et d’Europe, a droit de cité dans la France du XXIème siècle, un Islam spirituel « républiquement » compatible. Aussi tendons-nous la main aux français de confession musulmane qui veulent vivre paisiblement dans le respect de nos valeurs.

Il faut des actes qui ne visent pas à stigmatiser les musulmans ou les pratiquants d’autres religions mais qui rappellent que nous vivons ensemble et que cela implique le respect de règles qui s’appuient sur ce que nous avons en commun, qui permettent à chacun d’être soi-même parmi les autres.

La laïcité est un combat républicain qui doit transcender les clivages politiques. C’est dans ces conditions que les députés de 1905 ont voté la loi de séparation de l’église et de l’État.

Nous ne sommes plus dans le même contexte mais nous avons à répondre à une profonde crise morale que traversent la société française et, sans doute, toutes les sociétés humaines. Plus que jamais nous devons promouvoir nos valeurs républicaines, fidèles à nos pères fondateurs. Nous avons un défi de civilisation à relever dans le même esprit de la France des valeurs universelles et singulières.

C’est pourquoi gauche et droite doivent arrêter de se rejeter la patate chaude afin d’unir le peuple de France.

André GERIN

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