Affirmer le rôle de la Nation contre la Mondialisation capitaliste
La mondialisation capitaliste est très couteuse - Partie 2

, par  Jean-Claude Delaunay , popularité : 1%

Pour établir une infrastructure mondiale régulatrice, il faudra « autre chose » que des réunions du G20. Non seulement seront nécessaires la bonne volonté et l’intérêt d’États, comme la Chine. Mais il faudra des crises ébranlant le système et un mouvement multinational de masse qui impose ces autres rapports mondiaux, en procédant notamment à la nationalisation des principaux acteurs de la mondialisation capitaliste. Nous sommes encore très éloignés d’une telle issue.

Cela dit, la régression de l’ordre mondial n’est pas la seule défaillance de la mondialisation capitaliste. On peut en repérer deux autres catégories.

1) La première est celle de ses coûts économiques et humains courants de fonctionnement.

2) La deuxième est qu’elle prend à revers le développement contemporain des forces de production.

Pour Marx, un mode de production est condamné dès lors qu’il contredit ce qu’il y a de plus essentiel dans le développement des forces productives qui l’animent. C’est bien ce que l’on observe.

D’un côté les forces productives, par suite du fonctionnement des rapports sociaux capitalistes, atteignent un degré élevé de maturité et de complexité. Mais d’un autre côté, ces mêmes rapports sociaux empêchent le développement de ce qu’ils ont engendré.

Cet article est divisé en deux parties.

Dans la première partie, je vais donner quelques indications sur les coûts de fonctionnement spécifiques ordinaires de la mondialisation capitaliste. C’est ce que Marx aurait pu appeler « les faux frais de production courants » du capitalisme monopoliste financier mondialisé.

Dans la deuxième partie, je me demanderai quel est le mode de production porté par les forces productives contemporaines. Je serai conduit à présenter « deux dessins ». Il existe une grande ressemblance entre ces deux dessins, mais aussi une différence.

Je me demanderai alors quel est le coût de la mondialisation capitaliste relativement à ces évolutions. Parler de coût est une façon sommaire de parler. Mais leur analyse rend rationnel le besoin d’une autre organisation sociale, socialiste, pour que les forces productives les subissant puissent suivre leur plein essor.

Le fonctionnement courant de la mondialisation capitaliste

Pour justifier la destruction des nations comme centres de décisions économiquement autonomes et politiquement indépendants, la raison évoquée par Pascal Lamy (PL) est l’efficience économique qui découlerait de la multi-localisation.

Voici comment Ludovic Hubler, un blogueur parmi d’autres, illustre le phénomène de la multi-localisation des processus productifs (cf. Z208 Bangalore, capitale mondiale de la sous-traitance).

Un dénommé Jones, cadre dans une entreprise américaine, se prépare à rentrer chez lui sans avoir pu terminer son travail de la journée (le pauvre ! il souffre ! ndlr). Avant de quitter son bureau, il prend contact avec une secrétaire indienne, son assistante personnelle à distance, localisée à Bangalore : « Très sérieuse et motivée à l’idée de travailler avec les États-Unis, écrit le blogueur, elle fera toutes les recherches nécessaires et enverra par email le travail terminé que M. Jones trouvera dans sa boîte au petit matin. Les 24 heures sont aujourd’hui productives et l’assistante personnelle coûte bien moins cher qu’une assistante américaine ».

La multi-localisation liée à la mondialisation capitaliste n’est-elle pas merveilleuse puisqu’elle permet aux capitalistes de pays développés de s’approprier du temps de travail de manière continue et pour moins cher (4 à 5 fois) que dans leurs pays ? L’Amérique du Nord serait le bureau central de planification et de financement du monde, la Chine en serait l’atelier et l’Inde, le secrétariat. Emballé, c’est pesé !

Certes, les prolétariats des « vieilles nations » seraient malmenés par ces pratiques. Mais l’amélioration de leur situation ne serait qu’une question de temps et de compréhension des mécanismes à l’œuvre. D’ores et déjà, ces « vieux prolétariats » pourraient acheter des produits dont les prix réels tendraient à baisser sans arrêt. On ne sait pas trop avec quel pouvoir d’achat, ils ou elles feraient ces achats avantageux. Mais n’entrons pas dans les détails.

On doit contester absolument, selon moi, la caractéristique d’efficience accordée à la mondialisation capitaliste par PL. Car ce processus, tel que le décrit Hubler, est ignoble dans son principe et très coûteux économiquement.

Mais la discussion sur ce point est sujette à controverses. Moi, je vais insister sur les coûts de la mondialisation capitaliste. C’est normal, je suis contre. Ses partisans vont au contraire insister sur les économies engendrées et ils (elles) vont dire « Voyez comme c’est bien ».

Quand on raisonne grâce à la méthode « coûts-avantages » pour étudier un phénomène social, on ne peut généralement pas en déduire grand-chose. Peut-on juger du phénomène « guerre » par cette seule méthode ? Car, comme dirait Lamy, « il y a des bons et des mauvais côtés » de la guerre. Il y a des gains et des pertes. De plus, tout n’est pas facilement chiffrable. Enfin, il existe de très nombreuses interdépendances entre les divers côtés examinés. La méthode « coûts-avantages » est analytique. Elle n’est pas dialectique. Elle ne dit rien de l’essence des phénomènes.

On peut quand même la mettre en œuvre, car ses résultats montrent que « la mondialisation capitaliste heureuse n’existe pas ».

Dans cette première partie, je vais indiquer quelques-uns des faux frais de production courants accompagnant la mondialisation capitaliste.

- a) les coûts financiers

La multi-localisation entraîne la formation de coûts financiers spécifiques. Ces coûts sont de divers types.

Ce sont d’abord des coûts financiers liés à l’incertitude qu’engendre la complexité propre à la mondialisation capitaliste. Les entreprises géantes, qui manipulent de très grandes quantités de valeurs monétaires, cherchent à se prémunir contre les risques de dévalorisation associés à l’incertitude. Les produits dérivés en sont un exemple. Ce sont des produits financiers fonctionnant comme des assurances, que les entreprises souscrivent pour se couvrir. Mais cela est loin d’être gratuit. Dominique Plihon a beaucoup insisté sur ce type de coût. Les contrefaçons, les vols de brevets, les risques juridiques et politiques font également partie de cette incertitude générale.

Ce sont ensuite des coûts liés à l’activité des marchés financiers, chaînons nécessaires de la mondialisation capitaliste. Les idéologues de la libération du capital, sortes de fondamentalistes religieux de la finance et du marché, avaient prédit que les marchés seraient parfaits. Ils seraient transparents. Ils donneraient de « bonnes informations ». Leurs agents se conduiraient de manière optimale.

En réalité, les marchés financiers sont des lieux opaques, fréquentés par des détenteurs d’épargne qui, pour des raisons de système, adoptent des comportements imbéciles (mimétisme). Ils paniquent au moindre bruit et ils paniquent tous en même temps. Leurs comportements ne permettent pas de construire des politiques économiques de long terme (court-termisme). Cela ne les empêche pas d’être des rapaces et d’alourdir fortement le coût du capital en raison de leurs exigences élevées de rentabilité immédiate.

Enfin, ces lieux où l’on peut gagner « gros » et rapidement, à la différence des industries où les marges sont souvent faibles, sont aussi des lieux où l’on peut perdre « gros ».

- b) Les coûts de transports

Ce type de coût est évident. Puisqu’il y a multi-localisation, il existe, outre le déplacement des informations, déplacement de matières ou d’hommes, que ce soit par mer, par air, par routes ou chemins de fer. Les entreprises géantes sont devenues des « systèmes d’information », mais aussi des « systèmes logistiques ». Pour la description de ces coûts, je renvoie à un récent rapport de l’OCDE [Mondialisation, transports et environnement, 2011] qui, sans donner de chiffres précis, met cependant en lumière la contradiction entre le besoin très accru de transports découlant de la multi-localisation, et l’environnement.

- c) Les coûts du management induits par les nouvelles méthodes du management contemporain. Les entreprises géantes adoptent désormais une stratégie mondiale de localisation mais tout en segmentant leurs unités de production à l’extrême et en sous-traitant nombre de leurs opérations.

J’avais, en 2005, recueilli le témoignage d’un salarié de l’entreprise Alsthom, Jacques Rambur (délégué syndical CGT), qui m’avait transmis une note par lui rédigée en octobre 2004 : Alstom, Logique financière contre logique industrielle - Un cas exemplaire des gâchis technologiques et humains. Cette note a été citée intégralement dans la partie, dont j’avais la charge, du Rapport annuel 2004-2005 de la CGT, p. 11-40. Son contenu n’a malheureusement pas vieilli, même si on doit l’enrichir de nombreuses autres observations. Je me permets d’en rappeler les traits essentiels.

J. Rambur y rappelait qu’avant 1995, la société Alsthom était « un ensemble industriel cohérent dans lequel ouvriers, techniciens et ingénieurs collaboraient pour résoudre les problèmes, quels que soient les services considérés ». Mais, ajoutait-il, « avec la filialisation et l’externalisation… chaque unité est en concurrence avec les autres… Personne ne cherche plus à résoudre un problème mais à se protéger en se défaussant sur l’autre… Ce qui cause des dysfonctionnements, des gâchis, des pertes de temps et des malfaçons ».

Le délégué syndical mettait ensuite en lumière la contradiction suivante.

D’un côté, écrivait-il, « Les industries de notre type… sont assises sur des savoir-faire accumulés et transmis de génération en génération et sur la collaboration entre les multiples opérateurs… la conscience professionnelle joue un rôle essentiel pour l’efficacité de chaque micro-opération. La qualité des productions est à ce prix… Nos produits demandent des délais de réalisation relativement longs ».

D’un autre côté, « réduire ces délais est le leitmotiv de nos patrons… La mise en bourse d’Alsthom, en 1998, signifiait l’acceptation d’un taux de rentabilité comparable à celui des sociétés ayant un cycle de rotation beaucoup plus rapide. Du jour au lendemain, on nous a enjoint de réduire nos temps de production de 30% ».

Cette contradiction a eu les deux conséquences suivantes, dont je résume la description : 1) la suppression d’activités « dont l’expérience accumulée avait montré la nécessité », 2) la filialisation et l’externalisation d’activités : « …Pour un même processus industriel, on multiplie les intermédiaires, les transactions commerciales, les études de marché, les appels d’offre, les contrôles… ».

Le témoignage de J. Rambur ne fait pas explicitement allusion à la multi-localisation contemporaine. Il en illustre cependant 1) la nécessité managériale (réduire « à mort » les coûts de production), 2) les effets (abaissement de la qualité des produits, segmentation et destruction de la compétence des salariés, dislocation des collectifs de travail).

- d) les coûts humains

Celles et ceux qui subissent la mondialisation capitaliste supportent seuls les phénomènes physiques, psychologiques, économiques, de pénibilité accrue du travail, de surexploitation et de mise au chômage qui l’accompagnent. Ces coûts, ignorés du calcul économique des entreprises mais connus des travailleurs sont « des coûts cachés ».

- e) les coûts culturels et juridiques

La mondialisation capitaliste met en communication des sociétés qui ne sont pas homogènes, notamment au plan culturel. Il en résulte des coûts quasiment inévitables qui sont autant de pertes pour l’entreprise mondialisée.

Certes, tout système économique a un coût global de fonctionnement. Le rendement social n’est jamais égal à 100%. Mais le moins qu’on puisse faire serait d’évaluer les pertes de rendement de la mondialisation capitaliste.
« La mondialisation heureuse » n’existe pas. Les travailleurs des divers secteurs concernés sont en mesure de clarifier ces coûts beaucoup mieux que les capitalistes car ce sont très souvent des coûts humains et cachés, situés en dehors des comptabilités. Les salariés sont aux premières loges pour les supporter. Ce sont enfin des « coûts subis par la société », comme les atteintes à l’environnement.

Un nouveau mode de production en cours de formation

En même temps que se développe la mondialisation capitaliste, se produisent des changements en profondeur au sein du système capitaliste industriel classique, celui hérité des 19ème et 20ème siècles. De nouvelles activités apparaissent.

Ces activités sont fortement bridées dans leur développement et/ou déformées par la mondialisation capitaliste. D’où le besoin de nouveaux rapports sociaux pour les libérer. Les « coûts » correspondant à ce « non-développement » sont infiniment plus importants, infiniment plus destructeurs, selon moi, que les coûts de fonctionnement courants, aussi dommageables que soient ces derniers.

Je vais, dans cette deuxième partie, indiquer comment je conçois les évolutions en cours. Quels éléments changent, lentement et en profondeur, dans le mode de production capitaliste analysé par Marx ?

Mais tout d’abord, un rapide détour par Marx et Engels. Je pourrais me passer de faire ce détour dans le présent papier. Mais je pense à l’instant à un article, pas mal d’ailleurs, d’Isabelle Garo paru dans l’Huma cet été sur Marx et un certain nombre d’autres penseurs. Cela dit, j’ai envie d’ajouter mon grain de sel. Ce que Marx et sa sœur Angèle (comme disait Juquin, le petit plaisantin) ont apporté de plus important dans la connaissance des sociétés est l’esprit ainsi que la méthode de la science [1]. Arrêtons de tourner autour du pot avec des expressions philosophiques du genre « rapport entre la théorie et la pratique » et allons au plus profond. Ils ont fait œuvre de savants modernes.

Aux 17ème et 18ème siècles, les savants ont commencé d’explorer la nature à grande échelle. Mais la connaissance scientifique de la société restait loin derrière. Marx, Engels, ont dit : « La société est connaissable scientifiquement ». Ce faisant, ils ont élaboré ce qu’on peut appeler un nouveau paradigme [2].

L’un des résultats parmi les plus importants qu’ils aient obtenus, au plan de la science sociale, est que le capitalisme, (dont ils ont étudié la phase industrielle simple) est un système dont la contradiction majeure (celle qui résume toutes les autres) est la suivante.

C’est celle existant entre le processus de socialisation, que le capitalisme développe en permanence, et l’essence privée de ses rapports fondamentaux. Le capitalisme socialiserait toujours plus la société, ses membres, leurs relations, tout en continuant d’être structuré par des rapports sociaux fondamentaux, hostiles à la socialisation.

Faire la révolution consiste à libérer le processus de socialisation tout en le plaçant sous contrôle de la société. Faire la contre-révolution consiste au contraire à maintenir coûte que coûte les rapports de propriété privée qui développent/freinent/empêchent/déforment ce processus. Pascal Lamy, qui veut être le troubadour de la mondialisation capitaliste et du Capital libre dans un monde libre, est un réactionnaire de taille mondiale.

Telle est la base théorique dont on peut partir pour rendre compte de la société française actuelle et pour interpréter son possible développement.

Dans ce but, j’ai été conduit à dessiner deux conceptions du mode de production contemporain. La première conception est celle que je qualifie de « normale ». En fait, je ne crois pas que le qualificatif de « normal » soit approprié mais je n’ai rien trouvé d’autre.

La deuxième conception reprend entièrement la première mais y ajoute « quelque chose », mis en discussion. Je l’appelle « conception hypothétique ».

- A) La « conception normale » du mode de production contemporain, de sa contradiction principale et de son possible dépassement.

La théorisation marxiste des grands changements intervenant dans la société moderne me conduit à raisonner comme suit : d’abord en dégageant la structure de base de ces changements, ensuite en procédant à une rapide investigation historique, enfin en concluant cette première approche dite normale.

— 1) Structure de base des changements observables

  • a) La complexité et le processus de socialisation contemporain engendré par le capitalisme.

D’une part, on repère partout dans la société contemporaine développée des processus de socialisation se traduisant, in fine, par l’exigence d’une intervention accrue de la société (par le biais notamment de l’État) dans les processus de production et de consommation.

Les raisons explicatives de ces processus sont l’essence et le degré de la complexité caractérisant la société industrielle moderne.

Le monde moderne se comprend relativement à sa complexité [3]. Nous ne vivons pas dans une société « postindustrielle », nous vivons dans une société (industrielle et de services) dont le degré et la nature de la complexité se sont considérablement élevés, tant au plan quantitatif que qualitatif, par rapport à l’intervalle « fin du 18ème siècle-fin du 20ème siècle ».

Pour illustrer mon propos, je dirai qu’aujourd’hui, les sociétés développées ne produisent plus seulement des objets simples et individualisés. Elles produisent de plus en plus d’objets collectifs et complexes. Elles ne produisent plus seulement des bicyclettes. Elles produisent des avions à 800 places avec toute une infrastructure matérielle et humaine nécessaire. Elles ne produisent plus seulement des maisons. Elles produisent des villes. Elles ne produisent plus seulement des automobiles. Elles produisent des infrastructures routières, des politiques fiscales, des politiques commerciales, de recherche, de sécurité, etc. Elles ne produisent plus seulement des machines-outils, elles produisent des ensembles industriels intégrés.

Pour faire fonctionner cette complexité, les sociétés modernes ont besoin de services. Certains sont simples (comme la restauration rapide du repas de midi, qui est un aspect de la socialisation de la vie). Mais un grand nombre d’entre eux sont à la fois collectifs et complexes.

La forte élévation de la complexité a transformé le rapport entre la production des biens et des services, et la production des services collectifs de toutes sortes (recherche, éducation, administration, planification, communication, santé, finance…).

Les services collectifs et complexes seraient devenus les facteurs déterminants de la production complexe de produits industriels et de services. Ce sont eux qui, désormais, décideraient, à titre principal, de la quantité des valeurs d’usage produites, de leurs caractéristiques utiles, de la productivité sociale.

En forçant à peine, on peut dire, par exemple, que ce n’est pas la production qui commande la recherche, c’est la recherche qui commande la production. De la même façon, on peut dire que ce n’est pas la production de logements qui entraîne la législation les concernant, c’est la législation relative aux logements qui détermine la quantité que l’on en produit. Et ainsi de suite. Ce n’est pas la décision industrielle qui engendre le besoin de planifier, c’est la planification, et notamment la mise en cohérence du financement, des prévisions d’emplois et de qualifications, des infrastructures, des politiques régionales, etc. qui permet et engendre la décision industrielle.

Il se serait donc produit le renversement des relations observées pendant les siècles précédents. Pour me faire comprendre, je dirai, en schématisant à l’extrême, que ce n’est pas l’industrie qui permet l’État et ses fonctionnaires, c’est l’État et ses fonctionnaires qui permettent l’industrie.

On se rappelle le propos suivant de Marx : « Ce qui distingue… le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur » (Le Capital, Livre 1, ch. 7, œuvres de Marx, en ligne). A l’époque du capitalisme industriel simple, la conception de la production était « dans la tête » de l’entrepreneur en tant que travailleur dans son entreprise. A l’époque du capitalisme industriel complexe, la conception prend place « dans la tête de la société », et non, de façon dispersée, dans la tête d’individus. L’activité de conception prend la forme de services collectifs, organiquement préalables de l’activité de production, même si le processus est le même que celui mis en œuvre dans la société industrielle simple. « La tête » de l’acte productif a été, en quelque sorte, projetée sur le sol de la société et son activité intellectuelle antérieure devient visible.

Pourtant, l’industrie semble toujours plus importante que l’État (les services collectifs). D’ailleurs, n’est-ce pas de l’industrie (et des services simples) que vient le financement de l’État et de ses fonctionnaires ? Comment expliquer et comment comprendre cette importance et ce renversement apparent, relativement à mon propos précédent ? N’est-ce pas, d’ailleurs, le débat essentiel du moment dans tous les pays capitalistes ?

Mais au lieu de répéter à saturation que « trop d’impôts tue l’impôt », peut-être les marxistes auraient-ils quelque chose à dire d’un peu plus sophistiqué que ce genre de propos d’autant plus redoutable qu’il est marqué du sceau du bon sens.

  • b) L’essence privée des rapports capitalistes, toujours en place.

L’autre volet du raisonnement à mener sur les sociétés modernes développées consiste à observer (ce n’est pas très difficile) que, bien que la production industrielle complexe soit de plus en plus socialisée, elle est toujours réalisée dans le cadre principal de rapports privés de propriété.

Or ces rapports sont, par essence, hostiles à la socialisation. Car ce processus pourrait ou devrait se traduire, à un moment ou à une autre, par le regard, dans les affaires privées, non seulement de l’État mais de la société, ce dont les agents du Capital ne veulent absolument pas.

— 2) Rapide investigation historique

Le mode de production fonctionnant aujourd’hui a été façonné par l’histoire du 20ème siècle. Je pourrais éliminer ces paragraphes. Mais ils représentent une sorte de vérification de la théorie présentée.

La crise des années 1930 fut une crise de socialisation, à la fois institutionnelle et fondamentale. De nouvelles contrées furent mises en développement hors d’Europe. Les entreprises capitalistes et les banques contribuèrent à leur insu à socialiser la production. Mais elles ne furent pas en mesure de contrôler et d’orienter ce processus en donnant à la production et aux besoins des masses, dans le monde, l’échelle de consommation qui eût été nécessaire.

Elles l’ont redouté au contraire. Leur nature privée s’y opposait. Les institutions n’avaient pas été conçues pour ça. Les régimes nazis et fascistes en Europe, impérial-expansionniste en Asie, ont été les armes politiques et militaires contre les peuples, les paysans et les salariés, pour préserver l’essence privée des rapports sociaux.

Ces régimes ayant été malgré tout vaincus, grâce aux ouvriers et aux paysans, le capitalisme monopoliste d’État a eu pour fonction, après 1945 et surtout en Europe, d’assurer la résolution superficielle de la contradiction entre socialisation des FP (forces de production) et rapports sociaux privés. Cela a marché pendant 25-30 ans. La limite d’efficacité historique du CME est venue de ce que la contradiction essentielle du système capitaliste était toujours à l’œuvre.

C’est pourquoi, vers les années 1970-1980, une nouvelle crise de socialisation s’est faite jour en profondeur. En France, la tentative du Programme commun de la gauche fut un essai de résolution de cette contradiction à un niveau plus essentiel qu’auparavant.

Cette tentative ayant échoué, il en a résulté le triomphe arrogant de la mondialisation capitaliste, visant à reporter au niveau mondial le déploiement de la contradiction entre socialisation et rapports privés.

La mondialisation capitaliste fut, après 1980, le moyen mis en œuvre par les capitalistes dominants pour esquiver, grâce à la libération complète du Capital et sa sortie du « carcan des nations », la contradiction fondamentale du système capitaliste, que j’ai rappelée plus haut. Il fallait en outre sortir de la prison du CME.

Le champ mondial est devenu une sorte de contrepoison à la socialisation rampante réalisée dans les cadres nationaux. En réalité, les capitalistes mondialisés sont intervenus non seulement sur le fonctionnement du capitalisme (sa mondialisation) mais encore sur ses rapports essentiels. Ils ont aboli les dispositions propres au CME, en renforçant directement, au plan mondial, le poids et la pression de la propriété privée ainsi que de l’exploitation du travail.

— 3) Éléments de conclusion établis à partir de cette conception dite normale.

La mondialisation capitaliste domine désormais le champ économique ainsi que la politique et l’idéologie. Les dirigeants socialistes, qui sont des chrétiens-démocrates n’ayant plus aucun rapport avec le marxiste Jaurès, sont englués dans cette idéologie. Pour les combattants révolutionnaires, sortir de la contradiction essentielle paraît simple et logique, au moins au plan des idées générales.

Il conviendrait de mettre en accord les rapports sociaux de production et de consommation avec le mouvement réel (la socialisation réelle). Dans ce but, une condition nécessaire est l’élimination de la propriété privée des grands moyens de production, des grands moyens de communication, des grands moyens commerciaux, des grands moyens de financement, ainsi que la rupture avec les accords passés au nom de la mondialisation capitaliste. Le socialisme, dans ces conditions, peut être défini comme le système par lequel le capitalisme serait aboli.

Je crois, cependant qu’il faut réfléchir à cette conclusion. Entendons-nous bien. Je ne suis pas du tout opposé à ces expropriations. Je les crois nécessaires et je pense que leur périmètre réel sera défini par le mouvement des masses. Ce que je prétends est que, même si ces expropriations étaient accomplies de manière optimale (du point de vue de la révolution), l’abolition du capitalisme serait devant le mouvement révolutionnaire et non derrière lui.

Le socialisme, s’il prend jamais forme, n’est pas le système par lequel le capitalisme sera aboli de manière initiale. C’est le système au terme duquel le capitalisme sera aboli. C’est ce qui me conduit à présenter une autre conception du mode de production en cours de formation, intégrant la précédente, mais faisant de l’abolition du capitalisme un processus constitutif du socialisme et de moyen/long terme, non un point de départ immédiat.

- B) Une « conception hypothétique » du mode de production contemporain.

— 1) Une hypothèse de recherche

Je parle de « conception hypothétique » pour indiquer que mon point de vue est discutable et doit être discuté. Cette autre conception reprend la conception précédente. Le capitalisme est un système fini. Il doit être aboli et, un jour ou l’autre, il disparaîtra. Mais d’une part, nous vivons dans le présent et non dans « un jour ou l’autre ». Que faut-il faire tout de suite pour lutter contre le capitalisme ? D’autre part, dans le moment présent, suffirait-il d’abolir les rapports juridiques privés de propriété pour abolir la rationalité des processus d’appropriation privée du temps de travail et de la richesse ?

La question n’est pas originale. Elle était apparue il y a une cinquantaine d’années sous les termes un peu pédants de « subsomption formelle/ subsomption réelle ». Le socialisme tourne autour de cette interrogation depuis la révolution d’Octobre. Le socialisme de type soviétique n’en a pas trouvé la réponse. Le socialisme de type chinois est en train d’explorer une réponse et peut-être réussira-t-il. Mais je crois qu’il faut aussi la poser pour un pays développé comme la France. Cette interrogation n’est pas uniquement « une question pour sous-développés ». C’est une question générale, une question concernant également « notre » mode de production et donc les forces sociales susceptibles de rallier la cause du socialisme et de lutter pour elle.

Dans ce mode de production en formation, les services collectifs sont déterminants de l’activité sociale, alors que les produits marchands demeurent dominants dans la société. En langage économique, et en schématisant, on dira que les services collectifs font la croissance, alors que les secteurs marchands, industriels et de services, font l’emploi. Or les services collectifs fonctionnent plutôt « hors marché » alors que les secteurs industriels et de service fonctionnent plutôt « dans le marché ». Quels éléments permettent d’expliquer que ce clivage (marchand/non marchand) puisse continuer d’être opérationnel une fois instauré le socialisme ? Comment ces deux sous-ensembles doivent-ils s’articuler l’un à l’autre ? Car le problème n’est pas seulement de savoir si le socialisme doit comporter une économie de marché, il est également celui de savoir comment articuler le secteur marchand et le secteur non marchand.

A mon avis, il manque à « la conception normale » la prise en compte claire de ces aspects, qui correspondent à la dimension économique de la relation entre la socialisation des forces productives et les rapports sociaux. Il lui manque aussi une dimension temporelle. Les évolutions prennent du temps, étant entendu que le temps historique des sociétés humaines est peu de chose. Derrière la dimension temporelle se tient la dimension politique des alliances sociologiques nécessaires.

La conception« normale » s’investit uniquement dans le champ politique (et dans un champ politique abstrait) sans considération du temps nécessaire pour maîtriser effectivement et expérimentalement la réalité sociale concernée. Selon elle, la contradiction à traiter relèverait tout de suite et seulement d’une solution politique radicale.

— 2) Le sous-bassement réel de cette hypothèse

Mais pour quelle raison la suppression juridique et immédiate des rapports de propriété privée ne pourrait-elle empêcher l’existence active de rapports privés implicites ?

La réponse à cette question est, selon moi, la suivante : les besoins individuels et collectifs ne sont toujours pas satisfaits. Les économies, même développées, sont certes, en situation de grande aisance relative, mais elles ne sont pas en situation d’abondance.

Dans les célèbres « fragments sur les machines », Marx donne implicitement une définition économique de l’abondance. C’est une situation dans laquelle la loi de la valeur des marchandises perdrait de son sens. Le temps de travail consacré à produire serait alors une quantité finie tandis que le volume de la production serait infini. La valeur unitaire des produits tendrait vers zéro et la loi de la valeur des marchandises n’aurait quasiment plus de sens.

Le fait que nous ne soyons pas dans l’abondance implique, à contrario, que la loi de la valeur des marchandises ait toujours un sens. D’où il vient que les unités de production sont différenciées les unes des autres, cette situation pouvant servir de base à un comportement privatif [4].

En effet, si la production est insuffisante par rapport aux besoins, on peut imaginer deux modes extrêmes de répartition : le mode centralisé, de type principalement politique et le mode décentralisé, de type principalement économique.

A la répartition centralisée correspondra plutôt une production centralisée qui fonctionnera sur des bases réelles visibles (production et répartition politique de valeurs d’usage). En revanche, à la répartition décentralisée correspondra plutôt une production décentralisée économique (production de marchandises et répartition de ces marchandises selon les revenus).

L’observation montre que, pour l’instant, la production de biens et de services individuels fonctionne selon la loi de la valeur des marchandises et du profit monétaire. C’est là qu’est produite la plus-value et que se produit l’exploitation. Elle montre également que la production des services collectifs tend à être effectuée hors loi de la valeur et du profit monétaire.

Toutefois, le salariat étant la forme générale de la force de travail (les salariés vendent leur force de travail et achètent des marchandises, qu’ils soient des salariés du secteur marchand ou des fonctionnaires) il vient que ces deux secteurs fonctionnent ensemble en conformité avec la loi de la valeur. La loi de la valeur ne s’applique pas de la même manière, ici et là. Mais la loi de la valeur est globalement dominante. Tous deux mettent en mouvement de la valeur (salaires et capital). Avec cette valeur, le premier produit du profit alors que le deuxième produit seulement des valeurs d’usage. Le résultat ultime de cette articulation est que le premier secteur produit de la valeur qui finance la valeur utilisée par le second.

Mon hypothèse est que cette structure duale se prolongera pendant le socialisme, l’efficacité de ce dernier étant directement proportionnelle à sa capacité à la maîtriser et à la faire évoluer. Le salariat, qui est aujourd’hui l’élément explicatif du caractère toujours dominant de la valeur marchande, sera au cœur de cette évolution.

Celle-ci devra prendre son temps. A la différence du capitalisme, le socialisme (on peut l’espérer) est un système capable de prendre le temps qu’il faut et d’aller lentement, quand la démocratie le lui commandera. Il serait au surplus illusoire de penser que les salariés seront tous unis comme un seul individu pour défendre le socialisme dont ils auront majoritairement pourtant défini les fondations.

Comme on l’aura remarqué, je ne suis pas passé par la « théorie du travail productif » pour démontrer ce que je souhaitais démontrer, car cette théorie, en l’état actuel de sa formulation, conduit à des impasses. Je pense également que ces paragraphes sont difficiles et certainement incomplets. Mais on peut se contenter d’en retenir les cinq conclusions suivantes :

  • a) Supprimer juridiquement les rapports de propriété privés est possible et certainement souhaitable pour les entreprises géantes. Mais ce n’est pas, pour l’instant, et peut-être pour un temps long à l’échelle humaine, une solution valable pour toute les activités. En outre, même si cette expropriation est réalisée (subsomption formelle), le « capitalisme réel » continuera de fonctionner plus ou moins, mais de façon latente.
  • b) Le raison en serait que les sociétés, même développées, demeurent marchandes n’ayant pas atteint l’abondance.
  • c) Dans la partie marchande de l’activité sociale, il y aura des entreprises capitalistes, et les entreprises marchandes socialistes devront faire du profit. Le socialisme n’a pas pour point de départ la fin du capitalisme ou la fin de la production du profit. En revanche, il devrait avoir pour point de départ la fin de la mondialisation capitaliste. Puis, à partir de cette interruption, la maîtrise progressive de ce qui resterait de capitalisme potentiel dans les rapports sociaux effectifs. L’objectif à atteindre de façon immédiate ne serait pas tant la fin du capitalisme (ce qui veut dire l’élimination complète de la propriété privée) que la fin de la domination du capitalisme. Les capitalistes ne seraient plus dominants. Ils (elles) ne feraient plus les règles à leur avantage ou tous seuls.
  • d) Le problème que le socialisme devra résoudre concernant les nouveaux rapports sociaux à mettre en œuvre sera résolu en même temps (en prenant le temps nécessaire) que celui soulevé par l’articulation socialiste entre la production marchande et la production non marchande.
  • e) Ce faisant, les forces sociales animatrices du socialisme auront à découvrir des formes nouvelles du calcul économique. Le principe majeur du calcul économique dans une société socialiste serait celui de la comparaison entre ce que les services collectifs apportent en productivité sociale et de ce qu’ils déduisent en rentabilité sociale [5].

Derrière ce calcul économique se trouveront les problèmes politiques de l’alliance entre ouvriers et salariés du secteur marchand d’un côté, salariés publics de l’autre. Et les problèmes de l’alliance entre salariés et entrepreneurs, certains étant des capitalistes. Inutile de préciser que cette approche suppose une conscience révolutionnaire très grande et une organisation révolutionnaire adéquate.

Dans l’immédiat, quelle est la conséquence de cette articulation dans le cadre de la mondialisation capitaliste ? En effet, je n’ai pas besoin de chercher à me projeter dans un avenir rationnel mais imaginaire, pour percevoir quels sont les méfaits actuels de la mondialisation capitaliste relativement au mode de production en formation.

— 3) Nouveau mode de production et mondialisation capitaliste

J’ai exposé ci-dessus, à grands traits, mon interprétation de la structure du mode de production en formation aujourd’hui. Je me suis efforcé de rendre plus fine ma compréhension de ce mode de production, pour montrer que le dépassement de la mondialisation capitaliste ne serait pas la même chose que le dépassement du capitalisme. J’ai cherché à montrer que c’est dans l’articulation intelligente du secteur des services collectifs et du secteur de la production des biens et des services individuels, que le socialisme révèlerait le plus et le mieux son efficacité.

Cela étant dit, cet article porte principalement sur la mondialisation capitaliste. C’est donc sur ce point que je dois conclure. Je vais indiquer quels sont, selon moi,« les coûts de non-développement » induits par la mondialisation capitaliste sur le mode de production dont j’ai cherché à cerner les traits. Voici quelques points à l’aide desquels je pense éclairer ces coûts, en distinguant les conséquences macroéconomiques mondiales et les conséquences relatives au développement interne du mode de production lui-même.

Au lieu d’améliorer la relation entre production marchande et activités de services collectifs, en se centrant sur elle au plan national, la mondialisation capitaliste accroit leur distance et leurs distorsions réciproques tout en s’évadant du territoire national.

  • a) La défaillance majeure de la mondialisation capitaliste

D’un côté, la mondialisation capitaliste stimule certaines productions marchandes de biens et de services, mais au plan mondial, car les agents de cette mondialisation ne s’intéressent qu’à la demande mondiale de leurs produits.

De l’autre, la mondialisation capitaliste décourage la production non marchande de services collectifs au plan national alors même que n’existe aucun État mondial capable d’en prendre le relais. Comment les entreprises géantes pourraient-elles trouver sur le marché mondial ce que les États pris un à un tendent à ne plus produire ?

La défaillance majeure de la mondialisation capitaliste est qu’elle est fondamentalement microéconomique et prédatrice. Chaque entreprise géante ne voit que le bout de sa lorgnette. Les enseignements de Keynes ne sont plus opérationnels dans chaque État et dans le cadre de la mondialisation capitaliste mais ils le sont au plan mondial.

  • b) Défaillance de la dépense publique

La dépense publique, dans les États considérés séparément, ne peut plus prendre en charge les activités de services collectifs au plan national pour les raisons que :

1) les États sont étranglés par l’endettement (cet étranglement a été organisé au plan européen),

2) les entreprises géantes refusent de payer l’impôt,

3) leur pari est de trouver sur le marché mondial ce que la dépense publique ne peut plus produire au plan national faute de moyens,

4) les politiques économiques désorganisent certaines composantes de l’appareil d’État et en précarisent la main-d’œuvre,

5) lorsque le revenu national augmente peu ou diminue, l’assiette de l’impôt reste constante ou diminue. La recette fiscale stagne ou diminue à comportement fiscal constant des entreprises géantes.

  • c) Une partie des entreprises du secteur public a été privatisée. En effet, les agents de la mondialisation capitaliste souhaitent s’investir dans les domaines qu’ils estiment « rentables ». Il leur a donc fallu « libérer » un certain nombre d’entreprises publiques. Ils ont, cela va de soi, « libéré les banques ». En privatisant pour faire du profit, ils ont réduit l’efficacité potentielle des services collectifs.
  • d) Comme je l’ai indiqué ci-dessus, les entreprises géantes ont une approche microéconomique de la mondialisation capitaliste. Pour l’instant, elles prennent appui sur la demande mondiale générée par la demande issue des pays émergents et le processus de salarisation propre à ces derniers. Dès lors que la croissance des pays émergents ralentira, les entreprises géantes, qui encouragent la compression des masses salariales dans leurs propres pays d’origine, rencontreront les limites inhérentes à la mondialisation capitaliste, à savoir l’absence d’un État mondial compensateur.
  • e) Il est intéressant de noter que les organismes mondiaux de recherche et de prospective, comme l’OCDE, peuvent donner, bien qu’étant au service du grand Capital, des conseils judicieux aux États et aux représentants politiques du capitalisme. Mais ces conseils ne sont pas suivis d’effets significatifs en raison de la pression exercée par la mondialisation capitaliste.

Telle sont, selon moi, quelques éléments constitutifs de la contradiction, découlant de la mondialisation capitaliste, du mode de production en formation. C’est sur la base de cette contradiction que l’on peut tenir pour futiles les propos optimistes de Lamy sur l’avenir de la mondialisation capitaliste. Celle-ci est, relativement à la dépense publique nécessaire, contre-productive et régressive. Les entreprises géantes, au sein de ce processus, vivent, pour l’instant, au plan mondial, sur l’héritage de l’époque précédente. Elles sont prédatrices et adoptent un comportement aveugle, microéconomique. Mais cet héritage s’épuisera, comme s’épuise l’humus des sols par suite de cultures intensives répétées.

Éléments de conclusion

Je ne vais pas redire en conclusion ce que j’ai écrit dans ce texte. Je rappelle que, dans un premier temps (texte précédent), j’ai cherché à montrer que la mondialisation capitaliste ne pourrait pas construire un État mondial et prendre appui sur lui pour régler ses contradictions économiques.

Dans le présent article, j’ai cherché à montrer que la mondialisation capitaliste était coûteuse, contre-productive et même régressive, relativement aux tendances observables (le mode de production qui se met en place, dont j’ai été, incidemment, conduit à faire l’esquisse).

Ma conclusion du moment est qu’il faut sortir de la mondialisation capitaliste. Mais à quel niveau et comment ?

Jean-Claude Delaunay, Octobre 2013

Partie 1 : Lutter contre la mondialisation, c’est être aussi réactionnaire que les luddites, dit Pascal Lamy

Partie 3 : Sortir de la mondialisation capitaliste : Pour quel mode de production ? Sur quelle base territoriale ?

[1La science sociale a souvent été identifiée par les marxistes à « la cohérence du discours ». C’est aussi le cas pour les idéologues de la bourgeoisie, avec la nuance que pour ces derniers, la cohérence du discours est exclusivement donnée par les mathématiques. Pour les marxistes, la cohérence du discours est exclusivement donnée par les concepts du marxisme. Dans l’un et l’autre cas, il s’agit d’une conception insuffisante (aristotélicienne) de la science. C’est ce type d’approche qui, chez les marxistes, donne à la profession philosophique une sorte de suprématie scientifique déplacée. La science est l’adéquation dialectique d’un discours cohérent et du « réel ». Elle est donc faite,certes, de connaissances accumulées, mais aussi d’observations, de théorisations, d’expérimentations, de méthodologies spécifiques, de confrontations, de travail collectif entre savants de la même discipline, et de beaucoup de modestie. Ces savoirs spécialisés supposent infiniment plus et autre chose que la maîtrise intellectuelle du Capital.

[2C’est-à-dire un ensemble de valeurs théoriques, de théories, de travaux concrets, de procédés d’observation, de concepts, de liaisons logiques entre ces concepts, de méthodes de raisonnement, d’hypothèses. Marx et Engels ont progressivement mis au point des représentations originales ainsi qu’un outillage mental adaptés à la connaissance scientifique et à la transformation raisonnée des sociétés. La valeur théorique centrale du marxisme est le travail (d’où la primordialité de l’économie) tel qu’il vit au sein de la société. Celle-ci est conçue comme une structure, un ensemble défini par des rapports stables qui en assurent, dans la contradiction, le fonctionnement et la reproduction.

[3Il est clair que le concept de complexité sociale devrait être approfondi et pris en charge par diverses disciplines, bien au-delà des réflexions déjà importantes mais philosophiques d’Edgar Morin. Je me réfère, pour ma part, aux travaux de Jean-Louis Le Moigne, en particulier à sa Théorie du Système Général, dont la première édition est parue en 1977, aux PUF.

[4Certains feront remarquer que l’abondance étant une utopie (car les besoins sont infinis), mon raisonnement, dans la mesure où il laisse une place à la « rareté » aboutit à pérenniser le marché, voire le capitalisme. Je ne crois pas. Je crois que la « rareté » est relative. Marshall Sahlins a prétendu que l’âge de pierre était un âge d’abondance (1972, en français 1976). Il y a certainement de la vérité dans ce paradoxe, quand bien même, à certains moments, nos ancêtres crevaient la faim. On peut, peut-être, retirer du travail de l’anthropologue que la rareté n’est pas un absolu physique mais un rapport social, quand bien même ce dernier aurait un certain substrat physique.

[5A mon avis, cette remarque théorique n’est pas anodine. Elle indique que, dans la phase du socialisme, devrait être mis en place un calcul économique adapté à l’essence contemporaine de la dépense publique. Celle-ci aurait pour guide 1) la productivité sociale permise par la dépense publique, 2) l’alliance des catégories sociales des deux secteurs. En effet, la dépense publique apporte puisqu’elle accroît (peut accroître) la valeur d’usage et la productivité. Mais simultanément elle réduit, puisqu’elle est prélèvement sur la valeur produite. Pour dépasser les cris du moment sur le « trop d’impôts tue l’impôt », les constructeurs du socialisme devront mettre au point une doctrine et des règles économiques et politiques totalement nouvelles de mise en correspondance du prélèvement sur la valeur (l’impôt) et de production du surplus. La socialisation que développe le socialisme doit permettre cette mise en correspondance et doit la rechercher pour en tirer avantage. Ce sera, à mon avis, l’une des grandes tâches des sociétés et des générations futures, si elles s’engagent sur le chemin du socialisme.

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    Texte nr 3, Unir les communistes, le défi renouvelé du PCF et son résumé.

    Signé par 626 communistes de 66 départements, dont 15 départements avec plus de 10 signataires, présenté au 37eme congrès du PCF comme base de discussion. Il a obtenu 3.755 voix à la consultation interne pour le choix de la base commune (sur 24.376 exprimés).