En finir avec le mythe d’une « Autre Europe » Par Pierre Lévy

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Pierre Lévy, rédacteur en chef de la revue « Ruptures », réagit à une tribune publiée dans Marianne : « 29 mai 2005 : Liberté, j’écris ton NON ». Il pose notamment la question des déductions politiques après les constats théoriques, et l’hypothèse d’une sortie de l’Union européenne.

Le 29 mai paraissait dans ces colonnes [... celles de Marianne, Ndlr] un texte collectif célébrant le Non au projet de Traité constitutionnel européen, une grande victoire populaire – à tous les sens du terme – remportée il y précisément quinze ans.

Cette analyse est la bienvenue. Elle rappelle fort justement que les Français refusèrent alors de « limiter leur liberté collective et de transférer le pouvoir à un échelon supérieur pour se fondre dans un hypothétique peuple européen ».

La nocivité des politiques menées depuis des décennies par l’Union européenne – dessinées par le Conseil, mises en musique par la Commission, et avec les traditionnels jappements de l’euro-parlement – apparaît plus que jamais patente. Et pas seulement en matière économique, sociale, budgétaire et monétaire.

L’extrême violence de la crise du coronavirus a contraint la Commission à faire de nécessité vertu : elle a été forcée de suspendre – provisoirement, comme vient de le rappeler le vice-président Valdis Dombrovskis – les règles mortifères du Pacte de stabilité, ainsi que certaines interdictions en matière d’aides d’État et de concurrence.

Que faire ?

L’autre remarque qui pourrait être formulée à la lecture de la tribune « Liberté, j’écris ton Non » prend la forme d’une question : quelles conclusions tirer des fortes affirmations qu’elle énonce ? Le texte pointe à juste titre l’« épouvantable oxymore, griffon juridique et monstre politique, qu’est la "souveraineté européenne" », qui sert de gimmick au maître de l’Elysée. Et insiste sur la nécessité de « faire trancher par le peuple la question de la souveraineté ».

Absolument. Mais comment ? D’autant que les turpitudes de l’intégration européenne n’ont nullement commencé à Maastricht, mais bien à Rome. C’est dès le traité fondateur de 1958 qu’était posée la matrice génétique de la CEE, devenue UE : la quadruple liberté de circulation des biens, des services, de la main d’œuvre et des capitaux – celle-là même qui permet de rayer une usine d’un trait de plume ici pour la réinstaller (ou pas) là.

Deux pistes se présentent. Ou bien l’on continue à espérer l’avènement d’une « autre Europe » qui apparaîtrait dès lors que des bonnes volontés rassemblées aurait réussi à transformer le monstre de l’intérieur.

Problème : pas plus qu’on ne peut transformer une prison en hôpital, les gênes originels et l’architecture pensée pour la soumission des peuples ne peuvent se transmuer en sympathiques instances de coopération – du reste, pourquoi faudrait-il privilégier les coopérations avec l’Estonie, membre du club, sur celles avec l’Algérie, qui ne le sera jamais ?

Et si l’argument conceptuel ne convainc pas, on peut se rabattre sur l’expérience empirique. Cela fait plusieurs décennies qu’on nous sert le rêve d’une Europe « plus sociale », ou « plus démocratique », mais que cette chimère, à l’instar de la ligne d’horizon, s’éloigne à mesure que l’on croit s’en rapprocher. Faut-il rappeler qu’en 1997-1998 déjà, à la faveur de l’alignement des planètes roses arrivant dans le ciel de l’UE – Anthony Blair à Londres, Lionel Jospin et la gauche plurielle à Paris, Gerhard Schröder à Berlin – l’on nous promettait qu’on allait voir ce qu’on allait voir.

« Euroconstructif »

On a vu. Et, pour ne citer que la France, il n’est pas un parti représenté au Parlement qui n’ait plaidé, ou ne plaide, pour une « autre Europe ». Les ralliements à ce mantra courent du virage « euro-constructif » du PCF en 1999 (« Bouge l’Europe ») au renoncement officiel de Marine Le Pen à évoquer la sortie de l’UE – une demande qui n’a d’ailleurs jamais figuré explicitement au programme du FN/RN. Sans même citer Nicolas Sarkozy qui, en 2005 justement, appelait à « voter Oui pour changer l’Europe ».

Dès lors, pour qui se pose honnêtement la question de reprendre en main notre avenir (et non « notre destin » comme l’énonce le texte, hélas contaminé par la novlangue communautaire), on ne saurait exclure d’un revers de main la perspective de sortir du bloc communautaire.

Il est évidemment bien trop tôt – a fortiori par temps de coronavirus – pour se prévaloir des enseignements du Brexit. On peut tout de même rappeler qu’aucune des « dix plaies d’Égypte » économiques que les esprits mondialisés les plus brillants promettaient pour le 24 juin 2016 à ce pays – à l’instar des cataclysmes annoncés en cas de Non à Maastricht – ne s’est pour l’heure abattue sur le Royaume du fait de la volonté des Britanniques de « reprendre le contrôle ».

Si, comme les auteurs l’écrivent avec raison, « la souveraineté ne se partage pas plus que la démocratie ou la liberté », peut-être serait-il judicieux de lever un tabou. Et, tout simplement, d’accepter que l’hypothèse de quitter le club soit simplement mise sur la table, sereinement débattue, et, le moment venu, tranchée par le peuple souverain.

Tiré du site de l’hebdomadaire Marianne

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