Comment le FN élargit sa base électorale

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Le chercheur Joël Gombin commente pour « Libération » les dynamiques électorales du Front national lors du scrutin européen.

Progrès ? Succès ? Plafond ? Depuis un an et demi et sa percée lors d’une partielle dans l’Oise, les résultats électoraux du FN sont particulièrement scrutés et commentés. Cartes à la main, le politologue Joël Gombin a voulu revenir, à froid, sur le scrutin européen du 25 mai. Une analyse détaillée et géographique particulièrement intéressante – et inquiétante – à l’heure où Marine Le Pen s’envole dans les sondages. Pour le chercheur au CURAPP-UPJV, membre de l’Observatoire des radicalités politiques qui publie une note ce mardi pour la fondation Jean-Jaurès, le FN a certes réussi une surmobilisation de son électorat, mais il tend également à élargir son vivier d’électeurs.

Le politologue a travaillé à partir des résultats des élections agrégés au niveau communal ou au niveau des bureaux de vote pour Paris, et les a comparés aux résultats des élections européennes de 2009. « Mais ce scrutin ne peut suffire car le niveau du vote FN était très bas », précise le chercheur, qui a également comparé avec les résultats de la présidentielle de 2012. On peut ainsi voir commune par commune comment a évolué sociologiquement et politiquement cet électorat. Joël Gombin décrypte pour Libération les principaux enseignements de ses travaux, autour de quatre cartes.

Un approfondissement de l’assise électorale du FN

« Le niveau du vote FN est exceptionnellement élevé pour ce scrutin. Certains ont voulu le relativiser en soulignant que c’était moins de voix qu’en 2012, à la présidentielle. Certes, mais le taux de participation est presque deux fois inférieur. L’explication dominante donnée à ce moment-là est celle d’une mobilisation différentielle, c’est-à-dire que le FN a su mieux que les autres partis mobiliser son électorat. A mes yeux, c’est une composante de l’équation, mais ce n’est pas la seule. »

Le vote FN aux européennes 2014 :

Résultats du FN aux européennes de 2014 en pourcentage des suffrages exprimés.

« A travers ces cartes, on voit, à la fois un approfondissement et un élargissement de l’assise électorale du FN. Il y a un potentiel, le vote FN peut encore progresser. »

« Ainsi on peut voir que dans 5.440 communes, c’est-à-dire une sur sept, en France, le FN obtient plus en pourcentage des inscrits que Marine Le Pen à la présidentielle. Il obtient plus de voix, avec une participation pourtant plus faible. Cela veut dire qu’au-delà de l’hypothèse de la mobilisation différentielle, le FN a su mobiliser au-delà de son potentiel de 2012. Je n’aime pas trop la notion de "réservoir", mais si on veut l’utiliser, on peut dire qu’en 2012, le FN n’a pas atteint le maximum de ses ressources. »

Un vote qui monte dans la petite bourgeoisie

Vote FN en 2014 par rapport à un indice 100 en 2012. Évolution du vote FN (progression en 2014 par rapport à un indice 100 en 2012).

« Sur la carte ci-dessus, plus c’est bleu, plus le FN est en retrait, comme en Bretagne, en Alsace, en Corse. Plus c’est rouge, plus le score du FN est important par rapport à 2012. On le voit bien pour la grande circonscription du Nord-Ouest où Marine le Pen était tête de liste. Il y a certainement eu un effet d’entraînement. On voit du rouge en Corrèze : c’est une forte progression qui correspond à un effet creux, après le vote pour Hollande en 2012, conforme à ce qu’on appelle l’effet "friends and neighbours", la prime aux élus du coin, familiers. »

Vote FN en 2014 par rapport à un indice 100 en 2012, en anamorphose.

« Cette carte montre la même chose en anamorphose. On voit que dans les grands centres urbains, comme Paris et Lyon, le vote FN se maintient. Dans l’ouest de l’Ile-de-France aussi, on note une stabilité du vote FN. Si on reprend la grande circonscription du Nord-Ouest, on voit que le progrès du FN réside surtout dans le rural. A Lille, au Havre, c’est moins vrai. »

« Dans l’Ouest, même s’il y a une progression, il n’y a pas de changement d’équilibre. L’Ouest demeure une terre de mission. C’est dans l’Ouest mais aussi en Alsace, en Moselle, que le FN progresse le moins. Pour Florian Philippot qui est élu du Grand Est, cela veut dire qu’il n’y a pas de valeur ajoutée à sa présence dans la circonscription. »

« Dans les communes où le FN gagne des voix, le profil sociologique est le suivant : on trouve plus de professions agricoles (dans ces communes rurales), plus de petits indépendants, ou de la petite bourgeoisie, plus de cadres, de professions intellectuelles ou supérieures, et moins d’ouvriers et moins d’employés. Autrement dit la petite et la grande bourgeoisie y sont surreprésentées et les catégories populaires sous-représentées. C’est là où le FN arrive à élargir son assise sociologique. Ce n’est pas dans les communes ouvrières qu’il progresse. »

A Paris, un vote nourri d’UMP

Évolution du vote FN à Paris.

« Alors qu’en 2012, c’est dans les quartiers de l’Est parisien que le niveau du FN est le plus élevé, là au contraire il y a un retrait assez net du vote FN. Dans l’ensemble de la capitale, on peut remarquer que le nombre de votants est similaire (on compte seulement 3500 voix de moins entre 2012 et 2014) et se situe à un niveau faible. Mais la structure du vote est renforcée dans l’Ouest parisien, et se confirme dans les Hauts-de-Seine (comme à Neuilly). C’est là où on retrouve les cadres, commerçants, artisans, et professions intellectuelles ou supérieures. »

« On peut en faire deux interprétations. Soit des électeurs FN de 2007 ont voté Sarkozy et reviennent au FN. L’autre hypothèse est celle d’une radicalisation d’une partie de l’électorat UMP qui vote FN pour la première fois. Autrement dit, ce n’est pas un retour, mais un aller simple. Dans ce cas cela veut dire que la ligne Buisson a créé les conditions d’une radicalisation d’une partie de son propre électorat. A Paris, la composante populaire du vote FN est résiduelle lors de cette élection européenne. »

Cartes Joël Gombin

Charlotte Rotman

Voir en ligne : sur Libération

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